Le Jardin des dieux/Le Clair de lune dans les ruines/L’Après-midi

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 209-212).



L’APRÈS-MIDI



J’imagine l’après-midi…
Ô soleil sur les mosaïques
Parmi les marbres attiédis !

Menant son tonnerre assourdi
Un char fait son bruit héroïque
En traversant Thamugadi.

Ô claire villa, je recrée
Tes portiques et ton jardin
Et ta solitude sucrée.


Et je me retrouve soudain
Dans ton ombre tiède et dorée
Où l’Amour m’accueille, badin.

J’entends une flûte qui lutte
Avec des rires et je vois
Le bras nu du joueur de flûte.

Un baiser traverse parfois
L’hymne à Vénus qu’il exécute…
Vais-je reconnaître ces voix ?

Un bleu papyrus se balance
Sous le jet d’eau qui se répand,
Tinte, se tait, puis recommence,

Et, si je soulève le pan
De ce rideau lourd de silence,
J’aperçois un buste de Pan.


Je ne vois encore personne.
On rit derrière le rideau,
J’écoute ce rire qui sonne.

L’esclave grec tourne le dos
Et joue. — Il parle, elle frissonne
Tandis qu’il touche à ses bandeaux.

Il est gras et glabre, il promène
Sur la nuque les doigts hardis
De sa main massive et romaine.

Et la douce flûte redit
Son hymne à l’Anadyomène…
J’imagine l’après-midi.

De quoi parlent-ils ?… De théâtre,
D’un vers d’Horace, d’un bouffon…
Les marbres dans l’eau sont bleuâtres


Et j’écoute le bruit que font
Les pigeons qui viennent s’ébattre
Sur le bord du bassin profond.

Les voix sont molles d’indolence
La flûte danse et rebondit,
Le jet d’eau, comme elle, s’élance.

J’imagine l’après-midi,
Un char ébranle le silence…
Qu’il fait bleu sur Thamugadi !