Le Jardin des chimères/La chanson de Pan
SCÈNE PREMIÈRE
Un sous-bois profond, ténébreux. Sur l’herbe, à travers les feuillages épais, dardent les flèches d’or du soleil, plus aiguës dans cette pénombre fraîche. Au fond, à demi cachée par l’enchevêtrement des branches, on aperçoit une clairière déserte où se dresse une petite statue d’Aphrodite sur une stèle enguirlandée de roses. C’est le matin. L’air est limpide et printanier. Dans le silence, on entend les vibrations confuses de la forêt, et par instants, le son très doux et presque insaisissable de la flûte de Pan.
C’est l’heure harmonieuse où la tiédeur s’épand
Sous les rameaux noueux qu’argente la lumière,
Où l’Hadryade écoute, au bord de la clairière,
La flûte lointaine de Pan.
Tout se tait… La forêt s’alanguit et respire.
Dans l’air tremble l’écho d’une chanson d’oiseaux ;
Syrinx abandonnant son ténébreux empire
S’endort au milieu des roseaux.
C’est l’heure où le lézard allongé dans les herbes
Chauffe au soleil son corps chatoyant et frileux ;
Où le lièvre en passant fait onduler les gerbes ;
Où les mornes glaciers sont bleus.
C’est le matin… Joyeux, les papillons s’éveillent ;
Leur poids fait défaillir les calices ouverts.
L’ombre s’emplit d’un frais bourdonnement d’abeilles.
Pan rit au fond des halliers verts.
Mon souffle est l’âme de la Terre.
La forêt tressaille à ma voix.
Je suis la fraîcheur, le mystère,
L’haleine paisible des bois.
Mon chant est l’âme du silence,
Le frémissement des roseaux,
C’est lui qu’imitent les oiseaux
Sur la branche qui se balance…
Mon chant est celui du frelon,
Et de la cigale cachée.
Son écho fait, dans le vallon,
Trembler la source effarouchée.
Mon chant est celui de l’été.
Mon chant est celui de la sève.
Je suis Pan, le désir, le rêve.
L’oubli, l’amour et la gaîté.
Et sur l’herbe fleurie où l’ombre et la lumière
Dansent au bord de l’eau qui murmure et s’épand,
Écoute ! Écoute ! Au fond de la clairière,
Le rire insoucieux de Pan !
Ô toi dont la beauté resplendit et rayonne,
Ô toi qui fais sourire, ô toi qui fais germer.
Pour tes cheveux dorés reçois cette couronne.
Et vois l’encens, la myrrhe et les herbes fumer
Vers ton front lumineux que leur nimbe environne,
Et la flamme qui brille et va les consumer.
Viens ! Descends te mêler à nos jeux, à nos danses,
Et qu’Éros rejetant le carquois et les traits
Dirige de la voix nos rapides cadences.
Viens ! Les fleurs sous tes pas naîtront dans les forêts,
Les grands arbres ploieront sous leurs rameaux plus denses
Les fruits seront plus doux et les ruisseaux plus frais.
Nous te devons les monts où bondissent les chèvres,
Et l’effleur caressant du Songe aux ailes d’or.
Et le vol des chansons se posant sur nos lèvres.
Nous te devons l’amour, le frémissant essor
De l’espoir qui fait fuir les terreurs et les fièvres,
Les sourires joyeux et les baisers du Sort.
Nous t’aimons… Que serait, sans toi, le Labyrinthe ?
Les roses, les vergers et leur fleuve enchanté ?
La mousse où les pieds nus laissent leur fraîche empreinte ?
Et le morne univers par l’ombre épouvanté,
Malgré l’antique Nuit, oublie enfin sa crainte
Quand apparaît ton astre, ô blonde Aphrodité !
C’est lui !
Je l’ai perdue ! Au fond de la clairière.
Je croyais voir frémir ses ailes de lumière,
Je croyais voir briller ses grands yeux tentateurs !
Nymphes ! L’avez-vous vue ? Errant, sur les hauteurs,
Dans les halliers, la nuit, seul, égaré par l’ombre,
Attiré par ses yeux au rayonnement sombre.
Je l’ai cherchée en vain !
Et tu cherches toujours ?
Je la croyais ici…
S’écouleraient heureux si tu le voulais être !
N’avez-vous donc rien vu s’enfuir et disparaître ?
Je n’ai rien vu. L’aurore éblouissait mes yeux.
L’aurore est sans couleur et sans flamme en ces lieux.
Se tournant vers Earina.
Et toi ?
Pourquoi chercher un mirage éphémère ?
Je ne sais pas. Les dieux ne voient pas la Chimère.
Il sera plus qu’un dieu, son vainqueur !
Saigne ! Tu t’es blessé ?
La vois-tu resplendir, la Bête insaisissable ?
Laisse-moi !
C’est le jeu du soleil sur le sable !
Oh ! La saisir enfin !
La forêt tressaille à ma voix.
Mon souffle est l’âme de la Terre.
Je suis la fraîcheur, le mystère,
L’haleine paisible des bois.
Mon chant est l’âme du silence…
Kypris Aphrodita !
Mon chant est celui de la sève,
Mon chant est celui de l’été.
Je suis Pan, le désir, le rêve.
L’oubli…
Maîtresse à qui jamais l’Amour ne résista !
Mère des Éros, ne me sois pas cruelle !
Ô toi qui fais sourire ! toi qui fais fleurir,
Regarde ! Je suis jeune, et si blonde, et si belle…
Écoute ! Un cœur de Nymphe est-il fait pour souffrir ?
Je l’aurais tant aimé !… Chaque matin je tresse
Une guirlande fraîche et je viens t’implorer.
Tu ne peux pas vouloir que j’apprenne à pleurer !
toi qu’on dit si douce, exauce-moi. Déesse !
Mon chant est celui de l’été.
Mon chant est celui de la sève.
Je suis Pan, le désir, le rêve,
L’oubli, l’amour et la gaîté.
Et sur l’herbe fleurie où l’ombre et la lumière
Dansent au bord de l’eau qui murmure et s’épand,
Écoute ! Écoute ! Au fond de la clairière,
Le rire insoucieux de Pan !