Le Libertin de qualité (1784)/00
A
MONSIEUR SATAN.
Monsieur satan
Vous avez inſtruit mon adoleſcence ; c’eſt à vous que je dois quantité de tours de paſſe-paſſe, qui m’ont ſervi dans mes premieres années. Vous ſavez ſi j’ai ſuivi vos leçons ; ſi je n’ai pas ſué nuit & jour pour agrandir votre empire, & vous fournir des ſujets nouveaux.
Mais, monſieur Satan, tout eſt bien changé dans ce pays ; vous devenez vieux ; vous reſtez chez vous ; les moines même ne peuvent vous en arracher ; vos diablereaux, pauvres heres ! n’en ſavent pas autant que nos apprentifs maquereaux.
Ils ne vous rapportent que des récits infideles, parce que nos femmes les attrappent & les bernent.
Je trouve donc une occaſion de m’acquitter envers vous. Je vous offre mon livre ; vous y lirez la gazette de la cour, les nouvelles à la main des filles, des financiers & des dévotes. Vous ſerez inſtruit de quelque tour de biſſac, où, tout fin diable que vous êtes, vous auriez eu un pied de nez ; mais que votre chaſte épouſe n’y fourre pas le ſien ; car auſſi-tôt cornes de licornes s’appliqueront ſur votre front ſéraphique : défiez-vous ſur-tout de ces grandes manches à gros vits, & ne laiſſez pas aller votre femme en confrérie ſans une ceinture. Cependant, que la jalouſie ne trouble pas votre repos ; car, voyez-vous, monſieur Satan, ſi elle le veut, cocu ſerez ; & quand vous la mettriez en poche, s’y foutroit-elle par la boutonniere,
Puiſſent les tableaux que j’ai l’honneur de mettre ſous vos yeux, ranimer un peu votre antique paillardiſe ! Puiſſe cette lecture faire brûler tout l’enfer ! Daignez recevoir ces vœux comme un témoignage du profond reſpect avec lequel je ſuis,
- MONSIEUR SATAN,
DE VOTRE ALTESSE DIABOLIQUE,
très-dévoué
ſerviteur,