Le Livre des masques/Saint-Pol-Roux

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Mercure de France (p. 228-232).



SAINT-POL-ROUX


L’un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d’images et de métaphores. Pour trouver des expressions nouvelles, M. Huysmans matérialise le spirituel et l’intellectuel, ce qui donne à son style une précision un peu lourde et une clarté assez factice : des âmes cariées (comme des dents) et des cœurs lézardés (comme un vieux mur) ; c’est pittoresque et rien de plus. Le procédé inverse est plus conforme au vieux goût des hommes de prêter aux choses de vagues sentiments et une obscure conscience ; il reste fidèle à la tradition panthéiste et animiste, sans laquelle il n’y aurait de possible ni art ni poésie : c’est la profonde source où viennent se remplir toutes les autres, eau pure que le moindre soleil transforme en pierreries vivantes comme les colliers des fées. D’autres « métaphoristes », tel M. Jules Renard, se risquent à chercher l’image soit dans une vision réformatrice, un détail séparé de l’ensemble devenant la chose même, soit dans une transposition et une exagération des métaphores en usage[1] ; enfin, il y a la méthode analogique selon laquelle, sans que nous y coopérions volontairement, se modifie chaque jour la signification des mots usuels. M. Saint-Pol-Roux amalgame tous ces procédés et les fait tous concourir à la fabrication d’images qui, si elles sont toutes nouvelles, ne sont pas toutes belles. On en dresserait un catalogue ou un dictionnaire :


Sage-femme de la lumière veut dire : le coq.
Lendemain de chenille en tenue de bal
papillon.
Péché-qui-tette
enfant naturel.
Quenouille vivante
mouton.
La nageoire des charrues
le soc.
Guêpe au dard de fouet
la diligence.
Mamelle de cristal
une carafe.
Le crabe des mains
main ouverte.
Lettre de faire part
une pie.
Cimetière qui a des ailes
un vol de corbeaux.
Romance pour narine
le parfum des fleurs.
Le ver à soie des cheminées
?
Apprivoiser la mâchoire cariée de bémols d’une tarasque moderne
jouer du piano.
Hargneuse breloque du portail
chien de garde.
Limousine blasphémante.
roulier.
Psalmodier l’alexandrin de bronze
sonner minuit.
Cognac du père Adam
le grand air pur.
L’imagerie qui ne se voit que les yeux clos
les rêves.
L’oméga
en grec πυγή
Feuilles de salade vivante.
les grenouilles.
Les bavardes vertes
les grenouilles.
Coquelicot sonore
chant du coq.


Le plus distrait, ayant lu cette liste jugera que M. Saint-Pol-Roux est doué d’une imagination et d’un mauvais goût également exubérants. Si toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à la file vers les Reposoirs de la Procession où les mène le poète, la lecture d’une telle œuvre serait difficile et le sourire viendrait trop souvent tempérer l’émotion esthétique ; mais semées çà et là, elles ne font que des taches et ne brisent pas toujours l’harmonie de poèmes richement colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte-Anne, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s’y déroulent multiples, mais logiques et liées entre elles : c’est le type et la merveille du poème en prose rythmée et assonnancée. Dans le même tome, le Nocturne dédié à M. Huysmans n’est qu’un vain chapelet d’incohérentes catachrèses : les idées y sont dévorées par une troupe affreuse de bêtes. Mais l’Autopsie de la Vieille fille, malgré une faute de ton, mais Calvaire immémorial, mais l’Âme saisissable sont des chefs-d’œuvre. M. Saint-Pol-Roux joue d’une cithare dont les cordes sont parfois trop tendues : il suffirait d’un tour de clef pour que nos oreilles soient toujours profondément réjouies.



  1. Dire, par exemple, joue en fruit, parce que l’on dit une joue en fleur, pour vermeille. Cf. Alfred Vallette, Notes d’esthétique : Jules Renard (Mercure de France, t. VIII, p. 161).