Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/Sirènes (2)

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 147-149).
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SIRÈNES



Ô le cri douloureux des sirènes, liées
À l’horizon, aux croix sanglantes du couchant,
Que de fois ai-je au bord des eaux émerveillées
Pâli d’entendre au loin jaillir en ricochant
L’appel, l’appel saignant de ces crucifiées !

Lorsque le crépuscule embrase l’estacade
Qui semble tendre au soir des bûchers triomphaux,
Sirènes, bêtes d’or, vous lancez par saccades
De quelque taciturne et lointaine Leucade
L’adieu désespéré qui déchira Sapho.


Dites, de quelle angoisse et de quelle épouvante
Hantez-vous l’horizon suprême de la mer ?
Il semble qu’on vous ait prises, toutes vivantes,
Et que d’obscurs soutiers, à fond de cale, inventent
Une exquise torture autour de votre chair.

Vous mêlez au couchant de poignantes magies,
Supplice, jouissance, extase, pâmoison…
Cris perdus ricochant le long des eaux rougies,
Comme vous dites bien toutes les nostalgies,
Notre âme insatisfaite et sa soif d’horizon.

Et, quand vous jaillissez de la mer embrasée
Et que miroite alors Andromède ou Persée,
Sirènes, se peut-il un jour que nous cessions
De croire qu’une longue et sifflante fusée
Éparpille en plein ciel les constellations ?

Vous criez plus aigu, plus haut, plus fort encore :
Et la Grande Ourse émerge au gouffre immense et bleu,
Le Chariot s’anime et je revois éclore
Nysa, Cassiopée, Ariane, Pollux, Flore
Au bout de votre cri comme des fleurs de feu !


Ah ! lancez votre philtre aux grandes nuits torrides
Que la mer lumineuse hante de sa pâleur,
Racontez la Toison, dites les Hespérides,
Et mêlez votre ardeur dangereuse et perfide
À l’incantation des éclairs de chaleur !