Le Livre des sonnets/Appendice

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APPENDICE




LES RÈGLES DU SONNET



I


« Le ſonnet ſuit l’epigramme de bien pres, & de matière, & de meſure : Et quant tout eſt dict, Sonnet n’eſt autre choſe que le parfait epigramme de l’Italien, comme le dizain du François. Mais pour ce qu’il eſt emprunté par nous de l’Italien, & qu’il ha la forme autre que noz epigrammes, m’a ſemblé meilleur le traiter à part. Or pour en entendre l’energie, ſache que la matière de l’epigramme & la matière du Sonnet ſont toutes vnes, fors que la matière facecieuſe eſt repugnante à la grauité du ſonnet, qui reçoit plus proprement affections & paſſlions greues, meſmes chez le prince des Poëtes Italiens, duquel l’archetype des Sonnetz a eſté tiré. La ſtructure en eſt vn peu facheuſe : mais telle que de quatorze vers perpetuelz au Sonnet, les huit premiers ſont diuiſez en deux quatrains vniformes, c’eſt à dire, en tout ſe reſemblans de ryme, & les vers de chaque quatrain ſont tellement aſſis que le premier ſymboliſant auec le dernier, les deux du milieu demeurent ioins de ryme platte. Les ſix derniers ſont ſubietz à diuerſe aſſiette : mais plus ſfouuent les deux premiers d’iceux fraternizent en ryme platte. Les 4. & 5. fraternizent auſſi en ryme platte, mais differente de celle des deux premiers, & le tiers & le ſizieſme ſymbolizent auſſi en toute diuerſe ryme des quatre autres : comme tu peulx veoir en ce Sonnet de Marot.


Au ciel n’y a ne Planette ne Signe,
Qui ſi à point ſceut gouuerner l’année,
Comme eſt Lion la cité gouuernée
Par toy, Triuulſe, homme cler & inſigne.

Cela diſons pour ta vertu condigne :
Et pour la ioye entre nous demenée,
Dont tu nous as la liberté donnée :
La liberté, des threſors le plus digne.

Heureux vieillard, ces gros tabours fonans.
Le may planté, & les fiffres ſonans
En vont loüant toy, & la noble race :

Or penſe donc que ſont noz voluntez,
Veu qu’il n’eſtl rien iuſqu’aux arbres plantez
Qui ne t’en loüe, & ne t’en rende grace.


Autrement ces ſix derniers vers ſe varient en toutes les ſortes que permettent analogie & raiſon, comme tu verras en liſant les Sonnetz faictz par les ſçauans poëtes plus clairement que regle ne moy ne te pourrions montrer.

« Tant y a que le Sonnet auiourd’huy eſt fort vſité, & bien receu pour ſa nouueautc & ſa grâce : & n’admet ſuyuant ſon poix autres vers que de dix ſyllabes. »

(Art poétique françoys, pour l’inſtruction des ieunes ſtudieux, & encor peu avancez en la Poëſie Françoyfe… A Paris» Par la veuſue Françoys Regnault, à l’Enſeigne de l’Élephant. 1555. — Second liure, chap. ii, Du Sonnet.)

Cet Art poétique eſt de Thomas Sibilet.



II


       Loin ces Rimeurs craintifs, dont l’eſprit phlegmatique
Garde dans ſes fureurs un ordre didactique :
Qui chantant d’un Heros les progrès éclatans,
Maigres Hiſtoriens, ſuivront l’ordre des temps.
Ils n’oſent un moment perdre un ſujet de veuë.
Pour prendre Dôle, il faut que l’Iſle ſoit renduë ;
Et que leur vers exact, ainſi que Mezeray,
Ait fait déjà tomber les remparts de Courtray.
Apollon de ſon feu leur fut toujours avare.
       On dit à ce propos, qu’un jour ce Dieu bizarre
Foulant pouſſer à bout tous les Rimeurs François,
Inventa du Sonnet les rigoureuſes loix ;
Voulut, qu’en deux Quatrains de meſure pareille
La Rime avec deux ſons frappaſt huit fois l’oreille,

Et qu’enſuite, ſix vers artiſtement rangez
Fuſſent en deux Tercets par le ſens partagez.
Sur tout de ce Poëme il bannit la licence :
Luy-meſme en meſura le nombre & la cadence :
Deffendit qu’un vers foible y puſt jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis oſaſt s’y remontrer.
Du reſte il l’enrichit d’une beauté ſuprême.
Un Sonnet ſans defauts vaut ſeul un long Poëme.
Mais envain mille Auteurs y penſent arriver,
Et cet heureux Phénix eſt encore à trouver.
A peine dans Gombaut, Maynard, & Malleville
En peut-on admirer deux ou trois entre mille.
Le reſte auſſi peu lû que ceux de Pelletier,
N’a fait de chez Sercy qu’un ſaut chez l’Epicier.
Pour enfermer ſon ſens dans la borne preſcrite,
La meſure eſt toûjours trop longue ou trop petite.

(L’Art poétique en vers. — Voy. les Œuvres diverſes du Sr Boileau Deſpréaux… A Paris, Chez Denys Thierry… m. dcci. — T. I. Chant ſecond.)



III


« Tout ſujet ne comporte pas de longs développements. Il en eſt qui, au contraire, ſont reſtreints par leur nature, & ne demandent qu’un petit nombre de vers.

« À ces ſujets-là, le ſonnet — ſorte de petit tableau au cadre rétréci — convient parfaitement. Une poéſie en deux ou trois ſtances ſemble quelque choſe d’inachevé, d’ébauché ; le poëte s’eſt arrêté tout à coup ; mais ne ſerait-ce pas que l’inſpiration lui a manqué & que le ſouffle lui a fait défaut ? Avec le ſonnet, un doute pareil ne peut pas exiſter. La penſée, formulée en vers, ſe trouve arrêtée dans un rhythme précis, qui a ſa fin voulue, & qu’on ne peut dépaſſer.

« Le ſonnet eſt donc ſurtout deſtiné à contenir une penſée, penſée profonde ou gracieuſe, qui ſe prépare dans les deux premiers quatrains, ſoit à l’aide d’une expoſition où l’action prend quelque part, ſoit à l’aide d’une métaphore, & qui ſe révèle dans le tercet final. »

(Proſodie de l’école moderne. Par Wilhem Ténint… 1844.)



IV


« Le Sonnet peut commencer par un vers féminin ou par un vers maſculin.

« Le Sonnet peut être écrit en vers de toutes les meſures.

« Le Sonnet peut être régulier ou irrégulier. Les formes du Sonnet irrégulier ſont innombrables & comportent toutes les combinaifons poſſibles. Mais en réalité, il n’y a qu’une ſeule forme de Sonnet régulier…

« Le Sonnet eſt toujours compoſé de deux quatrains & de deux tercets.

« Dans le Sonnet régulier, — riment enſemble :

« 1o Le premier, le quatrième vers du premier quatrain ; le premier & le quatrième vers du ſecond quatrain ;

« 2o Le ſecond, le troiſième vers du premier quatrain ; le ſecond & le troiſième vers du deuxième quatrain ;

« 3o Le premier & le ſecond vers du premier tercet ;

« 4o Le troiſième vers du premier tercet & le ſecond vers du deuxième tercet ;

« 5o Le premier & le troiſième vers du deuxième tercet.

« Si l’on introduit dans cet arrangement une modification quelconque,

« Si l’on écrit les deux quatrains ſur des rimes différentes,

« Si l’on commence par les deux tercets, pour finir par les deux quatrains,

« Si l’on croiſe les rimes des quatrains,

« Si l’on fait rimer le troiſième vers du premier tercet avec le troiſième vers du deuxième tercet…,

« Si enfin on s’écarte, pour ſi peu que ce ſoit, du type claſſique…,

« Le Sonnet eſt irrégulier.

« Il faut toujours préférer le Sonnet régulier au Sonnet irrégulier, à moins qu’on ne veuille produire un effet ſpécial ; mais encore dans ce cas, la Règle eſt une chaîne ſalutaire qu’il faut bénir !…

« Toutefois le Sonnet irrégulier a produit des chefs-d’œuvre, & on peut le voir en liſant le plus romantique & le plus moderne de tous les livres de ce temps, — le merveilleux livre intitulé Les Fleurs du Mal. »

(Œuvres de Théodore de Banville : Petit traité de Poéſie françaiſe. Alphonſe Lemerre, éditeur. 1891).