Le Hibou, l’hirondelle et la chouette

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Texte établi par impr. de J. Grinsard, impr. de J. Grinsard.

LE HIBOU
L’HIRONDELLE ET LA CHOUETTE
ALLÉGORIE
Par CHAPELAIN DE MONVAL

Sous les arceaux poudreux d’une antique chapelle
Que couronnait encore un reste de tourelle,
Vivait, dans la retraite, un superbe hibou.
Que faisait-il ainsi retiré dans ce trou ?
Pleurait-il les écarts d’une ardente jeunesse ?
Ou bien n’était-ce point, connaissant sa faiblesse,
Et craignant les attraits d’un monde séducteur
Qu’on ne peut fréquenter sans se gâter le cœur,
Qu’il s’était retiré dans cette solitude
Pour se mettre à l’abri de toute inquiétude ?
Qu’abandonnant les siens à la fleur de ses ans,
Il avait fait le vœu de demeurer céans
Jusqu’au jour où le ciel le prendrait à la terre ?…
J’ignore les desseins de ce grand solitaire.
Ce que je sais pourtant, c’est que, silencieux,

Il tournait ses regards sans cesse vers les cieux,
Semblant y rechercher ce bonheur ineffable
Qu’on ne peut rencontrer ici-bas véritable,
Mais que le Seigneur verse au sein de ses élus
Qui tâchent d’arriver au sommet des vertus.
Jamais il ne sortait de son humble cellule ;
Quand le soir ramenait le sombre crépuscule,
Modestement perché sur un lierre touffu
Soutenant son réduit tremblant et vermoulu,
Il faisait son repas d’une mouche volage,
D’un lézard engourdi dormant sous le feuillage,
D’un bourdon importun ; d’un papillon de nuit,
D’un grillon paresseux l’agaçant de son bruit,
D’une chauve-souris imprudente et légère,
Voltigeant dans les brins de l’épaisse fougère
Qui tapissait les bords de son humble logis.
Sage comme un Antoine, exempt de ces soucis
Qui de nos jours, hélas ! se partagent le monde,
Il s’endormait heureux dans une paix profonde.
Mais qui peut s’assurer de rester vertueux ?
De mourir sur la cendre en habit de Chartreux ?
Un beau jour de printemps, une jeune hirondelle
Vint, je ne sais comment, le caresser de l’aile
Formant autour de lui mille et mille contours ;
Il sentit en son cœur s’éveiller les amours.
Ébloui, fasciné, le pauvre anachorète
Comme un jeune étourneau vit s’égarer sa tête ;
Essayant, mais en vain, d’appeler sa raison,
Il se laissa, vaincu, tomber sur le gazon.
« Quelle est, se disait-il, cette belle inconnue,
Qui trace des sillons si légers dans la nue ?
Que son corsage est blanc ! que son plumage est beau !
On dirait un éclair qui miroite dans l’eau.

Son œil est ravissant, sa voix douce et plaintive
Expire dans l’écho que m’apporte la rive.
Que cherche-t-elle ici chez un pauvre vieillard
Qui va bientôt tomber sous la dent du renard ?
Son cœur doit être pur et son âme bien belle
Pour aimer un hibou qui ne bat que d’une aile !
Qui végète ici-bas, sans amis, sans parents,
Et n’a rien pour charmer que l’outrage des ans ! »
Cela dit, il se tut renfermant dans son âme
Le feu qui malgré lui l’embrasait de sa flamme.
Tout se voit, tout s’entend, et les plus sombres nuits
Éclairent fort souvent même le fond d’un puits.
Dès la pointe du jour une vieille chouette,
Ayant bien deviné ce qui troublait sa tête,
S’en vint malignement lui dire : « Bon voisin,
Comment vous portez-vous, cher-ami, ce matin ?
Vous êtes demeuré longtemps sous la rosée ;
Hier, je vous voyais du bord de ma croisée.
J’en gémissais pour vous ; se mettre au lit si tard
N’est pas, à mon avis, bien sain pour un vieillard.
Vous paraissez souffrant, avez-vous de la peine ?
Une amitié sincère auprès de vous m’enchaîne,
Laissez-moi partager, ami, votre douleur.
On est prêt de guérir quand on ouvre son cœur.
N’avez-vous point été piqué par une abeille ?
J’en connais un essaim qui niche en cette treille ;
Leur dard est venimeux, et bien souvent leur miel
Dans les temps orageux peut se changer en fiel.
Si vous avez besoin d’une garde-malade
Je vous offre l’amour d’Oreste et de Pilade. »
Satisfaite d’avoir décoché tous ses traits,
Riant, elle s’en fut dans le sein des forêts :
« Il en tient, se dit-elle, allez ! notre bonhomme !

Comme Adam, le voilà qui savoure la pomme,
Ce saint, que l’on croyait tout entier au bon Dieu,
Et fixe dans le bien comme un solide pieu ;
Qu’on entourait partout d’une estime profonde,
Qu’on venait écouter de tous les bouts du monde ;
Qu’on croyait pur enfin comme un lis au printemps
Que n’a point maculé le souffle des autans ;
Le voilà, comme Hercule, aux pieds d’une mégère
Qui, venant d’arriver d’une terre étrangère
Pour recueillir la fleur de nos riches moissons,
S’en ira le laissant cracher sur ses tisons.
N’eut-il pas bien mieux fait de prendre une servante,
D’un âge canonique, habile, intelligente ?
Il se fût comporté comme un homme d’esprit ;
Agissant autrement il perd tout son crédit.
Tous les brillants joyaux qui formaient sa couronne,
Vont tomber devant lui comme ces fruits d’automne
Que le vent déchaîné jette aux pieds des passants ;
Sa honte va jaillir sur tous ses partisans.
Puisqu’à de bons avis il ne veut pas se rendre,
Qu’il aille donc chercher quelqu’un pour le défendre !
Du reste, c’est bien fait qu’il soit ainsi dupé ;
Quand on fait à sa tête on doit être trompé ! »
Le hibou furieux d’entendre ce langage
Ne connut plus de frein, plus de borne à sa rage.
Il baissa son gros bec jusque sous son menton,
Comme pour l’aiguiser et se donner du ton,
Puis le dressa soudain, fier et plein de furie :
« Ah ! de me marier cela vous contrarie ?
Eh bien ! ma très-charmante, on le fera demain.
Trouvez-vous donc ici sur le bord du chemin,
Vous me verrez passer avec mon hirondelle ;
Et je vais essayer de la rendre si belle

Que vous en crèverez de rage et de dépit.
Oh ! si j’avais voulu vous poser dans mon nid.
La nuit, furtivement, comme une douce amante,
Vous n’eussiez pas été, je crois, trop mécontente !
Mais mon cœur noble et pur repousse un tel amour.
Un ange m’a charmé, je l’épouse au grand jour.
Qu’importent les discours d’une foule insensée !
J’élève bien plus haut ma sublime pensée.
Quand il aura tout dit, le monde se taira.
Dieu qui sonde les cœurs, Dieu seul me jugera.
En lui je ne crains pas ces brûlantes colères
Qu’ici pour m’effrayer font siffler des vipères.
Dans l’âme des amis que je croyais avoir,
Si j’avais pu trouver ou même apercevoir
Le plus faible intérêt, l’ombre de la tendresse
Dont m’inonde aujourd’hui ma pure enchanteresse,
Pour reconnaître en eux ce simple attachement
Et ne pas m’exposer à leur ressentiment
Par un suprême effort triomphant de moi-même
J’eusse à leurs pieds brisé ce riche diadème
Dont je vais couronner sans crainte et déshonneur
Cet ange bien aimé qui fait tout mon bonheur.
Qu’on ne me parle plus d’offrir ce sacrifice !
Je ne puis de ma bouche approcher ce calice ;
Ils me l’ont détrempé de vinaigre et de fiel,
Je ne le boirai point, j’en atteste le ciel !
Dieu n’a point fait pour moi le cilice et la haire,
Et ne me défend pas le beau rôle de père.
Sous ses yeux je peux donc, jetant ma plume au vent,
m’échapper sans regrets de ce triste couvent !… »
Ravi d’avoir extrait cette belle tirade
De son jabot chargé de bile et de pommade,
Comme le jeune aiglon qui plane triomphant.

De son trou s’envola l’audacieux chat-huant
Pour venir se poser près de sa Dulcinée
Qu’il trouva l’attendant, prête pour l’hyménée.
« Adorable ! dit-il, tombant à ses genoux,
Vous m’aimez, je vous aime, eh bien ! marions-nous ! »
Cet hymen fit le bruit que produit un orage
Dont l’éclat foudroyant a détruit un village.
L’alouette légère, au-dessus des sillons,
S’en fut le raconter à tous les oisillons ;
Le chantre du printemps, ainsi que la fauvette,
Composèrent sur lui plus d’une chansonnette ;
Le corbeau le trouva détestable, odieux,
Capable d’attirer la colère des cieux :
Le merle, en s’échappant des touffes de feuillage,
Alla le persiflant de bocage en bocage ;
La chouette, irritée et réduite aux abois ;
Le décriait partout sur le sommet des toits ;
Le moineau doucereux, feignant le bon apôtre,
Les pinçait jusqu’au sang, tour à tour l’un et l’autre ;
Le milan, le faucon, et l’aigle et le pivert
Formaient à leur sujet un infernal concert ;
De branche en branche, allait sur eux jasant la pie,
Comme eût fait un démon, une horrible harpie ;
Tous les oiseaux criaient, même jusqu’au coucou
Qui voulait qu’on les prît pour leur tordre le cou.
Seule, auprès de son nid, la douce tourterelle
Ne crut pas à propos d’épouser leur querelle,
Sachant qu’on n’obtient rien de deux cœurs amoureux,
Et que l’on perd son temps voulant s’occuper d’eux,
Parce que leur esprit bien loin fuit et s’envole
Pour ne pas écouter une sage parole.
N’osant pas se flatter de soulager des maux
Que n’avaient pu guérir de célèbres oiseaux,

Se reculant au fond de son lit de bruyère
Pour gémir, comme fait le juste sur la terre
Quand il voit se placer sur l’autel du Seigneur
Une idole qu’encense un vil adorateur :
« Laissons-les, se dit-elle, en goûter, du ménage !
Ils en viendront sans doute à se plumer en cage,
Et nous serons ainsi suffisamment vengés
De ces pauvres oiseaux qui nous ont affligés.
Le temps est un grand maître, il apprend bien des choses.
S’il forme le bouton, il effeuille les roses.
L’objet qu’on a le plus ardemment désiré,
Cesse, quand on l’obtient, de paraître doré ;
Souvent même à nos cœurs il fait une blessure
Que ne sauraient guérir ni l’art, ni la nature.
Se voyant, mais trop tard, aussi mal assortis,
Ayant devant les yeux des monstres de petits
Qui ne pourront, sans honte, entrer dans le bocage
Où l’on vit célébrer ce triste mariage,
Ces malheureux époux déchirés de remords,
S’en viendront habiter le royaume des morts.
Dans le lugubre champ, qu’on nomme cimetière,
Seront gravés ces mots sur une froide pierre,
À dessein de donner une grande leçon
Aux pauvres amoureux qui perdent la raison :


« Ci-gît un fol hibou ! ci-gît une hirondelle !
À qui l’amour trompeur fit perdre la cervelle.
Passants, plaignez leur sort ! Chrétiens, priez pour eux !
Tâchez, dans vos amours, d’être plus sérieux. » !


Chapelain de Monval.