Le Livre de ma vie — Adolescence

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LE LIVRE DE MA VIE


ADOLESCENCE

J’allais avoir quinze ans, quand le désordre et la liberté penétrèrent dans ma vie à la suite de la pleurésie grave qui venait d’affecter la santé de ma sœur. Affligée, précipitée dans le désarroi par les opinions médicales contradictoires, ma mère ne cessait de pleurer furtivement. Sa détresse nous gagnait et nous consternait. Tel médecin, consciencieux, affirmait que l’hiver de Paris, qui nous était habituel, ne saurait être nuisible à ma sœur ; tel autre, aussi loyal, proclamait que la tiédeur du Midi pouvait seule remédier à son état de consomption. Notre demeure fut ainsi livrée à l’indécision. Raisonnablement, l’opinion du spécialiste anxieux l’emporta sur celle de l’optimiste. Il fut décidé que ma sœur et moi, accompagnées de notre institutrice extravagante et d’une femme de charge que sa pesanteur et sa modération flamandes nous rendaient plus chère, partirions pour Monte-Carlo. Nous devions y précéder de peu l’arrivée de ma mère et de notre indispensable ami, M. Dessus. Le septuagénaire irritable, dévot et crédule avec violence, de la même manière que ses contemporains l’avaient connu voltairien, était prêt à tous les sacrifices pour soutenir par sa gaîté drue, sa bonhomie brutale, laquelle envers une enfant souffrante se montrait soudain galante, ma sœur affaiblie, au visage soucieux. Chez ma sœur, peu de semaines avaient suffi à transformer la hardiesse de jeune garçon qui la caractérisait en une mélancolie inquiète, dont était responsable, non seulement la maladie, mais encore l’assiduité protectrice dont elle était l’objet et qui répugnait à son caractère dédaigneux de sollicitude. Pour M. Dessus, quitter Paris, les archives de la Bibliothèque Nationale, où il accomplissait un mystérieux et vain travail d’érudit qui fait fausse route et ne rencontre nulle créance, c’était témoigner d’un profond et tutélaire amour. Blessée dans ma tendresse et mon orgueil physique familial par la maladie de ma sœur, je ne pensais qu’à me dévouer à elle. J’eusse voulu rétablir au moyen d’une générosité indéfinie le niveau de chance qui jusqu’alors nous avait maintenues dans une situation d’égalité, elle, dotée d’une vigueur satisfaite, d’une courageuse insensibilité d’amazone, moi, favorisée par un don d’éloquence et d’exuberance, embuée de rêverie. Adolescente errant dans la forêt des fables, je rêvais aussi de la Méditerranée, que pour la première fois j’allais voir. Elle m’avait été décrite, en ces jours lugubres où se discutait notre sort, par un personnage d’allure étrange et forte, venu des bords du Danube, chargé d’hérédité grecque, M. Panaïote Pencovitch, avocat roumain, qui, à la mort de mon père, avait pris, en ce lointain pays, la direction des terres fructueuses dont ma mère connaissait à peine les noms et point du tout la valeur.

Il s’était, dès sa première rencontre avec ma mère, ma sœur et moi, pris pour nous trois d’une sorte de romanesque passion d’ermite amoureux. « J’aime les beaux yeux, avait-il dit, mon souhait est de ne vous quitter plus… » Chaque jour, nous le voyions arriver, les bras chargés de fleurs et de sucreries. Son visage, d’aspect peu soigné par la faute de sa chevelure hérissée et grisonnante coiffant un glabre ovale de couleur citrine, son corps épais et maladroit, rudement et pauvrement vêtu, n’étaient pas ceux d’un homme que la fortune a lésé, mais d’un sage. Sorte de Diogène épicurien qui jouit de la vie sans lui rien reprocher, il l’adoptait entièrement au lieu de la défier et de la rejeter. Avec une douceur d’enfant charmé, il en cueillait les roses et rendait un hommage incessant à la Vénus antique, constante et universelle.

Ce sont les conversations de ce solitaire original qui m’apprirent définitivement les mérites de la raison et le pouvoir de la beauté. Prudent en toute chose matérielle, afin de ne connaître aucune amertume ni déception, il portait, durant ses promenades, une canne mouchetée de brun et de blond, passée à son cou par un long lacet. « J’ai souffert, jadis, m’avoua-t-il, d’avoir égaré, sans la pouvoir retrouver, une canne en bois précieux qui faisait mon délice ; j’ai formé le vœu de ne plus avoir qu’un seul exemplaire de tout ce qui est utile à l’homme, et de me l’assujettir avec tant de précautions que je ne puisse en être séparé. Jouissons de la vie ; efforçons-nous de n’en point souffrir. » Un seul vêtement, une seule paire de chaussures, un seul chapeau composaient l’habillement de ce philosophe flâneur. Mais son amour pour la grâce des femmes ne connaissait point cette étroitesse ; il les chantait toutes comme Sadi ; les louait comme le fait, à travers son mépris de l’univers, l’Ecclésiaste. D’un cœur fanatique il révérait l’œil dessiné en forme d’amande dans le visage de la pauvresse comme dans celui de la reine. Nous le vîmes descendre de voiture au centre mouvementé de Paris, pour acheter, chez un fleuriste, un bouquet onéreux, qu’il offrit à la gracieuse marchande de journaux ambulante, dont il avait distingué le regard veiouté. Respectueux et paternel devant notre extrême jeunesse, Panaïote Pencovitch, qu’on eût pu comparer à quelque bœuf humain pour l’épaisseur de la stature et la langueur innocente de l’expression élégiaque, se fit pour moi l’annonciateur de l’amour. Gravement, religieusement, il me décrivit, sans que la chasteté y put rien trouver à redire, l’ivresse unique de la passion, autour de laquelle il voyait se déployer le monde : paradis terrestre, prêt à servir le couple éternel. Détaché de sa profession chicanière après un long et minutieux labeur, il avait quitté Bucarest, et, vigoureux animal, docile à la nature, il cheminait dans la direction du soleil. Les bords de la Méditerranée l’enchantaient. Il dépeignait ce que serait pour mes yeux, en faveur desquels il élevait un perpétuel encens, la vue de l’immense azur liquide, des orangers épanouis, des parterres de fleurs, printaniers en toute saison. Je l’écoutais comme le jeune Bacchus de Léonard de Vinci tend l’oreille au bruit lointain des Ménades. Des bois sacrés se levaient devant mon imagination. En nous installant dans le train, qui, au début de novembre, nous emporta loin de Paris, vers les fastueux rivages, et bien que préoccupée de la faiblesse de ma sœur et surveillant les châles dont on l’enveloppait, j’eus l’impression qu’on m’expédiait vers le bonheur.

Après avoir traversé, en rêvant à Frédéric Mistral, la Crau, paysage morne et pierreux, où des troupeaux de moutons imprégnés d’air salin semblaient envahir la côte comme une végétation laineuse ; après avoir vu, dans les environs de Tarascon, le soleil exalté frapper les vitres du wagon, cependant que de hauts cyprès montaient, sur les routes blanches, une garde bucolique, nous arrivâmes au coucher du jour à Monte-Carlo. Le parfum âcre d’une atmosphère froide et bleue ; le sec décor des palmiers, non luxuriants, mais comme dolents et apprivoisés ; le terrain rougeâtre, au-dessus duquel flottait la grisaille nébuleuse du feuillage des oliviers ; les blanches façades des hôtels ; le casino bombé, doré, dominant des terrasses où passaient des promeneurs élégants et légèrement vêtus, enfin le spectacle entier me brisa le cœur. Déçue, vaincue, je compris qu’il me faudrait vivre bravement, en surmontant à tout instant mon hostilité, dans ce paysage sans mollesse et sans chants d’oiseaux.

Quelle détresse que celle de deux enfants inquiètes, arrachées à la rassurante monotonie de leur vie habituelle et isolées sous un climat où les cieux, d’un azur insistant, semblent participer de la frivolité d’un groupement humain acharné à des plaisirs dont elles ne peuvent concevoir l’agrément ! Un accueil protecteur nous attendait pourtant. Recommandées au baron et à la Baronne de S***, préfet et préfète robustes et joyeux sous le second Empire, à présent vieux couple retiré dans les honneurs et les cactus de Monaco, nous fûmes promptement secourues. Le baron de S***, grand Chambellan et gouverneur du Palais, s’employa à nous faire accorder une attention particulièrement empressée dans le vaste hôtel où nous séjournâmes avant de nous établir dans une villa.

Le baron de S***, droit et raidi sous le rhumatisme, les cheveux teints d’un noir douteux, à reflets indigo, nous étonnait parce qu’il ne parlait du souverain de la Principauté qu’en le nommant « mon auguste Maître ». On sentait que tout hommage rendu par lui à son chef le situait sur une hauteur que, seul, il ne se jugeait pas capable d’atteindre. Les propos courtois, soumis et inclinés du baron de S***, que sa charge, agréable à ses goûts, saturait de plaisir, étaient en opposition minutieuse et joviale avec le digne et amer reproche, formulé immortellement par La Bruyère, et qui m’avait séduite au cours de mes études :

L’avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit ; je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous et leurs flatteurs ; mais je leur envie le bonheur d’avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit, et qui les passent quelquefois…

C’est dans le plus fervent abandon de sa propre personne et dans la joie que lui procurait l’élévation du souverain de Monaco, qu’il eût voulu altier et non modeste, comme l’était ce prince austère, généreusement dévoué à la science, que le baron de S*** puisait l’estime de soi-même. Peut-être ne faut-il pas juger sans sympathie cette faculté d’abolition personnelle que Gœthe louait en son ami Herder, lorsqu’il disait : « J’aime l’homme qui sait se subordonner. » Mais il y a des abaissements et des fidélités qui haussent l’esprit et l’ennoblissent, d’autres qui ne font que révéler un besoin de quiétude, une satisfaction utilitaire et vaniteuse dans la dépendance.

Je ne devais pas me réconcilier avec l’hiver tiède, aigre, masqué de soleil et universellement vanté de Monte-Carlo. Je redoutais chaque jour pour ma sœur ce brusque évanouissement de la clarté ; « ce brisement du temps », comme disent les Romains pour nommer le crépuscule, que les médecins nous avaient appris à craindre avec excès. L’anxiété où me jetait le froid clair du soir, redoutable m’avait-on affirmé, augmentait l’angoisse physique et la tristesse de l’âme que me causait l’heure du soleil couchant, sorte de mort immédiate de l’horizon et du paysage, heure si nue, si livide, que l’on peut la mettre en contradiction exacte avec ce vers frémissant d’Arthur Rimbaud :

L’aube, exaltée ainsi qu’un peuple de colombes !…

Notre station opulente et désemparée dans un grand hôtel, où affluait, toujours affairée, une brillante société cosmopolite, et que rendaient strident, le soir, des orchestres de tziganes habiles et ardents à viser le cœur, comme si ces violonistes de Bohême eussent été des arbalétriers, cessa lorsque ma mère arriva avec M. Dessus. La villa qui fut choisie avait cet aspect, cet arome, et je dirais cette saveur triste des demeures légères et négligées, louées d’année en année, par des passants différents, qui s’y abritent sans s’y attacher. En vain un jardin cultivé sur une étroite terrasse nous offrait-il la présence délicate de poivriers verts et roses, de mandariniers, arbustes graciles jonglant avec des boules d’or, nous n’en avions pas moins le sentiment d’être des émigrées retenues prisonnières entre les minces murailles de la demeure, que pénétrait le froid du soir. Les cheminées, mal construites pour leur usage dédaigné, ne consentaient pas à nous procurer, sans répandre une fumée suffocante, ces gais feux de bois, résineux, sonores ou brasillant à voix basse, qui ajoutaient une poésie familière à l’automne fringant du lac Léman.

Mon lit, recouvert d’une moustiquaire, quand j’y étais étendue, mélancolique et rêvant, me laissait contempler le plafond de ma chambre, peint à l’italienne ; peinture craquelée, de couleur ocre, jonchée aux quatre coins de guirlandes de roses volumineuses, d’où s’élançaient, agile badigeon, de longs rubans bleutés. Ma mère, ayant fait venir un piano, s’étourdissait dans la musique, s’y ébattait, comme se baignent les naïades, et M. Dessus, à qui aujourd’hui encore j’en rends grâce, fut seul à comprendre la détresse de deux adolescentes situées soudain dans un milieu si opposé à la nécessité de leurs études, à leurs divertissements et à leurs songes. Le voisinage du Casino lui paraissait mystérieusement dangereux et tel que le serait celui de l’enfer ; il lui semblait que des vices ailés eussent le pouvoir de s’en évader et de venir contaminer les deux pauvres enfants de la villa étrangère, aussi à plaindre que des oiseaux des îles déportés dans une étroite cage d’osier. L’active raison de M. Dessus s’ingénia dès lors à organiser nos journées moroses et à en adoucir l’âpreté. Pour ma sœur, qu’il ne fallait pas fatiguer par le travail, il institua des jeux de cartes et le jeu de loto, si monotone pourtant, avec le monocle de verre posé sur les numéros gagnants, cependant que mes lectures studieuses faisaient l’objet de ses pittoresques et savants commentaires. Ne sachant quel adversaire salubre opposer au menaçant Casino, dont nous n’étions pas même curieuses, il s’adressa au clergé et souhaita pour nous la société des prêtres. Elle nous fut fournie par les desservants d’une neuve et somptueuse église où de jeunes hommes d’origine italienne, ayant droit au nom vénérable de Pères, alliaient les vertus de la vocation religieuse à la chaleur candide mais véhémente d’une race visitée par le soleil. Ces jeunes Pères, d’allure sportive sous la longue robe noire que leurs pas alertes balançaient en laissant apercevoir des chaussures de montagnards, n’étaient point insensibles à la présence de deux enfants féminines apparues brusquement dans leur paroisse. Bien que M. Dessus, obsédé chimériquement par le voisinage du Casino, s’obstinât à ne considérer en ces prêtres juvéniles que des envoyés de Dieu, et que ma mère, ingénue, excusât en riant leur chaste enthousiasme, il y eut, dans la villa mélancolique de Monte-Carlo, des scènes plaisantes et innocentes, où le pâtre ardent des coteaux napolitains se révélait, soudain, par l’éclat fiévreux du regard, par le vigoureux et affectueux serrement de main.

L’un de ces naïfs ecclésiastiques, abandonnant la lutte intérieure, manifestait chaleureusement sa prédilection pour moi. Au jeu de cartes, aux dominos, visiblement il favorisait ma chance. Débonnaire, désireux de prouver son dévouement, il parvint à me procurer des billets farouchement disputés pour une représentation théâtrale du célèbre ténor Jean de Rezské, dont le glorieux renom hantait mon imagination. Ainsi m’accointai-je du chef-d’œuvre de Berlioz, la Damnation de Faust, profond gémissement que fait entendre le gel de la vieillesse humaine, disposée à vendre son âme pour retrouver le verdoyant orgueil des années légères et triomphantes.

Un soir de mai, au moment de quitter enfin, pour cette année, Monte-Carlo, et souhaitant remercier le jeune abbé désintéressé qui nous avait retenu une cabine de wagon-lits réclamée par un grand nombre de voyageurs, nous allâmes, sous la direction de M. Dessus reconnaissant, visiter le jardin du séminaire et saluer ses hôtes. Je vis errer dans les chemins aromatiques, le bréviaire entre les doigts et se saluant silencieusement à chaque rencontre, ces jeunes hommes en lévites noires qui avaient fait le vœu de n’aimer que l’invisible dans les cieux. Plusieurs d’entre eux nous entourèrent tristement, étonnés que l’on eût à quitter un toit voisin du leur, à entreprendre un voyage. Celui qui m’avait témoigné un affectueux attachement saccagea des parterres de narcisses et de tulipes encore frêles ; il m’offrit ces dons du sol comblé avec un regard qui reportait sur moi une part de son âme vouée à l’inconnaissable. Je fus émue de sentir que la poésie régnait comme un astre mystique sur ce jardin d’où elle avait écarté sa rivale jumelle et redoutable : la passion humaine. Depuis le début de mars, j’étais sans hostilité envers les paysages du Midi, bien que j’eusse la nostalgie du printemps de Paris, du Bois de Boulogne, si longtemps recouvert des froids brouillards de Ia Seine qu’on y sent jaillir avec difficulté, mais dans une obstination invincible d’amour, le vert crépitement des bourgeons sur les branches.

Si les mois hivernaux frais et clairs de la Méditerranée m’avaient désolée par cette espèce de contrainte de l’atmosphère, qui semblait s’efforcer de figurer les saisons heureuses, je fus subitement enivrée, étourdie par l’éclosion du printemps sur ces rives fortunées. De toutes parts les roses jaillissaient, amples ou exiguës, et formaient des bouquets de couleur jaune, incarnat ou orangée, qui s’épanchaient comme pour exprimer une ineffable tendresse. La tiédeur aérienne et la floraison propre aux Églogues en tous lieux rayonnaient. Les matins épandaient une joie dyonisiaque, et, aux heures dégradées et sans cassure du crépuscule, une mollesse lascive et suave envahissait l’âme jusqu’à la souffrance. Des chats sauvages s’affrontaient et se querellaient amoureusement dans les jardins et les bosquets des parcs publics, que les ténèbres recouvraient, ne laissant émaner que les parfums et les soupirs de la volupté. Penchée au balcon de notre villa, jeune fille triste, intriguée, mystérieusement satisfaite, je plongeais un regard interrogateur dans l’avenir. Que promettait-il ? Quelle réponse donnerait-il à cette imploration de l’être humain qui, dégagé et oublieux de ses lointaines origines, torpides et misérables, est, dès l’enfance, exigeant, discerne sa valeur, estime l’infini de ses forces, rêve d’envahir par elles le monde ? Les jeunes et belles créatures, conscientes, en un tendre vertige, de la réussite que la nature a obtenue en les formant, pressentent qu’elles entendront murmurer avec ferveur vers elle :

Aimez ce que jamais on ne verra deux fois…

Pendant plusieurs saisons notre vie, que l’état de santé de ma sœur avait modifiée, fut attristée par nos séjours d’hiver dans la Principauté de Monaco, par les déplacements de l’été, où, délaissant les bords du lac de Genève dès que la chaleur diamantée y établissait ses délectables grésillements, nous gagnions les hauteurs de la Savoie ou de la Suisse. Là dans de vastes bâtiments de bois, hôtelleries que des chataigniers et des noyers aux feuillages épais préservaient des rayons torrides, nous faisions Ia connaissance de familles italiennes et allemandes. Nous échangions avec elles ces regards où l’attraction et la curiosité se mêlent à la défiance ; mais ce sont bien ces présences étrangères et ces saluts solennellement prodigués qui nous rendaient tolérable l’ennui de l’altitude sapinière, mal compensé par l’excellence des pains variés, la pureté du beurre et du miel, qui se trouvaient en aussi grande abondance sur les tables des salles à manger que Ies trèfles et les grillons dans la prairie. Ma sœur, résignée, devenue craintive à l’encontre de son naturel hardi, semblait s’estomper dans la vie quotidienne, se retirer dans une muette solitude, tandis que, jeune fille éclatante, je sentais se dilater en moi une rêverie multiple, énergique, en dépit de ma santé déclinante dont ne s’inquiétait pas ma mère. Obsédée par ma sœur languissante, que les médecins surveillaient avec un zèle dont la minutie maladroite injectait en notre esprit de subtiles angoisses, ma mère ne s’apercevait pas de la lente souffrance dont j’étais, par le système nerveux, — trame délicate, mais aussi arbre puissant, chêne miraculeux de la forêt de Brocéliande, — victorieuse.

Sauf les éloges qui m’étaient distribués, et que je prisais moins que je n’exigeais de toute part un immense, inouï et total amour, j’étais délaissée. Mais la nature entière, et ce je ne sais quoi d’indéfini qui me semblait réuni tendrement par delà l’espace, se penchaient vers moi, me devenaient familiers. Je m’entretenais le soir avec les astres, assurée que les étoiles, dont la palpitation, comme balbutiante, me fascinait, faisaient descendre jusqu’à moi un fraternel salut. Dès le matin, je bravais la clarté d’or du jour ; des messages s’élançaient de mon cœur vers elle avec la certitude que des liens ancestraux nous tenaient rapprochées, et lorsque j’appris ce vers de Leconte de Lisle :

J’irai m’asseoir, parmi les dieux, dans le soleil

j’eus le sentiment d’avoir, depuis l’enfance, accompli ce bondissant trajet.

Satisfaite de ma personné physique qui me plaisait comme plaisent les fleurs, les images, les romans, je lui savais gré de me charmer, car, pour les dons de l’esprit, avec ingénuité et un sens critique bien établi, qui n’excluait ni la timidité toujours enfantine, ni la sincère modestie, je n’hésitais pas à les juger amples et radieux. Intrépide par l’imagination, je m’alliais à tout ce qui est prospère, vivace, triomphant. Je me sentais habitante privilégiée de l’espace. L’univers était mon domaine, je ne songeais pas à lui reprocher d’être fortuit, éphémère, mortel. La métaphysique vaine et désespérée, qui, par la suite, devait m’envahir et m’apitoyer sur le sort de toute créature comme sur le mien, ne frôlait pas ma pensée, aussi fermement nouée aux apparences que le fruit l’est à la branche. Souvent je ressentais cet élan mystérieux vers un appel indiscernable, ou bien ce désir de fuite farouche qui sont l’essence même de la provocation et du refus dont se compose l’émouvante instabilité féminine. C’est surtout lorsque me parvenait le chant du piano de ma mère que, mon esprit reposant dans une paix immense et vermeille, comparable aux plaines paisibles ou ondulent les blés en été, j’imaginais le désordre et les tragédies de l’amour. La musique, sans déranger mon indolence enveloppée de fierté, la peuplait. Sauf la souffrance physique, je n’avais qu’à me louer du destin. Et, pourtant, le cœur transpercé par les rythmes et par la mélodie, je pressentais, sans les craindre, ce que je devais appeler plus tard, en un vers mélancolique écrit dans un poème composé sous les camphriers chargés de palombes de l’Isola Bella :

Les enivrants malheurs pour lesquels je suis née…

Après trois années de soins dispensés à ma sœur, — soins à la fois favorables et nocifs, car se traiter soi-même implique une justesse et une prudence finement animales, tandis qu’être traité par l’étranger comporte une somme infinie d’erreurs, — j’eus le bonheur de voir ma sœur complètement rétablie. Il ne devait lui rester, pour quelque temps, de la maladie qui nous avait tous bouleversés, qu’un travestissement de son esprit, devenu pusillanime, et dont souffrit lucidement cette ferme intelligence, ébranlée par Jes craintes qu’on avait cru utile de lui inculquer.

Nous nous retrouvâmes en novembre à Paris, dans l’hôtel de l’avenue Hoche. J’allais avoir dix-sept ans. Il semblait que la vie voulût se réorganiser comme auparavant ; je pensais retrouver les cours de piano et de musique de chambre où, perdant bien vite, par enthousiasme, toute mesure, je menais le Trio de l’Archiduc, de Beethoven, avec violence, comme on voit s’accélerer déraisonnablement le rapide mouvement des carrousels ; j’allais aussi, me disais-je, reprendre ma place au cours de littérature hebdomadaire, séances vénérées, qui me mettaient en face de professeurs réputés, traitant des écrivains de génie, mais dont nul ne fit jamais, dans ses conférences, lectures et commentaires, une seule citation expédiente !

Et je me rejouissais puissamment, bien que déjà souffrante au point que le repos eût dû me sembler tentant comme est attirant l’abîme, si je n’avais possédé une énergie venue des cieux, des succès que me promettait le jour de réception de ma mère. Dans le salon de peluche bleue, meublé de sièges et de canapés dorés, j’avais vu, depuis mon enfance, entrer des hommes aux noms illustres, qui m’engageaient à mêler ma conversation à la leur. Là, tandis que je causais avec eux, sentant en mon esprit des conducteurs agiles diriger nettement vingt chars aux chevaux impetueux qui s’élançaient tous sans se heurter, sur une piste vaste et claire, je m’appréciais.

Ces instants allaient donc revenir ! Le soir, quand nous étions seuls avant l’heure du dîner, je faisais part à mon frère et à ma sœur de l’opinion que j’avais des dons que le destin m’avait accordés ; je les exposais comme on constate ce qui est en dehors de soi, ne vous appartient pas, ne rend point vaniteux. Dès ce moment je méritai la phrase tendre et sage, construite dans l’observation plaisamment aigüe, mais enveloppée d’indulgente amitié, que m’écrivit un jour, la dernière année de sa vie, Maurice Barrès : « Croyez bien, madame, que je pense de vous tout ce que vous en dites… »

Il devait en être autrement. Épuisée par la dépense de sensibilité que j’avais faite pendant tant de mois difficiles, habitée par cette énigmatique et débutante maladie qu’était l’appendicite, en ce temps-là méconnue jusqu’en ses évidents symptômes, je dépérissais. Ma mère, mon entourage n’y voulurent pas voir autre chose qu’un état d’insatisfaction, de rêverie élégiaque, d’incompatibilité de l’âme avec la vie. C’est alors que le courage des jeunes êtres est sommé de donner ses preuves : le mien fut absolu. Ma pensée étant occupée par les lectures que je faisais tout le jour, et le soir à la lueur d’une bougie, de Montaigne, de Flaubert, de Balzac, du sec Mérimée au style net et capiteux comme la noire vanille, de Barbey d’Aurevilly, saison des vins, versés dans des gobelets d’or, il ne me venait pas à l’esprit qu’un mal physique, pour violent qu’il fût, ne pût être surmonté. De même que mes premiers poèmes étaient tout empreints de la pensée de la mort sans que jamais je me la figurasse, et que je n’aie cru en elle que bien plus tard, au bord du lit d’un enfant de vingt-trois ans, le charmant Henri Franck, sur le cœur de qui je disposai, avec ce calme et cette acceptation momentanée des douleurs qui, peu d’instants après, s’irriteront pour ne se refermer point, de minces branches du pâle lilas de février, — de même je ne concevais pas que les puissants attraits de l’existence n’eussent pas le pouvoir de recouvrir la souffrance quotidienne. J’intimais aux épuisantes insomnies, à cette torturante inimitié de nous-mêmes envers nous-mêmes qu’est la lésion de la profondeur du corps, l’ordre de m’être asservies. Mais les médecins s’inquiétèrent de mon apparence chaque jour plus altérée, et une sorte de bataille s’institua entre eux pour savoir de quelle manière, sans s’aventurer jusqu’à l’operation, pourtant seule raisonnable et que je réclamais, on pourrait me venir en aide.

Quand l’être humain est libre, en âge de décider de son sort, et que la vigueur de la pensée lui permet de recourir aux bienfaits des résolutions réfléchies et rapides, il se réjouit d’engager le combat. J’ai dit récemment à l’un de mes compatissants médecins, — et je révère en eux tous mes plus indispensables amis : « Si un malade vous appelle à son chevet, consultez-le… » Cette collaboration de celui qui souffre avec celui qui s’efforce de guérir est interdite à l’enfant, à l’adolescent. L’homme qui a traversé une longue part de la vie en secourant par sa science et ses décrets des créatures à l’abandon est enclin à négliger ce que tout organisme énergique possède de connaissance de soi, d’infaillible inspiration. Il se peut que ceux qui nous voient le plus souvent et nous aiment le plus tendrement n’entendent pas nos voix, — ces voix qui déjà nous viennent d’ailleurs, comme Jeanne d’Arc, contemplative, les percevait dans la fluidité de l’horizon natal.

Qui dira le miracle du sauvetage des jeunes êtres livrés à l’opinion et aux décisions d’un groupe familial toujours inadapté à eux, et dont ils parviennent à atténuer l’action par la philosophie intime et chuchottante de l’extrême jeunesse, par la bravoure perspicace qui les anime et leur fait choisir impérieusement l’antidote d’autrui, comme aussi par cette résignation si touchante qui ressemble au sommeil salutaire et reconstituant des fakirs. La soumission qu’obtient difficilement mais fermement de soi l’être très jeune donnne la mesure de sa constance dans le sentiment de l’honneur et de la fierté. Réservée dans mes plaintes, je m’appuyais sur l’amitié puissante des mots, je leur obéissais. Au pied de mon lit j’avais suspendu, de manière à le pouvoir toujours regarder, un feuillet de papier où j’avais écrit ces vers illustres de Vigny :

Gémir, pleurer, prier, est également lâche,
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche…

et encore cette phrase de Dostoïewski : Celui qui souffre davantage est digne de souffrir davantage…

Sans l’aveu fait aujourd’hui, comment croirait-on que c’est entre la faiblesse physique et les larmes que j’élevai vers la nature des actions de grâce ruisselantes d’amour ? Je m’étais juré de combattre le destin ennemi, et j’y parvenais, non par ma propre force, mais par celle que me communiquait un dieu

Ce n’est pas seulement en mes indications si précises d’un mal physique que je ne rencontrai ni créance, ni divination.

Passionnément aimées par notre mère et ses amis, il ne nous avait pas été donné de parvenir à leur prouver que notre institutrice française, récemment installée auprès de nous, n’était pas dans son bon sens. Si fort favorisait-on à cette époque le sentiment du respect envers les éducateurs, qu’une plainte formulée contre eux apparaissait presque aussi séditieuse que la doléance du soldat qui se voit blâmé et condamné pour avoir constaté humblement l’erreur ou l’injustice de celui qui commande.

Mademoiselle Marguerite Pierre, à laquelle ma sœur et moi étions parfois aussi totalement confiées que de jeunes et doux lionceaux à leur propriétaire, unissait à une nature vigoureuse et souvent joviale une maladie mentale surgissante, que nous n’avions pas tardé à discerner. « C’est un caractère pittoresque et doué de fantaisie », affirmait ma mère, avec bienveillance et distraction, lorsque nous lui décrivions l’étrange comportement de cette vive Franc-Comtoise, que Besançon, sa ville natale, avait dotée d’un brun regard d’Espagnole, et de ce qu’elle appelait « le tour de hanche », ou bien quand nous exposions la surprise et la frayeur que nous causaient, dans la nuit, à travers la cloison de nos chambres contiguës, des airs d’opéra, clamés par elle à tue-tête, en plein sommeil. Nous ne nous trompions pas ; mademoiselle Pierre, en qui on pouvait apprécier des moments de zèle et de dévouement, et jusqu’à de spirituelles réparties dans la conversation, révélait à ma sœur et à moi, qui vivions auprès d’elle, un déséquilibre saisissant. Son trouble intellectuel prenait des formes variées : par moments, elle tenait des propos si dénués de décence qu’ils éveillaient en nous une pure et sévère indignation ; d’autres fois, la religion, la patrie, la bravoure, trouvaient en elle une panégyriste frémissante, comme si ces hauts sentiments eussent été attaqués. Elle manifestait avec éclat en leur honneur, et on eut dit, à la voir s’exprimer et s’émouvoir, d’une Thérésa exaltant le sublime de l’âme, devant un public de café-chantant.

Nous vécûmes désolées par cette présence, mêlée de mérites et de redoutables bizarreries, dont nous avions fini par accepter la gêne, de la même manière que l’on se résigne à recevoir les coups de croc d’un bouledogue sournois, apprécié par ses maîtres.

Peu de temps après mon mariage et celui de ma sœur, la folie de mademoiselle Pierre éclata tout de bon. Elle se croyait fiancée à Don Carlos ; signait ses lettres Duchesse de Médinacelli ; s’attristait pendant des journées entières sur ce qu’avait été le sort de la mère de Renan, qu’elle appelait « le renégat » ; commandait deux cents glaces chez le pâtissier, et priait le pharmacien de lui confectionner des cachets de poudre bleue, favorable, disait-elle, à la clarté de son teint. Trouvée un matin d’hiver, complètement nue, chaussée de babouches, sur le toit d’une pension de famille, où ma mère l’avait confortablement logée, elle dut être internée. Nous eûmes la satisfaction de savoir que sa démence, à quoi la mort seule mit un terme, fut sans alarme. Mademoiselle Pierre avait, par le délire heureux, habité les régions irréelles de l’omnipotence, où se célèbrent des mésalliances qui ne rencontrent aucun obstacle. Ainsi, la délicatesse et la pureté de notre adolescence avaient connu l’aventure exceptionnelle de la cohabitation avec un organisme chaviré ! Mais la prime jeunesse, même touchée par la maladie comme l’avait été celle de ma sœur, et comme l’était la mienne, est si puissante, qu’elle tire profit de ce qui devrait lui être nuisible. C’est bien à mademoiselle Pierre, déjà engagée sur la route de la folie, que je dus, lorsque j’avais quinze ans, le bénéfice de limpides leçons de mathématiques alternant avec un résumé, fait par elle, à haute voix, des savants volumes d’histoire de Maspéro, dont j’étais distraite soudain, à l’heure matinale, par le volcan bleuâtre de l’île de Corse, pour moi vision divine que laissait paraître vaguement la disposition au levant de notre villa de Monte-Carlo.

Mademoiselle Pierre, non dénuée de goût littéraire, mais impropre à sa tâche, autorisait la lecture des romans sensuels d’Anatole France, de Paul Bourget, de Pierre Loti. Nous aimâmes précocement le couple âpre et voluptueux du Lys Rouge, l’héroïne de Mensonge, animal civilisé, qui, parée des diamants obtenus dans l’amour vénal et du sang romanesque d’un naïf amant éperdu, n’en conserve pas moins l’attitude bienséante d’une jeune femme à sa toilette dans un tableau de Stevens. Je me détachai plus tard de certains volumes dont les intrigues m’avaient enfiévrée, sans jamais me déprendre de la passion que m’inspirèrent le génie de Loti, les noms de Rarahu, de Fatou-Gaye, le pays de Bora-Bora. Mais, bien que savourant la liberté que nous donnait en sa démence, mademoiselle Pierre, nous lui étions inébranlablement hostiles, nous réprouvions avec sagesse ses complaisances.

Ma sœur, mieux que moi, s’accommodait de cette étrange directrice de l’âme qu’elle repoussait, alors que je m’obstinais à vouloir modifier sa déraison ; mes vains efforts ajoutaient à ma tristesse. Aussi est-ce avec une institutrice allemande, monotone et compassée, que je fus envoyée à Pau par les médecins, lorsqu’ils comprirent que la poésie n’était pas responsable du dépérissement d’une jeune fille née robuste et dont le visage avait eu la rondeur de la rose. Autant le radieux hiver de Monaco m’avait autrefois consternée, dérangeant en mon cœur l’ordre des saisons et le mystère qui émane de chacune d’elles, autant je me sentis dans un filial séjour au pays béarnais. Je m’imprégnais avec tendresse de ce climat de naïade humide et caressante, j’aimais la végétation gorgée d’eau, les noms des villages et des contrées, tous énigmatiques, pareils à des vers de Gérard de Nerval, vers magiques, ou, ravi par leur sonorité et les songes qu’ils suggèrent, on se sent dédaigneux d’histoire et de géographie et comblé d’un mystère qui leur est supérieur. Quel vocable séduisant dans la Bible dépasse, en poésie religieuse, les syllabes de Bétharram, l’appellation de Vallée Heureuse ? En quelle contrée situerait-on les idylles des poètes grecs mieux que sur les collines légères de Gélos et d’Argelès ?

Un calme, qui naît de l’espace traversé de molles ondées, dispense à l’esprit, en ces lieux captivants, un bien-être qui tient d’un doux sommeil éveillé, au cours duquel l’âme ne formulera ni reproches ni souhaits extrêmes. Le voisinage de l’Espagne contrastant avec celui des eaux bénies de Lourdes berçait mon imagination de songeries multiples, et, pour la jeune fille souffrante et dépendante que j’étais, la proximité de ces paradis, qui ne semblaient point hors d’atteinte, enchantait sans l’enfièvrer ma curiosité rassurée. Que j’ai aimé ces surprenants et vigoureux arbustes aux feuilles vernissées, les camélias, chargés de fleurs que je n’avais connues qu’en satin pâle et cramoisi dans les parures de ma mère, et de l’existence véritable desquels je doutais encore ! Ces camélias, et de légers bambous, au feuillage découpé en vol d’hirondelles, donnaient à la campagne argentée de décembre un aspect fabuleux d’immense paravent de Chine. Je devais ne jamais les oublier. C’est ce décor et un couvent de religieuses situé dans les environs de Pau, que, par réminiscence, j’eus plusieurs fois devant mes yeux, lorsque j’écrivis « Le Visage Émerveillé ». J’avais été confiée, pour ce séjour solitaire dans les Pyrénées, à une vieille fille du Mecklembourg-Schwerin, qui, depuis quelques mois, nous donnait des leçons d’allemand. Ses mérites austères l’avaient fait choisir par ma mère lorsque se posa le difficile problème d’envoyer une adolescente malade dans une contrée où elle n’était recommandée qu’à un médecin, occupé sans répit. Mademoiselle José Ehmsen était de ces Germaines sensibles de jadis, qui, fidèles historiquement à leur patrie, ne pouvaient y vivre, et à qui le climat de la France, fût-ce celui de Paris avec ses pluies négligentes et ses jours brumeux, paraît comme seul favorable à la respiration. Oubliant soudain son attachement au pays natal, qu’elle regagnait en été, elle me faisait des hivers du Mecklembourg une description qu’on eût pu rapprocher des images du Groenland. Mademoiselle Ehmsen, aux cheveux blonds ternis, aux yeux clairs sans éclat, représentait d’une manière précise et idéale la vierge ignorante, sérieuse, enjouée, qui n’a pas eu de tentations. Poétique de nature, comme le sont souvent les Allemandes, d’éducation parfaite, ce qu’elle avait de prodigieusement timoré donnait du charme à sa personne, dans l’ensemble insignifiante. La quarantaine lui paraissait être un âge grand-maternel, qu’elle se félicitait d’avoir atteint sans orages, comme un voyageur sort indemne de la jungle où rodent les serpents et les fauves. L’amour, dont elle ne parlait que pour citer d’heureux ménages, ou pour plaindre à voix basse, et tristement, des ménages en proie à la mésentente, ne troublait pas son esprit.

Non contente d’être vêtue d’une robe de laine sévère, mademoiselle Ehmsen se complaisait dans Ia surcharge de la parure ; elle recouvrait son corsage d’une mantille espagnole faisant l’usage d’un châle, et lorsqu’elle se trouvait en présence d’un homme, elle déployait un large éventail. Je la vis ainsi au repas de midi, un jour d’hiver, avenue Hoche. On sentait qu’elle éprouvait le plaisir de la sécurité dans cette dissimulation de sa personne. Peut-être la pureté absolue rend-elle étrangement craintives les créatures obsédées par la chasteté, et sans doute Fräulein Ehmsen, ignorante et honnête comme une fille de onze ans, se croyait-elle par moments, sans que son subconscient portât à sa connaissance ses inquiétudes, un sujet de coupable convoitise. En tant que participant de l’Ève éternelle, elle craignait, à son insu, d’être une tentation involontaire, un péché ambulant. Mélange de candeur absolue et de défiance par elle insoupçonnée, c’est à Fräulein Ehmsen et à ses vertus que je dois pourtant ma première rencontre avec la convoitise de l’homme, brutalement formulée. Comme nous nous promenions un dimanche matin, elle et moi, au sortir de l’église, sur la terrasse de Pau, un couple parisien connu de ma mère, qui avait appris ma présence, s’approcha de nous, et, après de conventionnelles politesses, me pria de le rappeler au souvenir de ma famille par le prochain courrier. Ce n’était là que naturelle et bienséante courtoisie, mais avec l’œil promptement expert des jeunes filles, je m’étais aperçu que l’époux, âgé d’une soixantaine d’années, de taille élégante, le visage d’un rose soutenu, au regard doucement fourbe éclairant un ensemble de poils gris, avait considéré longuement la jeune fille que promenait Fräulein Ehmsen. Le soir même il déposa des cartes à l’hôtel pour ma gouvernante et pour moi, et fit demander s’il ne pourrait pas nous rendre visite le dimanche suivant, à l’heure du thé. Fräulein Ehmsen, cœur excellent, que ma solitude désolait et qui croyait que le renom que j’avais acquis déjà dans la poésie nuisait à ma réputation, qu’elle eût préférée tout unie, fut maternellement heureuse de ce témoignage d’intérêt. Elle jugeait l’empressement de l’alerte sexagénaire profondément estimable et propre à faire oublier au médecin qui me soignait, et qu’elle révérait, les poèmes ingénus que j’avais écrits et dont elle restait anxieuse. Fräulein Ehmsen prépara en son esprit, pendant toute la semaine, avec la ferveur et l’attention hospitalière qui lui venaient de son pays comme de son éducation, le thé et les biscuits qu’elle se réjouissait de présenter à notre hôte. Elle fit d’innombrables fois le trajet qui séparait mon appartement de la loge du portier ; car, ayant été frappée, dès notre arrivée à Pau, par la vigoureuse jeunesse de ce méridional lustré, qui, jovialement, de ses bras robustes, avait soulevé nos bagages pour les installer dans nos chambres, elle avait décidé qu’elle seule monterait les lettres et les journaux jusqu’à moi, et que ce loup humain ne pénétrerait point dans la bergerie dont elle avait la charge. Le dimanche du goûter prévu arriva. Mademoiselle Ehmsen, joyeuse, avait revêtu un élégant et sombre costume, l’avait recouvert de la mantille, qui lui semblait honorer l’étranger, et m’embrassant affectueusement, tandis que j’endossais une robe à qui mon plaisant visage donnait un agrément qu’elle seule n’aurait pas eu : « Ah ! s’écria-t-elle, mon enfant, c’est un oncle qui vient nous voir aujourd’hui ! » En son pays, cette dénomination familiale est accordée aussitôt, avec un tendre respect, à tout homme grisonnant et amical. « Faites de votre mieux, ajouta-t-elle, pour qu’il soit à même d’apprécier le charme de votre cœur et de votre pensée. »

Vers quatre heures, l’homme grave, mais coquet, que Fräulein Ehmsen appelait un oncle, entra. Je m’aperçus immédiatement que la sympathie extrêmement galante que je lui avais dès l’abord inspirée ne s’était pas éteinte en lui. La table à thé, le vase de fleurs gracieusement disposées par mademoiselle Ehmsen ne paraissaient pas l’intéresser. Les prévenances de la duègne semblaient, au contraire, le mettre mal à l’aise. Mélancolique depuis plusieurs semaines, dans cet hôtel, dont les larges fenêtres laissaient voir un paysage brillant, composé de prairies onduleuses et des flots du gave bruissant, que souvent le soleil d’onze heures rendait exaltants, je m’étais patiemment ennuyée, non faiblement, mais avec une puissante rêverie. À personne je n’avais pu confier ma tristesse, que mademoiselle Ehmsen, quand elle en remarquait la présence, croyait chasser d’un baiser furtif, accompagné de quelques axiomes stoïques et chrétiens, à l’usage de la jeunesse.

En cet après-midi de dimanche, j’eus le pressentiment qu’une diversion, dont je ne m’exagérais pas la valeur, allait m’être offerte. Notre visiteur était chez nous depuis peu de temps, lorsque je devinai que seule l’absence de Fräulein Ehmsen me laisserait entendre des paroles passionnées, dont j’eus soudain comme un besoin avide. Avec astuce, je la priai de bien vouloir faire une réclamation au portier ; ce que l’innocente et aimable créature accepta de bon gré, disparaissant par la porte, légère comme l’oiseau. C’est alors que le vieil homme dispos, ne pouvant contenir son aveu, me fit écouter les déclarations les plus ardentes, avec une qualité d’épithètes qu’évidemment je n’avais pas pu soupçonner, si bien que le retour de Fräulein Ehmsen me combla de satisfaction. Mais dès que je fus en sécurité, je ne regrettai point d’avoir entendu des phrases enflammées, dont l’essence et l’écho me baignaient de plaisir.

Le soir, lorsque s’établit la tranquille atmosphère qui présidait d’ordinaire à notre dîner modeste, je ne pus m’empêcher de révéler à Fräulein Ehmsen mon aventure de l’après-midi. Absolument convaincue de l’impossibilité d’une si répréhensible conduite chez celui qu’elle avait appelé un oncle, et dont l’apparence et la situation sociale, dont elle tenait toujours compte, lui avaient inspiré le plus sûr respect, elle demeura un long moment incrédule. Son honnêteté préféra supposer que j’inventais un récit délictueux, qu’elle mettait sur le compte d’un état maladif et imaginatif de jeune fille, correspondant au goût que plusieurs d’entre elles ont pour le citron amer, le vinaigre, les fruits acides, plutôt que d’admettre l’audace injurieuse d’un homme qu’elle avait, avec déférence, introduit joyeusement auprès de l’adolescente commise à sa garde. Lentement, Fräulein Ehmsen se laissa persuader par sa propre raison, dans les méditations d’une nuit qu’elle déclara affreuse, de l’exactitude des confidences que je lui avais faites. Pendant plusieurs jours le monde perdit pour elle son aspect coutumier, harmonieux et loyal. Elle douta de la solidité de la terre et des astres, de l’équilibre des sentiments humains et se crut le jouet de diableries iniques. Notre séjour à Pau, en dépit des aspects ravissants de la nature, apportés par le jaillissement des mois de février et de mars, ne lui rendit point l’allégresse naïve dont elle avait, avec bonté, entouré mon dépaysement.

Je fus seule à me réjouir du frémissement printanier qui parcourait la campagne, comme aussi des ébats de la foule enfantine qui, après l’heure du catéchisme, se répandait dans les rues charmantes de Pau. Fräulein Ehmsen restait insensible à tant de grâces. Elle avait, depuis la visite rendue par un don Juan flétri à une adolescente énigmatique, perdu confiance en la jeunesse et la vieillesse des hommes.

Au moment de rentrer à Paris, au début d’avril, et comme le repos qu’on avait exigé de moi n’avait évidemment marqué aucune amélioration dans mon état, l’appendicite dont je souffrais ne pouvant que s’aggraver, je décidai romanesquement d’aller à Lourdes. Il m’était difficile de croire que le miracle de la guérison s’opérerait en ma faveur ; je me représentais toute l’humanité souffrante élevant vers le ciel ce même vœu de soulagement, et je n’acceptais pas d’admettre que parmi tant de dédaignés et de sacrifiés, je serais l’élue. Mais la poésie de la rencontre de Bernadette avec une dame céleste imaginaire, dans un pays qui me séduisait par ses montagnes et ses sources, me permit d’aborder la station sainte dans un sentiment de piété. Par un matin favorable au décor des altitudes bleues comme la gentiane et nettement découpées sur un ciel argenté, je fis un pèlerinage respectueux, sinon dévot. N’ayant point espéré, je ne fus point déçue. La vierge de Lourdes, en plâtre colorié, les pieds ornés de roses et non point posés sur l’arabesque irritée de l’antique serpent, me plut par sa simplicité de fée rustique, que l’on fêtait dans la grotte bénie, par une humble moisson de béquilles : hymne éloquent de reconnaissance, attestation de la puissance de la foi, de l’action de l’esprit sur le corps, que jamais je ne songerai à nier. Dès mon retour à Paris, un bonheur que je n’avais pas encore envisagé transfigura mes jours. Ma sœur, qui avait exercé avec intelligence et vigueur sa domination sur le cerveau troublé et désormais soumis de mademoiselle Pierre, me témoigna une tendresse impulsive que jusqu’alors elle n’avait pas révélée. Si deux êtres du même sang, chez qui tout a tendance à la parité, se font soudain totalement confiance, ne mettent aucun obstacle à ce commun torrent ancestral qui Ies entraîne sur la même pente, ils obtiennent dans l’amitié une perfection à laquelle nulle autre ne se peut comparer. Leur esprit jumelé, la substance identique qui compose leur être charnel, un rythme semblable dans l’éducation créent un double et perpétuel écho. Nous vécûmes dans un constant partage ; je jouissais de tout de moitié avec elle, échangeant et possédant ainsi l’entier de chaque chose. Nos lectures, nos observations, nos certitudes, allaient d’un pas égal. Ce qu’il y avait de différent en chacune de nous prenait plaisir à se modifier, à s’inonder de clarté pour être par l’autre adopté. L’aptitude à la limpide confidence était née en nous deux. Nous fûmes chacune déchargée de cette solitude de l’individu qui est le véritable obstacle à la joie, à l’oubli des soucis, à l’acceptation de l’adversité. Un sens pareil de l’observation, de la délicatesse et du comique, une sensibilité différenciée principalement par des nuances de vocabulaire nous permettaient de ressentir et de décrire ensemble tout ce qui frappait notre vue et notre cœur. Nous étions deux jeunes glaneuses qui portent ensemble la corbeille où elles ont jeté la récolte du chemin, qu’elles se disposent à trier dans la douce intimité. Nous connûmes la gaieté épanouie, la joie d’être des miroirs vivants ; nous fûmes heureuses.

Je devais plusieurs fois dans ma vie rencontrer des esprits fraternels, nobles, sérieux et rieurs, riches de culture, qui me rendirent sacrée cette phrase de Gœthe : « Là où sont nos égaux, là seulement est notre bien. »

Ces cœurs magnifiques, par l’attachement qu’ils surent m’inspirer, atténuèrent le culte effréné que, dès le plus jeune âge, je portais à la nature, et qui sans doute avait été l’attente et le pressentiment des réciprocités humaines, désormais triomphantes.

Avec la gravité d’une prise de voile, de l’ordination, je me vouais à la contemplation des âmes qui s’abandonnaient à moi. Je goûtais en elles l’univers qu’elles reflétaient ; je ne désirais pas d’autre éternité. Combien de fois ai-je dit, tandis que ma main reposait dans une main secourable et tendre : « Rien au monde ne m’est plus cher que les trente-sept degrés de la chaleur humaine !… » Ces présents insignes que m’avait accordés le sort : faveur, naturelle par ma sœur, généreuse par le hasard, des rencontres parfaites, devinrent la proie de la mort. Je connus ainsi la fin de soi-même, le désert, l’amputation invisible et sans borne. C’est avec une véracité que le temps n’altérera pas, que j’ai pu écrire, en une courte formule dédaigneuse de tout développement, ces vers :

Je n’ai pas su quand le jour poind,
Quand le soir se glisse au dehors,
Et nul n’a jamais à ce point
Tenu compagnie à des morts…

Ma sœur et moi, elle ayant seize ans, moi dix-sept, nous profitions souvent de la liberté que notre mère nous octroyait, tant par les dispositions de son cœur, toujours acquiesçant, que par l’enchaînement où la tenait la musique, pour faire usage d’un landau dont le robuste profil évasé, qui se continuait par l’élévation de la silhouette du cocher, du valet de pied, et le prolongement de chevaux superbes, mais vieillis, ferait aujourd’hui sourire. Nous allions en cet équipage voir des amis, toujours nos aînés.

Dès notre enfance nous sûmes apprécier cette faveur du destin qui met des êtres puérils en relation familière avec des esprits doués de surprenante supériorité, ou bien parés de l’expérience et des épisodes d’une longue carrière. Parmi eux apparaissait, les dominant, et aussi remarquable par la pensée que par l’allure, le prince Edmond de Polignac. Je ne peux apparenter à nulle figure cet aristocrate sans autre compagnie intime que celle de divinités ineffables, et qu’une constante et personnelle Prière sur l’Acropole rendait à la Démos antique. Nourri de Diderot et de Voltaire aussi bien que du génie grec et latin, c’est avec Ia précision d’un élan d’oiseau que sa sensibilité venait se poser et frémir dans la neuve forêt où Mallarmé fait croître au moyen des irisations verbales, Une rose dans les ténèbres, presse dans notre imagination le citron d’or de l’idéal amer, et, retournant aux premiers temps du inonde, libère et détache du chaos :

Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui…
On sentait le prince de Polignac lié d’amour avec la Sainte Ursule de Carpaccio comme avec la Dona Elvire de Mozart, s’épuisant en cris de colombe blessée, sous le masque vénitien. Une part de sang anglais donnait à la curieuse personne de notre ami sa haute taille élégante dont la maigreur semblait d’ivoire, une aisance imperceptiblement dédaigneuse, une justesse attentive, un raffinement d’apparence négligente que révélait un vêtement de couleur inusitée, ample et flottant, un vaste et soyeux mouchoir d’indienne qu’il déployait à la manière britannique, d’un geste qui saurait lancer le disque. Le gant et la chaussure, volontiers trop larges, avaient toujours cette nuance blonde et fumeuse des valises qui gardent le parfum révélateur des enregistrements de Calais et de Douvres.

Doué pour tous les arts, comme l’est en général une intelligence logique et sensuelle, cet amateur de philosophie, de peinture, de poésie, ce satiriste, ce voluptueux, ce gourmand abordait à son île et à son sommet dans la musique. Là, cet esprit finement et profondément universel atteignait une maîtrise dont lui-même était certain, sans vanité, sans modestie, comme lorsque les peintres disent de leur métier, avec un sens hermétique, jaloux et méprisant : « Il faut être du bàtiment… » Aux heures de son inspiration musicale, il semblait couronné invisiblement, dans l’altitude aérienne, par le chant des anges de Parsifal.

Ma sœur et moi nous le contemplions avec cette jubilation qu’on éprouve à considérer qui règne dans le domaine de la pensée et dispense la sécurité avec le plaisir. Perpétuellement visité par cette chance que l’on appelle l’esprit, le prince de Polignac était néanmoins voué à la ferveur, à cette sorte de religion de l’exquis à laquelle il devait de n’être étranger à aucun sentiment. J’entendis ce sceptique définir par ces mots émouvants la vénération que lui inspirait le sacrifice de Ia Messe : « J’aime, en la religion catholique, ce qu’elle a d’argent et de violet… » Il est vrai que les préceptes de l’Église béatement adoptés pouvaient aussi l’irriter, et s’il entendait prononcer avec trop d’obséquiosité envers les mystères célestes ces mots : « le bon Dieu », — « Pourquoi bon ? » répliquait-il, avec brusquerie, apitoyé soudain sur l’infinité de la souffrance humaine.

À Amphion, nous le voyions, en octobre, avant l’heure du déjeuner, arpenter l’allée des platanes, bâtie sur le lac, et, dans le tourbillon des feuilles tombantes, attachées toutes deux à ses pas, nous écoutions respectueusement cette voix au rire amer et enchanté, d’où découlait la sagesse comme la fantaisie charmée. Sans âge, eût-on dit, et par là même à l’apogée persistant de sa vie, il avait pris part activement à la campagne électorale nancéenne de Maurice Barrès, tout jeune homme, dont le nom, alors, ne retint pas mon attention. Le seul livre que j’avais lu, à quinze ans, de ce futur ami de génie, Le Jardin de Bérénice, m’avait laissée, comme il convenait, ignorante de ses grâces libertines. J’appris plus tard aussi ses mésaventures heureuses : le nom de « la petite Descousse », jeune Arlésienne présentée à Barrès par l’aubergiste méridional, était devenu, par la faute des typographes et au grand amusement de l’auteur, qui maintint les syllabes erronées, Petite Secousse. J’ignorais la célébrité qu’avait déjà le jeune Maurice Barrès, mais je riais du récit que nous faisait le prince de Polignac d’une manifestation politique en Lorraine, où la sonorité de Polignac avait fait jaillir parmi l’auditoire populaire le cri imprévu de « Vive la Pologne ! »

Frileux, notre ami ne quittait guère, même dans une chambre que tiédissait un feu de bois, un moelleux châle en laine d’Écosse qu’il tenait plié sur son bras, en cas d’urgent emploi. Un jour, comme le juvénile Marcel Proust lui faisait remarquer l’aspect de touriste opiniâtre que lui donnait ce plaid, il répondit avec une gravité qui marquait moqueusement sa résolution de liberté et son bon plaisir : « Anaxagore l’a dit, la vie est un voyage… »

comtesse de noailles
(À suivre.)

Madame la comtesse de Noailles, souffrante, n’ayant pu terminer la revision et la mise au point de ses épreuves, nous a demandé de suspendre la publication de ses souvenirs :

LE LIVRE DE MA VIE (Adolescence)
dont nos lecteurs ont pu apprécier, dans la livraison du 15 décembre 1931, la rare qualité littéraire et l’intérêt. Nous espérons que l’état de santé de notre collaboratrice lui permettra de reprendre bientôt ses travaux.
(N. D. L. R.)