Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/I/Le vent qui déracine…

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XII


Le vent qui déracine et fait tomber les fruits
Entoure ma maison de son ombre fuyante.
Demain je trouverai des branches abondantes
Sur la route du jour dévasté par la nuit.

Le vent ne touche pas le travail de ma vie
Car il est inutile et je n’ai pas semé.
Mais dans l’air de la lampe et des volets fermés
Je songe aux moissonneurs dont la peine infinie


Avait rêvé de la récolte et des marchés.
Quand ils se lèveront, quand l’aube frémissante
Les conduira — porteurs des pioches éclatantes —
Vers la plaine des grains, quand ils auront marché,

Ils ne trouveront plus dans les champs de leur terre
L’espoir que suspendait, pour eux, les amandiers.
Toutes les fleurs seront arrachées, les rouliers
En glaneront, contre les haies, dans la poussière…

L’été sanglotera dans son jeune berceau
Et la douleur des moissonneurs sera pareille
À cette pauvreté que les cieux ensoleillent
Et qui laisse déserts les quais et les vaisseaux.

Mon Dieu, comme le vent s’appuie sur la campagne !
Comme les pins et les cyprès doivent, ce soir,
Essayer leur courage et crisper leurs bras noirs
Vers le Titan furieux qui descend la montagne !

Ayez pitié, Seigneur, de toutes les moissons
Que je vois lorsque ma fenêtre n’est point close.
Épargnez le bonheur des hommes qui reposent
Comme vous épargnez les murs de ma maison.


Que vous offrira-t-on s’il n’est dans les corbeilles
Ni fleurs pour les tresser, ni fruits pour les emplir ?
Que vous offrira-t-on si l’on ne peut cueillir ?
Ayez pitié, Seigneur, de toutes les merveilles

Qui naissent des saisons dont vivent vos enfants.
Ma prière n’est point pour moi mais pour la terre.
Si mon humilité pouvait vous être chère !
Si mon humilité pouvait vaincre le vent !