Le Laurier Sanglant/37

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 165-168).

LES HÉROS DE LA NUIT




Aux officiers, sous-officiers et soldats du génie.


1915.


Dans ces guerres de tranchées
Plus d’ardentes chevauchées,
Plus de charges au soleil,
Plus de régiments superbes
Suivant, dans les hautes herbes,
L’essor d’un drapeau vermeil ;

Lentement, à coups de mine,
À coups de pioche, on chemine,

On rampe, le corps penché,
Lampe en main, dans les ténèbres,
Creusant des chemins funèbres,
Vers un ennemi caché.

C’est en cette tâche obscure,
Moins entraînante et plus dure,
Que naît et s’épanouit
Votre bravoure infinie,
Ô fiers soldats du génie,
Nobles héros de la nuit !

Et la plus simple justice
Veut que l’on vous applaudisse
Qu’on vous admire entre tous,
Ô sapeurs, qui sous la terre
Dont vous troublez le mystère,
Combattez si bien pour nous !

Ah ! qu’il vous faut de vaillance
Pour aller, dans le silence,

Dans l’inconnu, dans le noir,
L’oreille toujours tendue,
Remplir la besogne ardue
Qui, pour vous, est le devoir !

Par leurs exploits téméraires
Les aviateurs, vos frères,
Ont conquis le ciel doré ;
Vous, vous livrez vos batailles
Dans les saignantes entrailles
De notre vieux sol sacré.

C’est déjà presque la tombe…
Et quand l’un de vous succombe
Dans quelque trou, vaillamment,
Il semble — injustice humaine ! —
Que cette mort souterraine
Ait moins de rayonnement…

Quand l’impartiale Histoire
À chacun selon sa gloire

Distribuera ses lauriers,
Vous pourrez, en confiance,
Vers la juste récompense
Tendre vos mains les premiers ;

Et votre part sera belle
Dans la récolte nouvelle
Des fleurs d’Immortalité,
— Ô vainqueurs des luttes sombres ! —
Car vous aurez, dans leurs ombres,
Moissonné votre clarté !