Le Métier de corsetière
de Corsetière
LE MÉTIER DE CORSETIÈRE
Choisir un métier, à treize ou quatorze ans, est une chose grave à laquelle les fillettes sont rarement préparées ; aussi cette décision est-elle plus souvent influencée par le raisonnement des parents que par le goût et les aptitudes des enfants. C’est pourquoi il importe de montrer aux uns et aux autres ce que sont les différents métiers, l’apprentissage qu’ils nécessitent, les salaires qu’ils rapportent.
Dans tous les métiers de la Mode et de l’Habillement, les salaires sont à peu de chose près les mêmes : couturières, modistes, corsetières, brodeuses, lingères gagnent pour se suffire à elles-mêmes, et chacune reçoit la juste rémunération du travail qu’elle produit avec son aiguille ou sa machine à coudre.
Cependant, chaque métier a ses avantages et ses inconvénients qu’il est bon de connaître avant de se décider pour l’un ou pour l’autre, et le mieux est d’établir quelques points de comparaison entre ceux qui ont un peu trop souvent la préférence des familles et celui de corsetière.
Le métier de corsetière paraît, à première vue, plus difficile que les autres ; il exige, en effet un apprentissage technique réclamant du professeur ou de la contremaîtresse une sérieuse méthode de travail et de l’apprentie une grande application : car, pour faire un bon corset, le goût et l’adresse ne suffisent pas, il faut y ajouter la compréhension de l’anatomie féminine.
Établi selon les lois de l’hygiène et de l’anatomie, le corset prévient ou guérit bien des maux ; mal adapté à celle qui le porte, il peut causer de graves désordres dans l’organisme. C’est pourquoi il est indispensable que la corsetière sache concilier l’esthétique et l’hygiène, fasse même plier parfois les fantaisies de la mode devant la nature. Tout cela s’apprend avec méthode et ne s’invente pas.
Mais l’inconvénient d’un apprentissage plus complet que dans certains autres métiers est largement compensé par les avantages sur lesquels il convient d’attirer tout particulièrement l’attention des fillettes et de leurs parents.
Une femme un peu adroite fera elle-même sa robe, son chapeau, sans apprentissage préalable, mais pas son corset ; justement parce que la confection de celui-ci exige des connaissances spéciales. On ne s’improvise pas corsetière. C’est un privilège et la concurrence est moins grande.
Autre avantage. Toutes les femmes commandent en même temps robe, manteau, chapeau, de Pâques à la Pentecôte pour l’été, avant la Toussaint pour l’hiver, créant ainsi deux saisons très marquées suivies chacune d’une période de chômage. Tandis que les mêmes femmes remplacent leurs corsets à n’importe quelle époque de l’année, quand ils sont usés, devenus trop grands ou trop petits, ou parce qu’elles sont dans l’impossibilité de les modifier elles-mêmes. De ce fait, le métier de corsetière ne connaît ni la morte-saison, ni les coups de presse qui obligent les ouvrières à faire des heures supplémentaires, prises sur celles réservées au sommeil, indispensable pourtant au bon équilibre de la santé.
Où et dans quelles conditions les enfants qui sortent de l’école à treize ans peuvent-elles apprendre le métier de corsetière ? Directement en atelier, avec un salaire immédiat, ou bien, dans les grands centres comme Paris, en suivant les cours d’une École Professionnelle et Ménagère pendant deux ans, sans rien gagner. Si les méthodes sont un peu différentes, le résultat est le même, dans les deux cas, au point de vue du métier proprement dit.
Muni d’un livret de travail délivré à la Mairie, les fillettes, accompagnées de leur mère (ou de leur tuteur si elles sont orphelines) peuvent donc se présenter chez les Corsetières sur mesures, les Fabricants de corsets en gros ou les Orthopédistes ; parents, enfants, patrons signent un contrat d’apprentissage exigé par la direction de l’Enseignement Technique, et, dès le lendemain les fillettes se mettent à l’ouvrage.
Une prime horaire est garantie aux apprenties qui doivent l’augmenter, et même la doubler, par le travail aux pièces. La première année l’apprentie exécute les différentes façons à la main, et passe successivement de la pose des agrafes et des boutons au baleinage, à l’éventaillage, au garnissage ; puis, la seconde année, mise devant une machine marchant au moteur elle apprend à monter les différentes pièces d’un corset : poser les buscs, entourer des agrafes ; faire des boutonnières en tissu, en sergé ; piquer les rubans-fourreaux des baleines et des ressorts ; poser des jarretelles ; border les corsets haut et bas.
Une troisième année est nécessaire pour spécialiser l’apprentie, qui peut alors prendre part à un Concours, et recevoir un diplôme de fin d’apprentissage décerné par l’Union des Industries du Corset. Elle est ensuite classée petite main, et deviendra deuxième ouvrière, puis première ouvrière, coupeuse, modéliste même et son salaire augmentera avec les années, en raison de l’expérience acquise.
L’ouvrière habile peut aussi s’établir sans grands frais ; une machine à coudre dont elle acquitte le prix par mensualité ; un petit moteur, si l’électricité existe dans l’immeuble où elle habite, un mannequin d’atelier, et voilà notre corsetière prête à prendre du travail à façon ou à faire des corsets sur mesures.
Le métier de corsetière, varié, intéressant, des mieux rémunérés, s’exerce dans des locaux où l’air et la lumière sont répandus à profusion ; il n’est pas insalubre ; n’amène aucune déformation professionnelle ; il nécessite seulement une bonne vue, du soin et de la propreté.
Le corset évoluant avec la mode des robes, change de forme, de nom, s’appelle tantôt ceinture, gaine, brassière ou combinaison, il convient aussi de lui ajouter le soutien-gorge, les ceintures médicales et les corsets orthopédiques ; ce qui permet aux ouvrières de se spécialiser dans le travail qui leur convient le mieux.
Faire apprendre à sa fille le métier de corsetière, c’est donc lui mettre entre les mains un capital consolidé, qui rapportera d’année en année des intérêts de plus en plus élevés.
Paris, Avril 1930.
SALAIRES MOYENS
Petites mains : de 15 à 20 francs.
Deuxième ouvrière : de 20 à 25 francs.
Première ouvrière : de 25 à 30 francs.
Coupeuse : 800 à 1.000 francs par mois.
Créatrice de modèle : 1.000 à 1.500 francs par mois.