Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/III/Étranger si hautain…

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I


À Marius

Étranger si hautain je ne te connais pas.
Que m’importe le bruit de ton ombre et l’éclat
De l’aigle impériale occupant la montagne !
Si tu n’avais été, de ces chères campagnes,
Que le berger qui siffle et conduit son troupeau,
Que le grand moissonneur des vignes et des eaux,
Que le roulier qui n’a que sa route pour gloire,
Peut-être aurais-je pu, recueillant ta mémoire,
Te placer dans ma vie et t’honorer tout bas.

Mais que tes étendards, tes armes, tes combats,
Laissent de trace vaine et de claire fumée
Sur mon cœur où Virgile a fixé sa pensée.
Qu’auraient à faire, dieux, d’un si pompeux retour
Mes roses, mes cyprès, mes buis et mon amour ?
C’est Vénus et non Mars qui chante sur ma porte.
Moins qu’une lèvre heureuse et qu’une vigne morte,
Moins qu’un parfum d’aisselle et qu’une odeur de pin
Ta victoire m’est chère, ô splendide Romain
Dénouant son armure aux plaines de Pourrières.
Où tu mis ton ardeur règne la joie des aires,
Où tu mis des tombeaux murît le champ de blé.
Comment veux-tu, Romain, que ton front étoilé
Éclaire ma maison, mon jardin, mon ouvrage,
Puisque l’Arc de triomphe est sous le paysage
Et puisqu’à ces ruisseaux de sang que tu creusais
Je préfère le goût des figues et du lait ?