Le Livre des mères et des enfants/II/Le premier chagrin d’un enfant

La bibliothèque libre.

LE PREMIER CHAGRIN D’UN ENFANT


Le chagrin t’a touché, mon beau garçon. Tu pleures ;
Ta lèvre tremble ; allons ! te voilà dans nos rangs ;
Tu viens d’apprendre. Oui, nous naissons expirants ;
Oui, la vie est malade avant que tu l’effleures.


Que veux-tu ? tes épis pleins de lait, verts encor,
Pour tes jeunes larcins plus attrayants que l’or,

N’iront pas égayer sous ce treillage vide
Le ramier, de tes dons si tendrement avide.
Tu courais dans ta joie : et puis, un dard moqueur
T’a frappé sous le sein. Pauvre enfant ! c’est le cœur ;
On ne peut te l’ôter ; la vie est là. Des larmes
Baignent à ton insu ta pâleur et tes charmes ;
Tu ne te sauves point dans ton premier effroi :
Ton instinct te t’a dit ; la mort est devant toi.


Oui, le Pylade ailé de ta coureuse enfance,
Doux et muet témoin de tes ébats naïfs,
Qui se laissait aimer ou gronder sans défense,
Qui savait te répondre en murmures plaintifs,
Ton camarade est mort. Cette idole livide
Grave le premier deuil sur la page encore vide
De mémoire vierge. Oh ! que tu souffriras !
Ce que tu dois aimer, oh ! que tu l’aimeras !
Car nul cri ne t’échappe, et d’un muet courage,
Sous ta petite main tu contiens tout l’orage :
Mais je te sens souffrir de ce qui souffre en moi ;

Ce qu’on aime est si triste ainsi gisant et froid.
Nul chagrin n’entrera plus au fond de ton être ;
Nul amour ne sera plus vrai pour toi, peut-être.
Là-bas, dans l’avenir où coulent tes beaux jours,
À ton beau ramier bleu tu penseras toujours :
Et, plus tard, abattu sous les vents du voyage
Seul, au bord d’un sentier dépeuplé, sans fraîcheur,
Sans soleil, et navré de quelque adieu railleur,
Tes yeux retourneront tristes vers l’humble cage
Où t’attendait l’ami par ton souffle éveillé,
Qui, vivant sur ton cœur, ne l’a jamais raillé !
Oui, tu regretteras cet amour sans mélange,
Et tes pleurs innocents où se mire un jeune ange !
Tu diras dans ton sort, plein d’échos du passé,
Par des amis ingrats amèrement blessé :


Oh ! je voudrais, mon Dieu, pleurer de douces larmes,
Comme l’enfant candide et sans haine, l’enfant
Qui pleurait son ramier mort dans ses jeunes charmes ;
Oh ! pleurer comme alors !… qui donc me le défend ?