Le Jardin des dieux/Poèmes pour Jézabel/Sarah
SARAH
Grasse Juive, Sarah, j’ai composé cette ode
Pour y clore à jamais ton visage busqué,
Son profil de bélier, sa peau couleur d’iode
Et ce grand œil fatal où flotte l’ananké.
Oh ! ton cheminement à travers ces ruelles
Où les satins obscurs et les velours foncés
Étalaient leur splendeur mortuaire et cruelle
De catafalque, autour de ton corps caressé !
Avec quelle noblesse et quelle ample indolence
Allais-tu balançant ta robe d’apparat,
Et comme il me berçait avec magnificence
Ce lourd bruit d’or massif remué par tes bras !
Tu n’auras jamais su la longue patience
Dont j’armais mon regard entre ces murs rongés,
Quand, bravant tant d’ordure et tant de pestilence,
Je guettais le jardin de tes châles frangés.
Alors, suivant ta marche aux traînantes babouches
Dont le talon claquait sur le pavé gluant,
Je cherchais dans les plis du nez et de la bouche
Le secret de ta race, équivoque et fuyant.
Dis, vers quelle aventure allais-tu, lente et seule,
Balançant ce satin sur ta croupe étalé,
Morne et silencieuse entre ces longs bras veules
Qu’Holopherne, à son cou, sentit un soir couler ?
Dans la puante horreur des ruelles épaisses
Où brûlait l’écarlate irrité de tes bas,
J’admirais longuement cette allure d’abbesse
Qui va chauffer sa cuisse au balai du sabbat.
Puis, tu te retirais dans quelque impasse infecte,
Scarabée enfoncé dans son trou, pour la nuit…
Sans doute enlevais-tu ce luisant serre-tête
D’un lent geste accablé de paresse et d’ennui.
Tu ne dépouillais pas tes bagues de suffète
Et goûtais à la sauce avec tous tes joyaux
Et tu traînais partout, débraillée et défaite,
Ta chape byzantine et tes atours royaux.
Et, massive au miroir, entre tes candélabres,
Tu paradais avec un air sacerdotal
Pour souligner encor de noir et de cinabre
Cette bouche vorace et ce grand œil fatal.