Le Livre rose/2/Et pourtant le soleil brillait

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Le Livre roseUrbain Canel & Adolphe Guyot Date2 (p. 52-113).


ET POURTANT
LE SOLEIL BRILLAIT…



ET POURTANT
LE SOLEIL BRILLAIT……


I.


Sur le mur d’un théâtre en construction, du haut de leur échafaudage, des maçons criaient au manœuvre de leur monter le plâtre ; un homme, au pied de l’échelle, s’y appuyait, ayant l’air de souffrir ou d’être en convalescence d’une longue maladie ; il paraissait étranger à sa profession comme à ceux qui le commandaient, et n’avait pas l’apparence d’une force remarquable, ainsi que l’ont d’ordinaire les hommes d’une taille petite et ramassée. Il était mince et lent dans ses mouvemens. Il tremblait en montant l’échelle ; ses jambes

— ET POURTANT —

fléchissaient, et son corps, que les fardeaux faisaient plier, annonçait que pour lui c’était une cruelle obligation que ce travail forcé. Cet homme, qui semblait avoir vingt-cinq à trente ans au plus, ne connaissait aucun des tailleurs de pierres ni des maçons, et n’était admis à les servir que depuis peu. Tout semblait nouveau pour lui : mœurs, fatigues, habitudes, et jusqu’à son vêtement ; c’est que cet être au teint blême, à l’air triste était... une femme, une veuve, mère de plusieurs enfans.

L’insuffisance de son travail à l’aiguille l’avait forcée de quitter le quartier où elle était connue, et de chercher ailleurs, sous les habits d’un autre sexe, tous les genres de travaux dont le salaire plus considérable pût au moins subvenir à ses stricts besoins et à ceux de ses six enfans. Cette obligation de se faire homme donna depuis à son caractère une rudesse apparente sans jamais altérer sa sensibilité : elle ne conversait avec aucun de ses voisins, et le soir, quand elle rentrait, apportant à ses enfans du bois pour les chauffer, du pain pour les nourrir,... elle leur souriait ;... puis une partie de ses nuits était empruntée au sommeil pour réparer leurs vêtemens déchirés, tandis qu’eux, au moins, dormaient sous sa garde. Elle les contemplait sur leurs lits de paille, et la vue de leurs petites joues sur lesquelles l’oubli de la vie ramenait les roses, relevait son courage Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/56 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/57 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/58 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/59 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/60 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/61 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/62 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/63 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/64 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/65 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/66 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/67 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/68 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/69 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/70 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/71 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/72 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/73 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/74 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/75 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/76 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/77 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/78 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/79 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/80 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/81 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/82 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/83 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/84 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/85 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/86 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/87 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/88 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/89 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/90 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/91 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/92 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/93 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/94 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/95 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/96 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/97 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/98 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/99 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/100 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/101 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/102 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/103 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/104 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/105 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/106 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/107 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/108 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/109 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/110 Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/111 suivais le char qui les emportait. Leurs corps étaient là, sous mes yeux, leurs membres semblaient encore tenir aux miens. Mais depuis que j’ai entendu la terre tomber sur eux, je les vois se débattre avec elle et avec les vers qui morcellent leurs os que le temps broie. Je me baisse pour entendre, mais tout s’y fait sourdement, même pour une mère… C’est un mystère… »

Une de ces âmes voyageuses ne se détachera-t-elle pas du grand nombre pour venir apprendre à cette mère si persévérante dans sa douleur ce que sont devenus ses enfans ?…

Le jour de notre première rencontre, je la laissai sur les deux tombeaux pour achever la prière que j’avais interrompue ; je me retirai le cœur navré ; je pleurais… car il est des douleurs qui se sont répétées pour moi autant de fois et plus que l’écho simonneta.

Mlle Aimable Le Bot.


Nota. Cette histoire et tous ses détails sont vrais.