Le Maître du drapeau bleu/p2/ch7

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Éditions Jules Tallandier (p. 346-373).

VII

UN DIRECTEUR DE PRISON BIEN ENNUYÉ



Qui n’a pas vu la montée de l’Hougly, bras méridional du delta du Gange, le grand fleuve sacré des Hindous, n’a rien vu.

De la mer à Calcutta, c’est l’enchantement des amateurs d’originalité, un mélange unique de fantaisie hindoue et de rectitude saxonne. Nulle part au monde, pareil tableau n’est offert au voyageur.

Dans le décor géant, l’imprévu fourmille, saute aux yeux du fond des anses, jaillit des palmeraies, barbote dans les bains sacrés.

Près des cadavres abandonnés par les Brahmes au cours auguste du fleuve, passent des yoles aux équipes anglaises aussi correctes, aussi élégantes que les rowing de la Tamise.

Partout, les deux civilisations se mélangent, fusionnent sans heurts, sans secousses. Au Bengale, les Anglais sont chez eux, les indigènes aussi. Chacun agit à sa guise, et de cette liberté naissent les plus heureux contrastes.

Le Gange présente les effets d’une colonisation modèle, établie dans l’un des plus beaux pays du monde.

Dès la mer, sur laquelle la brise fait flotter les

senteurs capiteuses de la terre, l’enchantement commence.

C’est la lagune immense du Sunderbund, formée par les multiples bras du delta. C’est la rade de Sankor, le banc de sable Mizra que l’on prolonge pour embouquer l’estuaire de l’Hougly, large de douze kilomètres.

Puis, la pointe d’Hougly dominée par son sémaphore, le lac et le village de Folta, puis la succession ininterrompue des végétations aux fleurs géantes, donnant aux rives l’apparence de gigantesques bouquets, parmi lesquels se détachent les villas, les temples, les cabanes indigènes, les escaliers de marbre des embarcadères de Atchipoor, Oalaburnia. Plus loin encore, c’est le pont tournant de Budge-Budge, que garde, comme un factionnaire énorme et menaçant, le fort de Gloucester.

Et le cours d’eau oblique vers l’est, baignant les coquets cottages de Garden-Reach, faubourg avancé de Calcutta, où les négociants établissent volontiers leur home.

Sous les palmiers, les arbres aux essences précieuses, des lawn-tennis, des enceintes grillagées de private-gulf ; des matereaux-portiques dénoncent les camps de football ; et de vastes pelouses, entretenues à grands frais, parsemées de massifs de buissons odorants, bordées de bocages, retentissent des hennissements des « poneys irlandais » montés par les adroits joueurs de polo à cheval.

Un nouveau coude de l’Hougly masque ce bourg si anglais.

Et, brusquement, Calcutta apparaît, bordant les deux rives de ses docks, bassins, montrant l’origine de son canal de Tolly-Nallah, la masse de l’arsenal, les frondaisons du Jardin botanique, l’agglomération du faubourg de Sihpoor ; et puis le quai du Strand, promenade du high-life, longue de près de trois kilomètres, où s’amarrent des navires de toute nationalité et que découpent les escaliers de pierre, les ghats, permettant l’embarquement facile à tout instant de la marée.

Si l’on s’enfonce dans cette ville où se mêlent, se coudoient toutes les architectures, toutes les couleurs, toutes les formes, où tous les groupes ethniques du globe ont des représentants, on s’élève peu à peu en s’éloignant du fleuve.

On gagne sans fatigue des collines aux pentes allongées que couvrent des cottages, des palais, des sanatoria, dont les balcons peints, les toitures fantaisistes en terrasses, en dômes, en mitres, dorées, laquées d’azur, de pourpre ou d’émeraude, pointent, ainsi que des fleurs géantes, parmi le fouillis verdoyant des jardins.

Tout en haut, deux spacieux bâtiments s’accotent l’un à l’autre. De chaque côté de leur mur mitoyen et séparatif, s’étendent des parcs anglais, où les chênes, hêtres, bouleaux des régions européennes sont remplacés par les essences de l’Inde.

L’une des résidences est la prison, vilain nom pour si jolie chose ; l’autre, est la maison de refuge des Teetootalers.

Les Teetootalers sont une association puissante et riche de buveurs d’eau. Quiconque adhère à la société déclare proscrire de son alimentation vin, bière, cidre, liqueurs, toute boisson fermentée ou distillée.

L’eau pure doit seule scintiller « tel le diamant » dans les verres. Par tolérance spéciale, on permet aussi l’usage des eaux minérales.

Or, sous la spacieuse véranda de la maison de refuge, peinte en blanc rosé, rechampi d’or, deux personnes devisaient, berçant leurs paroles du doux balancement des rocking-chairs, sur lesquels elles s’abandonnaient en des poses alanguies.

L’une était une maigre, longue et sèche lady pour qui l’horloge des années devait avoir sonné la cinquantaine. Mais, sans doute, depuis un long laps, elle avait renoncé à s’enquérir de la marche du temps, car son costume, ses manières trahissaient les prétentions les plus comiques à la jeunesse.

Dans ses cheveux, qu’une teinture copieusement distribuée, moirait de tons violets, étaient piquées des corolles rouges. Son corsage-blouse d’un blanc bleuté s’échancrait fortement autour du cou jaune, ridé, avec tendons saillants et des manches larges, coupées au coude, dardaient, d’un flot de dentelles, des bras qui semblaient destinés bien plus aux gestes raides d’un télégraphe articulé, système Chappe, qu’au service d’une créature humaine.

Si l’on ajoute une jupe de gaze verte, que bossuaient les rotules anguleuses, et sous laquelle passaient des pieds chaussés de brodequins jaunes, très étroits, ce dont la personne ressentait une légitime vanité, mais prodigieusement longs, ce qui probablement lui causait une satisfaction moindre.

Son interlocuteur avait à peine trente ans. Petit, grassouillet, le teint cuivré, la chevelure lisse et noire, un soupçon de moustache estompant des lèvres épaisses et fortement colorées, on devinait en lui un de ces métis hindous, mélange de races hétérogènes, composé inharmonique au physique et au moral.

Vêtu avec une recherche prétentieuse, complet gris pâle de soie bengaline, cravate jaune paille, où se prélassait une épingle énorme, figurant un scarabée de pierres d’un bleu foncé, brodequins blancs, lacés de cuir incarnadin… Près de lui, sur une table, était déposé un chapeau de fine fibre de Mandalay, orné d’un ruban de soie vert tendre, piqué de confettis d’or.

— Alors, cher sir Lydias, susurra en minaudant la vieille dame, votre empressement a levé toutes les difficultés ?

— Oui, adorée miss Butterfly… Oh ! Je sais que le mot miss, pour vous, Anglaise de la mère patrie, ne doit être employé que par des inférieurs, mais en le prononçant, je fais œuvre de délicate tendresse ; je veux marquer mon doux servage auprès de vous.

La sèche interlocutrice se rengorgea, fit entendre un petit gloussement de plaisir et roulant des yeux qui avaient le désir d’être tendres :

— Oh ! cher sir Lydias, vos paroles sont à mon palpitant cœur, comme un panka (ventilateur) au front surchauffé… Je bénis le Dieu de la libre Angleterre de m’avoir fait retarder jusqu’à ce moment l’opération grave de me marier.

Le métis joignit les mains avec componction.

— Je le bénis aussi, si cela peut lui être agréable de la part d’un homme de couleur.

Elle se récria vivement :

— Que parlez-vous de couleur ? Nul blanc ne saurait être aussi agréable aux yeux.

— Trop bonne, chère miss.

— C’est vous qui fûtes bon, cher Lydias, d’apporter le charme de votre adoration à la solitude de mon cœur.

Et avec un gargouillement ému dans la voix :

— Ainsi, vous marierez moi-même contre vous demain ?

— Demain, oui, jour qu’un sectateur de Vichnou marquerait du sacrifice d’une génisse blanche avec un signe noir au front.

Précipitamment, miss Butterfly saisit l’éventail de plumes gisant sur la table, auprès du couvre-chef du métis, et voila son visage sur lequel le trouble de son cœur virginal plaquait un ton orangé.

Cœur virginal, oui. Miss Butterfly avait atteint la cinquantième année, sans connaître les douceurs de l’affection partagée. Certes son cœur avait bien souvent parlé en secret, mais personne, dans le sexe brutal, n’avait eu l’air de s’en apercevoir.

Et quand désolée, renonçant aux rêves délicats, la pauvre miss, devenue riche par un héritage inattendu de cinquante mille livres, s’était retirée dans la maison de refuge de Calcutta, pour chercher dans l’alimentation à l’eau un dérivatif aux douleurs de son âme incomprise, elle ne pensait pas trouver en le fiancé si longtemps cherché ce cher Lydias, directeur de la prison voisine.

Certain soir, une conversation surprise avait appris au directeur la situation de fortune de la vieille fille.

Doué comme beaucoup de soi-disant travailleurs, d’aptitudes tout à fait spéciales pour l’existence oisive, Lydias s’était aussitôt senti un immodéré désir de gagner le cœur de la demoiselle, Bella de son prénom : il y avait réussi, puisque le mariage était à la veille de s’accomplir, et cette pauvre miss Butterfly, ne pouvant croire à son bonheur, ressassait pour la vingtième fois avec son fiancé les détails de la cérémonie, quand l’entrée d’un laquais de la maison de refuge coupa court à ses papotages.

L’homme, à la sévère livrée noire avec liséré vert, apportait une lettre sur un plateau d’argent.

— Pour le sir Director, fit-il.

Lydias prit le pli, eut un geste contrarié.

Qu’y a-t-il, cher Lydias, questionna Bella d’une voix inquiète ?

— Le shériff (chef des représentants de la loi dans un comté) de la Haute Ville me prie de revenir à la prison où il m’attend. Il s’agit de prisonniers importants, au sujet desquels il souhaite me donner quelques instructions verbales.

— Des prisonniers importants, de féroces criminels sans doute ?

— Peut-être.

— Oh ! je vais trembler pour vos précieux jours.

— Inutile, nos cellules sont solides et la serrurerie de premier ordre.

— Enfin, allez, cher cœur, et revenez vite rassurer votre fiancée. Jusqu’à votre retour, je vais être tout à fait pantelante.

Le directeur prit aussitôt son chapeau. Il eut le courage de porter à ses lèvres la main squelettique que lui tendait la vieille miss, et il se précipita au dehors avec une vivacité qui incita Bella à s’écrier en tout ravissement :

— Quel mignon mari j’aurai là !… Il court comme une souris vers un lardon !

Comparaison poétique et tendre qu’il n’entendit malheureusement pas.

Le perron accédant à la véranda franchi en deux bonds, Lydias arpenta aussi vite que possible l’allée d’honneur, tapissée de sable rouge du Gange.

Gagnant l’avenue, bordée de murs bas, il tourna à gauche, atteignit l’entrée de la prison, indiquée aux moins perspicaces par la double inscription : Bridewell, — Penitentiary. Bridewell désigne les établissements pénitentiaires où il existe un quartier spécial pour les femmes détenues.

Au greffe, le shériff dégustait un lemon-gin-soda-water, que lui avait offert l’employé préposé à la réception des pensionnaires de l’établissement, et cela, afin que Son Honneur eût une patience plus facile pour attendre l’arrivée du directeur, présentement le long du côté de la dame qu’il marierait le jour suivant.

Aussi, poussé à l’aménité par le soda, coupa-t-il court aux excuses de Lydias.

— Non, non, mon cher vieux garçon, le regret est de mon côté de vous déranger dans le courtisement de votre future mistress. Il a fallu que vos nouveaux prisonniers aient fait l’objet des recommandations toutes particulières du vice-roi…

— Du vice-roi ! s’exclama Lydias avec un haut-le-corps.

— Très parfaitement, du vice-roi, cher vieux camarade… Ce sont, paraît-il, des écumeurs de mer.

— Des pirates ?

— Il m’apparaît ainsi… Car je suis invité à ne pas les interroger moi-même…

— Et qui donc procédera à cela ?

— Un envoyé du gouvernement qui se présentera le surlendemain de ce jour. Mais, ce que j’ai tenu à vous dire… c’est ceci : les policemen qui m’ont amené les misérables, m’ont affirmé qu’ils étaient des terribles convicts. Ils se donnent des noms ronflants… qu’ils auraient dérobé avec la vie à d’infortunés voyageurs.

— Oh ! souligna le directeur en frissonnant.

— Et puis ils avaient volé un grand navire.

— Un grand navire ! répéta Lydias frissonnant plus fort.

— Parfaitement, et la division navale de l’océan Indien a dû prendre la mer tout entière pour les capturer… Et ces hors la loi ont fait sauter leur vaisseau, avec les marins anglais montés à leur bord.

Lydias n’eut pas la force d’une nouvelle exclamation. Il épongeait son front ruisselant de sueur.

— Vous croyez bien… J’ai parlé de cet incident pour vous démontrer l’utilité de les tenir en étroite surveillance… Une évasion serait la perte de votre carrière.

— On ne s’évade pas des prisons anglaises, bredouilla le directeur, cherchant à raffermir sa voix.

— Si, si, on s’évade quelquefois, insista le shériff d’un air entendu ; seulement cette fois, il ne faut pas que l’on s’évade, le vice-roi ne le veut pas.

Et vidant son verre jusqu’à la dernière goutte, le chef de la justice de la Haute Ville se leva :

— Je vous ai dit le principal, cher vieux garçon… À vous de faire le reste.

Un instant plus tard, Lydias était seul en face du greffier.

— Où a-t-on mis les bandits ? s’écria-t-il, tout disposé à faire retomber sur ses inférieurs l’émotion que lui causait la mission de confiance dont il se voyait investi.

— Quartier Glackester.

— Pourquoi là ?

— À cause des deux cellules blindées… qu’un seul homme peut surveiller incessamment… Nous n’avons qu’un personnel restreint, et…

— Vous allez courir au cantonnement des sicks (troupes indigènes).

— Bien, monsieur le Directeur.

— Vous demanderez une escouade, non, une section ; oui une section vaut mieux, pour coopérer à la garde des prisonniers du vice-roi.

— Je ramènerai la section, monsieur le Directeur ?

— Naturellement… Seulement pressez-vous.

Mais arrêtant son interlocuteur qui déjà pivotait sur ses talons :

— Non, arrêtez. Vous les avez vus, ces brigands !

— Oui, monsieur le Directeur.

— Et quel air ont-ils ?

— Sauf votre respect, ils ont l’air de deux gentlemen et de deux femmes charmantes !

— Qu’est-ce que vous dites ?

— Deux gentlemen et deux ladies…

— J’avais bien entendu… je ne suis pas sourd, par le pied fourchu de Satan, pas sourd du tout… Mais vous parlez de deux dames.

— Oui, monsieur le Directeur, parce que dans les quatre bandits, il y a deux personnes de ce sexe.

Ce satané greffier avait réponse à tout. Ne pouvant le prendre en défaut, Lydias prit le parti de le congédier.

— Vous n’arriverez jamais à rien, hurle-t-il… Vous vous répandez en bavardages au lieu d’agir, vous devriez déjà être de retour avec les soldats que j’ai réclamés.

Et le fonctionnaire essayant une justification, le métis le prit sans façon par les épaules et le poussa dehors en rugissant de toute la force de ses poumons :

— Mais allez donc, allez donc !… Vous m’obligerez à vous signaler comme dépourvu de tout zèle pour le service du gouvernement.

Puis seul enfin, il se laissa choir sur une chaise en gémissant :

— Non… cela n’arrive qu’à moi… Des prisonniers « recommandés » et mon mariage demain ! On peut bien dire que l’on a du mal à vivre !

Il demeurait là, prostré, secoué par l’angoisse d’un événement qui lui ferait perdre son titre de directeur de la prison.

Ce titre, il l’avait enlevé de haute lutte, et au prix de quels sacrifices !

Né dans la caste des vanniers, il avait ressenti de suite une horreur insurmontable pour la vannerie.

Or, les Hindous se subdivisent en castes très fermées ; ils estiment que le fils doit embrasser la profession de ses parents, épouser une jeune fille ayant même métier, c’est-à-dire vivre et mourir dans la caste où il est né.

Celui qui s’en évade, le vannier qui devient potier par exemple, est déclaré paria. Il n’a plus de caste, il est impur… Sa famille le considère comme mort.

Eh bien, Lydias, né vannier, avait, passé outre à tous ces inconvénients pour entrer dans l’administration pénitentiaire.

Grâce à sa souplesse d’échine, il gravit les divers échelons. On juge de son émoi à la pensée troublante que des pirates audacieux, voleurs d’un navire, adversaires de toute une flotte britannique, étaient là, sous sa garde, préparant peut-être une évasion qui ruinerait sa situation.

Il ne respira qu’au retour du greffier, lequel amenait cinquante sicks en armes, commandés par un lieutenant rougeaud de teint, roux de poil, qui répondait au nom de Bulwer.

Lui-même se rendit au quartier Glackester où l’on avait enfermé les prisonniers.

C’était une sorte de tunnel creusé dans une ancienne casemate déclassée, et que le génie militaire avait naguère recouverte d’une chape de béton.

Deux cellules, ménagées dans la masse, recevaient un jour parcimonieux par deux ouvertures percées dans le bétonnage et ressemblant plus à des embrasures qu’à des baies chargées de répartir l’air et la clarté à des créatures humaines.

Cinq soldats furent placés en sentinelle à l’intérieur devant l’unique porte des cachots. Cinq reçurent mission de surveiller chaque croisée.

Les autres campèrent autour de la casemate.

Plus rassuré maintenant, le métis désira connaître ceux qui lui causaient tout ce dérangement. Escorté d’une escouade de sicks, baïonnette au canon, il se fit ouvrir la porte bardée de fer, coula des regards curieux dans les cellules, séparées par une simple cloison de carreaux de plâtre.

— Curieux ! murmura-t-il, curieux !… Ces misérables n’en ont pas l’air.

De fait, Dodekhan et Lucien occupant le cachot à droite de la cloison, Sara et Mona installées dans celui de gauche, ne représentaient nullement les farouches pirates, tels que l’imagination populaire aime à se les figurer.

Leurs traits n’exprimaient d’ailleurs aucune inquiétude.

Au contraire, ainsi que l’expliqua le greffier, ils avaient paru charmés de constater la solidité exceptionnelle de leur prison.

Et, à cette heure, penchés aux embrasures-fenêtres, ils regardaient au dehors. Leurs voix parvenaient aux oreilles du directeur, et les voix disaient :

— Des soldats.

— Voilà qui est parfait. L’escorte demandée. Elle ne doit plus nous quitter tant que nous n’aurons pas posé le pied sur un vaisseau de guerre.

Les prisonniers faisaient allusion au plan concerté dans la cale du Majestic pour échapper à la main de Log.

Mais Lydias, qui ne pouvait s’en douter, murmura avec ahurissement :

— Comment ? Sur un vaisseau de guerre… Ah çà ! ils entrevoient donc le moyen de sortir d’ici.

— Simple bravade, avança le greffier.

— Bravade… Ils ne se doutent pas que nous les écoutons.

— Ah ! monsieur le Directeur, en êtes-vous certain. SI doucement que l’on ait ouvert la porte, croyez-vous que le bruit ne les a pas avertis ?

La question tranquillisa Lydias, qui proclama aussitôt d’un air entendu :

— Parfaitement, c’est ce que je pensais, un simple bluff !

Sans s’apercevoir du reste qu’il avait exprimé tout juste le contraire.

Le résultat de cette soudaine tranquillité, fut qu’il se souvint de la tendre Bella Butterfly.

— Bon, grommela-t-il, maintenant que j’ai rempli mes devoirs de fonctionnaire, à la satisfaction générale j’ose le dire, je puis songer à mes devoirs de fiancé épris… Ma position solidement défendue, occupons-nous des rentes de mon cher cœur sucré.

Et redressant sa petite taille, saluant soldats et employés d’un geste de la main, qu’en son for intérieur il qualifia de noble, le métis s’éloigna.

Il franchit de nouveau le portail massif, effectua sur la route poudreuse, en sens inverse, le chemin qu’il avait parcouru tout à l’heure, et pénétra de nouveau dans le parc des Teetootalers. Un doux cri de perruche enrhumée salua son apparition.

Bella, demeurée anxieuse sous la véranda, accueillait ainsi l’élu de son âme virginale et cinquantenaire.

— Eh bien… eh bien ? fit-elle inquiète, empressée, pointant vers le bien-aimé un nez pointu comme le fer d’une lance.

Il s’inclina très bas pour éviter le tendre éborgnement dont il se sentait menacé, puis en phrases concises, il narra les précautions prises, les dangers auxquels il avait à faire face.

Elle l’écoutait, devenue d’une pâleur d’ivoire.

— Ah ! cher cœur, gloussa-t-elle, trouverez-vous la possibilité d’unir demain votre chère main à la mienne ?

— oh ! fit-il galamment, je briserais la main de la justice si elle devait faire tort à la vôtre !

Ineptie qui provoqua chez la vieille demoiselle une succession de petits cris analogues au caquetage de la poule.

Lydias laissa couler ce torrent d’éloquence adorante, puis, l’haleine manquant à la sèche personne, il prit congé.

Allons, tout s’arrangerait.

Demain, il serait l’époux des un million deux cent cinquante mille francs de Bella. Si, par un hasard improbable… oui, très improbable, grâce aux mesures énergiques et raisonnables dont il avait pris l’initiative, si donc les audacieux écumeurs de mer enfermés à la prison, réussissaient à fausser compagnie à leurs gardiens, si, par suite, il était lui-même relevé de ses fonctions, il lui resterait en somme une place enviable dans une caste plus fermée encore que les autres, en Hindoustan comme partout ailleurs, la caste des rentiers.

C’est dans ces heureuses dispositions qu’il se trouva sur la route.

Quelques pas encore le séparaient de l’entrée de la prison, quand un Indien, couché le long d’une clôture, se dressa vivement et vint à lui.

L’homme, coiffé d’un turban jaune et décoloré, se montrait nu jusqu’à la taille. Une sorte de pagne de cotonnade blanche le ceinturait et couvrait les jambes, ne laissant passer que les chevilles et les pieds chaussés de sandales.

Le métis porta la main à sa poche, croyant avoir affaire à un mendiant.

Mais l’Hindou arrêta le mouvement :

— Ialgi ne demande pas le secours de celui qui possède. Il apporte les ordres du Maître puissant qui le nourrit en échange de son obéissance.

— De quel maître parles-tu donc, toi qui te donnes le nom saint d’Ialgi (une des appellations de Siva) ?

— De celui auquel toi-même es soumis : du Maître du Drapeau Bleu.

Lydias tressaillit.

— Lui ?

— Oui… Lui, auquel Brahmes, Fakirs, Thugs, associations musulmanes, ont fait le serment d’obéissance ; celui auquel toi-même es attaché par le serment des Fils du Saphyr, qui t’ont reçu parmi eux et dont l’influence mystérieuse t’a poussé au poste que tu occupes.

Le métis s’inclina très bas et d’un ton humble et soumis :

— Ma mémoire est fidèle. Elle n’a rien oublié. Ce sont donc les Fils du Saphyr qui t’envoient vers moi ?

— Eux, oui, mais sur l’ordre du Drapeau Bleu aux signes jaunes du vieux Thibet.

— Parle. J’écoute. J’obéis.

L’indigène approuva de la tête, puis lentement, comme pour mieux faire pénétrer ses paroles dans l’esprit de son interlocuteur, il poursuivit :

— Quatre prisonniers ont été incarcérés aujourd’hui dans la prison que tu diriges.

— Ah ! ils savent cela déjà ?… C’est exact, du reste… Quatre prisonniers.

— Deux hommes, deux femmes. Tu les as enfermés dans la casemate de Glackester. Cinquante sicks les gardent. Ils sont commandés par un de ces mangeurs de porcs venus d’Angleterre, le lieutenant Bulwer.

Lydias ne marqua aucune surprise. Sans doute il était fixé sur les moyens d’investigation des sociétés secrètes de l’Inde. Il se borna à reconnaître du geste l’exactitude de son étrange interlocuteur.

— Les sicks ne signifient rien, reprit ce dernier ; ils sont prévenus, ils obéiront comme toi, comme moi.

— Ah ! murmura le directeur.

— Le lieutenant Bulwer seul peut s’opposer aux projets du Maître. Il faudra l’éloigner ou le mettre hors d’état de voir.

— De voir quoi ?

— Les prisonniers s’enfuir !

— S’enfuir !

Ce fut un cri de désespoir qui s’échappa des lèvres de Lydias. Les prisonniers s’évader… Mais c’était pour lui la révocation, la perte de son titre, de tout. Avec amertume, il demanda :

— Le Maître veut qu’ils reconquièrent leur liberté ?

— Ils doivent être interrogés après-demain… par un magistrat commis spécialement à cette tâche…

— Par le vice-roi… Je sais… J’ai été averti de cela.

— Eh bien, cet interrogatoire ne doit pas avoir lieu. Le Maître ne le veut pas.

— Mais alors ?…

— Arrange-toi pour qu’ils aient fui avant ce moment.

Et comme le directeur médusé par la complication inattendue demeurait immobile, sans voix :

— Les Fils du Saphyr m’ont chargé en outre de te rappeler le verset huit de l’engagement de fidélité.

— Le verset huit, balbutia le métis, quel verset huit ?

Sans qu’un muscle de sa face trahit une émotion, l’homme psalmodia :

— La mort seule empêche la trahison. Le lacet rouge enserrera le cou du traître et le jettera pantelant aux terribles vengeances de Dheera la sanglante, de Siva qui frappe sans verser le sang.

Le fonctionnaire frissonna de la tête aux pieds.

— Oh ! bégaya-t-il, il était inutile de me rappeler cela… Le lacet rouge, oui, oui, cela étrangle parfaitement… Mais je n’ai pas besoin d’être étranglé, pas le moindre besoin ; je ferai donc ce que souhaite le Maître, seulement…

L’Hindou fronça les sourcils, Lydias s’empressa de continuer :

— Seulement j’aurai du mal, attendu que Bulwer est Anglais… j’y arriverai pourtant et je perdrai ma place, on m’a prévenu… ce n’est pas là agir en traître.

Son interlocuteur esquissa un léger signe d’assentiment

— Qu’ils fuient demain, cela suffit ?

— Quand tu le pourras, pourvu que leur évasion précède l’arrivée du magistrat chargé de les interroger.

— Bon, bien, parfait… Alors tout s’arrangera… Le Maître sera content de son serviteur.

L’Hindou porta les mains en coupe au-dessus de sa tête, selon le rite du salut brahmanique, puis tournant sur ses talons, il partit.

Quant à Lydias, ruisselant de sueur, sentant ses jambes flageoler sous lui, il s’adossa au mur de la prison, et demeura là, s’épongeant machinalement, ayant l’impression de vivre un cauchemar.

Cependant, peu à peu le calme se refit dans son cerveau :

— Voyons, monologua-t-il enfin, résumant en quelques mots le flot de pensées qui avait déferlé sous son crâne. Voyons. Si je garde les prisonniers, je reste directeur, mais je suis étranglé par le lacet rouge — et cela, jamais une personne condamnée au lacet n’a réussi à l’éviter. Donc je suis étranglé sûrement. Si au contraire les pirates prennent leur volée, on me destitue, mais je continue à me bien porter… et si j’ai épousé Bella, je m’en moque, j’ai la fortune.

Il se frappa le front en esquissant un vague entrechat.

— Et même je me débarrasse à jamais des Fils du Saphyr et du Maître du Drapeau Bleu… En ce moment où je suis seul, je puis bien m’avouer qu’ils m’assomment tous… Destitué, je prends le pays en grippe… Et puis j’ai soif de connaître la région où naquit Bella. Tendresse et colère mêlées… Nous nous embarquons comme deux tourtereaux épris de navigation… et bonsoir l’Inde, les sociétés secrètes et le reste !

Sur cette conclusion, il redressa son attitude et, la tête haute, un je ne sais quoi de vainqueur dans la démarche, il rentra dans la prison.

Pendant tous ces incidents, le soleil avait marché. La septième heure sonnait, heure du repas confortable que les habitants de Calcutta appellent the large luncheon, c’est-à-dire le goûter copieux, le souper étant reporté, de par les exigences spéciales du climat, entre dix heures et minuit.

Lydias envoya un guichetier prier sir Bulwer, le lieutenant, de vouloir bien lui faire l’honneur de large luncheonner à sa table.

L’officier, dérangé de ses plaisirs pour le service extraordinaire à assurer dans la prison, ne se fit pas prier. Un bon repas était toujours un intermède agréable au milieu d’une ennuyeuse corvée.

L’intermède fut exquis. Lydias s’y montra l’hôte aimable par excellence, remplissant les verres du lieutenant avec un entrain que Bulwer ne parvenait pas toujours à égaler en les vidant.

Tant et si bien qu’à un moment donné, l’officier glissa de sa chaise sous la table, où Lydias, rempli de charité, l’alla chercher pour le traîner sur son propre lit.

Bulwer manifesta sa reconnaissance par un ronflement qui eût fait pâmer d’aise les amateurs d’ophicléide.

Lydias hocha la tête :

— Tout va bien… Les pirates seront étonnés de ma communication… à moins qu’ils ne le soient pas. Ils devaient être des fidèles du Drapeau Bleu, pour que l’on s’occupe d’eux ainsi, pour que l’on sacrifie un fonctionnaire de mon importance… C’est cela même, et ils s’attendent sûrement à quelque chose comme ce qui va se passer.

À travers le parc, il gagna la casemate Glackester. Tout à l’entour, les sicks avaient établi leur bivouac et les feux de nuit répandaient des lueurs rougeâtres.

Les factionnaires continuèrent leur promenade monotone devant les fenêtres, devant la porte de la geôle.

Lydias y entra sans que personne eût paru le voir.

— Oui, oui, le messager avait raison, grommela le métis. Tous ces gaillards-là sont affiliés… Je serais donc bien sot de risquer le lacet rouge… à l’impossible nul n’est tenu, et ma conscience se met en repos. Il est écrit que je serai rentier et non fonctionnaire. Résignons-nous à être rentier.

Un bruit de voix attira son attention. À travers la cloison séparative de leurs cellules, les prisonniers causaient.

Mais il ne s’arrêta point à les écouter. À quoi bon ? Étant donné la communication qu’il se proposait de leur faire, que lui importait le sujet de leur conversation ? Avec les clefs dont il s’était muni, il ouvrit la porte du cachot des deux pirates mâles.

Ceux-ci se levèrent à l’entrée du directeur et lui adressèrent un salut du meilleur style ; de si bon style que Lydias s’en trouva un peu gêné et que son accent fut plus obséquieux, que protecteur.

— Messieurs, gentlemen, dit-il, je vous prierai de passer dans la salle voisine, où sont vos ladies. Je suis le directeur de cette prison, et j’aurais à vous faire une ouverture…

— Une ouverture, pas dans la muraille !… plaisanta Dodekhan.

— Non, gentleman, non… Une ouverture de ce genre serait d’ailleurs inutile ; la porte pouvant répondre à tous les besoins. Vous plaît-il de l’utiliser pour passer à côté ?

Les prisonniers acceptèrent du geste et suivirent le fonctionnaire.

Un instant plus tard, tous trois pénétraient dans la cellule de Mona et de la duchesse, quelque peu interloquées par cette visite inattendue.

Lydias attendit que tout le monde fût assis, et restant debout :

— Gentlemen, ladies, commença-t-il, je n’irai pas par quatre chemins

— Tant mieux, railla le Turkmène, car si vous adoptiez un itinéraire semblable, nous ne vous suivrions pas.

Le petit homme daigna sourire de la plaisanterie.

— Le mot est joli, mais je ne me laisserai pas aller à en complimenter l’auteur. Les minutes sont précieuses et j’ai des paroles plus sérieuses à verser dans votre entendement. Voici donc, sans phrases, la situation. Le Drapeau Bleu vous protège.

Les captifs échangèrent un regard. Lydias se méprit à sa signification :

— Ne niez pas. Je suis renseigné de source sûre. Cela n’est point du reste pour me déplaire, car, moi-même, je vous l’avoue, je suis tout dévoué à ce Drapeau et à ceux qu’il symbolise aux yeux de toute l’Asie.

Dodekhan s’inclina. La profession de foi du fonctionnaire était véritablement comique, proclamée en sa présence, à lui, Maître du Drapeau Bleu, dépossédé et persécuté par un traître.

— Or, poursuivit imperturbablement Lydias, le maître veut que vous soyez libres avant après-demain, jour où le gouvernement doit expédier ici un magistrat, aux fins d’un interrogatoire auquel vous ne tenez vraisemblablement pas.

Un geste évasif du Turkmène ponctua la phrase.

— J’ai cherché à concilier vos intérêts et les miens. Le dévouement n’exclut pas le raisonnement. En obéissant au Drapeau Bleu, je mécontente sûrement le gouvernement anglais, je perds ma place…

Le Turkmène interrompit la période oratoire de Lydias :

— Nous en serions désolés ; aussi, soyez certain que nous ne nous évaderons pas.

Le métis se livra aussitôt à une mimique désolée.

— Vous ne comprenez pas, vous vous évaderez au contraire… Sans me ruiner cependant. Je m’explique, demain je me marie, j’épouse une young lady ; elle est riche, et la cérémonie célébrée, je suis à l’abri du besoin… Ma position administrative me devient un peu… indifférente.

— Parfait… je saisis…

— Oh ! J’en étais assuré… Rien de plus intelligent qu’un pirate… — Il se reprit vivement : — qu’un gentleman pirate, car on ne saurait s’y tromper, vous êtes un parfait gentleman, et votre compagnon aussi… et ces dames également… Non, je trompe moi-même, elles sont des ladies, des vraies et séductrices ladies.

Il pataugeait, s’embrouillant dans son désir de flatter les captifs. Heureusement Dodekhan eut pitié de lui :

— Voyons ! qu’avez-vous décidé ?

— Ceci… Avant mon mariage, votre fuite serait ma ruine ; après, je m’en soucie comme de la pipe à Cromwell

— C’est ce que j’avais compris. Veuillez continuer, je vous prie.

— Ainsi fais-je pour vous obéir. Je marie ma fiancée à deux heures passé midi… À ce moment vous sortez tranquillement. Les sicks qui vous gardent sont affiliés, ils ne vous verront même pas ; quant à leur officier, Bulwer, un Anglais, et au personnel de la prison, ils seront à mon hyménée… À cent mètres d’ici vous trouverez des chevaux et des armes.

Les prisonniers se regardaient. Les prévisions de Dodekhan se réalisaient. Log voulait bien décidément les soustraire à la protection anglaise.

Lydias ne pouvait percevoir ces choses. Il demanda du ton le plus flûté :

— Cet arrangement vous convient-il ?

Il fallait répondre. Il fallait affirmer la volonté qui, seule, présentait encore une chance de salut.

— Il nous conviendrait si nous souhaitions recouvrer la liberté.

À ces mots, le métis pensa tomber à la renverse de saisissement :

— Comment, si vous souhaitiez ?… voulez-vous dire que vous ne souhaitez pas ?

— C’est exactement cela.

— Comment ?… vous refusez la clef des champs ?…

— Que voulez-vous, certaines clefs sont si lourdes !

— Mais ce n’est pas sérieux ; vous parlez ainsi pour rire contre moi.

Le fonctionnaire avait levé les bras en un geste tragique ; ses mains se portèrent à son cou, comme si déjà il sentait le lacet des étrangleurs.

— Allez-vous-en… Qu’est-ce que cela vous fait de vous en aller ?… pour rendre service à un pauvre directeur de prison dans l’embarras.

— Cela dérangerait nos projets, car nous accepterons la libération…

— Ah ! je savais bien.

— Non, vous ne savez pas… Voici ce que nous exigeons. Un bataillon de soldats européens viendra nous chercher, nous escortera jusqu’à la mer. On nous embarquera sur un navire de guerre qui forcera aussitôt de vapeur vers l’Europe.

— Un régiment, un cuirassé ! hurla Lydias, affolé par l’étrange prétention des prisonniers… C’est insensé… Puisque je vous dis que les Anglais veulent au contraire vous garder.

— Ils ne le voudront plus quand nous aurons parlé. Quand nous aurons fait connaître la singulière proposition que vous venez de nous faire.

Du coup, Lydias s’abattit sur un siège avec un gémissement.

— Je suis perdu, perdu ! Révoqué et peut-être emprisonné par les Anglais, étranglé par les autres… Et moi qui me croyais au bout de mes peines !

Vraiment le pauvre homme inspirait la pitié. Mais, hélas ! le satisfaire eût été sacrifier la duchesse, Mona.

La démarche même du métis démontrait l’ennemi guettant ses victimes. En vain Lydias pria, supplia, accumula les arguments les plus persuasifs, les prisonniers demeurèrent inébranlables.

Dans le cerveau du fonctionnaire montait la folie. Des détenus refusant liberté, fuite, joie de vivre ! Cela ne s’était jamais vu, ne se verrait jamais plus. Et il fallait que cela se produisit justement pour miner toutes ses espérances, à lui, Lydias.

De guerre lasse, le métis dut se retirer sans être parvenu à fléchir l’inexplicable résolution des pirates. Il regagna son logis en titubant ; le lieutenant Bulwer dormait toujours.

Toute la nuit, le petit homme veilla, échafaudant mille combinaisons inapplicables pour obliger ses prisonniers à s’évader.

Enfin vers le matin, lassé, harassé, n’en pouvant plus, Lydias en arriva à se persuader qu’il avait été le jouet d’une formidable plaisanterie… Parbleu ! cela expliquerait tout… Un prisonnier est enchanté de se moquer de son gardien… Cela est raisonnable, cela est humain ! Comment n’avait-il pas envisagé de suite la chose de ce point de vue ?

Et quelque peu rasséréné par cette nouvelle direction imprimée à ses idées, Lydias procéda aux dispositions utiles, absolument comme s’il avait été d’accord avec ses rétifs prisonniers.

Bulwer, remis de ses libations, tout le personnel européen fut prié par Lydias de si pressante façon, qu’ils consentirent à assister à son mariage, laissant la prison à la garde des sicks.

Ceci fait, le métis courut à Calcutta, acheta dans les confiseries et pharmacies, tous les bonbons stomachiques qu’il put trouver, et les expédia à la maison de refuge des teetootalers, à l’usage desquels ces bonbons ont été spécialement inventés.

L’homme, parait-il, est né alcoolâtre, car ces « stomachiques » sont tout uniment pour les buveurs d’eau, un moyen détourné de manquer à leurs vœux d’abstinence.

Ce sont des capsules énormes qui, dans une enveloppe de sucre cristallisé, contiennent chacun la valeur d’un verre à liqueur de gin, whisky, cognac, cocktail, chartreuse, schiedam, etc., selon le goût du consommateur. Et tel qui déclame contre l’abus des vins, des liqueurs, absorbe clandestinement, sous couleur de soins stomachiques, dix, douze, quinze de ces sucreries perfides.

Ces soins pris, Lydias retourna auprès de ses prisonniers et déposa sur leur table le trousseau de clefs commandant l’ouverture des portes. Comme ils protestaient de leur vouloir de rester captifs, il éclata de rire.

— Cela ne prend plus avec moi. Et je le prouve. Durant quatre heures, il n’y aura aucun Anglais autour de vous ; rien que des sicks… Vos chevaux sont à cent mètres d’ici, derrière le parc… Moi je vais me marier… Adieu, gentlemen and ladies, je vous souhaite un bon voyage.

Et il partit, laissant les portes ouvertes.

Le mariage eut lieu.

Bella Butterfly, à qui la toilette blanche, qu’elle avait tenu à revêtir, donnait l’apparence d’un citron fléché tombé dans un fromage à la crème, fut unie au civil et au religieux avec Lydias. Le couple ramena les invités à la maison de refuge des teetootalers, où un repas plantureux attendait.

Sur la table se dressaient ostensiblement, des carafes d’eau claire, mais cet appareil d’abstinence était coupé par de fréquentes distributions de capsules stomachiques, si bien que le lieutenant Bulwer, les employés de la prison, servis de façon particulièrement abondante, tombèrent un à un dans le profond sommeil de l’ivresse, non sans avoir déclaré avec le plus grand sérieux, que décidément l’eau de la vallée du Gange monte à la tête ce que l’assemblée teetootaler approuva sans hésitation.

Fût-ce l’effet du bonheur d’être enfin uni à sa chère et maigre fiancée, fût-ce celui-des bonbons au gin dévorés par lui, Lydias sentit le besoin de donner quelque importance à ses fonctions. Il se leva :

— Je vous demanderai la permission d’aller faire un tour à la prison pour m’assurer que tout est en ordre.

— Oh ! cher cœur, bêla tendrement Bella, demeurez le long de votre épouse et envoyez l’un de vos employés.

— Le chef doit payer de sa personne… J’irai de mon propre corps… Celui qui remplit tout son devoir est le seul mari digne de vous.

Elle eut une exclamation de ravissement, auquel il riposta par un sourire. Et seul, assurant avec peine sa marche chancelante, il quitta la salle du banquet.

Avec d’aimables zigzags, il parvint à la prison, traversa le parc, atteignit la casemate. La porte en était grande ouverte.

— Ah ! s’écria-t-il, les oiseaux sont dénichés… gloire à Vichnou !

Et pressé de contempler les cellules vides de leurs prisonniers, il s’élança en avant avec une impétuosité trop grande sans doute pour le sentiment d’équilibre que lui avaient laissé les « stomachiques », car il s’allongea violemment sur le sol. Des Sicks accoururent le remirent sur pied.

Avec une dignité bachique admirable, il les salua de la main :

— Merci, garçons… Je suis généralement très solide sur mes jambes… mais ce maudit verglas déconcerte les perpendiculaires les mieux assises.

Les soldats s’éloignèrent discrètement, tandis qu’il reprenait sa marche vers la casemate.

Cette fois, il y arrive sans accident. Il entre et il a un cri de stupeur.

— Comment ? vous n’êtes pas partis !

Non, les prisonniers sont là, paisibles, souriants.

— Pourquoi partir, puisque nous voulons être interrogés ?

Alors la colère prit le dessus chez l’infortuné fonctionnaire.

Cela dépassait la mesure, à la fin… Évidemment ces prisonniers avaient juré sa mort… Comment expliquer autrement qu’ils refusassent la liberté ?

Ah ! ils s’entêtent à ne pas partir… Eh bien, il les forcera, à s’évader.

C’était bien la première fois qu’un geôlier devait opérer semblable manœuvre, mais lui, Lydias, se montrerait à la hauteur de tous les imprévus. On verrait qu’il n’était pas un geôlier ordinaire.

Sur ce, il s’élança hors de la prison en proférant de terribles menaces.

Lui parti, les captifs se regardèrent.

— Que va-t-il faire ? demandèrent les jeunes femmes.

— Quoi qu’il fasse, il faut rester. L’acharnement que l’on met à nous renvoyer, démontre quels dangers nous attendent au dehors.

Ils n’eurent pas le loisir de se concerter davantage, Lydias reparaissait :

— Vous avez réfléchi ? fit-il rudement.

— Parfaitement, répliqua Dodekhan.

— Et le résultat de vos réflexions ?

— Nous restons ici.

Le fonctionnaire eut un sourire narquois dont tous se sentirent péniblement intrigués.

— Parfait ! Moi, j’ai résolu de vous expulser automatiquement.

— Automatiquement ?

L’adverbe fit tressaillir les captifs.

— Comme je le dis, ricana le métis. Vous connaissez cet appareil nommé extincteur, tue-feu, mata-fuegos. Un cylindre de métal contenant un liquide saturé de gaz irrespirable, impropre à la combustion ?

— Tout le monde le connaît.

— Bon. Entendez-moi donc bien. Près de chacune de vos fenêtres, un sick se tient avec les mata-fuegos déposés par l’administration pour le service de la prison en cas de commencement d’incendie. À mon signal, ils les mettront en action, remplissant les cellules de gaz délétères.

Cette fois, les prisonniers pâlirent. L’idée leur apparaissait diabolique. Il allait falloir fuir, ou consentir à périr par asphyxie.

— Consentez-vous à vous éloigner de bonne volonté ?

— Non !

Jusqu’au bout, le Maître du Drapeau Bleu lutterait… pour le salut de Mona ! Mais sa voix résonnait encore qu’un coup de sifflet strident retentit.

Aussitôt, comme à un signal attendu, les fenêtres furent poussées du dehors, et avec le bruissement d’un jet d’eau projeté avec force, des tourbillons de poussière liquide emplirent les cellules.

En un instant, l’étroit espace fut envahi par le brouillard irrespirable. Dodekhan, Lucien durent entraîner leurs compagnes au dehors. Là, d’autres sicks attendaient, armés de mata-fuegos qu’ils pointèrent sur eux.

Et fuyant le jet délétère, les captifs s’élancèrent à travers le parc, atteignirent une porte ménagée dans la clôture et se trouvèrent dehors.

Ils entendirent derrière eux un bruit de ferraille. On fermait à double tour, les verrous sonnaient contre les gâches. Lydias prenait toutes précautions utiles pour empêcher la rentrée de captifs si péniblement expulsés.

Vainqueur maintenant, il s’épongea le front, lança vers le ciel un regard triomphant, comme pour dire au Créateur hindou :

— Et moi aussi, ma volonté s’accomplit !

Puis très digne, ayant réparé le désordre de sa toilette, dont les accidents avaient quelque peu troublé la bonne ordonnance, il rejoignit sa chère Bella et ses invités.

Sans doute pour rendre plus suaves leurs discours, ils continuèrent à ingurgiter, avec une gravité attendrie, les bonbons stomachiques.

Cela dura… nul ne le sait… Est-ce que ceux qui s’adonnent aux divines extases comptent les minutes ? Le soleil éteignit sa lampe d’or, la lune alluma au ciel sa lampe d’urgent et un cortège qui ne manquait pas de majesté se développa entre la maison de refuge des teetootalers et la prison. Les mariés rentraient chez eux.

Oh ! pas bras dessus, bras dessous, c’eût été banal et d’ailleurs impossible, car Bella Butterfly, succombant à l’émotion et à l’absorption des stomachiques, s’était endormie aussi profondément que le lieutenant Bulwer lui-même. Et les deux vaincus du banquet étaient portés sur des claies par des serviteurs respectueux.

Ouf ! Lydias respira en se retrouvant dans son pavillon d’habitation.

Il était marié, totalement marié. La fortune de son épouse lui assurait désormais la vie confortable.

Ces pensées le disposaient à l’indulgence ; il le prouva bien en regardant dormir la sèche personne qui portait à présent son nom :

— Pauvre Bella, dit-il, elle dort comme un trombone ; quel son ! quel son ! Elle ne se doute pas, la frêle créature, de ce qu’a été ma journée.

Et avec expression :

— C’est même très délicat de sa part, de reposer ainsi… je puis prendre le loisir de me remettre des secousses multiples que j’ai subies.

Et s’apitoyant sur sa souffrance :

— Pauvre moi ! Je vais me soigner. Puisque cette chère Bella a la gentillesse de dormir, je vais me lotionner avec le Rummel’s mixture, rien ne vaut le Rummel’s pour vaincre la névralgie.

Tout rempli de prévenances et de compassion pour sa dolente individualité, il alla vers son cabinet de toilette, ouvrit la porte blanche, aux plaques de propreté en cuivre découpé simulant des feuillages.

Mais il se rejeta aussitôt en arrière, avec une exclamation étouffée :

— Quoi ! vous… encore !

Sur le seuil se tenait Dodekhan qui le saluait d’un air affable.

— Vous ! répéta le directeur abasourdi, qu’est-ce que vous faites là ?

— Nous vous attendions. Pour vous prier de nous réintégrer dans notre prison.

— Jamais de la vie !

— Nous en avons trouvé les portes closes, les fenêtres gardées, continua imperturbablement le Turkmène… Vu l’impossibilité d’y entrer, nous avons pris la liberté grande de nous installer chez vous…

Peindre la stupeur du métis est impossible.

Ces prisonniers qu’il voulait mettre dehors et qui s’obstinaient à rester dedans, il y avait là de quoi troubler l’intellect le plus robuste.

Et puis, que faire, au milieu de la nuit ? Appeler ? Lydias en eut l’idée ; mais sans doute son interlocuteur devina ce qui se passait en son cerveau, car il allongea vers le malheureux sa main, armée d’un revolver, en prononçant d’une voix très douce :

— Je dois vous avertir que je ne supporterais plus une plaisanterie comme celle de tantôt. Au moindre signe, je vous brûle la cervelle.

Terrifié, bouleversé, le pauvre fonctionnaire balbutia, plus pour gagner du temps que pour se renseigner :

— Où avez-vous pris cette arme ?

— Dans les fontes de nos selles. N’aviez-vous pas entravé des chevaux à peu de distance, et à notre intention ?

— C’est vrai ! c’est vrai !

Et une curiosité machinale le poussant :

— Comment êtes-vous revenus ? reprit Lydias. Toutes les portes étaient fermées, les murailles gardées…

— Les fenêtres de votre pavillon donnent sur la route.

— Du côté Est, parfaitement.

— L’une se trouve entr’ouverte, évidemment pour permettre l’entrée de l’air frais du soir…

— Je l’avais expressément recommandé… Au sortir d’un banquet…

— C’est d’excellente hygiène… Et ce fut très heureux pour nous, car nous entrâmes comme la fraîcheur nocturne et nous attendîmes modestement l’heure de vous avouer que nous étions vos hôtes.

Dodekhan débitait ces choses avec un naturel si parfait, que Lydias se pinça le bras pour s’assurer qu’il ne se débattait pas dans un rêve.

Sa douleur lui démontra qu’il était bien éveillé. Au même instant d’ailleurs, Lucien, Sara et Mona, muets jusque-là, répétèrent dans un rire étouffé :

— Veuillez nous rejeter en prison.

Le revolver menaçait toujours le directeur… il en avait très peur… Mais au fond de sa mémoire, il entrevoyait le lacet rouge des étrangleurs voltigeant autour de sa tête, prêt à enserrer son col, si les prisonniers n’étaient pas délivrés au matin.

Soudain il se redressa. Une idée lumineuse avait traversé son crâne :

— Je songe que peut-être la question d’argent vous arrête.

— Vous dites, la question d’argent ?

Sara, Mona, Lucien et leur ami échangèrent un regard surpris.

— Oui, d’argent, reprit Lydias d’un ton persuasif ; lorsque l’on vous arrêta, selon toute apparence, on vous a allégés des valeurs, monnaie ou objets précieux, en votre possession ?

— Nous ne saurions dire le contraire, acquiesça la petite duchesse.

Le métis se frotta les mains.

— Et allez donc !… Je le pensais bien. Voyager sans numéraire est extraordinairement pénible ; dès lors vous refusez, c’est tout naturel…

— Pardon ! pardon, voulurent rectifier les interlocuteurs du fonctionnaire.

Mais, tout à son idée, celui-ci poursuivit sans les écouter :

— Si vous me l’aviez avoué, j’aurais paré à cette disette ; mes moyens me permettent d’obliger de dignes pirates… et si mille guinées (26.000 francs) vous paraissent suffisantes…

Tous quatre s’écrièrent :

— Mais ce n’est pas là ce que nous voulons.

— Quoi alors ? balbutia-t-il stupéfait.

— Nos cellules !

Un instant, Lydias demeura atterré, se prenant le crâne de ses mains crispées. Non seulement les captifs repoussaient la liberté, mais ils refusaient la forte somme ; ces gens-là étaient donc fous !

— Voyons, essaya-t-il de prononcer.

Mais ils l’interrompirent pour lui jeter comme un défi ces quatre syllabes :

— Nos cellules !

Du coup, Lydias perdit tout sang-froid.

— Ah ! vous me condamnez à périr par le lacet ; vous n’acceptez ni argent ni liberté, vous vous riez de mes sacrifices ! Vous n’aurez pas la joie de triompher… vous ne rentrerez pas dans vos cachots.

— À votre aise, nous attendrons ici le magistrat chargé de nous interroger.

— Prenez garde ! je vais appeler, rugit le métis hors de lui.

— Prenez garde ! je vais tirer.

Ce disant avec un flegme parfait, Dodekhan visait le directeur.

— Ah ! gémit le fonctionnaire, ce sont des envoyés du diable ! Le diable les reprenne !

Il s’était laissé choir sur un siège. Les prisonniers s’étaient assis autour de lui. Positivement ils avaient l’air de le garder.

Ahuri, terrifié, sa migraine s’accentuant de minute en minute, Lydias se tenait recroquevillé sur lui-même, avec l’impression qu’il tombait en un abîme d’incompréhensible. Soudain il tressaillit.

La lourde porte donnant sur la route venait de s’ouvrir avec un grondement sourd ; le roulement pesant d’une charrette, des piétinements de chevaux se faisaient entendre. Les prisonniers écoutaient aussi.

D’un même mouvement, détenus et directeur se portèrent aux fenêtres donnant sur la cour sablée. Ils regardèrent. Un camion, tiré avec peine par six chevaux et chargé de solives étranges, entrait dans la première cour.

Et comme tous suivaient curieusement les évolutions de l’attelage, le directeur murmura d’un ton surpris :

— Les bois de justice… Pourquoi les bois de justice ? Il n’y a pas d’exécution annoncée.

Ces mots firent courir un frisson sur l’échine des assistants.

Rien n’est plus lugubre que ces solives, sans cesse montées et démontées par ce personnage étrange et sinistre qui s’appelle le bourreau.

Tous considéraient le chariot avec une vague inquiétude. Lydias, éperonné par la curiosité, se pencha au dehors et lança cette question :

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

Une voix rude répondit d’un ton de bonne humeur :

— Ah ! c’est monsieur le Directeur… Comment va la santé, monsieur le Directeur ?

— Vous, Kid, vous en personne ?… Merci, je vais bien… mais pourquoi votre visite ? Je vous croyais endormi dans votre maison de Fine-Block ?

— J’y dormirais si l’on ne m’avait commandé de service ici.

— Ici ? Je n’ai aucun condamné à la pendaison.

— Vous méprenez votre personnage, monsieur le Directeur. Si, votre établissement contient, non pas un, mais quatre condamnés.

— Hein ? Quatre ?

Les prisonniers avaient sursauté tout comme Lydias. Les paroles du bourreau Kid leur avaient fait pressentir une complication inattendue.

Le dialogue continuait cependant :

— De quels « quatre » parlez-vous, mon brave Kid ?

— Des pirates, donc.

— Eux ? on doit les interroger demain, dans la journée.

— Ah ! s’exclama l’interlocuteur du métis avec un rire sonore, ils ne répondront pas, car ils seront pendus avant le lever du soleil.

— Qui les a condamnés ?

— Tribunal exceptionnel. J’ai copie de l’arrêt sur moi.

— Pourquoi cette décision subite ?

— On a la preuve que des complices préparaient leur évasion.

Et bonhomme, parlant de ces choses comme un charpentier s’entretenant d’un échafaudage :

— Mais j’ai de la besogne, je vais dresser mes joujoux dans l’emplacement habituel ; ce sera pour six heures, vous avez le temps de reposer.

Là-dessus, le bourreau allongea le pas, pour rattraper son chariot qui déjà disparaissait à l’angle des bâtiments.

Tout frissonnant, Lydias se retourna vers ses captifs et il demeura bouche bée. Les prisonniers n’étaient plus là.

Il s’élança hors de la pièce. Un léger bruit montait de l’étage inférieur. Vite, il descendit. Une fenêtre était largement ouverte sur la route.

Il se pencha. Loin déjà des ombres couraient le long des murs de la prison. Le petit homme se frotta les mains.

— Humph ! l’annonce de ce bon Kid les a décidés… La potence vaut décidément mieux que les supplications. Me voici délivré de la crainte du lacet rouge, et quant à la révocation je m’en soucie comme un tigre d’une botte d’asperges… j’ai mon lingot d’or… pas joli, joli, mon lingot, mais l’or est bon titre, ce qui est le principal.