Le Livre d’un père/Petits ingrats

La bibliothèque libre.







XV

PETITS INGRATS





Petits ingrats, mauvaises têtes,
Méchants que je ne veux plus voir,
Savez-vous le mal que vous faites
Lorsque vous manquez au devoir ?

Sitôt que vous n’êtes pas sages,
Nos amis, de très bonne foi,
M’accablent de tristes présages
Sur vous tous et même sur moi.

« Je vous rends de mauvais services
J’ai gâté ces vilains enfants ;
Je suis cause de tous vos vices… »
À peine si je me défends !


Je cherche, au dedans de moi-même,
À m’excuser sur quelque point ;
Pour quelles raisons je vous aime ?…
Et, vraiment, je n’en trouve point.

Vous travaillez avec paresse,
Vous êtes grognons, étourdis ;
Et, quand je parle de sagesse,
Vous riez à ce que je dis.

On ne m’a pas fait de mensonge :
Je fus trop facile et trop doux…
Et — je tremble, hélas ! quand j’y songe,
Je suis responsable de vous !

Jamais le monde ne fait grâce,
Vous le saurez tous, mais trop tard ;
Et du châtiment qui menace
Le pauvre père aura sa part.

Si par orgueil, ou par paresse,
Vous prenez de mauvais chemins,
Songez au nom que je vous laisse :
Ma mémoire est entre vos mains.

Vous savez le but de ma vie ?
C’est vous. Et j’ai mis mon bonheur
À travailler, sans autre envie
due d’accroître un peu votre honneur.

Vers ce but j’ai marché sans trêve
Et j’y marcherai jusqu’au soir.

Pauvres enfants, de mon beau rêve
Vous pouvez me faire déchoir !

On dira : « Ce n’était, en somme,
Qu’un rimeur, à tort à travers ;
Mieux vaudrait nous laisser un homme
Que ces dix volumes de vers.

Tous ces rimeurs, en vers, en prose,
Ils prennent des airs triomphants…
Celui-là ne fut pas grand’chose
S’il ressemblait à ses enfants. »

Vous ne voudrez pas, je l’espère,
Rétifs, joueurs immodérés,
Qu’on parle ainsi de votre père
Et de ceux qu’il a vénérés.

Nous avons tous, en ce bas monde,
Petits et grands, dès le bercail,
La même loi simple et féconde :
Obéir, aimer le travail.

Travaillez ! des heures d’étude
Ne perdez pas un seul instant ;
Ce serait une ingratitude
Pour celui qui vous aime tant.

Il faut que chacun se surmonte ;
Quand je vous vois sots, négligents,
Je ne puis pardonner sans honte
Même aux yeux les plus indulgents.


Mais il me semble qu’on raisonne
Et qu’on sourit… Petits ingrats !
Ne vous montrez plus à personne…
Venez vous cacher dans mes bras.


1879.