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Le Livre des merveilles (Hawthorne), première partie/Les Trois Pommes d’Or

La bibliothèque libre.
Traduction par Léonce Rabillon.
L. Hachette (Première partiep. 125-168).


LES
TROIS POMMES D’OR













UN NOUVEL AUDITEUR.


La neige continua de tomber abondamment le lendemain ; mais ce qu’elle devint ensuite, il m’est impossible de l’imaginer. Toujours est-il qu’elle cessa entièrement pendant la nuit ; et le soleil, en se levant, darda des rayons aussi resplendissants sur la pointe blanchie de nos collines de Berkshire qu’en tout autre lieu du monde. Le givre et la glace avaient tellement couvert les vitres des fenêtres, qu’on ne pouvait rien saisir du spectacle de la nature. En attendant le déjeuner, la jeune colonie de Tanglewood avait cependant pratiqué de petites ouvertures avec ses ongles, et elle fut ravie de découvrir que la campagne était aussi blanche qu’un drap. Seulement, çà et là des fragments de rochers, dont la saillie hérissait le dos escarpé de quelques collines, ou la forêt de sapins, dont la teinte sombre se mêlait à l’éclat général, formaient une masse grisâtre. Quel bonheur ! et, pour surcroît de plaisir, il faisait une gelée à couper le bout du nez ! Quand on a assez de vie en soi pour supporter cette température, rien ne relève le moral et ne fait circuler le sang dans les veines comme un froid vif et piquant.

Le déjeuner ne fut pas plus tôt fini que la petite société, bien emmitouflée de fourrures, alla s’ébattre dans la neige. Oh ! quelle bonne journée ! Faire des glissades du haut de la colline dans le fond des vallées ; recommencer cent fois cet exercice, peut-être davantage, et qui sait jusqu’à quelle distance ? s’égayer de mille façons, renverser les traîneaux, faire des culbutes et dégringoler du haut en bas de la colline au moins aussi souvent qu’on parvenait à la descendre : quelles délices ! Une fois Eustache prit avec lui sur son traîneau, sous prétexte de prévenir les accidents, Joli-Bois, Pervenche et Fleur-des-Pois. Les voyez-vous, lancés à toute vitesse ?… Mais voilà qu’à moitié chemin le traîneau heurte contre une vieille souche cachée, et précipite au loin ses quatre voyageurs en un tas ; ils se relevèrent bien vite, et, une fois sur leurs jambes, ils ne virent plus Fleur-des-Pois ! Qu’avait-elle pu devenir ? Mais, tandis qu’ils regardaient autour d’eux avec une vive inquiétude, Fleur-des-Pois surgit d’un monceau de neige, la face toute rouge, faisant l’effet d’une grosse fleur écarlate éclose tout à coup en hiver ; et tout le monde d’éclater de rire !

Les enfants s’étaient fatigués à force de glissades. Eustache leur donna l’idée de creuser une cave dans l’amas de neige le plus considérable qu’ils pourraient trouver. Par malheur, aussitôt l’excavation terminée, la bande introduite et pressée dans la caverne, patatras ! la voûte s’écroule, et tous les enfants sont ensevelis sous l’avalanche ! Quelques minutes après, ces petites têtes sortent les unes après les autres de dessous les ruines, dominées par la taille élancée de l’écolier, dont les décombres avaient poudré les cheveux bruns, ce qui lui donnait un air excessivement respectable. Pour punir le cousin Eustache de leur avoir fait pratiquer une caverne croulante, les enfants fondent sur lui en corps d’armée bien serré, et le lapident si fort à coups de pelotes de neige, qu’il est obligé d’avoir recours à ses jambes.

Il prit la fuite, et s’enfonça dans les bois. De là il se rendit au bord de Shadow-Brook, où il put entendre le murmure du ruisseau, coulant sous les glaçons et le givre qui lui interceptaient la lumière du jour, et qui suspendaient autour de ses petites cascades une multitude de cristaux scintillants. Puis il poursuivit sa course tantôt en gambadant, tantôt en flânant, jusqu’aux rives du lac, et resta en contemplation devant une nappe blanche, vierge de tout pas humain, s’étendant depuis l’endroit où il se tenait jusqu’au pied de Monument-Mountain. C’était à peu près au moment où le soleil va se coucher. Eustache pensa qu’il n’avait jamais vu de spectacle si pur et si beau. Il se trouvait heureux que les enfants ne l’eussent pas accompagné ; car leur pétulance et leur amour de culbutes n’auraient pas manqué de troubler chez lui des idées d’un ordre bien autrement élevé. Il aurait tout bonnement gagné à cela un peu de gaieté (comme il en avait déjà eu depuis le commencement de la journée), et n’aurait pas été témoin intelligent de la beauté d’un coucher de soleil d’hiver au milieu des collines.

Il faisait déjà sombre. Notre ami Eustache revint à la maison pour l’heure du souper. En sortant de table, il se retira dans son cabinet de travail, avec le projet, j’en suis sûr, d’écrire une ode, deux ou trois sonnets, ou des strophes quelconques, pour chanter les nuages d’or et de pourpre qu’il avait vus entourant le trône de l’astre du jour. Mais, avant qu’il eût chevillé la première rime, sa porte s’ouvrit et Primerose entra avec Pervenche.

« Enfants, allez-vous-en ! Il ne faut pas me déranger dans ce moment, s’écria l’écolier en les regardant par-dessus son épaule, et la plume à la main. Que pouvez-vous avoir à me demander ? Je vous croyais tous couchés !

— Écoute-le donc, Pervenche ! dit Primerose, en essayant de s’exprimer comme une personne sérieuse. Il semble oublier que j’ai maintenant treize ans, et que je veille presque aussi tard que je veux. Mais, mon cousin Eustache, il faut que vous rengainiez vos grands airs, et que vous veniez avec nous au salon. Les enfants ont tellement causé de vos histoires, que mon père désire en entendre une, pour s’assurer qu’elles ne peuvent faire aucun mal.

— Bah ! bah ! Primerose, dit l’écolier un tant soit peu piqué, je ne me crois pas capable de raconter une de mes histoires en présence de grandes personnes. Après cela, votre père est un savant, un classique. Ce n’est pas que j’aie peur de son érudition non plus ; car je ne doute point qu’elle ne soit aujourd’hui rouillée comme un vieux couteau renfermé dans sa boîte. Certainement il ne manquera pas de critiquer les admirables folies que j’introduis dans des récits de mon invention à moi, et qui font le charme de ces contes pour des enfants comme vous, Aucun homme de cinquante ans, encore imbu de ses premières lectures sur les mystères des Grecs et des Romains, n’est à même de comprendre mon mérite comme rénovateur du genre.

— Tout cela peut être vrai, dit Primerose, mais il faut que vous veniez ! Mon père ne veut pas ouvrir son livre, ni ma mère son piano, que vous ne leur ayez débité quelques-unes de vos folies, comme vous avez l’extrême bon sens de les qualifier. Ainsi donc, soyez sage et venez. »

Quoi qu’il pût dire, l’écolier était plutôt satisfait que mécontent de cette occasion de prouver à M. Pringle le talent avec lequel il savait moderniser les fables des anciens. Jusqu’à vingt ans, un jeune homme rougira de timidité en exhibant sa prose ou sa poésie ; mais il pensera volontiers que ses productions, une fois mises au jour, ne manqueront pas de le placer au sommet de l’Hélicon. Aussi, sans se faire trop tirer l’oreille, Eustache se laissa-t-il entraîner au salon par Primerose et Pervenche.

Figurez-vous une vaste et belle pièce, avec une fenêtre semi-circulaire, dans le cintre de laquelle on voyait une copie en marbre de l’Ange et l’Enfant par Greenough[1]. Quelques rayons chargés de livres à reliures sévères, mais riches, étaient fixés à un des côtés du mur, près de la cheminée. La lumière blanche d’une lampe astrale, le reflet rouge et brillant d’un feu de charbon de terre, donnaient à la chambre un aspect animé ; devant le foyer, enfoncé dans un large fauteuil, se trouvait M. Pringle, qui semblait fait pour la chambre et le fauteuil où il était alors. Qu’on s’imagine un homme d’une taille élevée, distingué dans ses traits et dans ses manières, le front chauve, et toujours d’une mise tellement irréprochable, qu’Eustache Bright ne se présentait jamais sans s’être arrêté préalablement au seuil de la porte pour redresser son col de chemise. Mais maintenant que Primerose s’était accrochée à l’une de ses mains, et Pervenche à l’autre, il fut forcé d’exécuter son entrée d’un air maladroit et gauche, comme s’il eût été sur le point de trébucher dans un monceau de neige.

M. Pringle se tourna du côté de notre ami avec un visage assez bienveillant, mais qui néanmoins lui fit sentir combien il avait besoin de se peigner et de se brosser, et en même temps de donner un coup de peigne et un coup de brosse à son esprit et à ses idées.

« Eustache, dit M. Pringle en souriant, j’apprends que vous produisez une grande sensation parmi le jeune public de Tanglewood, par votre talent à raconter des histoires. Primerose que voici, comme ces petits bonshommes l’appellent, ne tarit pas, non plus que les autres enfants, sur la beauté de vos contes ; tellement que mistress Pringle et moi nous sommes curieux d’en avoir un échantillon. Je prendrais d’autant plus de plaisir à vous entendre, qu’il paraît que vous essayez dans vos récits de revêtir les fables classiques de l’antiquité d’une forme empruntée au style capricieux et sentimental de l’idiome moderne. C’est au moins ce que j’ai cru entrevoir par quelques incidents qui me sont venus indirectement aux oreilles.

— Vous n’êtes pas, monsieur, l’auditeur que j’aurais précisément choisi pour écouter de pareilles fantaisies, répondit Eustache.

— C’est possible. Je crois cependant que, si un jeune auteur veut, d’une manière profitable, donner lecture de ses premiers ouvrages à quelqu’un, c’est à un critique qu’il doit s’adresser avant tout. Je vous en prie donc, ayez l’obligeance de nous initier à vos compositions.

— Il me semble que la bienveillance doit avoir une petite part dans la critique, murmura Eustache Bright. Cependant, monsieur, trouvez de la patience pour m’écouter, et moi je trouverai des histoires à raconter. Mais soyez assez bon pour vous souvenir que je m’adresse à l’imagination sympathique des enfants, et non pas à la vôtre. »

En conséquence, l’écolier s’attacha au premier sujet qui se présenta à son esprit. Ce sujet lui fut suggéré par une assiette de pommes qu’il aperçut par hasard sur la cheminée.





LES

TROIS POMMES D’OR




Avez-vous jamais entendu parler des pommes d’or qui poussaient dans le jardin des Hespérides ? Ah ! ce sont des pommes qui se vendraient bien cher le boisseau, si l’on pouvait en trouver aujourd’hui de pareilles dans nos vergers. Mais il n’existe pas, sur la terre entière, un seul arbre où l’on puisse prendre une seule greffe, de ce fruit merveilleux, et l’on ne pourrait se procurer un seul pépin de ces précieuses pommes.

Même à une époque qui est déjà bien ancienne, avant que le jardin des Hespérides fût envahi par les ronces, beaucoup de gens doutaient qu’il pût y exister de vrais arbres aux branches desquels fussent attachés des fruits d’or. Tout le monde le savait par ouï-dire, mais personne n’avait souvenance d’en avoir jamais vu. Les enfants, néanmoins, étaient habitués à écouter, bouche béante, les récits qu’on faisait de ce pommier extraordinaire, et prenaient la résolution d’aller à sa découverte aussitôt qu’ils seraient grands. Maints jeunes gens aventureux, et désirant faire une action d’éclat qui les rendît célèbres, se mirent en route, à la recherche de la merveille ; mais on ne les revit jamais, et aucun d’eux ne rapporta une seule de ces pommes d’or. Il ne faut pas s’en étonner : on dit que l’arbre était gardé par un dragon à cent têtes, dont cinquante étaient toujours au guet, pendant que les autres sommeillaient.

Suivant moi, une pomme d’or ne valait pas la peine que l’on affrontât de si grands dangers. Si ces pommes avaient été douces, tendres, savoureuses, c’eût été une autre affaire. Il y aurait eu quelque bon sens à en tenter la conquête, malgré le dragon à cent têtes.

Comme je vous l’ai déjà fait remarquer, il n’était pas rare de voir des jeunes gens, ennuyés chez eux de trop de calme et de repos, aller à la découverte du jardin des Hespérides. Une fois, l’aventure fut entreprise par un héros qui n’avait jamais eu de tranquillité depuis le jour de sa naissance. À l’époque dont nous parlons, il errait en Italie avec une énorme massue à la main, un arc et un carquois sur les épaules. Il était revêtu d’une peau de lion


Pouvez-vous m’indiquer le jardin des Hespérides ? (Les trois pommes d’or.)

(le lion le plus gros et le plus féroce qui eût jamais existé, et qu’il avait tué lui-même). Bien qu’il eût un air doux et bienveillant, il y avait dans son cœur une fierté et une force surnaturelles. En parcourant sa route, il s’enquérait continuellement de la situation du fameux jardin. Nul ne pouvait lui donner de renseignements, et bien des personnes auraient été assez disposées à rire d’une telle question, si l’étranger n’avait pas eu un aussi gros bâton, c’est-à-dire une massue.

Il allait toujours s’informant du chemin qu’il fallait suivre, quand il arriva sur le bord d’une rivière où étaient assises de belles jeunes filles occupées à tresser des couronnes de fleurs, et auxquelles il adressa la parole en ces termes :

« Pouvez-vous m’indiquer, s’il vous plaît, le chemin qui conduit au jardin des Hespérides ? »

Ces jeunes filles avaient déjà passé un certain temps à faire des guirlandes et à s’en orner mutuellement la tête. Il y avait dans leurs doigts une sorte de délicatesse magique qui ajoutait aux fleurs une fraîcheur délicieuse, des nuances plus brillantes et des parfums plus pénétrants. Mais, à la question du voyageur, elles laissèrent tomber toutes leurs fleurs sur le gazon, et le contemplèrent avec étonnement.

« Le jardin des Hespérides ! s’écria l’une d’elles. Nous croyions que les mortels s’étaient lassés de le chercher, après avoir éprouvé tant de désappointements à cet égard. Mais, aventureux voyageur, dans quel but voulez-vous y aller ?

— Un certain roi, mon cousin, m’a donné l’ordre de lui procurer trois pommes d’or.

— La plupart de ceux qui vont à la recherche de ces pommes, dit une autre beauté, désirent les obtenir pour eux-mêmes ou pour les offrir en présent à l’objet de leur amour. Avez-vous donc pour ce roi, votre cousin, une affection si vive ?

— Hélas ! répondit-il avec un soupir, il a souvent été sévère et cruel envers moi ; mais il est dans ma destinée de lui obéir.

— Et savez-vous, demanda celle qui avait parlé la première, qu’un terrible dragon à cent têtes monte continuellement la garde sous le pommier aux fruits d’or ?

— Oui, je le sais, répliqua-t-il avec calme. Mais depuis mon enfance j’ai eu continuellement affaire aux serpents et aux dragons. »

Les jeunes filles jetèrent un regard sur la peau de lion qui l’entourait, sur sa figure et ses membres tout empreints d’héroïsme ; puis elles se dirent tout bas que l’étranger paraissait bien capable d’accomplir des exploits beaucoup plus éclatants que le reste des humains. Oui ; mais le dragon aux cent têtes ! Quel mortel, eût-il cent existences, serait assez fort pour échapper aux terribles étreintes d’un pareil monstre ? Elles avaient le cœur si tendre, qu’elles frémissaient à l’idée de voir ce beau jeune homme si généreux s’exposer à de tels dangers, et se dévouer au supplice certain de servir de pâture aux cent gueules voraces du dragon.

« Retournez sur vos pas, s’écrièrent-elles ; retournez dans votre patrie ! Si vous revenez sain et sauf, votre mère versera des larmes de joie. En ferait-elle davantage après un si grand triomphe ? Qu’importent les pommes d’or ? Qu’importe ce roi, votre cruel cousin ? Nous, nous ne voulons pas que vous soyez dévoré par le dragon aux cent têtes ! »

Mais il semblait écouter avec impatience leurs bienveillants avis. Il leva, sans y faire attention, sa puissante massue, et la laissa retomber à ses pieds sur un rocher à demi enseveli dans la terre. Ébranlé par ce coup donné avec insouciance, le rocher fut réduit en poussière. Il n’en coûta pas à l’étranger plus d’effort pour exécuter cet acte de géant, qu’il n’en fallait à l’une des jeunes filles pour effleurer d’une rose le satin des joues de sa compagne.

« Ne pensez-vous pas, dit-il, qu’un tel choc aurait écrasé une des cent têtes du dragon ? »

Puis il s’assit, sur le gazon, et leur raconta l’histoire de sa vie, depuis le jour où il s’était vu bercer dans le bouclier d’airain d’un guerrier. Un matin qu’il y reposait, deux immenses serpents se glissèrent à ses côtés, et ouvrirent leurs hideuses mâchoires pour l’avaler. Lui, nourrisson de quelques mois, avait pressé les reptiles chacun dans une de ses petites mains et les avait étranglés tous les deux. À peine adolescent, il avait tué un lion presque aussi gros que celui dont il portait la peau. Il avait ensuite livré bataille à un horrible monstre nommé l’hydre de Lerne, qui avait au moins neuf têtes, avec autant de gueules toutes remplies de dents excessivement aiguës.

« Mais le dragon des Hespérides a cent têtes, s’écria l’une des jeunes filles.

— Peu m’importe, répliqua le héros ; j’aimerais autant combattre deux de ces dragons qu’une seule hydre : car, malgré ma promptitude, aussitôt que j’avais coupé l’une de ses neuf têtes, elle était remplacée par deux autres. En outre, il y en avait une à laquelle on ne pouvait parvenir à donner la mort, et qui continuait à mordre avec le même acharnement, longtemps après avoir été tranchée. Aussi fus-je forcé de l’enterrer sous une pierre, où elle est encore en vie à l’heure où nous parlons. Quant à l’hydre elle-même et à ses huit autres têtes, elles ne feront plus jamais aucun mal. »

Le cercle gracieux qui l’écoutait, sentant que l’histoire devait probablement se prolonger, avait préparé une collation de pain et de grappes de raisin, afin que le narrateur pût se rafraîchir dans les intervalles de ses récits. Elles prenaient plaisir à lui servir ce simple repas ; de temps en temps, l’une d’elles portait à ses lèvres de pourpre une grappe parfumée, de peur qu’il n’eût honte de manger tout seul.

Le hardi voyageur poursuivit, en leur disant qu’il avait chassé un cerf d’une légèreté extraordinaire, pendant toute une année, sans s’arrêter un instant ; qu’enfin, l’ayant saisi par les cornes, il avait pu le prendre vivant. Plus tard, après une série de combats livrés à un peuple d’une race très-ancienne, moitié hommes et moitié chevaux, il avait réussi à l’exterminer tout entière ; mû, en cette circonstance, par le sentiment d’un devoir à remplir, il avait voulu délivrer le monde de cette ignoble race ; il finit par se vanter avec orgueil d’avoir balayé une écurie.

« Est-ce là une action bien glorieuse ? interrompit une des jeunes filles en laissant percer un sourire. Le moindre paysan en fait autant chaque jour dans nos campagnes.

— S’il se fût agi d’un travail ordinaire, répliqua-t-il, je n’en aurais pas parlé. Mais c’était une tâche si gigantesque, que j’y aurais passé mon existence, sans l’idée qui me fut inspirée de détourner le cours d’une rivière et de l’obliger à traverser l’écurie, ce qui termina l’affaire en un clin d’œil. »

S’apercevant de l’intérêt qu’il venait d’exciter, il raconta encore comment il avait tué, à coups de flèches, de monstrueux oiseaux ; comment il avait abattu et rendu à la liberté un taureau sauvage, dompté un grand nombre de chevaux pris dans les bois, et vaincu Hippolyte, la reine guerrière des Amazones. Il ajouta qu’ayant enlevé à cette princesse sa ceinture enchantée, il l’avais offerte en présent, à la fille du roi, son cousin.

« Était-ce la ceinture de Vénus, demanda la plus jolie dû groupe, cette ceinture qui donne la beauté à celle qui la possède ?

— Non, répondit-il. Elle avait autrefois servi de ceinturon à Mars, et ne peut qu’inspirer à celui qui la porte le courage et l’intrépidité.

— Un vieux ceinturon ! s’écria la dédaigneuse en secouant la tête. Je ne tiendrais pas à le posséder.

— Vous avez raison, » dit l’inconnu.

Tout en continuant ses récits, il parla d’une aventure des plus surprenantes, qui lui était arrivée dans sa lutte corps à corps avec Géryon, l’homme aux six jambes, qui était un monstre effrayant et bizarre. Quiconque eût suivi la trace de ses pas imprimés dans le sable ou dans la neige eût supposé que c’étaient les pas de trois compagnons de voyage. Au bruit de son approche, il eût paru naturel d’affirmer que c’étaient plusieurs personnes marchant ensemble. Et c’était tout simplement Géryon, l’homme aux six jambes, qui cheminait tout seul.

Six jambes et un corps gigantesque ! Oh ! mon Dieu, quel monstre étrange cela devait être, et surtout quelle consommation de chaussures !

L’étranger, ayant terminé l’énumération de ses exploits, regarda son auditoire attentif.

« Peut-être avez-vous quelquefois entendu parler de moi ? ajouta-t-il avec modestie. Je m’appelle Hercule !

— Nous l’avions deviné, s’écria d’une seule voix l’élégante assemblée, car votre réputation est répandue dans le monde entier. Nous ne nous, étonnons plus maintenant que vous entrepreniez d’aller à la recherche du jardin des Hespérides. Venez, mes sœurs, et déposons nos couronnes sur la tête du héros. »

Elles couvrirent de guirlandes ce front majestueux et ces puissantes épaules, de manière que sa peau de lion disparut entièrement. Elles s’emparèrent de sa pesante massue, et l’entourèrent des plantes les plus rares et les plus parfumées, jusqu’à cacher complètement l’écorce de l’arme gigantesque. C’était comme une immense pyramide de fleurs. Puis elles se prirent par la main et dansèrent en rond autour de lui, chantant des mots dont l’ensemble prit un rhythme poétique, et forma un chœur harmonieux en l’honneur du glorieux Hercule.

Celui-ci sentit son cœur rempli de joie, comme il serait arrivé à tout homme célèbre, en voyant que des femmes charmantes n’ignoraient pas les hauts faits qu’il avait accomplis au prix de tant de travaux et de périls. Mais il avait encore de l’ambition : il ne pouvait s’imaginer que ce qu’il avait déjà exécuté fût digne de si grands hommages, quand il restait à entreprendre bien d’autres expéditions hardies ou difficiles.

« Aimables beautés, ajouta-t-il au moment où il les vit reprendre haleine, maintenant que vous savez mon nom, serez-vous assez obligeantes pour me dire comment je puis parvenir au jardin des Hespérides ?

— Voulez-vous donc partir sitôt ? s’écrièrent-elles ; vous qui vous êtes illustré par de si grandes actions, vous qui avez traversé une vie si laborieuse ! Ne consentirez-vous pas à jouir d’un peu de repos, sur les bords paisibles de cette rivière ? »

Hercule secoua la tête.

« Il faut que je parte, reprit-il.

— Dans ce cas, nous allons vous donner les renseignements que vous désirez. Il faut aller jusqu’au bord de la mer, découvrir le Vieillard, et le forcer à vous enseigner où l’on peut trouver les pommes d’or.

— Le Vieillard ! répéta Hercule en souriant ; de qui parlez-vous donc ?

— Du Vieux de la mer, vous savez bien ? répondit une des voix les plus douces. Il est père de cinquante filles qui passent pour belles ; mais nous ne pensons pas qu’il soit bon que vous fassiez leur connaissance, parce qu’elles ont des cheveux verts comme les flots, et une espèce de queue de poisson. Il faut que vous parliez au Vieux de la mer. C’est un homme familiarisé avec toutes les affaires de l’Océan, et qui peut vous dire tout ce qui regarde les Hespérides ; car leur jardin est situé dans une île qu’il a l’habitude de fréquenter »

Hercule leur demanda par quels moyens il arriverait près du Vieillard. Quand ses gracieuses conseillères lui eurent fourni les renseignements dont il avait besoin, il les remercia de leur complaisance, des fleurs, du pain et des raisins qu’elles lui avaient prodigués, ainsi que des danses et des chants dont elles l’avaient honoré ; il leur exprima surtout sa reconnaissance pour lui avoir indiqué son chemin, et il se remit immédiatement en marche.

Cependant, il n’était pas encore hors de la portée de la voix, qu’une des jeunes filles le rappela.

« Tenez le Vieux bien ferme quand vous vous serez emparé de sa personne ! cria-t-elle en souriant et en levant le doigt pour rendre sa recommandation plus expressive. Ne vous étonnez de rien. Seulement tenez-le bien, et il vous révélera tout ce que vous voulez savoir. »

Le héros la remercia de nouveau, et poursuivit sa route pendant que les jeunes filles se remettaient à leur travail. Il fut pour elles un sujet de conversation longtemps encore après son départ.

« Nous allons préparer les guirlandes les plus brillantes, disaient-elles y pour le couronner à son retour, quand il aura conquis les trois pommes d’or et abattu le dragon aux cent têtes. »

Pendant ce temps-là, Hercule marchait sans relâche, par monts et par vaux, et à travers les forêts les plus solitaires. Parfois il lui arrivait de brandir sa massue et de fendre un chêne centenaire d’un seul coup. Son esprit était si plein de géants et de monstres fatalement condamnés à être combattus par lui, que peut-être prenait-il ce chêne pour un monstre ou pour un géant. Il était si pressé de parvenir au terme de son voyage, qu’il commença à regretter d’avoir passé de longues heures au milieu d’un cercle de jeunes filles, perdant de précieux instants à raconter ses aventures. Mais il en est toujours ainsi des personnes destinées à accomplir de grandes choses. Ce qu’elles ont déjà exécuté est moins que rien à leurs yeux ; la dernière entreprise leur paraît toujours la seule qui mérite leurs efforts et le sacrifice même de leur vie.

Si on l’avait aperçu traversant les bois, on eût été épouvanté des coups dont il renversait les arbres. D’un seul tour de bras il en broyait le tronc comme


Il avait les jambes et les bras recouverts d’écailles. (Les trois pommes d’or.)

aurait fait la foudre, et faisait craquer les branches, qu’il éparpillait sur le sol.

Hâtant de plus en plus sa marche, sans se reposer une seule minute et sans se retourner, il finit, par entendre à quelque distance le mugissement de la mer. À ce bruit il redoubla de vitesse, et arriva bientôt à une plage où de grandes vagues, se précipitant les unes sur les autres, venaient rouler sur le sable en une longue bande d’écume aussi blanche que la neige. À l’une des extrémités de la baie se trouvait un petit espace d’un charme particulier, d’où certaines plantes s’élançaient sur une falaise qu’elles semblaient revêtir d’un manteau splendide. Un tapis de verdure émaillé de trèfle aromatique s’étendait du pied de la falaise au lit de la mer. Était-ce là, entre nous, qu’Hercule devait s’attendre à trouver un vieillard endormi ?

Mais d’abord, était-ce bien un vieillard ? Au premier coup d’œil il en avait toute l’apparence ; et pourtant, après avoir regardé de plus près, on croyait voir l’une de ces créatures habituées à vivre au fond de la mer. En effet, il avait les jambes et les bras recouverts d’écailles de poisson ; ses mains et ses pieds étaient palmés comme les pattes du canard ; sa longue barbe d’une teinte verdâtre, avait plutôt la forme d’une touffe d’algues marines que d’une barbe ordinaire. Avez-vous vu quelquefois Un morceau de bois longtemps ballotté par les vagues, tout garni d’une sorte de mousse aquatique ? lorsqu’il est amené sur le sable, vous diriez qu’il vient d’être rejeté du plus profond de la mer. Eh bien, ce vieil habitant de l’empire humide vous aurait rappelé exactement le bâton livré pendant longtemps aux caprices des flots ! Mais Hercule, aussitôt qu’il eut vu cette forme étrange, jugea que ce ne pouvait être que le vieillard de qui il allait apprendre son chemin.

En effet, c’était bien le Vieux de la mer annoncé par les jeunes filles. Remerciant les astres protecteurs de le lui avoir fait découvrir pendant son sommeil, Hercule se glissa vers lui sur la pointe des pieds, et le saisit par le bras et par la jambe.

« Dis-moi, cria-t-il avant que le Vieux fût complètement éveillé, quel est le chemin du jardin des Hespérides ? »

Comme vous pouvez facilement vous l’imaginer, le Vieux de la mer se releva en sursaut. Mais sa surprise put à peine égaler celle d’Hercule, lorsque le Vieillard voulant échapper à l’étreinte vigoureuse qui le retenait, Hercule se trouva serrer dans ses mains le pied de derrière et le pied de devant d’un cerf magnifique. Il tint bon, le cerf disparut ; à sa place était un oiseau de mer, se débattant et criant, l’aile et la patte fortement enchaînés. L’oiseau ne put pas davantage recouvrer la liberté, et se transforma en un horrible chien à trois têtes, qui se mit à grogner et à aboyer, en cherchant à déchirer les mains d’Hercule. Celui-ci ne le lâcha pas, et l’instant d’après, au lieu d’un chien à trois têtes, apparut Géryon, homme aux six jambes, lançant des ruades des cinq jambes qu’il avait libres, afin de dégager la sixième ! Mais le valeureux lutteur ne cédait toujours point. Peu à peu Géryon disparut, et fut remplacé par un énorme serpent, semblable à ceux que le noble enfant avait étranglés dans son berceau ; seulement c’était un serpent cent fois plus gros : il se tordait, s’enroulait autour du corps et du cou du héros, fouettait l’air de sa queue, et ouvrait une mâchoire épouvantable, comme pour l’avaler d’une seule bouchée. C’était vraiment un spectacle effrayant ! Mais Hercule ne se découragea pas une seconde, et serra si fortement le serpent entre ses doigts, que le monstre se mit à siffler de douleur.

Vous avez dû comprendre que le Vieux de la mer, malgré sa ressemblance avec la figure que les proues de navires offrent à l’écume jaillissante qu’ils sillonnent, avait la puissance de prendre la forme qu’il voulait. Au moment où il se trouva si rudement terrassé par Hercule, il avait compté sur la surprise et l’horreur que devaient lui inspirer ces métamorphoses successives, pour échapper à l’étreinte du héros. Si Hercule avait fléchi un instant, le Vieux en aurait certainement profité pour plonger dans la mer, d’où il ne se serait pas donné la peine de remonter pour répondre aux questions d’un étranger. Quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent auraient eu la tête bouleversée à la première de ces horribles métamorphoses, et auraient pris leurs jambes à leur cou sans hésiter : car une des difficultés les plus grandes de ce monde, c’est de distinguer les dangers réels des dangers imaginaires.

Comme Hercule serrait toujours avec une ténacité invincible, et ne faisait qu’étreindre le monstre plus vigoureusement à mesure qu’il changeait d’aspect, en lui infligeant des tortures de plus en plus douloureuses, il le vit enfin reparaître sous sa forme naturelle. Le voilà donc reprenant ses nageoires, ses écailles, ses pieds palmés, et sa barbe touffue d’herbes marines.

« Que me veux-tu ? s’écria-t-il aussitôt qu’il eut repris haleine ; car c’est une chose assez fatigante que de passer par de si nombreuses transformations. Pourquoi me serres-tu si fort ? Lâche-moi tout de suite, ou je te prendrai pour une personne extrêmement mal élevée.

— Sache donc que mon nom est Hercule ! répliqua le génie de la force en faisant retentir le rivage de sa voix formidable ; et songe que tu ne sortiras de ces mains qui te tenaillent qu’après m’avoir dit quel est le chemin le plus court pour aller au jardin des Hespérides ! »

À ces mots prononcés par celui même qui le maîtrisait, le vieux monstre vit, en ouvrant la moitié d’un œil, qu’il était indispensable de répondre catégoriquement. Le Vieux était un habitant de la mer, vous devez, vous en souvenir, qui errait sans cesse, comme les autres habitants de l’élément liquide. Il n’avait pas manqué d’entendre parler d’Hercule, et des merveilleuses actions qu’il ne cessait d’accomplir dans les différentes parties de la terre, Il savait en outre qu’il était déterminé à exécuter tout ce qu’il entreprenait. Aussi ne fit-il plus de tentative pour s’échapper, et s’empressa-t-il de révéler à ce triomphateur universelle le chemin du jardin des Hespérides, en l’avertissant des nombreux obstacles qu’il aurait à surmonter avant d’y parvenir.

« Il faut, dit le Vieux de la mer, après avoir examiné tous les points de l’horizon, suivre telle route jusqu’à ce que vous arriviez en vue d’un énorme géant qui soutient le ciel sur ses épaules. S’il est par hasard de bonne humeur, ce géant vous apprendra la situation exacte du jardin que vous cherchez.

— Mais s’il n’est pas de bonne humeur, fit observer Hercule, en tenant sa massue en équilibre sur le bout de son doigt, peut-être y aura-t-il moyen de le faire changer d’idée. »

Après mille remercîments au Vieux de la mer, et mille excuses pour l’avoir passablement rudoyé, le héros se remit en route ; il lui survint un grand nombre d’aventures plus étranges les unes que les autres, qui mériteraient votre attention, si j’avais le loisir de vous les rapporter avec autant de détails qu’il le faudrait.

Ce fut dans ce trajet, si je ne me trompe qu’il rencontra un autre géant doué par la nature de la singulière puissance de décupler sa force toutes les fois que son corps touchait la terre. Il s’appelait Antée. Vous devez voir assez clairement que ce n’était pas une petite tâche que d’attaquer un pareil drôle ; car, à chaque croc-en-jambe qu’il recevait, il se relevait dix fois plus robuste et dix fois plus capable d’user de sa vigueur que si son ennemi l’eût laissé tranquille. Plus Hercule lui assénait de coups de massue, plus il paraissait lui-même perdre de chances dans la lutte. J’ai souvent controversé avec des gens pareils, mais jamais combattu. Il ne restait plus à son adversaire qu’un seul moyen ; il l’employa : ce fut de soulever Antée et de le serrer dans ses bras jusqu’à lui faire rendre le dernier soupir.

Après cette rude épreuve, Hercule continua sa course et débarqua en Égypte, où il fut fait prisonnier. Il aurait été mis à mort s’il n’avait tué le roi et brisé ses fers. Ayant franchi les déserts de l’Afrique et marché aussi rapidement que possible, il parvint enfin aux rives du grand Océan ; et là, à moins de poursuivre sa route sur la crête des vagues, il semblait qu’il eût atteint le terme de son voyage.

Devant lui, rien que le tumulte et l’immensité, des ondes. Tout à coup, en tournant les yeux vers l’horizon, il aperçut, à une grande distance, un objet qui ne l’avait pas frappé quelques instants auparavant. Cet objet répandait un éclat presque égal à celui du soleil au moment où il se lève. Il semblait s’approcher de plus en plus ; car, à chaque minute il apparaissait plus lumineux. Bientôt il fut si près, qu’Hercule reconnut distinctement que c’était une coupe immense d’or ou de cuivre bruni. Comment cette coupe flottait-elle sur la mer ?… Je ne saurais trop vous le dire. En tout cas, elle était là, roulant sur les flots tumultueux, ballottée dans tous les sens, battue par des montagnes d’écume, mais sans jamais disparaître.

« J’ai vu bien des géants dans ma vie, pensa Hercule, mais aucun qui eût l’idée de boire son vin dans une coupe de pareille dimension ! »

Et certes, pour une coupe, elle eût été bien vaste, si vaste que je suis vraiment effrayé des proportions que j’ai à vous dire. Bref, pour ne pas exagérer, elle était dix fois plus large qu’une grande roue de moulin ; et, bien que toute en métal, elle flottait sur les vagues écumantes plus légèrement que la cupule d’un gland sur l’onde paisible d’un ruisseau. En voguant elle vint effleurer le rivage, à peu de distance de l’endroit où Hercule était alors.

Il comprit immédiatement ce qu’il avait à faire, car il n’avait pas traversé tant d’événements remarquables sans apprendre à se conduire dans toutes les circonstances, même en dehors de la règle commune. Il était clair comme le jour que cette coupe merveilleuse avait été jetée sur les flots par une puissance invisible, et poussée dans cette direction pour le transporter au jardin des Hespérides. En conséquence, sans perdre un instant, il enjamba les bords de la coupe et se laissa glisser au fond, où, étendant sa peau de lion, il se disposa à prendre un peu de repos ; il en avait, à peine eu le temps depuis qu’il avait adressé ses adieux aux jeunes filles. Les vagues battaient les flancs de ce nouvel esquif, dont elles tiraient des sons agréables. Elles le berçaient si doucement que notre héros, cédant à cette douce influence, ne tarda pas à s’endormir profondément.

Il est probable qu’il dormait depuis longtemps, lorsque la coupe se heurta aux flancs d’un rocher, ce qui la fit résonner avec cent fois plus de bruit que n’en fit jamais la plus grosse cloche d’église. Hercule, aussitôt réveillé, se mit à regarder autour de lui pour savoir où il se trouvait. Il reconnut bientôt que la coupe avait fait une longue navigation et était près d’aborder à une terre qu’il jugea devoir être une île. Et sur cette île, devinez ce qu’il y avait.

Je vous le donne en cinquante mille et vous ne le devinerez pas. Jamais notre voyageur n’avait contemplé rien d’aussi extraordinaire dans ses expéditions aventureuses, quelles que fussent les merveilles qu’elles lui avaient offertes. C’était encore plus prodigieux que l’hydre aux têtes renaissantes, plus étonnant que l’homme aux six jambes, plus fort qu’Antée, plus incroyable que tout ce qui fut jamais vu par personne et que tout ce qui reste à voir aux explorateurs. C’était un géant !

Mais quel immense géant ! aussi haut qu’une montagne, et si énorme, que les nuages lui faisaient une ceinture, formaient autour de son menton une barbe vaporeuse, et, flottant devant ses larges paupières, l’empêchaient de voir Hercule. Mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus incroyable, c’est qu’il dressait en l’air ses deux mains immenses, et qu’Hercule put distinguer, à travers les nuages, que le ciel reposait sur sa tête. Ceci est vraiment trop fort pour notre intelligence.

Cependant la coupe flottait toujours et s’approchait de la terre. La brise vint justement alors dissiper les nuages qui voilaient la figure du géant, et notre héros put contempler ses traits. Des yeux aussi larges que le lac de la vallée, un nez et une bouche de plus d’une demi-lieue de longueur ; c’était une apparition à vous remplir d’épouvante : mais l’abattement et la fatigue se peignaient sur ce vaste visage, comme de nos jours sur la figure de certaines gens qui succombent sous le poids écrasant des affaires. Le ciel était à cet immense géant ce que les soucis de la terre sont à ceux qui s’en laissent surcharger : car, toutes les fois que les hommes font des entreprises au-dessus de leurs forces, ils doivent s’attendre précisément au sort de cet infortuné.

Pauvre géant ! Il y avait sans doute bien des années, qu’il était dans cette situation. Une antique forêt avait eu le temps : de croître et de se détruire depuis lors. Des chênes de six ou sept cents ans s’étaient reproduits de graine, et s’étaient frayé un passage entre les doigts de ses pieds.

Il abaissa ses regards des hauteurs, où il était placé, et, apercevant Hercule, fit éclater une voix retentissante, qu’on eût prise pour le bruit du tonnerre éclatant au sein des nuages dont sa tête était couronnée.

« Qui es-tu, là-bas, toi que je vois à mes pieds ? D’où viens-tu avec cette petite coupe ?

— Je suis Hercule ! répondit le héros d’une voix vibrante, et je cherche le jardin des Hespérides !

— Oh ! oh ! oh ! mugit le géant, en poussant un immense éclat de rire. Voici, ma foi ! une aventure qu’il est sage de tenter !

— Et pourquoi pas ? s’écria Hercule d’un ton


Je suis Hercule ! (Les trois pommes d’or.)

piqué. Penses-tu que j’aie peur du dragon aux cent têtes ? »

Au même instant, des nuages noirs s’amoncellent autour de la ceinture du géant, et déchaînent une bourrasque épouvantable, mêlée de tonnerre et d’éclairs, dont le fracas empêche Hercule d’entendre la réponse du géant. On ne voyait plus, au milieu de l’obscurité, que les jambes démesurées du colosse, et seulement par intervalles quelques lignes de son corps revêtu d’un manteau de brouillards. Il semblait parler sans interruption ; mais sa voix rude et caverneuse se confondait avec les éclats de la foudre, et se perdait comme eux en roulant sur le sommet des montagnes. Ainsi, en parlant hors de propos, l’insensé dépensait vainement une force incalculable, et la voix de la tempête était tout aussi intelligible que la sienne.

L’ouragan se dissipa aussi soudainement qu’il s’était formé, et l’on revit de nouveau le ciel bleu, les bras qui le soutenaient, les rayons du soleil inondant les vastes épaules du géant, qui se découpaient sur un fond sombre et orageux. Sa tête se dressait tellement au-dessus des nuages, que pas une goutte d’eau n’avait humecté sa chevelure.

À la vue d’Hercule toujours debout sur le rivage, il lui cria de nouveau :

« Et moi, je suis Atlas, le plus grand géant du monde ! C’est moi qui soutiens le ciel sur ma tête.

— Je le vois bien, répondit Hercule ; mais pouvez-vous m’enseigner la route qui mène au jardin des Hespérides ?

— Que voulez-vous y faire ?

— Je veux y cueillir trois pommes d’or pour le roi mon cousin.

— Il n’y a que moi qui puisse aller au jardin des Hespérides et cueillir les pommes d’or. Si ce n’était cette petite besogne de supporter le ciel, je ferais une demi-douzaine d’enjambées à travers la mer, et je vous les procurerais.

— Vous êtes bien bon et je vous remercie ; mais ne pouvez-vous pas déposer votre fardeau sur une montagne ?

— Aucune d’elles n’est assez élevée, dit Atlas en secouant la tête ; mais, en vous tenant sur le sommet de celle qui est la plus voisine de moi, votre front serait à peu près de niveau avec le mien. Vous me faites l’effet d’un gaillard passablement robuste et que diriez-vous si je vous proposais de prendre ce fardeau sur vos épaules, pendant que j’irais faire votre commission ? »

Hercule, ainsi que vous vous le rappelez, était un homme d’une force extraordinaire ; et, si l’on pouvait rencontrer quelque mortel capable d’un tel effort, assurément c’était lui. Néanmoins cette œuvre lui sembla si difficile, qu’il hésita pour la première fois de sa vie.

« Le ciel est-il bien lourd ? demanda-t-il.

— Pas trop, dans le commencement, répondit Atlas en faisant un petit mouvement d’épaules ; mais, après un millier d’années, c’est un poids assez considérable.

— Et combien de temps vous faut-il pour aller chercher les pommes d’or ?

— Oh ! quelques moments : je ferai des pas de trois ou quatre cents lieues ; l’aller et le retour me prendront moins de temps qu’il n’en faudra pour que vos épaules se fatiguent.

— Dans ce cas, répondit Hercule, je vais gravir la montagne qui est derrière vous, et vous soulager un peu.

Notre héros avait naturellement un grand cœur, et considérait qu’il allait rendre service au géant, en lui procurant l’occasion d’une petite promenade. En outre, il pensait qu’il augmenterait encore sa renommée, s’il pouvait ajouter à ses fameux exploits celui d’avoir soutenu le monde, ce qui était encore plus glorieux que de vaincre simplement un dragon à cent têtes. Et, sans plus attendre, le ciel fut enlevé des épaules du géant pour passer sur les siennes.

Le premier mouvement d’Atlas fut de se délier les membres. Il arracha lentement ses pieds, l’un après l’autre, de la forêt qui avait poussé autour d’eux. Puis il se mit à gambader, à sauter de joie, en se voyant en liberté ; bondissant à une hauteur prodigieuse et retombant sur le sol en causant à la terre une secousse effroyable, tandis que l’écho répétait au loin ses cris joyeux et ses rires qui retentissaient comme les éclats du tonnerre. Après avoir donné un libre cours à sa gaieté, il s’avança dans la mer. Quatre lieues, au premier pas, le mirent dans l’eau jusqu’à mi-jambe ; quatre, au deuxième, l’y enfoncèrent à peu près au-dessous du genou ; et quatre lieues plus loin, il en avait presque jusqu’à la ceinture. Il se trouvait alors au plus profond de l’Océan.

Hercule suivait de l’œil la marche de son messager. Rien n’était plus merveilleux à voir que cette forme humaine, à plus de douze lieues de distance, à moitié plongée dans l’eau, et encore aussi grande, aussi vaporeuse et aussi bleue qu’une montagne à l’horizon. Enfin, le colosse disparut entièrement. Notre héros commença dès lors à s’inquiéter ; car si le géant allait se noyer, ou s’il lui advenait d’être piqué mortellement par le dragon aux cent têtes, gardien des pommes d’or du jardin des Hespérides, comment pourrait-il jamais se débarrasser du ciel ?… Tandis qu’il se livrait à ces réflexions, le fardeau s’appesantissait sur ses épaules.

« J’ai pitié de ce malheureux, pensait-il. Si je me sens accablé au bout de dix minutes, dans quel état doit-il être, lui qui soutient le ciel depuis des milliers d’années ? »

Chers enfants, vous ne pouvez pas vous faire une idée du poids de ce ciel d’azur qui semble si léger au-dessus de nous ; sans compter les tempêtes, et les ardeurs du soleil, et les nuages tantôt humides, tantôt glacés, qui se succèdent tour à tour. Croyez-vous qu’Hercule était à son aise ? Il craignait de plus en plus que le géant ne revînt pas. Il dirigea un regard attentif sur le monde, et s’avoua en lui-même qu’il valait beaucoup mieux pour son propre bonheur être un modeste berger, au pied d’une montagne, que de rester debout sur la cime et d’y supporter le firmament et son immensité. Vous comprendrez, en effet, que le robuste délégué d’Atlas avait assumé sur sa tête et sur ses épaules une responsabilité proportionnée à la pesanteur de son fardeau. Qu’arriverait-il, s’il n’observait pas une complète immobilité ? S’il ne tenait pas le ciel en parfait équilibre, le soleil se trouverait peut-être dérangé de la place qu’il occupe ; bon nombre de constellations pourraient perdre leur centre de gravité, et s’échapper en pluie de feu sur la tête des humains. Hélas ! quelle honte pour lui si, par sa maladresse, le ciel se mettait à craquer et à montrer une large fissure !

J’ignore combien de temps s’écoula depuis l’heure où il avait pris la place du géant jusqu’à celle où il aperçut enfin l’immense figure d’Atlas qui s’avançait comme un nuage glissant à l’horizon. En approchant, le colosse étendit la main, dans laquelle Hercule put distinguer trois magnifiques pommes d’or, aussi grosses que des citrouilles, et toutes trois attachées à la branche.

« Je suis bien aise de vous revoir, s’écria-t-il quand son messager fut à portée de l’entendre. Il vous a donc été possible de vous procurer les pommes d’or ?

— Certainement, et je vous assure que j’ai choisi les plus belles. Oh ! quel endroit magnifique que le jardin des Hespérides ! Et le dragon aux cent têtes ! c’est une chose qui mérite d’être vue. Ma foi ! je regrette franchement, que vous n’y soyez pas allé.

— N’importe, reprit Hercule. Ç’a été pour vous une promenade agréable, et vous avez réussi tout aussi bien que j’aurais pu réussir moi-même. Je vous remercie cordialement du service. Maintenant, comme mon pays est très loin d’ici et que je suis assez pressé, car le roi mon cousin attend les pommes d’or avec une grande impatience, voulez-vous avoir, la bonté de me décharger les épaules ?

— Quant à cela, dit Atlas en jetant les trois fruits en l’air à une hauteur de six ou sept lieues et en les rattrapant les uns après les autres, quant à cela, mon bon ami, je vous trouve un peu singulier. Ne porterai-je pas cette bagatelle au roi, votre cousin,


Le colosse étendit la main. (Les trois pommes d’or.)

beaucoup plus promptement que vous ? Puisque Sa

Majesté est si pressée de les avoir, je vous promets de faire mes enjambées les plus longues ; à vrai dire, je ne me soucie pas de reprendre le ciel sur mes épaules, du moins dans ce moment-ci. »

En entendant ces mots, Hercule, impatienté, donna une violente secousse d’épaules. Le crépuscule commençait à se répandre sur la nature, et vous auriez pu voir deux ou trois étoiles se détacher du ciel. Tous les habitants de la terre avaient les yeux tournés vers l’espace, s’attendant à une catastrophe générale.

« Mais faites donc attention ! cria Atlas avec un grand éclat de rire. Pendant les cinq derniers siècles, je n’ai pas laissé choir autant d’étoiles que vous en une minute ; Quand vous serez resté là aussi longtemps que moi, vous aurez acquis de la patience.

— Quoi ! rugit Hercule devenu furieux, avez-vous l’intention de me faire porter ce fardeau jusqu’à la fin des siècles ?

— Nous verrons cela plus tard. Quoi qu’il arrive, vous ne devez pas vous plaindre si vous n’avez à le porter que pendant cent, ou peut-être mille ans. J’ai rempli cette tâche bien plus longtemps que cela, malgré de vives douleurs dans les reins. Ainsi, au bout de ce temps-là, si je me sens disposé, nous pourrons conclure de nouveaux arrangements. Vous êtes un homme très-fort, on n’en saurait douter ; mais voici la meilleure occasion pour vous d’en fournir la preuve. La postérité parlera de vous, soyez-en sûr.

— Je me moque bien de ce qu’elle pourra dire, s’écria Hercule en remuant de nouveau les épaules. Reprenez seulement votre fardeau pour quelques minutes, en attendant que je me fasse un coussin avec ma peau de lion. Cela m’échauffe énormément, et va me gêner sans nécessité pendant tant de siècles que je dois demeurer dans la même position.

— C’est trop juste, et me voilà ! répondit le géant ; car il n’avait aucune raison d’en vouloir à Hercule, et n’avait d’abord agi que par égoïsme et pour se mettre à l’aise. Je suis prêt, dit-il, mais seulement pour cinq minutes. Je n’entends point passer mille autres années comme les dernières. La variété fait le charme de la vie, voilà mon opinion ! »

L’imbécile que ce géant avec son peu de finesse ! Il jeta les pommes d’or et reprit le ciel sur ses épaules. Hercule ramassa les trois pommes, aussi grosses que d’énormes potirons, et se remit immédiatement en marche pour retourner chez lui, sans faire la moindre attention à la voix tonnante du géant qui lui hurlait de revenir.

D’autres arbres poussèrent aux pieds d’Atlas et y formèrent une épaisse forêt ; et l’on put voir de entre les orteils du colosse d’énormes chênes de six ou sept cents ans.

Aujourd’hui encore, le géant, toujours à la même place, supporte le poids du ciel ; ou, pour mieux dire, une montagne aussi haute que lui, et qui porte son nom, s’élève au même endroit ; et, lorsque l’aquilon gronde autour de sa cime altière, nous pouvons imaginer que ce sont les cris du géant Atlas appelant Hercule de sa voix retentissante.


« Cousin Eustache, demanda Joli-Bois, resté assis, bouche béante, aux pieds du conteur, quelle était au juste la taille de ce géant ?

— Crois-tu par hasard, cher enfant, que j’étais là pour le mesurer avec mon mètre ? répondit l’écolier ; je suppose néanmoins qu’il avait de cinq à vingt-cinq mille mètres, lorsqu’il se tenait bien droit ; que le Taconic aurait pu lui servir de chaise, et Monument-Mountain de tabouret.

— Mon Dieu ! s’écria le petit garçon avec un soupir de joie et de surprise, j’espère que voilà un géant ! Et quelle était la longueur de son petit doigt ?

— Comme d’ici au bord du lac.

— Quel géant ! répéta Joli-Bois, enthousiasmé de la précision de ces mesures. Et quelle était la largeur des épaules d’Hercule ?

— Oh ! pour cela, je n’ai jamais été à même de le savoir ; mais je pense qu’elles devaient être beaucoup plus larges que les miennes ou que celles de ton père, et même que les épaules de n’importe quel homme d’aujourd’hui.

— Je voudrais bien, chuchota Joli-Bois à l’oreille de son cousin, je voudrais bien savoir aussi la grosseur des chênes qui poussaient entre les orteils d’Allas.

— Ces chênes étaient plus gros que le vieux marronnier qui est derrière la maison du capitaine.

— Eustache, dit M. Pringle après un instant de réflexion, il m’est impossible d’exprimer sur cette histoire une opinion qui puisse satisfaire votre amour-propre d’auteur. Croyez-moi, ne touchez plus aux mythes anciens. Votre imagination est toute gothique et fera porter son empreinte à tous les sujets qu’elle essayera de traiter. C’est comme si vous alliez barbouiller de couleur une statue de marbre blanc. Ce géant, par exemple ! Comment avez-vous pu vous aventurer à jeter un colosse informe et disproportionné au milieu des lignes traditionnelles et si pures de la fable grecque, toujours portée à réduire les objets et à faire rentrer dans d’étroites limites l’extravagant même, qu’elle recouvre d’un fini précieux, et d’une suprême élégance ?

— J’ai dépeint le géant comme il m’est apparu, dit Eustache un peu blessé. D’ailleurs, monsieur, rappelez-vous ces allégories ; en cherchant à leur donner une forme nouvelle, et vous verrez qu’un Grec de l’antiquité n’avait pas plus de droit exclusif sur elles qu’un Yankee de nos jours. C’est une propriété commune, qui appartient à tout le monde et qui est de tous les siècles. Les anciens poètes les ont remodelées à leur fantaisie. Entre leurs mains ce n’était qu’une oeuvre plastique ; pourquoi donc, à mon tour, ne pourrais-je pas remanier leurs récits pour en faire un objet d’art ? »

M. Pringle ne put s’empêcher de sourire.

« De plus, continua l’écolier, du moment que vous introduisez dans un moule classique quelque mouvement du cœur, quelque moralité divine ou humaine, vous en faites une chose toute différente de ce qu’elle était auparavant. Dans mon opinion, les Grecs, en s’emparant de ces fictions, patrimoine immémorial du genre humain, et en leur imposant un caractère de beauté absolue, mais froid et insensible, ont causé un préjudice incalculable aux siècles postérieurs.

— Préjudice auquel, sans aucun doute, vous êtes né pour remédier, dit M. Pringle en riant cette fois sans ménagement. Vous en penserez ce que vous voudrez ; mais je vous conseille de ne jamais confier au papier vos travestissements. Pour nouvel essai, pourquoi ne porteriez-vous pas la main sur une des légendes d’Apollon ?

— Vous croyez me proposer une chose impossible, répondit l’écolier. Certes, au premier coup d’œil, l’idée d’un Apollon gothique paraît assez ridicule. Mais je veux y réfléchir, et je ne désespère pas tout à fait du succès. »

Pendant qu’ils parlaient ainsi, les enfants, qui ne comprenaient goutte à cette discussion littéraire, s’étaient endormis, et on les avait envoyés se coucher. Le vent du nord-ouest soufflait violemment dans la cime des arbres, et enveloppait la maison d’une sauvage harmonie ; Eustache Bright regagna sa chambre, essaya de forger quelques vers, et s’endormit entre deux rimes.






  1. Horatio Greenough, sculpteur éminent, né à Boston, et mort en 1852 dans les environs de cette ville, après son retour de Florence où il avait fait ses études ; auteur de la statue colossale de Washington, placée devant le Capitole, et d’autres compositions qui honorent le génie américain. (Note du traducteur.)