Le Livre des masques/Paul Adam

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Mercure de France (p. 132-136).


PAUL ADAM


L’auteur du Mystère des Foules fait invinciblement songer à Balzac ; il en a la puissance et aussi la force dispersive. Comme Balzac, mais en bien moindre quantité, il écrivit, très jeune, d’exécrables tomes, où nul n’aurait pu prévoir le génie futur d’une intelligence vraiment cyclique ; La Force du mal n’est pas plus en germe dans le Thé chez Miranda que le Père Goriot dans Jane la Pâle ou le Vicaire des Ardennes. M. Paul Adam est pourtant un précoce, mais il y a des limites à la précocité, surtout chez un écrivain destiné à raconter la vie telle qu’il la voit et telle qu’il la sent. Il faut que l’éducation des sens ait eu le temps de se parachever et que l’expérience ait fortifié l’esprit dans l’art des comparaisons et du choix, de l’association et de la dissociation des idées. Un romancier encore a besoin d’une large érudition et de toutes sortes de notions que l’on n’acquiert solides que lentement, par hasard, par le bon vouloir des choses et la complaisance des événements.

Aujourd’hui, M. Paul Adam est dans tout son rayonnement et à la veille même de la gloire. Chacun de ses gestes, chacun de ses pas le rapproche de la bombarde prête à éclater, et s’il résiste au tremblement du coup de tonnerre, il sera roi et maître. Par cette bombarde, j’entends non la grande foule, mais ce large public, déjà trié une fois, qui, insensible à l’art pur, exige néanmoins que ses émotions romanesques lui soient servies enrobées dans de la vraie littérature, originale, fortement parfumée, de pâte longue savamment pétrie, et de forme assez nouvelle pour surprendre et séduire. Ce fut le public de Balzac ; c’est le public que M. Paul Adam semble en train de reconquérir.

Le roman de mœurs (je laisse en dehors trois ou quatre maîtres que je n’ai pas à juger ici) est tombé plus bas que jamais depuis un siècle et demi qu’il fut importé d’Angleterre. Négligeant l’observation et le style, dépourvus d’imagination, de fantaisie et surtout d’idées, tant générales que particulières, les façonniers qui assument le métier de narrer des histoires ont déconsidéré la fiction au point qu’un homme intelligent, soucieux de loisirs dignes de son intelligence, n’ose plus ouvrir un de ces tomes et que les quais eux-mêmes se révoltent et s’endiguent contre le flot jaune. M. Paul Adam a certainement souffert de cette crise de mépris : des lettrés mal informés ont cru longtemps que ses romans étaient pareils à tous les autres. Ils en sont très différents.

D’abord par le style : M. Paul Adam use d’une langue vigoureuse, serrée, pleine d’images, neuve jusqu’à inaugurer des formes syntaxiques. Par l’observation : son regard aigu pénètre comme un dard de guêpe dans les choses et dans les âmes ; il lit, comme la photographie nouvelle, à travers les chairs et à travers les coffrets. Par l’imagination qui lui permet d’évoquer et de faire vivre les êtres les plus divers, les plus caractéristiques, les plus personnels, il a, comme Balzac, le génie de donner à ses personnages non seulement la vie, mais la personnalité, d’en faire de vrais individus, tous bien doués d’une âme particulière ; dans la Force du Mal, une jeune fille est ainsi posée et si nettement sous nos yeux qu’elle en devient inoubliable ; malheureusement son caractère fléchit à la fin du roman, trop brusquement résumé. Par la fécondité, enfin, fécondité non pas seulement linéaire et d’abattage de sillons, mais d’œuvres dont les moindres sont encore des œuvres.

Il a entrepris deux grandes épopées romanesques que son génie ardent et fier achèvera à l’état de monuments, l’Époque et les Volontés merveilleuses. À lui tout seul il travaille comme une ruche, et au moindre soleil les idées abeilles sortent tumultueuses et se dispersent vers les vastes campagnes de la vie.

Paul Adam est un spectacle magnifique.