Le Lion (Rosny aîné)/XXII

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Le Lion
Société française d’imprimerie et de librairie (p. 302-305).

L’ombre de la caverne est vivante


Deux hommes seulement parurent à la sortie de la caverne. Bien qu’ils fussent armés jusqu’aux dents, j’aurais pu rapidement en venir à bout, avec l’aide de Saïd ; mais, quand ils n’eussent pas crié, leur absence aurait jeté l’alarme, et déterminé les survivants à nous poursuivre. Je me tins donc coi, et j’eus la satisfaction de voir les pirates rentrer dans la grotte, après une courte inspection du paysage. Les chevaux sont des bêtes sujettes aux frayeurs imaginaires. Les nomades, sans doute, s’étaient rassurés.

J’attendis environ une demi-heure, puis je me préparai à ma nouvelle expédition. Ordre fut donné à Saïd de demeurer à l’entrée de la grotte… Il rechigna d’abord, mais, après trois ou quatre tentatives, comme je le ramenais chaque fois, il finit par se résigner. Pour plus de certitude, je revins à des intervalles assez longs, et, le trouvant paisiblement couché, je le caressais et lui adressais la parole. Il a toujours été très sensible aux inflexions de ma voix. Quand je crus l’avoir ainsi bien persuadé, je m’enfonçai dans les profondeurs du souterrain.

À ce second voyage, je me rendis mieux compte de la longueur du chemin. J’évaluai à sept ou huit cents mètres la distance où se trouvait le camp. La grotte semblait ne former qu’un long boyau d’abord, ensuite elle s’ouvrait, se répandait en salles, et, peut-être, en ramifications.

Je me mis à étudier avec soin la rivière. Elle coulait avec une lenteur extrême : il m’était difficile de savoir d’où elle venait, car, de ce côté, l’ombre allait grandissant jusqu’à la plus épaisse ténèbre ; mais, suivant son cours, elle arrivait bientôt dans la zone crépusculaire : on la voyait disparaître deux fois, puis reparaître au loin, à l’endroit où j’avais entendu des voix. Je reconnus le sens du courant en faisant flotter une de mes gourdes.

Il était impossible d’arriver, sans le plus grand danger, auprès du campement ; l’espèce de chaussée qui y menait se trouvait exposée à tous les regards ; même en rampant, il eût fallu s’exposer à chaque minute ; le simple choc d’une pierre tombée pouvait éveiller de terribles échos. Mais l’eau est une route silencieuse. Par surcroît, cette route marchait dans la direction des pirates. Je n’aurais qu’à m’abandonner au courant pour m’approcher, presque indéfiniment, d’Aïcha. Cette pensée s’empara de moi avec une telle force que je ne me donnai pas la peine de bien l’examiner. Dévêtu en un clin d’œil, je ne gardai que mon caleçon. Pour être sûr de retrouver mes vêtements, au cas où je jugerais la retraite nécessaire, je les portai jusqu’à l’entrée de la caverne, où je les cachai sous une pierre, Saïd était toujours là, assez morose. Il fit de nouveau deux ou trois tentatives pour obtenir de m’accompagner, mais je m’obstinai.