Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/II/Si ta plaine…
X
Si ta plaine est toujours en joie,
Ton divan est toujours en fête.
Sur l’une ta gloire s’éploie
Et sur l’autre mon corps se jette.
Ma vie prend cette double part
D’horizon et de lit immense.
Je passe d’un char dans un char,
Quand l’un s’en va, l’autre s’avance.
Ici le soleil met mon cœur
Au supplice de sa lumière ;
Ici la lampe est une sœur
Et l’abat-jour une paupière.
Si je sais prendre le chemin
De la terre chaude et biblique,
Je sais rester sur les coussins
Vierge sage ou fille publique.
Il m’est cher de me partager
Entre les blés et la paresse
Et je me laisse vendanger
Par ma force et par ma faiblesse.
Je me livre au jeu des moments ;
Je m’en vais porté par deux ailes !
Sur ta plaine et sur ton divan
Je tourne comme une hirondelle !
Quel est le vent dans les cyprès
Qui me pousse vers les étoiles ?
Quelle est la voix qui fait exprès
De prendre mon vol dans ses voiles ?
Je ne sais plus… Ô taisez-vous
Fleuves traînant des paysages
Et vous dont les yeux sont trop doux
Qui se penchent sur mon visage.
Ne m’accordez aucun transport,
Laissez mon âme si muette,
Que la jalousie de l’effort
Et l’air des voluptés secrètes
N’accourent quand je veux mourir.
Quoi ! vous m’offrez toujours la vie ?
Mais je risque à la découvrir
D’être l’homme qu’on crucifie
Dans son jardin de pavots noirs,
Les yeux tournés vers la fenêtre
Où pleure son manque d’espoir,
Où sourit tout ce qu’il doit être !
Ta plaine a des bras de corail,
Ton divan des ombres soumises ;
Je joins mes mains vers ton travail,
Mais j’ai les mains tellement grises,
Tellement saoûles, ô bouvier
Du Victor Hugo magnifique,
Qu’il faudrait que tous tes rosiers
Au lieu de m’embaumer me piquent.
Ô mon ami, il n’est en moi
Que des buis et des amulettes.
Comment grefferas-tu ma voix
Sur le laurier de tes poètes ?
Je suis devant tes yeux levants
Écartelé par deux antennes.
Ô ma paresse et ton divan !
Ô mon vain courage et ta plaine !