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Le Gobelet d’argent (Verhaeren)

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Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 103-105).
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LE GOBELET D’ARGENT


Sur la place aux enseignes livides,
Où les cloches sonnent un glas,
Il pleut, dans le kiosque vide,
Là-bas.

Le grave et rouge bourgmestre
S’assied au « Gobelet d’Argent »,
À sa place, près des fenêtres ;
Et, solennel avec les gens,
Il regarde, d’un air tranquille,
Vivre sa ville.

Tous les pavés sont vernis d’eau ;
Un chien s’enfuit ; deux chiens se flairent ;
La marchande de scapulaires
Sonne à la porte du bedeau.


À sa montre, pareille aux trônes,
L’aide du pharmacien quinteux
A remplacé le bocal bleu
Par un bocal de couleur jaune.

Le vieux greffier passe, en retard,
Et regarde, d’un œil oblique,
Chez l’horloger, dans la boutique,
L’heure que sonne un jacquemart.

On sait, dans tout le voisinage,
Que le notaire a confié
Le soin de ses vingt-deux lauriers
Au jardinier du béguinage.

Et les arbres, aux rameaux noirs,
Rentrent chez eux, toilette faite,
L’autre après l’un, sur des brouettes,
Qui font trembler les vieux trottoirs.

Bête de somme et de supplice,
Voici l’antique cheval blanc
Qui se cahote, à pas très lents,
Vers la porte du vieil hospice.


Coup de sifflet droit comme un dard,
Et nuages de vapeurs blanches ;
Et roule, au loin, en avalanche,
Le train de midi moins un quart.

Le grave et rouge bourgmestre
Quitte son siège à ce signal,
Laissant son broc, vide et banal,
Regarder seul par la fenêtre.