Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/Lunaire (1)

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 150-152).



LUNAIRE



Ô lune, dans les nuits où rôde ta démence,
Argent pur, lait magique, ô vivante clarté,
Fais partout ruisseler sur notre extase immense
Ton philtre génésique où tout s’est enchanté.

Ce soir, le monde brûle et devient ton empire,
Je le sens à ce trouble où l’univers s’émeut,
À ce halètement de la mer qui soupire
Et s’abandonne aux bras de ses golfes fameux.


La terre devant toi, soumise, se dénude,
Et Malte et Chypre et Naple et Palerme, exaltés
Par ta mélancolie et par ta solitude
Trempent dans la musique et dans la volupté.

C’est l’heure où sur le monde inapaisé qu’embrase
Ton étincellement, ô nocturne vigueur,
Coule de toi, penchée, ainsi que d’un beau vase
Je ne sais quelle étrange et lointaine langueur.

Les jardins onduleux sous ta longue caresse
Remuent confusément comme un pelage obscur,
Et la mer qui se berce à ton grand rêve oppresse
D’un éternel tourment le silence et l’azur.

Les fauves sans sommeil vers qui tu t’aventures
Ont senti devant toi battre leur cœur puissant,
Ce cœur porté si bas que la rude Nature
Peut suivre à tous ses bonds l’élan secret du sang !


Ainsi, lune royale, impose ton vertige,
Et puisque les amants t’offrent leur nudité,
Comme tu fais monter ton lait bleu dans les tiges,
Mêle à l’amour le goût de ton éternité.