Le Livre de Job (Renan)/Étude sur l’âge et le caractère

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ÉTUDE


SUR L’AGE ET LE CARACTÈRE DU LIVRE DE JOB
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I


D’étranges difficultés s’offrent à l’historien quand il essaye de déterminer l’époque et le milieu social auxquels se rapporte le poëme de Job. Au premier coup d’œil, en effet, ce poème occupe dans la littérature hébraïque une position assez isolée. Les personnages qui y figurent ne sont pas Juifs ; le lieu de la scène est hors de la Palestine ; le culte que nous y voyons pratiqué est celui de l’époque patriarcale : Job est le prêtre de sa famille ; il a des rites à lui, qui ne se rattachent à aucun des usages particuliers de la religion d’Israël ; pas une allusion n’est faite aux usages mosaïques ni aux croyances particulières des Juifs. Cette réunion de circonstances a donné lieu à une opinion depuis longtemps répandue et adoptée par d’habiles critiques, d’après laquelle le livre de Job ne serait pas d’origine hébraïque. Une telle opinion est certainement insoutenable, si l’on entend par là que la langue du livre de Job n’est pas l’hébreu pur, ou bien que le texte hébreu qui est entre nos mains serait la traduction d’un ouvrage écrit dans un autre dialecte sémitique. Mais elle renferme une grande part de vérité si l’on veut dire seulement que l’atmosphère où ce curieux livre nous transporte n’est pas plus spécialement hébraïque qu’iduméenne ou ismaélite, et que le fond d’idées qu’on y trouve est celui qui appartient en commun à la branche nomade de la race sémitique, sans aucun des traits qui assignent au peuple juif, dans le sein de cette famille, une position si caractérisée.

Qu’on réfléchisse aux conséquences qui sortent de ce fait important, et on verra que deux hypothèses seulement peuvent être proposées pour l’expliquer. Si, d’une part, le poëme de Job a été écrit en hébreu par un Hébreu (nul doute, je crois, ne reste plus sur ce point dans l’opinion d’aucun exégète) ; si, d’une autre part, le fond des idées du livre de Job n’a rien de spécialement hébraïque, il faut supposer ou bien que la composition du livre est antérieure à l’époque où les institutions religieuses des Hébreux prirent leur forme définitive par la législation mosaïque, ou bien que l’auteur juif qui l’a écrit, voulant nous donner un spécimen de sagesse thémanite, à peu près comme Platon nous donne dans le Timée un essai de philosophie pythagoricienne et dans le Parménide un essai de philosophie éléatique, a eu assez de raffinement littéraire pour ne prêter à ses personnages que des pensées et un langage compatibles avec l’époque et le pays où il plaçait les événements de son poëme. J’avoue que le phénomène littéraire que nous offrirait le livre de Job, dans cette seconde hypothèse, me paraît en dehors de toute vraisemblance. L’antiquité n’avait pas l’idée de ce que nous appelons couleur locale. L’auteur alexandrin du livre de la Sagesse et même, à quelques égards, l’auteur du livre l’Ecclésiaste, font parler Salomon comme s’il eût été de leur temps ; le livre de Daniel, qui est de l’époque des Macchabées, commet sur l’époque assyrienne des fautes de représentation très-graves. Jésus, fils de Sirach, Philon, Josèphe surtout, parlent des anciens patriarches avec un sentiment historique aussi faible que l’est celui de Tite-Live quand il s’agit des temps antiques de Rome. Je ne puis donc admettre qu’un Hébreu d’une époque reculée (nous démontrerons bientôt qu’on ne peut faire descendre le livre de Job plus bas que le viie siècle avant notre ère) ait eu l’idée singulière de composer un poëme patriarcal, et ait porté assez de suite dans ce dessein pour que son œuvre ne détonne pas une seule fois et ne trahisse pas par quelque endroit le système artificiel qui aurait présidé à sa composition.

On peut dire, il est vrai, que les Hébreux conservèrent longtemps un sentiment très-distinct de la vie patriarcale, et que cette vie était pour eux une sorte d’idéal où ils aimaient à placer leurs fictions, à peu près comme faisaient les Grecs pour l’époque héroïque. On peut ajouter qu’une intention de couleur locale semble se montrer dans cette circonstance remarquable que l’auteur, parlant en son propre nom dans les parties en prose, appelle Dieu Jéhovah, tandis que, toutes les fois qu’il fait parler les Iduméens, il ne met dans leur bouche que les noms monothéistes d’Eloah, El, Schaddaï. Mais, outre qu’il n’est pas absolument certain que le prologue et l’épilogue soient de la même main que le poëme, c’est là une attention fort simple et qui ne suppose pas, à beaucoup près, le degré de raffinement littéraire qu’exigerait un poëme entier composé dans un ordre d’idées différent de celui de l’auteur. Ajoutons que la couleur forte, vive, énergique du poëme de Job, sa physionomie austère et grandiose excluent l’idée d’un pastiche. Une exception doit être faite pour le discours d’Élihou ; mais cette exception elle-même établit très-fortement notre principe ; car la différence de ton entre ce discours et le reste du poëme frappe à la première vue le lecteur le moins attentif.

Si le poëme de Job est une œuvre sincère, s’il exprime bien les idées du temps et du pays où il fut composé, sans arrière-pensée d’imitation, à quelle époque et à quelle école faut-il le rattacher ? Une opinion fort ancienne et fort accréditée a tranché hardiment la question. Selon cette opinion, le poëme de Job serait le plus ancien ouvrage de la littérature hébraïque. Comme on n’y trouve aucune trace des institutions mosaïques, on en a conclu que le livre était antérieur à Moïse[1] et remontait, par sa composition, à l’âge patriarcal. Mais pour se soustraire à de graves difficultés, on s’exposait ainsi à des objections bien plus graves encore. La langue du livre de Job, dans l’hypothèse en question, devrait avoir quelque chose d’archaïque et de primitif ; or cette langue est au contraire singulièrement artificielle et travaillée. Si on ne suivait que les indices tirés de la grammaire, on serait tenté de rapporter le livre qui nous occupe aux derniers temps de la littérature hébraïque. L’induction qui menait les anciens exégètes à cette opinion singulière reposait d’ailleurs sur une base ruineuse. On s’étonnait de ne trouver dans le livre de Job aucune trace des prescriptions mosaïques. Mais on n’en trouve pas davantage dans le livre des Proverbes, dans l’histoire des Juges et des premiers Rois, et en général dans les écrivains antérieurs à la dernière époque du royaume de Juda. L’idée que la loi mosaïque, telle que nous la possédons, remonte dans sa totalité à Moïse ne saurait plus guère être soutenue[2]. Il est certain que Moïse donna des lois au peuple dont il fut le libérateur ; il est certain aussi que des parties du code qui lui est attribué lui appartiennent en réalité ; mais, soit que ses prescriptions ne fussent pas de nature à pénétrer bien profondément la vie, soit que le peuple d’Israël y ait été d’abord peu fidèle, on ne voit pas que jusqu’à la période de réformes et de piétisme dont le règne de Josias fut le moment décisif, l’histoire d’Israël ait été dominée par le corps complet des institutions dont le Pentateuque nous offre le tableau. Or, la nature de ces institutions était telle que leur empreinte ne pouvait manquer de se faire sentir dans toute l’histoire du peuple ; et, en effet, depuis l’époque de réforme dont nous venons de parler, on les trouve présentes, si j’ose le dire, à chaque pas.

De ce que le livre de Job est conçu en dehors des idées que l’on désigne, avec plus ou moins de raison, du nom de mosaïques, on ne saurait donc conclure que ce livre soit antérieur à Moïse. Une branche entière de la littérature hébraïque est dans le même cas, je veux parler de toute cette littérature de philosophie morale, dont le livre des Proverbes, un grand nombre de Psaumes, le Cantique des Cantiques, auquel nous croyons devoir attribuer une assez haute ancienneté, sont d’insignes monuments. Cette littérature, en général groupée autour de Salomon, n’est pas spécialement juive ; elle est, comme le livre qui nous occupe, purement sémitique. Salomon, qui la cultiva avec tant de succès, était dans des relations intimes avec les pays voisins de la Palestine, à tel point que la pureté de son rôle dans le développement de l’esprit hébreu en souffrit beaucoup. Toute son histoire nous le montre comme un paraboliste bien plus préoccupé de la sagesse profane des nations que du culte pur de Jéhovah. Les tribus voisines de la Palestine, et en particulier les Beni-Kédem ou Orientaux, chez lesquels se passe la scène du livre de Job, participaient à la même philosophie[3]. La tribu iduméenne de Théman, en particulier, à laquelle appartient le principal des adversaires de Job, était célèbre par ses sages[4] Il est donc certain qu’il y eut là un mode spécial de culture intellectuelle, une école, si l’on veut, dont le peuple d’Israël nous a seul transmis le souvenir, mais qui ne lui était pas exclusivement propre. Il est même probable que parmi les monuments de la sagesse hébraïque nous ont été conservés des fragments de la sagesse des tribus voisines. Ce roi Lemuel, sous le nom duquel le compilateur du livre des Proverbes nous a conservé le début d’un poëme gnomique[5] a été considéré par plusieurs critiques comme un roi arabe ; et, en effet, si son nom n’est pas symbolique ou fictif, il faut certainement le chercher hors de la série des rois d’Israël. Le poëme d’Agur[6], qui offre avec le précédent de grands traits de ressemblance pour le style et la manière, a peut-être une origine analogue. C’est à cette grande école de philosophie paraboliste, un des titres de gloire de la race sémitique, qu’appartient le livre de Job. Bien qu’écrit par un Hébreu, ce livre nous représente un mode de spéculation qui n’était pas propre à la Palestine. Un grand nombre de légendes mythologiques ou astronomiques, auxquelles il y est fait allusion, ne se retrouvent pas chez les Hébreux, du moins sous la même forme[7]. On y sent de bien plus près que dans les écrits des Juifs le voisinage du polythéisme syrien et babylonien, en particulier de ce qu’on a nommé le sabéisme[8]. Une foule de traits dénotent une connaissance parfaite de l’Égypte, où l’auteur semble avoir voyagé[9], et du mont Sinaï, où sans doute il avait vu les travaux des mines qu’il décrit avec tant de détails (chap. xxviii). Le fait que tous les personnages du poëme appartiennent aux Béni-Kédem, célèbres par leur sagesse, ne saurait être une fiction arbitraire. Cela n’implique pas sans doute, comme le supposait Herder, que le poëme ait été primitivement écrit chez les Arabes voisins de la Palestine, ni qu’il faille y voir l’œuvre de quelque rival oublié de Salomon ; mais cela indique suffisamment que la composition tout entière repose sur une légende iduméenne, que les thèmes philosophiques agités dans la discussion ne sont autre chose que les lieux communs de la rhétorique sémitique, et qu’ainsi, en un sens très-véritable, ces pages précieuses nous ont transmis un écho de l’antique sagesse de Théman.

L’opinion que nous venons d’établir sur le caractère du poème de Job ne préjuge rien, on le voit, sur l’époque précise où il fut écrit ; car bien que l’époque florissante du genre de littérature dont nous parlons ait été l’époque de Salomon, on continua de le cultiver fort longtemps après, de même que le style des kasidas de l’Arabie anté-islamique resta en vogue longtemps après Mahomet, et cela dans un état de société tout différent de celui où fut inventée cette forme de poésie. La composition du livre de Job suppose, il est vrai, une fraternité philosophique entre Israël et les peuples voisins, et ce n’est qu’à l’époque de Salomon que nous voyons cette fraternité clairement établie ; mais elle se continua sans doute sous ses successeurs, jusqu’à l’époque où le peuple juif, grâce à l’influence des prophètes et des rois piétistes, s’enfonça décidément dans ses propres voies et tourna le dos aux autres peuples. Le livre des Proverbes ne fut compilé que sous les rois ; l’Ecclésiaste est plus moderne encore, et pourtant appartient évidemment à la même direction littéraire ; l’Ecclésiastique de Jésus, fils de Sirach, écrit sous les Ptolémées, est le dernier reflet de cette vieille sagesse gnomique, qui ne disparut complètement chez les Juifs que quand ils adoptèrent ou mieux quand ils approprièrent à leurs croyances la philosophie grecque. C’est donc aux circonstances extérieures et à l’examen plus attentif des détails du poëme qu’il faut demander la solution d’un problème que les considérations générales exposées jusqu’ici ne suffisent pas pour trancher.

On ne trouve dans l’antiquité juive que deux mentions expresses du Livre de Job. La première se lit au livre de l’Ecclésiastique, composé vers l’an 160 avant Jésus-Christ. Cette mention résulte d’une conjecture extrêmement ingénieuse, récemment proposée par M. Geiger sur le verset 11 du chap. xlix de ce livre[10]. La deuxième se lit au livre de Tobie (ii, 12, 15, texte latin), livre d’une date assez moderne. À vrai dire, ce sont là des témoignages presque superflus, puisqu’il n’a pu venir à la pensée d’aucun critique sérieux que le poème de Job fût d’une époque aussi basse. M. Vatke, qui a poussé jusqu’à l’extrême la tendance à rajeunir les ouvrages de l’ancienne littérature hébraïque, place le livre qui nous occupe à l’époque de la domination persane, au Ve siècle avant notre ère[11]. On peut sans crainte remonter bien plus haut. Le poëme de Job, au moins dans ses parties essentielles, est certainement antérieur à la captivité. Les écrits postérieurs à cette date mémorable ont un tout autre caractère : ils sont empreints d’un mosaïsme rigide, d’une dévotion et d’un patriotisme exaltés (Tobie, Esther) ; les idées sur les récompenses et les peines de la vie future y sont plus avancées. L’esprit juif se resserrant de plus en plus, en vue de la grande mission qu’il allait bientôt accomplir, perd toute liberté, toute flexibilité. Les liaisons intellectuelles d’Israël ne sont plus avec les Beni-Kédem et les Théilianites, mais bien avec la Perse, puis avec la Grèce. On chercherait vainement dans le judaïsme sévère de cette époque une place pour une œuvre aussi franche d’allure, remplie d’un parfum aussi fort de la vie nomade, et supposant une aussi grande largeur d’esprit. Les hardies apostrophes et les protestations énergiques de Job auraient passé, aux yeux des contemporains d’Esdras et de Néhémie, pour des blasphèmes. Le goût des théophanies et des révélations particulières, qui se remarque dans le livre de Job[12], et qu’on retrouve dans le poème d’Agur[13], n’appartient pas à l’époque persane ; la vieille théologie des Fils de Dieu, du Dragon rebelle, etc., n’est pas non plus de ce temps. La langue enfin du livre de Job a une fermeté, une beauté qu’on chercherait vainement dans les écrits d’un âge où la langue hébraïque n’était plus parlée, au moins dans sa pureté, et était devenue le partage des scribes et des lettrés.

Un passage fort grave, quoique non décisif, d’Ézéchiel (xiv, 14 et suiv.) confirme ce qui précède. Ezéchiel voulant nommer trois personnes justea par excellence, cite Noé, Daniel et Job. Ezéchiel commença à prophétiser l’an 595. Nous avons donc la certitude que Job, au vie siècle avant notre ère, était passé à l’état d’homme célèbre par sa sainteté, et qu’il avait déjà une légende développée. Mais peut-on conclure de là que le livre qui porte son nom existât ? On ne le peut rigoureusement. Ce livre, en effet, n’est pas un simple récit des épreuves et de la patience de Job ; c’est une composition artificielle, où les épreuves du vieux patriarche sont prises pour thème de discussions philosophiques. Loin que ces discussions soient de nature à relever la patience de Job, leur hardiesse singulière inviterait plutôt à supposer qu’Ézéchiel ne les connaissait pas quand il présentait Job comme un saint, Tout porte à croire que la légende de Job est plus ancienne que le livre de Job. Les célébrités populaires ne se créent pas par un livre isolé, surtout aux époques où l’on écrit et lit peu ; d’ailleurs, les fictions pures du drame et du roman n’étaient pas dans le goût des anciens Hébreux. Il est donc probable qu’il existait, à l’époque d’Ezéchiel, des récits édifiants des souffrances et de la piété de Job ; mais rien, dans le passage cité, ne prouve que Job eût déjà été pris pour le sujet d’une sorte de tragédie philosophique. Ce qui montre bien qu’une telle conséquence serait exagérée, c’est que Job y est nommé à côté de Daniel[14]. Or, il est impossible que le livre de Daniel, tel que nous le possédons, existât à l’époque où Ezéchiel écrivait ce passage, puisque dans le livre de Daniel sont mentionnés des événements du règne de Cyrus.

Une preuve bien plus forte de l’existence du livre de Job dans le siècle qui précéda la captivité se tire de divers passages de Jérémie, d’où il semble résulter que Jérémie avait lu le livre en question et y avait fait des emprunts. Peut-on en douter en lisant le passage que voici[15] :

Maudit soit le jour où je suis né ; que le jour où ma mère m’enfanta ne soit pas béni !

Maudit soit l’homme qui porta la nouvelle à mon père en lui disant : « Un enfant mâle t’est né, » et le remplit ainsi de joie !

Que cet homme-là soit comme les villes que Jéhovah a renversées sans retour ; que le matin il entende des cris d’alarme, et à l’heure de midi des clameurs tumultueuses ;

Parce qu’il ne m’a pas tué dès le sein de ma mère, de telle sorte que ses entrailles fussent mon tombeau et qu’elle m’y portât à jamais.

Pourquoi suis-je sorti du sein de ma mère, pour voir la peine et la douleur, et pour que mes jours se consument dans l’opprobre ?


Que l’on compare ce passage aux éloquentes malédictions de Job (iii, 3 et suiv. ; x, 18) et on n’hésitera pas à dire lequel des deux auteurs a copié l’autre[16]. La mollesse, la pesanteur, l’absence de timbre et de parallélisme qui caractérisent le passage de Jérémie font toucher du doigt le changement qui s’était déjà opéré dans la langue et l’esprit poétique de la nation à l’époque où ce prophète écrivait, c’est-à-dire dans la seconde moitié du vir siècle. Aussi n’est-il plus, je crois, un seul hébraïsant qui ne place la composition du livre de Job cent ans au moins avant la captivité, c’est-à-dire vers l’an 700[17]

Ce qui empêche en général les hébraïsants de remonter au delà, c’est le caractère de la langue du livre de Job, qui leur paraît moderne et sentant déjà le chaldaïsme des basses époques. Gesenius, surtout, a insisté sur cette considération[18] ; mais il faut avouer que les observations de ce philologue, si savant et si judicieux, manquent ici de finesse. Parmi tous les idiotismes qu’il a recueillis, je n’en vois aucun qui soit l’indice d’une langue affaiblie et qu’on ne retrouve dans les écrits d’Amos, d’Osée, et dans le cantique de Débora, dont tout le monde cependant reconnaît l’ancienneté. La langue du livre de Job est l’hébreu le plus limpide, le plus serré, le plus classique. On y trouve toutes les qualités du style ancien, la concision, la tendance à l’énigme, un tour énergique et comme frappé au marteau, cette largeur de sens, éloignée de toute sécheresse, qui laisse à notre esprit quelque chose à deviner, ce timbre charmant qui semble celui d’un métal ferme et pur. Nulle part on ne se sent plus loin de cette facilité lâche, de cette platitude obligée d’une langue qui a cessé d’être parlée et qui est cultivée artificiellement. Le nombre des difficultés qui arrêtent le philologue est un criterium excellent, quand il s’agit de l’âge des écrits hébreux : or, les difficultés se rencontrent dans le livre de Job presque à chaque pas ; dans les morceaux des basses époques au contraire, dans certains psaumes par exemple, on a devant soi une langue claire, prolixe, n’offrant que très-peu d’obscurités. La grammaire est, sans contredit, un précieux secours dans les questions de cette nature ; mais le goût doit aussi être entendu. Or, ici l’hébraïsant homme de goût ne saurait hésiter. Deux ou trois vétilles grammaticales ne l’emporteront jamais dans son esprit sur l’induction qui résulte du caractère général du poëme, caractère si éloigné de toute décadence. J’en dis autant du Cantique des Cantiques, que, nonobstant l’avis des grammairiens, j’ose rapporter aux époques les plus vives et les plus franches de l’esprit d’Israël.

Après l’argument tiré de la grammaire, la plus forte des preuves par lesquelles on cherche à établir que la composition du livre de Job doit être placée vers l’époque de la captivité se tire des grands développements qu’offre dans ce livre la théorie des anges et des démons. Mais au fond, cette partie de la théologie du livre de Job, si l’on excepte peut-être le discours d’Élihou, ne dépasse pas le cercle des croyances que nous trouvons chez les Hébreux avant leur contact avec l’Assyrie et la Perse. Les anges sont encore renfermés dans la notion purement sémitique des Beni-Élohim ou fils de Dieu. Les Kedoschim, Saints intercesseurs (v, 1), peuvent être aussi bien envisagés comme un reste des Élohim ou Beni-Élohim que comme un emprunt fait aux férouers de la Perse. Le Satan qui figure dans le prologue n’est nullement l’Ahrimane de l’Avesta : il ne fait rien que par l’ordre de Dieu ; c’est un ange d’un caractère plus malin que les autres, narquois et enclin à médire[19] ; ce n’est pas le génie du mal, existant et agissant par lui-même. Qu’on y réfléchisse d’ailleurs ; la considération que je combats en ce moment amènerait à placer la rédaction du poëme à l’époque des Achéménides, puisque ce n’est que vers ce temps que les doctrines de Zoroastre exercèrent sur les Hébreux une influence bien caractérisée. Or, la composition du livre de Job devient, à un âge aussi moderne, vraiment inexplicable. Le discours d’Élihou lui-même peut à peine être abaissé jusque-là.

Est-ce à dire qu’il soit permis de reculer la composition du livre de Job jusqu’à l’époque où de prime abord on voudrait la placer, je veux dire jusqu’à l’époque de Salomon[20] ? A cela s’opposent de graves difficultés. Pour n’en mentionner qu’une seule, je montrerai bientôt qu’aucune raison décisive n’autorise à séparer le prologue et l’épilogue du reste du poëme ; or, dans le prologue nous voyons figurer les Chaldéens (Kasdim) comme une population vivant de rapines. Les Kasdim n’apparaissent chez les Hébreux, avec ce caractère, que vers l’époque d’Osias, roi de Juda et de Menahem, roi d’Israël, au temps d’Amos, d’Osée et d’Isaïe, vers 770 avant Jésus-Christ. C’est à cette époque moyenne des royaumes de Juda et d’Israël, époque où l’ancien esprit nomade était loin d’être éteint, et où les puissantes réformes du temps de Josias n’avaient point encore donné à la nation le pli énergique qui la prédestinait à un rôle si extraordinaire, que j’aime à placer la composition du livre de Job. Le style vif et ciselé du siècle de Salomon n’avait pas encore fait place à la prédication larmoyante de l’époque de Jérémie. Le livre des Proverbes fut en partie compilé par les ordres d’Ézéchias (725-696 avant Jésus-Christ), et nous voyons autour de ce prince une sorte d’académie occupée de poésie parabolique[21]. Le cantique d’Ézéchias lui-même[22] a beaucoup de rapports avec la poésie du livre de Job. Enfin, plusieurs passages d’Isaïe (vers 750)[23] rappellent tellement des passages du livre de Job, qu’on sent avec évidence que les deux auteurs ont puisé à ces lieux communs poétiques qui sont en quelque sorte dans l’air et appartiennent à tous[24].

C’est donc au viiie siècle avant notre ère que toutes les inductions nous portent à placer la composition du livre de Job. Rome n’existait point encore ; la Grèce avait des chants harmonieux, mais ne savait pas écrire ; l’Égypte, l’Assyrie, l’Iran (renfermé en Bactriane), l’Inde, la Chine étaient vieilles déjà de révolutions intellectuelles, politiques et religieuses, quand un sage inconnu, resté fidèle à l’esprit des anciens jours, écrivit pour l’humanité cette dispute sublime où la souffrance et les doutes de tous les âges devaient trouver une si éloquente expression.


II


Il faut examiner maintenant si le poème est tout entier d’une seule main et s’il est resté à l’abri de ces additions successives auxquelles les ouvrages un peu anciens, surtout s’ils n’ont pas une rigoureuse unité et un plan bien circonscrit, ont rarement échappé.

Une lecture même superficielle du livre de Job suffit pour faire découvrir que ce livre, si grandiose dans son ensemble, est loin d’offrir dans le détail une marche satisfaisante. Les parties en prose ne s’accordent point parfaitement avec les parties en vers. Quelques développements se répètent ou se contredisent ; de longues parenthèses interrompent çà et là les plus beaux morceaux ; des finales sans vigueur nuisent parfois à l’effet des mouvements les plus heureux. L’idée d’interpolation se présente d’elle-même pour expliquer ces taches, incompatibles, selon notre manière de voir, avec l’art merveilleux que trahissent la composition générale de l’ouvrage et le tour achevé de quelques parties.

Une circonstance, cependant, doit inspirer, quand il s’agit d’inductions de cette nature, une certaine timidité. Les Hébreux, et les Orientaux en général, avaient sur la composition des idées fort différentes des nôtres. Leurs œuvres n’ont jamais eu ce cadre parfaitement défini auquel nous sommes habitués, et il faut se garder de voir des interpolations ou des retouches partout où nous trouvons des manques de suite qui nous étonnent. Ainsi, après avoir répondu à ses trois amis, Job prend la parole deux fois de suite. Elihou se reprend à quatre fois, et chacun de ses discoure a un exorde et une péroraison. Jéhovah de même prononce deux discours. Au premier coup d’œil, il semble que ce soient là des additions successives ; et en effet, telle est la largeur de ces développements paraboliques non assujettis à un plan sévère, que l’on devait sans cesse être tenté de les allonger par de nouvelles amplifications. Mais, à la réflexion, on hésite à tirer cette conséquence. Les discours d’Elihou en particulier sont certainement d’une même main, et tous les discours de Job, sauf de très-courts endroits qu’on voudrait supprimer (par exemple les derniers versets du chap. iii et du chap. xix, quelques incises du chap. xxxi, où deux rédactions semblent s’être pénétrées), sont empreints d’un tel caractère de hauteur et de force, qu’on ne peut douter qu’ils ne soient le fruit d’une seule inspiration : on dirait que le roseau du poëte s’est à peine levé en écrivant cette protestation sublime du juste persécuté.

Quatre morceaux principaux ont, avec plus ou moins de droit, excité dans le poëme de Job les soupçons de la critique : 1° le prologue et l’épilogue, 2" le passage qui s’étend du chap. xxvii, v. 7, jusqu’à la fin du chap. xxviii ; 3° la description du crocodile et de l’hippopotame à la fin du discours de Jéhovah ; 4° enfin le discours d’Elihou tout entier.

Il est certain que les idées du prologue et de l’épilogue sont à beaucoup d’égards en contradiction avec celles du poème. Job est présenté dans le prologue et l’épilogue comme un modèle de patience ; ses malheurs ne peuvent lui arracher un blasphème ; toutes ses paroles sont pleines d’une humble soumission à la volonté divine. Dès qu’il prend sa parabole, au contraire, c’est-à-dire dès qu’il commence à parler en vers, son langage devient arrogant, hardi, presque blasphématoire. Le prologue paraît d’une époque dévote et fortement adonnée au culte de Jéhovah ; le poëme, au contraire, suppose une très-grande liberté religieuse. L’esprit frondeur du nomade, sa religion simple et fière s’y révèlent à chaque pas ; les seuls noms de Dieu qui y figurent sont les noms d’El, Schaddaï, Eloah, qu’on trouve également chez les autres peuples sémitiques. Dans l’épilogue, enfin (xlii, 7), Dieu donne pleinement raison à Job et reconnaît qu’il a bien parlé de lui, tandis que dans le poëme il reprend Job sévèrement[25] et le taxe de légèreté.

Quelle que soit la force de ces raisons, je ne les trouve point suffisantes pour séparer deux parties d’un ouvrage qui se tiennent aussi bien. Le poëme est inintelligible sans le prologue et l’épilogue. Si quelques traits de ces deux morceaux semblent respirer une religion bien avancée sous le rapport des sentiments, d’autres, au contraire, supposent un culte d’une grande simplicité. Il est difficile d’admettre qu’à une époque de rapetissement intellectuel, comme fut celle qui date de Jérémie et de Josias, on eût su feindre si habilement les formes extérieures d’une religion tout individuelle et reproduire les mœurs patriarcales avec tant de finesse. Le grand caractère du récit est aussi une preuve de son ancienneté ; que l’on compare à ce style admirable le ton des légendes modernes de Tobie, de Judith, d’Esther, de Daniel, on sentira la différence. Quant à l’emploi exclusif du nom de Jéhovah dans le prologue et l’épilogue, on n’en peut rien conclure contre l’authenticité de ces deux morceaux. On retrouve, en effet, le nom de Jéhovah en dehors du prologue et de l’épilogue dans les courtes formules qui marquent les changements d’interlocuteurs[26] et qui certainement n’ont pu être interpolées.

Les motifs pour repousser l’authenticité de la seconde partie du chap. xxvii[27] sont encore moins décisifs. Il est très-vrai que les principes énoncés en cet endroit par Job sont en contradiction avec ceux qu'il soutient ailleurs ; mais, ainsi que je l'ai dit, ce n’est pas une logique sévère qu’il faut chercher dans ces vieux écrits. Plusieurs critiques, depuis Kennicott, ont cru que ce passage était mis à tort dans la bouche de Job, et qu’il fallait y voir le troisième discours de Sophar, qui, comme on le sait, parle une fois de moins que ses deux amis. Il est certain que toute cette partie du livre semble assez profondément troublée ; j’y admettrais volontiers quelque transposition ou quelque erreur ; mais il n’est pas prouvé qu’il y ait eu là quelque addition postérieure. C’est contrairement à toute vraisemblance que M. Bernstein rapporte le chap. xxviii, un des plus beaux développements du poëme, à l’auteur du discours d’Elihou.

L’opinion de M. Ewald, qui regarde comme interpolées les descriptions de Béhémoth et de Léviathan[28], ne repose pas non plus sur de bien solides fondements. Il est vrai que le discours de Jéhovah se termine très-bien au ch. xl, v. 14, et que la description de ces deux monstres a un caractère fort différent de la charmante et naïve histoire naturelle du chap. xxxix. Il est vrai encore que l’attache du v. 4 du chap. xli est si molle qu’on est tenté d’y voir une seconde addition qu’on aurait cousue à la suite de la première, parce que dans cette voie il n’y avait pas de raison pour s’arrêter. Mais, je le répète, il faut se garder de vouloir retrouver dans ces œuvres antiques nos principes de composition et de goût. Le style du fragment dont nous parlons est celui des meilleurs endroits du poëme. Nulle part la coupe n’est plus vigoureuse, le parallélisme plus sonore : tout indique que ce singulier morceau est de la même main, mais non pas du même jet que le reste du discours de Jéhovah.

C’est contre le seul discours d’Elihou que s’élèvent des difficultés capitales et selon moi décisives[29] Non-seulement, en effet, ce discours dérange l’économie du poème, puisqu’il n’est guère qu’une répétition de ce qui a précédé et qu’il affaiblit d’avance l’effet du discours de Dieu ; mais l’interpolateur a pris si peu de soin de cacher son addition que l’entrée et la sortie d’Elihou sont en pleine contradiction avec le reste de l’ouvrage. Dans le prologue, en effet, qui prépare le drame et où tous les personnages sont nommés, il n’est nullement question de ce nouvel interlocuteur ; l’auteur de l’interpolation est obligé, pour rendre compte de son apparition inattendue, de donner une explication rétrospective (xxxii, 4). Considération bien plus grave encore ! Jéhovah prenant la parole après le discours d’Elihou (xxxviii, 1) adresse la parole à Job et l’apostrophe, comme si personne n’avait discouru depuis la fin des paraboles de Job (xxxi, 40). Enfin dans l’épilogue, les trois amis reparaissent pour être l’objet de réprimandes sévères, et dans tout cela pas un mot d’Elihou, qui pourtant avait mérité, aussi bien qu’Eliphaz, Bildad et Sophar, les reproches de Dieu.

Ces considérations formeraient à elles seules contre l’authenticité du discours d’Elihou une objection bien forte. Mais une preuve plus sensible encore se tire, selon moi, de la lecture du discours lui-même. Dès les premières lignes, on se trouve en présence d’une langue fort différente de celle du reste du poème. Le dictionnaire de l’auteur est insolite ; plusieurs mots qu’il semble affectionner ne se trouvent pas dans les discours des autres interlocuteurs ni même dans le reste des écrits hébreux. Or, quand il s’agit d’une langue aussi libre que l’hébreu, où chaque auteur a en quelque sorte son dictionnaire, les habitudes de style forment un criterium décisif. La manière de discuter d’Elihou ne ressemble pas davantage à celle des trois amis, ïl apostrophe Job par son nom ; il aime les longs préambules ; ses principes philosophiques affectent des formes plus abstraites et supposent un plus haut degré de réflexion. Dira-t-on que l’auteur a voulu marquer ainsi l’individualité du rôle d’Elihou et son caractère personnel ? Mais la poésie de la haute antiquité ne connaît pas ces nuances de caractères ; elle peint l’homme et la grande poésie de la vie, qui est la même pour tous. L’idée de faire parler chaque personnage dans un style particulier est le signe d’un art très-avancé et même un trait de décadence. Aussi, le ton des autres parties du livre n’offre-t-il aucune diversité : Job parle du même style que ses amis, et ses amis du même style que Jéhovah.

Les considérations esthétiques ne sont pas moins fortes contre le discours d’Elihou que celles que fournit la grammaire. Quelque réserve qui nous soit commandée en de telles inductions, la physionomie du morceau dont il s’agit est si caractérisée qu’il ne faut pas hésiter cette fois à se prononcer. Le style d’Elihou est froid, lourd, prétentieux. L’acteur se perd dans de longues descriptions sans vivacité[30], surtout si on les compare aux traits pénétrants du discours de Jéhovah. Il laisse quelquefois son kalâm errer presque au hasard ; la rédaction de certains passages (par exemple, xxxvii, 6 et 12) est tout à fait négligée. Son langage est obscur et présente des difficultés d’un ordre particulier. Dans les autres parties du poème, l’obscurité vient de notre ignorance et du peu de moyens que nous avons pour comprendre ces antiques documents ; ici l’obscurité vient du style lui-même, de sa bizarrerie et de son affectation[31]. A part quelques passages dont l’imperfection peut être attribuée à la manière défectueuse dont le texte nous a été conservé, le poème de Job est, dans ses parties essentielles, le modèle de l’éloquence parabolique. Ici, au contraire, nous sommes en présence d’un des rares morceaux de la littérature hébraïque qu’on peut, du moins pour certaines parties, taxer de faiblesse. L’auteur imite les discours précédents et même ceux de Jéhovah qui viennent ensuite. Parfois, il semble préoccupé d’une idée singulière, c’est de répondre aux questions du discours de Jéhovah[32]. Ainsi, la grande description de la foudre (xxxvi, 27 — xxxvii, 13) n’est qu’une exposition assez lâche de ce que les interrogations de Jéhovah vont bientôt présenter avec une incomparable vigueur.

La physique d’Elihou, en effet, est à quelques égards plus avancée que celle de l’auteur des chapitres xxxviii et suivants. Jéhovah, avec une simplicité patriarcale, demande : « Quel est le père de la pluie ? » Elihou sait déjà que ce sont les émanations des eaux qui forment les nuages et retombent ensuite en gouttelettes sur la foule des mortels (xxxvi, 27, 28.) Sa philosophie est de même plus mûre et plus arrêtée que celle de Job et de ses trois amis, ses idées morales sont plus raffinées ; mais le souffle du génie lui manque complètement. Une telle contradiction ne doit pas surprendre : le livre de la Sagesse est certainement bien plus systématique et plus riche en théories que les anciens livres sapientiaux ; et pourtant qui voudrait le préférer à ceux-ci, sous le rapport du goût, de l’inspiration, de la naïveté ?

Je regarde donc comme certain que le discours d’Elihou a été interpolé postérieurement à l’époque où le livre de Job était arrivé à la forme où nous le voyons. Il est impossible de dire si cette insertion a suivi de près l’achèvement du poème, ou si elle en a été séparée par un long intervalle. Un tel style, sentant l’imitation et, si j’ose le dire, le pastiche, n’a pas de date. Parfois, on est tenté de croire que l’hébreu avait déjà cessé d’être parlé à l’époque où fut écrit le morceau en question, tant le choix des expressions y est peu naturel. On ne peut dire cependant que le caractère général du style d’Elihou soit celui des écrits des basses époques. Ses doctrines paraissent plus savamment combinées et par conséquent plus modernes que celles des autres interlocuteurs ; mais il serait difficile de dire si des siècles ont été nécessaires pour opérer cette transformation. Le progrès de la réflexion d’un seul homme aurait pu à la rigueur suffire pour cela. Qui sait si l’auteur lui-même, reprenant son œuvre après un long intervalle, à une époque où il avait perdu sa verve et sa manière, n’a pas cru perfectionner son poëme en y ajoutant ce morceau qui en réalité le dépare ? Il est certain que l’auteur de l’addition n’y attachait pas une très-grande importance, puisqu’il ne s’est pas donné la peine de faire, pour la justifier, les changements les plus simples au reste de l’ouvrage.

La forme sous laquelle les écrits de la nature de celui de Job nous ont été transmis explique du reste ces indécisions et ces incohérences. Il ne semble pas que le livre de Job ait eu d’abord dans l’estime des Israélites une très-grande importance. Non-seulement on ne lui attribuait, à l’époque reculée où il fut écrit, aucune autorité canonique ; mais il semble même qu’on a dû le tenir assez longtemps pour une composition artificielle et profane. Plusieurs rabbins du moyen âge, Ralbag, par exemple, ne l’envisagent guère que comme un livre philosophique et le traitent avec la plus grande liberté[33]. Ces sortes de textes n’étaient pas gardés très-sévèrement dans l’antiquité. Chacun se faisait sa copie à sa guise et selon son goût personnel. Souvent les copies diverses se fondaient en une seule, et la boule de neige s’incorporait bien des graviers. Je ne puis mieux expliquer ma pensée, qu’en comparant ce mode antique de rédaction à celui que nous offrent certains livres populaires des Églises d’Orient, de Syrie, par exemple, et en particulier les romans pieux sur l’Ancien et le Nouveau Testament, désignés sous le nom d’Apocryphes. Ayant cherché à publier un de ces écrits[34], je trouvai autant de textes que de manuscrits. L’un ajoutait, l’autre retranchait ; l’un était inexplicable sans l’autre, et je reconnus que s’il n’était resté qu’un seul manuscrit, il eût été impossible d’arriver, pour plusieurs passages, à la véritable pensée de l’auteur.

Telle est à peu près notre position à l’égard du livre de Job. Cet antique monument nous est parvenu, j’en suis persuadé, dans un état fort misérable et maculé en plusieurs endroits. Bien des traits qui ralentissent et refroidissent les plus beaux développements, quelques-unes des brusques ruptures qui nuisent à la série logique du discours, viennent peut-être de la grande liberté des copistes, liberté sur laquelle, durant plusieurs siècles, ne s’exerça aucun contrôle. Les difficultés insurmontables qu’on rencontre çà et là en sont l’indice et la preuve. La philologie fait bien de lutter contre ces ténèbres, et il faut reconnaître qu’elle a considérablement diminué le nombre des passages désespérés ; mais il en restera toujours sur lesquels on sera réduit à des conjectures. Il n’y aurait qu’un remède à de telles incertitudes : la découverte d’un manuscrit antérieur à l’époque où fut fixée la leçon qui seule nous est parvenue. Inutile d’ajouter qu’une telle espérance doit être absolument abandonnée, puisque cette fixation du texte eut lieu certainement avant notre ère, et que la version grecque dite des Septante répond déjà verset par verset au texte hébreu.


III


Pour bien comprendre le poëme de Job, il ne suffit pas de le placer à sa date ; il faut le restituer par la pensée à la race qui l’a créé et dont il est la plus parfaite expression. Nulle part la sécheresse, l’austérité, la grandeur qui caractérisent les œuvres originales de la race sémitique ne se montrent plus à nu. Pas un moment, dans ce livre étrange, on ne sent vibrer les touches fines et délicates qui font des grandes créations poétiques de la Grèce et de l’Inde une si parfaite imitation de la nature ; des côtés entiers de l’âme humaine y font défaut ; une sorte de roideur grandiose donne au poëme un aspect dur et comme une teneur d’airain, Mais jamais la position si éminemment poétique de l’homme en ce monde, sa mystérieuse lutte contre une force ennemie qu’il ne voit pas, ses alternatives également justifiées de soumission et de révolte, n’ont inspiré une plainte si éloquente. La grandeur de la nature humaine consiste en une contradiction qui a frappé tous les sages et a été la mère féconde de toute haute pensée et de toute noble philosophie ; d’une part, la conscience affirmant le droit et le devoir comme des réalités suprêmes ; d’une autre, les faits de tous les jours infligeant à ces profondes aspirations d’inexplicables démentis. De là une sublime lamentation qui dure depuis l’origine du monde, et qui jusqu’à la fin des temps portera vers le ciel la protestation de l’homme moral. Le poëme de Job est la plus sublime expression de ce cri de l’âme. Le blasphème y touche à l’hymne, ou plutôt il est un hymne lui-même, puisqu’il n’est qu’un appel à Dieu contre les lacunes que la conscience trouve dans l’œuvre de Dieu. La fierté du nomade, sa religion froide, sévère, éloignée de toute dévotion, sa personnalité hautaine expliquent seules ce mélange singulier de foi exaltée et d’audacieuse obstination.

L’imagination des peuples sémitiques n’est jamais sortie du cercle étroit que traçait autour d’elle la préoccupation exclusive de la grandeur divine. Dieu et l’homme en présence l’un de l’autre, au sein du désert, voilà l’abrégé et, comme l’on dit aujourd’hui, la formule de toute leur poétique. Les Sémites[35] ont ignoré les genres de poésie fondés sur le développement d’une action, l’épopée, le drame[36] et les genres de spéculation fondés sur la méthode expérimentale ou rationnelle, la philosophie, la science. Leur poésie, c’est le cantique ; leur philosophie, c’est la parabole[37]. La période fait défaut à leur style, comme le raisonnement à leur pensée. L’enthousiasme, aussi bien que la réflexion, s’exprime chez eux par des traits vifs et courts, où il ne faut rien chercher d’analogue au nombre oratoire des Grecs et des Latins. Le poème de Job est sans contredit le chef-d’œuvre le plus ancien de cette rhétorique, dont le Coran est au contraire l’exemple le plus rapproché de nous. Il faut renoncer à toute comparaison entre des procédés aussi éloignés de notre goût et la texture grave et continue des ouvrages classiques. L’action, la marche régulière de la pensée, qui font la vie des compositions grecques, manquent ici complètement. Mais une vivacité d’imagination, une force de passion concentrée, auxquelles rien ne saurait être comparé, éclatent, si j’ose le dire, en millions d’étincelles et font de chaque ligne un discours ou un philosophème tout entier.

C’est surtout par sa manière de conduire le raisonnement que l’auteur du poëme de Job nous étonne et accuse profondément les traits de sa race. Les relations abstraites ne s’expriment, dans les langues sémitiques, qu’avec la plus grande difficulté. L’embarras de l’hébreu pour énoncer le raisonnement le plus simple est quelque chose de surprenant. La forme du dialogue qui, entre les mains de Socrate, devint pour l’esprit grec un si admirable instrument de précision, ne sert ici qu’à voiler le défaut de méthode rigoureuse. D’un bout à l’autre du poëme la question ne fait pas un seul pas ; nulle trace de cette dialectique souvent subtile, mais toujours singulièrement pressée, dont les dialogues de Platon et les soutras bouddhiques nous offrent le modèle. L’auteur, comme tous les Sémites, n’a pas l’idée des beautés de composition résultant de la sévère discipline de la pensée. Il procède par intuitions vives, non par déductions. Un problème insoluble est posé ; une immense contention d’esprit est dépensée pour le résoudre ; le dieu apparaît à la fin, non, comme dans le drame classique, pour dénouer l’énigme, mais pour en montrer par des traits plus vifs encore l’insondable profondeur.

Loin de nous la pensée de demander à ces livres antiques les qualités que nous devons à notre amoindrissement ! S’ils nous frappent comme une révélation d’un autre monde, s’ils causent à nos âmes cette profonde émotion que porte avec elle l’expression première et naïve de toute grande pensée, n’en est-ce pas assez pour expliquer l’admiration des âges et justifier l’enthousiasme qui leur a fait décerner le titre de sacrés ? Une circonstance, d’ailleurs, transforme le défaut de méthode qui blesse le logicien dans le livre de Job en une sublime beauté. S’il s’agissait d’un problème accessible à l’esprit humain, il serait choquant de voir les règles de l’investigation scientifique si grossièrement violées. Mais la question que l’auteur se propose est précisément celle que tout penseur agite, sans pouvoir la résoudre ; ses embarras, ses inquiétudes, cette façon de retourner dans tous les sens le nœud fatal sans en trouver l’issue, renferment bien plus de philosophie que la scolastique tranchante qui prétend imposer silence aux doutes de la raison par des réponses d’une apparente clarté. La contradiction, en de pareilles matières, est le signe de la vérité ; car le peu qui se révèle à l’homme du plan de l’univers se réduit à quelques courbes et à quelques nervures, dont on ne voit pas bien la loi fondamentale et qui vont se réunir à la hauteur de l’infini. Maintenir en présence les uns des autres les besoins éternels du cœur, les affirmations du sentiment moral, les protestations de la conscience, le témoignage de la réalité, voilà la sagesse. La pensée générale du livre de Job est ainsi d’une parfaite vérité. C’est la plus grande leçon donnée au dogmatisme intempérant et aux prétentions de l’esprit superficiel à se mêler de théologie ; elle est en un sens le résultat le plus haut de toute philosophie, car elle signifie que l’homme n’a qu’à se voiler la face devant le problème infini que le gouvernement du monde livre à ses méditations. Le piétisme hypocrite d’Éliphaz et les intuitions hardies de Job sont également en défaut pour résoudre une telle énigme ; Dieu lui-même se garde d’en livrer le mot, et, au lieu d’expliquer l’univers à l’homme, il se contente de montrer le peu de place que l’homme occupe dans l’univers.

L’absence complète de l’instinct scientifique est un des traits qui caractérisent les peuples sémitiques. La recherche des causes est pour eux ou une vaine occupation, dont on se lasse très-vite (Ecclésiaste, i-iii), ou une impiété, une usurpation sur les droits de Dieu (Job, xxxviii-xli). Voilà pourquoi l’esprit juif, si puissant par sa simplicité et sa persistance, a produit si peu de grandes spéculations philosophiques. Le monothéisme, en tenant l’homme sous la pensée continuelle de son impuissance, et surtout en excluant la métaphysique et la mythologie, excluait du même coup toute théologie un peu raffinée. La théorie des premiers principes de l’univers (forces, idées, etc.) est, à sa manière, une sorte de polythéisme, et il serait possible de montrer que la métaphysique ne s’est développée dans le sein des religions sorties de la race sémitique que par imitation et contrairement à l’esprit de ces religions. Le système du monde, tel qu’il résulte du livre de Job, est des plus simples : Dieu, créateur de l’univers et agent universel de l’univers, fait vivre par son souffle tous les êtres et produit directement tous les phénomènes de la nature. Autour de lui sont rangés comme une cour les fils de Dieu, êtres saints et purs, parmi lesquels cependant se glisse quelquefois un détracteur jaloux de la création, niant la vertu désintéressée et persécutant les bons. Du reste, nulle spéculation sur les êtres célestes ; une seule métaphore, plus suivie que les autres et donnant lieu à un riche développement (chap. xxviii), était grosse d’avenir ; je veux parler de cette pompeuse description de la Sagesse, envisagée comme principe primordial, ayant une personnalité distincte de celle de la divinité et lui servant d’assesseur : là est la souche vraiment sémitique sur laquelle des théories du Verbe devaient, plusieurs siècles plus tard, venir se greffer. La nature, dans un tel système, ne pouvait être conçue que comme absolument inanimée. Au lieu de cette nature vivante qui parla si puissamment à l’imagination des ancêtres de la race indo-européenne, ici c’est Dieu qui fait tout, en vue d’un plan connu de lui seul. Quelques vives images, telles que le premier né de la mort, le roi des épouvantements (xvii, 13-14[38]), rappellent au premier coup d’œil les personnifications de la Grèce et de l’Inde : on croit lire les Védas en voyant l’Aurore (xxxviii, 13-14) saisir les coins de la terre pour en chasser les méchants et changer la face du monde comme le sceau change la terre sigillée[39]. Mais tout cela reste infécond. Chez les Ariens, ces attributions de l’Aurore fussent devenues un acte ou une aventure d’une déesse ; puis, avec le temps, cessant d’être comprises, elles eussent produit des contes bizarres où le caprice des poètes se fût donné carrière. On eût raconté, j’imagine, que Schahar (l’Aurore) était une vigoureuse jeune fille qui, un jour, rencontra des brigands se partageant leur butin sur un tapis, en saisit les quatre coins et les tua. Puis on eût cherché dans ce récit, interprété avec une latitude indéfinie, une matière pour des drames, des allégories, des compositions littéraires de toute espèce. Chez les Hébreux, ces hardies images ne dépassent jamais la métaphore. Le Dieu unique étouffait dans leur germe ces fantastiques créations qui, ailleurs, sortaient par flots d’une langue pleine de vie, fécondée par une imagination que ne limitait aucun dogme. Quand on a bien pénétré le génie des langues ariennes primitives, on voit que, par l’essence même de ces langues, chacun de leurs mots renfermait un mythe, et que chaque élément de la nature extérieure était inévitablement destiné à devenir pour les peuples qui les parlaient une divinité[40]. Les phénomènes météorologiques surtout, qui jouent un rôle si capital dans les religions primitives, parce que dans cet ordre de phénomènes la cause immédiate échappe complètement, furent une source féconde d’êtres divins. Rien de semblable dans le poème de Job. Les nuages et ce qui est au-dessus sont le séjour et le domaine spécial d’un être unique, qui de là gouverne toute chose. Le sont ses réservoirs, ses arsenaux, les pavillons où il réside. De là il conduit les orages et les fait servir à son gré de récompense ou de châtiment[41]. La foudre, en particulier, est toujours envisagée comme une théophanie : elle signale la descente de Dieu sur la terre ; le bruit du tonnerre, c’est la voix de Dieu ; l’éclair, c’est sa lumière ; la flamme électrique, ce sont les traits lancés par sa main.

Inutile de dire qu’on ne chercherait pas moins vainement dans cet antique poëme une trace de la grande idée grecque, née en Ionie et appelée à devenir dans les temps modernes la base de toute philosophie, l’idée des lois de la nature. Tout y est miracle. Tout y respire cette admiration facile, heureux don de l’enfance, qui peuple le monde de merveilles et d’enchantements. Thaïes et Héraclite, un ou deux siècles après l’auteur du poëme de Job, auraient déjà souri des naïves questions par lesquelles Jéhovah croit réduire au silence les prétentions de l’homme à connaître les lois du monde. Nulle part on ne sent plus vivement qu’ici la diversité du génie arien et du génie sémitique ; le premier, étant prédestiné, par sa conception primitive de la nature et par la forme même de son langage, au polythéisme, à la mythologie, à la métaphysique, à la physique ; l’autre étant condamné à ne jamais sortir de l’aride et grandiose simplicité du monothéisme. De nos jours, les musulmans n’ont pas une idée plus claire des lois de la nature que l’auteur du livre de Job, et le principal motif de réprobation que les croyants sincères de l’islamisme élèvent contre la science européenne[42] est qu’elle anéantit la puissance de Dieu, en réduisant le gouvernement de l’univers à un jeu de forces susceptibles d’être calculées.

Ainsi, à égale distance et des cosmogonies fondées sur des principes abstraits, et de la physique scientifique des Grecs et des peuples modernes, la théorie du monde qui résulte du livre de Job est la forme la plus complète du système de la nature rigoureusement déduit du monothéisme. Il n’y a pas de science du monde, tandis que le monde est gouverné par les volontés particulières d’un souverain capricieux et impénétrable. À ce point de vue, l’ignorance est un culte et la curiosité un attentat : toujours en présence d’un mystère qui l’obsède et l’écrase, l’homme attribue surtout le caractère de la grandeur à ce qui est inexpliqué ; tout phénomène dont la cause est cachée, tout être dont la fin ne s’aperçoit pas, est une humiliation pour l’homme et un motif de gloire pour Dieu. La Grèce voit le divin dans ce qui est harmonieux et clair, le Sémite voit Dieu dans ce qui est monstrueux et obscur. Le difforme Léviathan est le plus bel hymne à l’Éternel. L’animal, avec ses instincts cachés, est sans cesse opposé à l’homme, et lui est même préféré ; car il est plus directement sous la dépendance de l’esprit divin qui agit en lui sans lui, tandis que la raison réfléchie et la liberté sont en quelque sorte un larcin fait à Dieu.

La théorie du monde moral qui sert de base au livre de Job n’est pas moins simple. L’homme est dans des rapports perpétuels et directs avec la Divinité : il la voit quelquefois, mais alors il meurt ; d’autres fois, la Divinité lui parle par des songes et des visions ; d’autres fois, elle l’avertit par les événements ordinaires de la vie. La différence du bien et du mal résulte d’une voie que Dieu a tracée et qu’il révèle à l’homme, Dieu récompense le bien et punit le mal en cette manière : l’homme de bien meurt en son temps et descend aux enfers sans s’en apercevoir ; le méchant, au contraire, meurt avant le temps. Toute mort violente, toute maladie longue et cruelle était ainsi regardée comme une punition de fautes cachées. Le dictionnaire lui-même s’opposait énergiquement à ce qu’une autre doctrine prévalût. Les mots crime, châtiment, peine, souffrance, injustice, malheur sont, en hébreu, presque indiscernables, et le traducteur qui a lutté presque à chaque pas contre les difficultés qu’offrent des mots tels que שָׁוְא אָוֶן עָמָל, comprend mieux que personne l’impossibilité où était l’esprit hébreu d’arriver, avec des mots si confus, à une distinction que nous regardons comme le principe de toute moralité.

Tel est le système que j’appellerai patriarcal, et sur lequel repose le livre de Job. On voit tout d’abord les objections auxquelles dut prêter un tel système, dès que la réflexion devint quelque peu exigeante et ne se contenta plus des explications naïves des premiers âges. Des impies, à l’époque du livre de Job, osaient déjà dire, presque comme Épicure, que Dieu se mêlait peu des affaires de ce monde, « qu’il se promenait sur la voûte du ciel. » Une épouvantable objection surtout résultait du spectacle offert par la société, La vieille théorie, que chacun est traité par Dieu ici-bas selon ses mérites, avait pu être soutenable dans cette noble et vénérable antiquité que le vieux Samuel avait essayé vainement de défendre contre les besoins nouveaux qui se faisaient jour de toutes parts. Dans cet Éden de la vie patriarcale où la noblesse, la richesse, la puissance étaient inséparables, s’appliquait presque à la rigueur la théorie des amis de Job. Mais cette théorie, qui avait sa vérité dans une aristocratie d’honnêtes gens, telle qu’était la primitive socicié des Sémites nomades, devenait de plus en plus insoutenable, à mesure que le monde sémitique, jusque-là très-pur, des environs de la Palestine entrait dans les voies des civilisations profanes, ce qui arriva vers l’an 1000 avant notre ère : on vit alors des scélérats heureux, des tyrans récompensés, des brigands portés honorablement au tombeau, des justes spoliés et réduits à mendier leur pain. Le nomade, resté fidèle aux idées patriarcales, s’indigna des injustices fatales qu’entraînait avec elle une civilisation compliquée dont il ne comprenait ni la portée ni le but. Le cri du pauvre, qui jusque-là n’avait point trouvé d’écho, car le pauvre n’avait existé que parmi les races inférieures auxquelles on accordait à peine le nom d’homme[43], commença à s’élever de toutes parts, en accents pleins d’éloquence et de passion.

On conçoit le trouble des anciens sages devant le phénomène inexplicable qui dès-lors se présenta tous les jours. L’esprit sémitique s’était tenu jusque-là dans une théorie de la destinée humaine d’une prodigieuse simplicité. L’homme, après sa mort, descendait au scheol, séjour souterrain qu’il est souvent difficile de discerner du tombeau, et où les morts conservaient une vague existence analogue à celle des Mânes de l’antiquité grecque et latine, et surtout à celle des Ombres de l’Odyssée. Le dogme de l’immortalité de l’âme, qui eût offert une solution immédiate et facile aux perplexités dont nous parlons, n’apparaît pas un instant, au moins dans le sens philosophique et moral que nous y donnons[44] ; la résurrection des corps n’est entrevue que de la façon la plus indécise. La mort ne réveillait aucune idée triste, quand l’homme allait à son heure rejoindre ses pères et qu’il laissait après lui de nombreux enfants. A cet égard, nulle différence n’existait entre les Hébreux et les autres peuples de la haute antiquité. L’étroit horizon qui ceignait la vie ne laissait aucune place à nos aspirations inquiètes et à notre soif d’infini. Mais toutes les idées furent troublées, quand des catastrophes comme celle de Job se racontèrent sous la tente, jusque-là pure de tels scandales. Toute la vieille philosophie des pères fut en désarroi ; les sages de Théman, dont le premier principe était que l’homme reçoit ici-bas sa récompense ou son châtiment, se trouvèrent des esprits arriérés ; en présence de tels malheurs ils ne surent que pleurer à terre en silence, durant sept jours et sept nuits.

Le livre de Job est l’expression du trouble incurable qui s’empara des consciences à l’époque où la vieille théorie patriarcale, fondée uniquement sur les promesses de la vie terrestre, devint insuffisante. L’auteur voit la faiblesse de cette théorie ; il se révolte à bon droit contre les criantes injustices qu’une interprétation superficielle des décrets de la Providence entraîne avec elle ; mais il ne trouve aucune issue au cercle fermé dont l’homme ne devait sortir que par un appel hardi à l’avenir. Son effort pour secouer l’antique préjugé de sa race demeure impuissant, ou n’aboutit qu’à de perpétuelles contradictions. Quelques partisans de la vieille théorie, forcés par l’évidence des faits, avouaient que l’homme n’est pas toujours puni durant sa vie ; mais ils soutenaient que ses crimes retombent sur ses enfants, qui, d’après les idées patriarcales sur la solidarité de la tribu, étaient en quelque sorte lui-même. L’auteur n’accepte point cette idée ; car, pour qu’une telle punition fût efficace, il faudrait que le coupable s’en aperçût : or, dans le scheol, il ne sait rien de ce qui se passe sur la terre[45]. Par moments, Job semble soulever le voile des croyances futures ; il espère que Dieu lui fera dans l’enfer une place à part, où il restera en réserve jusqu’à ce qu’il revienne à la vie[46] : il sait qu’il sera vengé, et la vive intuition des justices de l’avenir lui faisant dépasser la mort, il déclare que son squelette verra Dieu[47]. Mais ces éclairs sont toujours suivis de plus profondes ténèbres. La vieille conception patriarcale revient et pèse sur lui de tout son poids ; le spectacle de la misère de l’homme, les lentes destructions de la nature, cette horrible indifférence de la mort qui frappe sans distinction le juste et le coupable, l’homme heureux et l’infortuné[48], le ramènent au désespoir. Dans l’épilogue, il retombe purement et simplement dans la théorie qu’il a un moment essayé de dépasser. Job est vengé : sa fortune lui est rendue au double ; il meurt vieux et rassasié de jours.

On peut dire qu’abandonné à lui-même, l’esprit juif ne sortit jamais complètement de ce cercle fatal. Le poëme de Job n’est pas le seul monument où percent l’inquiétude et l’embarras, suites inévitables de l’imperfection des idées juives sur les fins dernières. Deux psaumes, le xxxviie et le lxxiiie expriment[49] avec beaucoup de vivacité une pensée fort analogue à celle du livre de Job, la jalousie et l’indignation des bons devant le succès des méchants. Un livre entier, dont la date est malheureusement fort incertaine, le Kohéleth ou Ecclésiaste, roule dans le même cercle de contradictions, mais semble bien plus loin d’une solution morale. L’auteur du livre de Job trouve la solution de ses doutes dans un retour pur et simple aux préceptes des anciens sages ; l’Ecclésiaste est bien plus profondément atteint par le scepticisme. Il conclut à une sorte d’épicuréisme, au fatalisme et au dégoût des grandes choses. Mais ce ne fut là, dans la destinée d’Israël, qu’un accident transitoire et le fait de quelques penseurs isolés. La destinée d’Israël n’était pas de résoudre le problème de l’âme individuelle, mais de poser hardiment le problème de l’humanité. Aussi les doutes de l’Ecclésiaste et de Job ne préoccupent-ils le peuple qu’aux moments où il n’a pas une vue très-claire de ses devoirs. Nulle trace d’un tel doute chez les prophètes. On ne le trouve que chez les sages, presque étrangers au grand esprit théocratique et à la mission universelle d’Israël.

Aux époques mêmes où les Juifs imposèrent leur pensée au monde, peut-on dire que ce soit par l’immortalité philosophique qu’ils aient consolé l’homme et l’aient élevé à l’héroïsme du martyr ? Non certes. La résurrection fut pour eux non la revanche de l’individu contre les injustices de la vie présente, mais la révolution qui devait substituer au triomphe actuel des puissances brutales le règne d’une céleste et pacifique Jérusalem. C’est avec l’espérance d’un bouleversement final qui serait l’avènement du royaume de Dieu sur la terre, que le christianisme conquit le monde[50]. En cela le christianisme naissant continuait bien réellement la tradition d’Israël. L’utopie d’Israël ne consistait pas à créer un monde pour servir de compensation et de réparation à celui-ci, mais à changer les conditions de celui-ci. C’est quand ce rêve grandiose s’évanouit devant la prolongation obstinée du vieux monde et que le renouvellement prochain de l’univers ne fut plus attendu que de quelques millénaires attardés, que l’on transporta à un jugement particulier et aux destinées de l’âme individuelle ce qui jusque-là avait été entendu d’une rénovation totale et prochaine de l’humanité.

Certes, au premier coup d’œil, il semble inexplicable que les hommes du monde qui furent le plus possédés par le feu sacré de leur œuvre, un David, un Élie, un Isaïe, un Jérémie, n’aient point eu sur l’avenir de l’homme le système d’idées que nous philosophique, n’apparut qu’assez tard dans le christianisme, et ne se concilia jamais sommes habitués à envisager comme la base de toute croyance religieuse. Mais c’est en cela même qu’apparaît la grandeur d’Israël. Israël a mieux fait que d’inventer pour satisfaire son imagination un clair système de récompenses et de peines futures ; il a trouvé la vraie solution des grandes âmes ; il a tranché résolument le nœud qu’il ne pouvait démêler. Il l’a tranché par l’action, par la poursuite obstinée de son idée, par la plus vaste ambition qui jamais ait rempli le cœur d’un peuple. Il est des problèmes que l’on ne résout pas, mais que l’on franchit. Celui de la destinée humaine est de ce nombre. Ceux-là périssent qui s’y arrêtent. Ceux-là seuls arrivent à trouver le secret de la vie qui savent étouffer leur tristesse intérieure, se passer d’espérances, faire taire ces doutes énervants où ne s’arrêtent que les âmes faibles et les époques fatiguées. Qu’importe la récompense, quand l’œuvre est si belle qu’elle renferme en elle-même les promesses de l’infini ?

Trois mille ans ont passé sur le problème agité par les sages de l’Idumée, et, malgré les progrès de la méthode philosophique, on ne peut dire qu’il ait fait un pas vers sa solution. Envisagé au point de vue des récompenses ou des châtiments de l’individu, ce monde-ci sera un sujet de dispute éternelle, et Dieu infligera toujours d’énergiques démentis aux maladroits apologistes qui voudront défendre la Providence sur cette base désespérée. Le scandale qu’éprouvait le psalmiste en voyant la paix des pécheurs, la colère de Job contre la prospérité de l’impie sont des sentiments justifiés en tous les temps. Mais ce que ni le psalmiste ni l’auteur du livre de Job ne pouvaient comprendre, ce que la succession des écoles, le mélange des races, une longue éducation du sens moral pouvaient seuls révéler, nous l’avons appris : au delà de cette chimérique justice que le bon sens superficiel de tous les âges a voulu retrouver dans le gouvernement de l’univers, nous apercevons des lois et une direction bien plus hautes, sans la connaissance desquelles les choses humaines ne peuvent paraître qu’un tissu d’iniquités. L’avenir de l’homme individuel n’est pas devenu plus clair, et peut-être est-il bon qu’un voile éternel couvre des vérités qui n’ont leur prix que quand elles sont le fruit d’un cœur pur. Mais un mot que ni Job ni ses amis ne prononcent a acquis un sens et une valeur sublimes : le devoir, avec ses incalculables conséquences philosophiques, en s’imposant à tous, résout tous les doutes, concilie toutes les oppositions et sert de base pour réédifier ce que la raison détruit ou laisse crouler. Grâce à cette révélation sans équivoque ni obscurité, nous affirmons que celui qui aura choisi le bien aura été le vrai sage. Celui-là sera immortel ; car ses œuvres vivront dans le triomphe définitif de la justice, résumé de l’œuvre divine qui s’accomplit par l’humanité. L’humanité fait du divin comme l’araignée file sa toile ; la marche du monde est enveloppée de ténèbres, mais il va vers Dieu. Tandis que l’homme méchant, sot ou frivole mourra tout entier, en ce sens qu’il ne laissera rien dans le résultat général du travail de son espèce, l’homme voué aux bonnes et belles choses participera à l’immortalité de ce qu’il a aimé. Qui vit aujourd’hui autant que le Galiléen obscur qui jeta, il y a dix-huit cents ans, dans le monde le glaive qui nous divise et la parole qui nous unit ? Les œuvres de l’homme de génie et de l’homme de bien échappent seules ainsi à la caducité universelle ; car seules elles comptent dans la somme des choses acquises, et leurs fruits vont grandissant, même quand l’humanité ingrate les oublie. Rien ne se perd : ce qu’a fait de bien le plus inconnu des hommes vertueux compte plus dans la balance éternelle que les plus insolents triomphes de l’erreur et du mal. Quelque forme qu’il donne à ses croyances, quelque symbole qu’il emploie pour revêtir ses affirmations de l’avenir, l’homme juste a ainsi le droit de dire avec le vieux patriarche de l’Idumée : « Oui, je le sais, mon vengeur existe, et il apparaîtra enfin sur la terre. Quand cette peau sera tombée en lambeaux, privé de ma chair, je verrai Dieu. Je le verrai par moi-même ; mes yeux le contempleront, non ceux d’un autre ; mes reins se consument d’attente au dedans de moi. »


  1. L’hypothèse, toute gratuite, d’après laquelle Moïse lui-même serait l’auteur du livre de Job mérite à peine d’être mentionnée.
  2. Ne pouvant développer ici ce sujet important, je me contente de renvoyer le lecteur au très-bon résumé que M. Munk a donné de la question, dans sa Palestine (p. 132 et suiv.).
  3. I Rois, v, 10 {III Rois, iv, 30 selon la Vulgate).
  4. Jérem. xlix, 7 ; Obadia, 9 ; Baruch, iii. 22-23. Comparez Job, xv, 10, 18, 19.
  5. Chap. xxxi, v. 1-9.
  6. Prov. xxx.
  7. Voir p. 4, 12, 37, 38, 76, 110, 111, 166, 171, de notre traduction.
  8. Voir p. 134 de la traduction.
  9. La description du crocodile et de l’hippopotame (chap. xl, xli) est d’une telle vivacité, qu’on est porté à y voir un reflet direct de l’épouvante que l’auteur éprouva devant ces monstres. Il est question ailleurs des pyramides, du papyrus, des barques de jonc, etc.
  10. Zeitschrift der deutschen morgenlœndisehen Gesellschaft, 1858, p. 542-43. Les mots των εχθρων de la traduction grecque répondent, on n’en peut guère douter, au mot איוב, Job, du texte hébreu de l’Ecclésiastique, maintenant perdu. Le traducteur grec, égaré peut-être par quelque erreur de copie, n’a pas reconnu dans ce mot un nom propre et l’a interprété selon le sens du radical.
  11. Die biblische Theologie, p. 570 et suiv,
  12. Voir p. 17, 18, 142, 143, 165 et suiv. de la traduction.
  13. Prov., ch. XXX.
  14. Daniel est présenté comme un sage accompli dans un autre passage d’Ezéchiel (xxviii, 3). Or, Daniel, d’après le livre qui porte son nom, devait être plus jeune qu’Ézéchiel, puisqu’il serait venu à Babylone, enfant, l’an 604 avant Jésus-Christ, dans l’hypothèse la plus favorable. Le seul moyen d’expliquer cette bizarrerie, c’est de supposer que la légende de Daniel, telle qu’Ézéchiel la connaissait, se rapportait à une époque plus ancienne, peut-être à l’époque ninivite, et que plus tard on l’a transportée à Babylone et à l’époque de Nabuchodonosor. La rédaction du livre de Daniel, tel que nous le possédons, n’est que du temps des Séleucides.
  15. Jérémie, xx, 14 et suiv.
  16. Il existe encore deux ou trois endroits parallèles, mais moins frappants, entre Job et Jérémie. Jérémie, du reste, est sujet à ces sortes de réminiscences ; on retrouve chez lui beaucoup de passages des autres écrits hébreux. V. Kueper Jeremias librorum sacrorum interpres atque vindex. (Berlin, 1837), p. 164 et suiv.
  17. C’est l’opinion commune en Allemagne. C’est aussi en France l’opinion de M. Munk, Palestine, p. 449.
  18. Geschichte der hebräischen Sprache, p. 33 et suiv.
  19. Herder (cinquième dialogue sur la Poésie des Hébreux) a très-bien vu ceci.
  20. M. Schlottmann n’hésite pas à remonter jusque-là.
  21. Prov., xxv. 1.
  22. Is., xxxviii, 10 et suiv.
  23. Comparez surtout Job, xiv, 11 à Isaïe, xix, 5. Il paraît bien que l’un des deux auteurs a copié l’autre ; mais il est impossible de dire de quel côté l’emprunt a eu lieu. Je crois pourtant avec Kueper, contre Hitzig, qu’Isaïe a été l’imitateur.
  24. C’est aussi de cette manière qu’il faut expliquer les nombreux rapprochements qu’on observe entre le poëme de Job et quelques psaumes.
  25. xxxviii, 2 (Vulgate, xxxix, 32), xl, 2.
  26. Chap. xxxviii, 1 ; xl, 1, 3, 6 (Vulgale, xxxix, 31, 33 ; xl, 1) ; xlii, 1.
  27. Voyez de Wette, Einleitung, § 288.
  28. Chap. xl, 15 (Vulgate, 10), xli.
  29. C’est aussi l’opinion d’Eichhorn, Stuhlmann, Bernstein, de Wette, Ewald, Hirzel, Knobel. L’authenticité est défendue par Schære », Steeudlin, Bertholdt, Jahn, Rosenmûller, Umbreit, Arnheim, Stickel, mais pour des raisons assez faibles, et en partant presque toujours de l’idée que l'ensemble du poëme a été écrit à une époque très-moderne.
  30. Voir p. 159 et suiv.
  31. L’expérience d’un traducteur est ici un excellent moyen de discernement. En passant des paraboles de Job au discours d’Elihou, il se sent transporté brusquement d’un monde à un autre. Les procédés d’esprit qu’il est obligé d’employer pour lutter contre ce style nouveau n’ont rien de commun avec ceux qu’il a dû pratiquer pour traduire le reste du poëme.
  32. Voir Hirzel, Hiob, p. 231, etc.
  33. Voir l’édition partielle du commentaire de Ralbag, avec traduclion latine, par L. H. d’Aquin. Paris, 1622, in-4.
  34. Journal asiatique, décembre 1853. Les derniers livres bibliques, qui n’arrivèrent jamais à une consécration canonique bien complète, Tobie, Judith, Esther, Daniel, présentent aussi une rédaction très-flottante et beaucoup d’interpolations.
  35. Je parle ici surtout des Sémites primitivement nomades, Hébreux, Moabites, Édomites, Saracènes, Ismaélites, Arabes, etc., dont le génie nous est le mieux connu, grâce aux œuvres religieuses et poétiques qu’ils nous ont léguées.
  36. Le Cantique des Cantiques offre bien un commencement de drame lyrique, mais à peine développé, Il est douteux malgré les ingénieux raisonnements de M. Ewald, que ce curieux libretto ait jamais été représenté.
  37. J’emploie ici et dans la traduction le mot de parabole, non dans le sens spécial que nous lui donnons, mais comme l’équivalent du mot hébreu maschal, qui désigne la poésie sentencieuse des livres dits Sapientiaux, par opposition au mot schir, qui désigne les cantiques et la poésie lyrique.
  38. Il y a des doutes sur la seconde de ces expressions.
  39. Rigvéda I, cxxiii, 4 : « L’Aurore s’approche de chaque maison ; c’est elle qui annonce chaque jour. L’Aurore, la jeune fille active, revient éternellement ; elle jouit toujours la première de tous les biens, etc. »
  40. Voir l’opuscule de M. Max Müller, intitulé : Comparative Mythology, traduit en partie dans la Revue germanique, juin et juillet 1808.
  41. Voir surtout la fin du discours d’Elihou (p. 159 et suiv.), qu’on peut regarder comme un vrai cours de météorologie sémitique. La manière dont tous les phénomènes naturels sont rapportés, dans ce curieux passage, à Dieu comme à leur agent unique, au moyen du pronom affixe de la troisième personne, est singulièrement remarquable.
  42. Voir la Relation du Scheikh Rifaa, analysée par M. Caussin de Perceval, dans le Journal asiatique, mars 1833, p. 242-243.
  43. Voir Job. xxx, 3-8. L’existence de ces races au temps de la composition de notre poëme est digne d’être remarquée. On sait qu’elles ne figurent plus dans l’histoire d’Israël après l’époque de David. Il n’en est pas question dans la table ethnographique du chap. X de la Genèse, non qu’elles eussent cesse d’exister quand cette table fut composée, mais parce que les Hébreux, comme les Brahmanes dans l’Inde, regardaient les individus appartenant à ces races plutôt comme des animaux que comme des hommes, et ne voulaient pas leur donner un rang dans les grandes familles de l’humanité.
  44. Voir Isidore Cahen, Esquisse sur la philosophie du livre de Job, p. 66, en tête du volume consacré au livre de Job dans la Bible de M. Cahen. Voir dans le même ouvrage les Réflexions sur le culte des anciens Hébreux de M. Munk, en tête du volume des Nombres, et les observations de M. Cahen, dans la préface du même volume (p. i-ii, 10 et suiv., 2e édition).
  45. Voir p. 60.
  46. Voir p. 58-59.
  47. Voir p. 82. Il importe d’observer que le passage souvent cité In novissimo die de terra surrecturus sum n’est point conforme au texte hébreu. Le verbe en hébreu est à la troisième personne, et la traduction littérale serait : Et denique super terram stabit (vindex meus).
  48. Voir p. 91-92.
  49. xxxvi et lxxii selon la Vulgate. Comparez aussi Proverbes, xxiv, 19 et suiv.
  50. Le dogme de l’immortalité de l’âme dans le sens d’une manière bien naturelle avec l’idée primitivement chrétienne, l’idée de la résurrection.