Le Livre des masques/Saint-Pol-Roux
SAINT-POL-ROUX
L’un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d’images et de métaphores. Pour trouver des expressions nouvelles, M. Huysmans matérialise le spirituel et l’intellectuel, ce qui donne à son style une précision un peu lourde et une clarté assez factice : des âmes cariées (comme des dents) et des cœurs lézardés (comme un vieux mur) ; c’est pittoresque et rien de plus. Le procédé inverse est plus conforme au vieux goût des hommes de prêter aux choses de vagues sentiments et une obscure conscience ; il reste fidèle à la tradition panthéiste et animiste, sans laquelle il n’y aurait de possible ni art ni poésie : c’est la profonde source où viennent se remplir toutes les autres, eau pure que le moindre soleil transforme en pierreries vivantes comme les colliers des fées. D’autres « métaphoristes », tel M. Jules Renard, se risquent à chercher l’image soit dans une vision réformatrice, un détail séparé de l’ensemble devenant la chose même, soit dans une transposition et une exagération des métaphores en usage[1] ; enfin, il y a la méthode analogique selon laquelle, sans que nous y coopérions volontairement, se modifie chaque jour la signification des mots usuels. M. Saint-Pol-Roux amalgame tous ces procédés et les fait tous concourir à la fabrication d’images qui, si elles sont toutes nouvelles, ne sont pas toutes belles. On en dresserait un catalogue ou un dictionnaire :
Sage-femme de la lumière | veut dire : | le coq. |
Lendemain de chenille en tenue de bal | —
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papillon. |
Péché-qui-tette | —
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enfant naturel. |
Quenouille vivante | —
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mouton. |
La nageoire des charrues | —
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le soc. |
Guêpe au dard de fouet | —
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la diligence. |
Mamelle de cristal | —
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une carafe. |
Le crabe des mains | —
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main ouverte. |
Lettre de faire part | —
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une pie. |
Cimetière qui a des ailes | —
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un vol de corbeaux. |
Romance pour narine | —
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le parfum des fleurs. |
Le ver à soie des cheminées | —
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? |
Apprivoiser la mâchoire cariée de bémols d’une tarasque moderne | —
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jouer du piano. |
Hargneuse breloque du portail | —
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chien de garde. |
Limousine blasphémante. | —
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roulier. |
Psalmodier l’alexandrin de bronze | —
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sonner minuit. |
Cognac du père Adam | —
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le grand air pur. |
L’imagerie qui ne se voit que les yeux clos | —
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les rêves. |
L’oméga | —
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en grec πυγή |
Feuilles de salade vivante. | —
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les grenouilles. |
Les bavardes vertes | —
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les grenouilles. |
Coquelicot sonore | —
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chant du coq. |
Le plus distrait, ayant lu cette liste jugera que M. Saint-Pol-Roux est doué d’une imagination et d’un mauvais goût également exubérants. Si toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à la file vers les Reposoirs de la Procession où les mène le poète, la lecture d’une telle œuvre serait difficile et le sourire viendrait trop souvent tempérer l’émotion esthétique ; mais semées çà et là, elles ne font que des taches et ne brisent pas toujours l’harmonie de poèmes richement colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte-Anne, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s’y déroulent multiples, mais logiques et liées entre elles : c’est le type et la merveille du poème en prose rythmée et assonnancée. Dans le même tome, le Nocturne dédié à M. Huysmans n’est qu’un vain chapelet d’incohérentes catachrèses : les idées y sont dévorées par une troupe affreuse de bêtes. Mais l’Autopsie de la Vieille fille, malgré une faute de ton, mais Calvaire immémorial, mais l’Âme saisissable sont des chefs-d’œuvre. M. Saint-Pol-Roux joue d’une cithare dont les cordes sont parfois trop tendues : il suffirait d’un tour de clef pour que nos oreilles soient toujours profondément réjouies.
- ↑ Dire, par exemple, joue en fruit, parce que l’on dit une joue en fleur, pour vermeille. Cf. Alfred Vallette, Notes d’esthétique : Jules Renard (Mercure de France, t. VIII, p. 161).