Le Livre des mères et des enfants/I/La souris chez un juge

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LA SOURIS CHEZ UN JUGE.

Tremblante, prise au piège et respirant à peine,
Sortie imprudemment du maternel séjour,
Rêvant sa dernière heure au seul bruit de sa chaîne,
Une jeune souris voyait tomber le jour.


Dans le grillage étroit qui la tient prisonnière,
A passé d’un flambeau l’éclatante lumière ;

Elle tressaille, écoute : un silence de paix
Succède au mouvement qui la glaçait de crainte ;
Et d’un vieux mur caché sous des lambris épais
On entend murmurer cette humble et douce plainte :


« Dans ta belle maison, toi, qui rentres content,
Quand je me sens mourir de la mort qui m’attend,
Redoutable ennemi de tout ce qui respire,
Oh ! n’étends pas sur moi ton oppressif empire !
Laisse ton cœur s’ouvrir au cri du malheureux :
Hélas ! est-on moins grand pour être généreux ?
Laisse-moi boire encor l’air, la douce rosée,
Ce bienfait de la nuit, ce céleste présent,
Dont par un souffle humide et bienfaisant,
Chaque matin la terre est arrosée.
Juge, soit juste et rends-moi mes trésors,
Un ciel à contempler, ma liberté native :
Dieu me fit de la vie un plaisir sans remords,
Toi, tu la rends sombre et captive.


« Je suis une souris née au dernier printemps ;

L’été commence. Hélas ! c’est vivre peu de temps !
Viens voir, je porte encor la robe de l’enfance.
Le blé nouveau, le riz friand, les noix,
Disait ma mère, allaient avant deux mois
Enrichir mon adolescence.
Peu m’est assez pourtant ; facile à me nourrir,
Je ne suis pas gourmande et tout sert au ménage
Un grain d’orge suffit aux souris de mon âge,
Pour les empêcher de mourir.


« Ne me fais pas mourir ! suis l’exemple d’un sage :
Les souris sans danger visitaient son séjour ;
Car ce sage disait : « De nos ames un jour
« Le sein des animaux peut-être est le passage.
« Tout est possible à Dieu, l’impossible est son bien ;
« Si par lui l’homme est tout, par lui l’homme n’est rien.
« Grâce donc ! criait-il aux hommes en colère,
« Muets pour la clémence et sourds à la prière ;
« Grâce ! oubliez un peu les mots : glaive, trépas
« Régnez sur le plus faible et ne le tuez pas !

« La colombe au cœur tendre, à la plume argentée,
« Peut-être est une amante aux forêts arrêtée
« Par le doux souvenir d’un amour malheureux ;
« On croit le deviner à son chant douloureux.
« Qui sait si la souris n’est pas la jeune fille
« Frappée en folâtrant au sein de sa famille,
« Et qui tombe immobile en courant dans les fleurs :
« Car, pour un peu de miel, que d’absinthe et de pleurs ! »


« Si le sage a dit vrai, tremble d’être inflexible,
Tremble de tourmenter l’ame errante et sensible
D’une sœur qui t’aima, d’une jeune beauté
Qui se plaisait, enfant, sur ton sein agité.


 « Enfin, si ma part de la vie
N’est que le rayon passager
Du jour que mon cachot me dérobe et m’envie,
Ce don si fugitif, daigne le ménager !

Vivre, c’est vivre enfin, et ! e néant m’alarme ;
Cette crainte au méchant coûte au moins une larme ;
Juge de son horreur pour un cœur tout amour,
Et si loin de ta nuit ne m’éteins pas le jour !
Faut-il te dire tout ? je veux devenir mère.
Laisse-moi donc revoir, dans ma douleur amère,
Un ami de mon âge, imprudent comme moi,
Qui pour me délivrer s’élancerait vers toi.
S’il avait de mon sort la triste confidence,
Je lui dirais en vain : Sauvez-vous ! il viendrait :
L’amour au désespoir connaît-il la prudence ?
Il rongerait mes fers, ou bien il me suivrait.


 « J’ai dit l’amour : tu le connais peut-être ?
Béni soit Dieu ! car l’amour est humain.
Oui, je retrouverai la moitié de mon être,
Et je serai libre demain !
Oui, tu sais que l’amour console la nature,
Qu’il jette au prisonnier des rêves gracieux,
Qu’il souffle à son oreille un chant délicieux,

Et que même au coupable il sauve la torture.
Et je suis à genoux… et je tremble… et j’attends…
Homme, pour te fléchir qu’il faut parler long-temps !


« Un jour, que cet aveu m’en obtienne la grâce,
J’avais salué l’aube et ton premier repas,
Lorsqu’un bruit, plus léger que le bruit de mes pas,
M’avertit qu’en secret quelqu’un cherchait ta trace.
Ta voix devint alors plus douce de moitié.
Celle qui répondait me parut suppliante,
Et, si je ne m’abuse, à la tendre pitié
Tu donnas plus d’une heure, ou l’heure était bien lente !
Le bruit cessa, j’entrai ; les débris d’un festin
M’invitaient à la table enfin abandonnée ;
Et sur ma vie un moment fortunée
Je vis pleuvoir les bienfaits du destin.
Dans ces lieux trop aimés qu’à présent je déteste,
J’ai vu, j’ai respecté la boucle de cheveux
Tombés d’un front charmant pour enchaîner tes vœux ;
Ils ne sont pas les tiens, leur couleur me l’atteste.

Ces liens souples et dorés,
Ces doux aveux, ces feuillets roses,
Les rubans embaumés dont ces lettres sont closes,
N’ont pas séduit mes sens de langueur enivrés.
J’ai respiré de loin la cire parfumée
Qui scella, j’en suis sure, un secret qui t’est cher :
Le hasard me l’apprit sans m’en être informée ;
Je courais, j’étais libre… hélas ! c’était hier !


« Tu sommeillais peut-être, et plus vive que sage,
Au pied de ces rideaux, que je baigne de pleurs,
J’aperçus, ne crains pas que je le dise ailleurs,
Un soulier trop petit pour être à ton usage
Je m’y blottis joyeuse et je le fis courir ;
Je traînais en riant cette maison mobile,
Dont les dehors ornés par quelque main habile
M’enflaient d’un peu d’orgueil, et l’orgueil fait mourir.
Car, depuis ce moment, éveillé par la haine,
Tu m’élevas dans l’ombre une affreuse prison.
Innocente souris, pour m’écraser sans peine,
Un homme est descendu jusqu’à la trahison !

Non ! ne m’écrase pas ! et si ma peur te touche,
Que l’accent du pardon s’échappe de ta bouche !
Il est dieu, leur dirai-je, il m’a donné des jours !
Ton toit sera béni, ton nom vivra toujours,
Et toujours de beaux yeux aimeront à le lire.
« Et si jamais ton cœur, brûlé d’un saint délire,
A langui pour la liberté,
Qu’elle se donne à toi dans toute sa beauté !
Que sur ta sereine carrière
Elle épanche à flots purs sa tranquille lumière :
Qu’elle trace à ta vie un facile sentier,
Et te sème de fleurs un siècle tout entier ! »


Elle se tut. Le juge alors : « Hé ! vite !
« Elle est au piège, hâtez-vous d’accourir ;
« Étouffez-la, cette pauvre petite ;
 « Je n’aime pas à voir souffrir. »