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Le Magasin d’antiquités/Tome 1/25

La bibliothèque libre.
Traduction par Alfred Des Essarts.
Hachette (1p. 206-214).



CHAPITRE XXV.


Après une bonne nuit passée dans cette chaumière, où le sacristain avait habité pendant plusieurs années, mais qu’il avait dernièrement quittée pour se marier et prendre son ménage, Nelly se leva dès l’aurore et descendit à la chambre où elle avait soupé la veille. Déjà le maître d’école était sorti. Elle s’empressa de bien nettoyer la pièce, et elle venait de finir ses rangements, quand l’excellent homme rentra.

Il la remercia à plusieurs reprises, et lui dit que la vieille femme qui était chargée ordinairement de ces soins veillait en ce moment comme garde-malade auprès de l’enfant dont il avait parlé la veille.

« Comment va-t-il ? demanda Kelly. J’espère qu’il va mieux ?

— Non, répondit le maître d’école secouant la tête avec mélancolie ; il ne va pas mieux. On dit même qu’il va plus mal.

— Cela me fait bien de la peine, monsieur. »

Le pauvre maître d’école parut reconnaissant de cette marque de sympathie, mais il n’en fut pas moins triste, car il se hâta d’ajouter, pour s’étourdir, qu’il y a souvent des gens qui s’inquiètent mal à propos et font le mal plus grand qu’il n’est.

« Pour ma part, dit-il avec son ton doux et patient, j’espère qu’il n’en est rien. Je ne crois pas que l’enfant soit plus mal. »

Nelly lui offrit de préparer le déjeuner, qu’ils prirent tous trois ensemble quand le vieillard fut descendu. En ce moment, le maître d’école remarqua que son hôte paraissait extrêmement fatigué et devait avoir besoin de repos.

« Si le voyage que vous avez à faire est long, dit-il, et si vous n’êtes pas trop pressé, vous pourrez tout à votre aise passer ici une autre nuit ; cela me ferait plaisir, mon ami. »

Il vit que le vieillard consultait Nelly du regard, ignorant s’il devait accepter ou refuser l’offre.

« Je serais bien aise, ajouta-t-il, d’avoir auprès de moi un jour encore votre petite compagne. Si vous pouvez faire cette charité à un homme qui est seul et en même temps prendre vous-même un peu de repos, faites-la. S’il vous faut absolument continuer votre route, je vous souhaite un bon voyage, et je vous accompagnerai un bout de chemin avant l’ouverture de la classe.

— Que faut-il faire, Nell ? demanda le vieillard d’un ton d’irrésolution ; dis, qu’est-ce qu’il faut faire, ma chère Nell ? »

Il n’était pas besoin de beaucoup d’instances pour déterminer Nelly à répondre qu’il valait mieux accepter l’invitation et rester. Elle était heureuse, d’ailleurs, de prouver sa gratitude au bon maître d’école en s’acquittant avec zèle de tous les soins domestiques nécessaires au modeste cottage. Cette tâche étant achevée, Nelly tira de son panier un ouvrage d’aiguille, et s’assit sur un tabouret, près du treillage, où le chèvrefeuille de jardin et le chèvrefeuille sauvage croisaient leurs rameaux flexibles et se glissaient ensemble jusque dans la salle pour y répandre leur parfum exquis. Son grand-père se chauffait en dehors aux rayons du soleil, respirant la senteur des fleurs, et suivant d’un regard nonchalant la marche des nuages, que poussait le léger souffle du vent.

En voyant le maître d’école mettre en place les deux bancs, poser sa chaise dans la chaire et faire quelques autres dispositions pour la classe, Nelly craignit de le gêner et offrit de se retirer dans sa petite chambre à coucher. Mais il ne voulut pas y consentir ; et, comme il semblait content de l’avoir auprès de lui, elle resta, activement occupée de son ouvrage.

« Avez-vous beaucoup d’élèves, monsieur ? » demanda-t-elle.

Le pauvre maître d’école secoua la tête et répondit :

« À peine de quoi remplir ces deux bancs.

— Les autres sont-ils bien savants, monsieur ? demanda-t-elle encore, regardant les trophées attachés à la muraille.

— De bons petits enfants, dit-il, de bons petits enfants, ma chère ; mais aucun ne sera jamais capable d’en faire autant. »

Un petit garçon à la tête blonde et au visage hâlé par le soleil se montra à la porte tandis que le maître parlait, et, après s’y être arrêté pour saluer et lui tirer son pied par derrière, en manière de révérence, entra et prit sa place sur un des deux bancs. Le petit garçon à la tête blonde posa alors sur ses genoux un livre ouvert dont les pages étaient terriblement cornées, et fourrant les mains dans ses poches, commença à compter les billes dont elles étaient pleines, prouvant par l’expression de sa physionomie la disposition remarquable qu’il avait pour ne pas penser le moins du monde à l’abécédaire sur lequel ses yeux étaient axés. Bientôt après, un autre petit blond entra d’un pas traînant, puis un autre à cheveux roux, puis deux autres blondins, puis un autre avec une petite tête de caniche, jusqu’à ce qu’enfin les bancs fussent occupés par une douzaine environ de jeunes garçons avec des têtes de toutes couleurs (pas de têtes grises cependant), rangées selon l’âge, de quatre ans à quatorze et plus, car les jambes du plus jeune, lorsqu’il fut assis, se trouvèrent à une grande distance du plancher, tandis que le plus âgé, un gros lourdaud bien fort mais bien nigaud, avait au moins la moitié de la tête de plus que le maître d’école.

À l’extrémité du premier banc, le poste d’honneur dans l’école, était vide la place du petit élève malade ; et en tête des patères, où les enfants qui venaient avec des chapeaux ou des casquettes avaient l’habitude de les accrocher, il y avait aussi une place vide. Aucun enfant n’eût osé violer la sainteté du siège ou de la patère ; mais plus d’un portait son regard des endroits vides au maître d’école, et glissait derrière sa main ses réflexions à son voisin paresseux.

Alors commença le bourdonnement des leçons récitées, apprises par cœur, le chuchotement, les jeux dissimulés, tout le bruit, tout le tapage d’une école ; et, au milieu du vacarme, le pauvre maître, la douceur et la simplicité en personne, s’efforçait vainement de fixer son esprit sur les devoirs du jour et d’oublier son petit ami. L’ennui de son état ne lui rendait que plus présent encore le souvenir de l’écolier studieux, et sa pensée n’était pas avec ses élèves, on le voyait bien.

Cette disposition d’esprit n’échappa point aux plus paresseux ; s’enhardissant par l’impunité, ils devinrent plus bruyants et plus effrontés, jouant à pair ou non sous les yeux du maître, mangeant des pommes sans peur et sans reproche, se pinçant les uns les autres pour s’amuser ou par méchanceté, sans se cacher le moins du monde, et gravant leurs autographes au bas même de la chaire. L’idiot, qui était venu réciter sa leçon, ne s’amusa pas à regarder plus longtemps au plafond pour y chercher les mots oubliés ; il se rapprocha tout bonnement du siège du maître et plongea effrontément ses yeux sur la page ; le lustig de la petite troupe se mit à loucher, et à faire des grimaces, naturellement au plus jeune, sans se cacher derrière un livre, et l’assemblée émerveillée ne connut plus de bornes à sa gaieté. S’il arrivait au maître de se lever et s’il paraissait prêter quelque attention à ce qui se passait, le bruit cessait un moment et tous les regards redevenaient studieux et soumis. Mais aussitôt que la vigilance du maître se relâchait, le bruit éclatait de nouveau dix fois plus fort qu’auparavant.

Ah ! parmi ces petits paresseux, combien souhaitaient d’être dehors ! Ils contemplaient la porte ouverte et la fenêtre comme s’ils avaient dessein de sortir de force, de courir dans les bois pour y mener une vie d’enfants sauvages. Que de pensées de révolte faisaient naître la fraîche rivière et les bons endroits bien ombragés où il est si agréable de se baigner sous les saules dont les branches descendent jusque dans l’eau ! surtout chez ce gaillard, que je vois d’ici, avec son col de chemise déboutonné et rabattu sur son dos, éventant sa face rubiconde avec un abécédaire, et souhaitant d’être baleine ou cachalot, chauve-souris ou moucheron, tout ce qu’on voudra, plutôt que de rester à l’école par une chaleur torride. Ouf ! Demandez à cet autre garçon qui, assis le plus près de la porte, a pu mettre à profit cette circonstance pour se glisser dans le jardin et entraîner ses camarades par le mauvais exemple en plongeant son visage dans le seau du puits et se roulant ensuite sur le gazon ; demandez-lui s’il y eut jamais un jour comme celui-là, même quand les abeilles s’enfonçaient dans la corolle des fleurs et s’y tenaient immobiles comme si elles avaient résolu de se retirer des affaires et de fermer leur fabrique de miel. C’était un jour de sainte paresse, un jour fait pour s’étendre sur le dos au beau milieu de l’herbe, à regarder le ciel jusqu’à ce que son éclat forçât les yeux de se fermer, et demandez-moi un peu si ce temps-là était bien choisi pour forcer de braves garçons à se pâmer sur des livres moisis dans une chambre sombre où le soleil lui-même ne daignait pas pénétrer ! C’est une abomination.

Nelly était assise auprès de la fenêtre, occupée de son ouvrage, mais prêtant attention à ce qui se passait, bien qu’intimidée quelquefois par ces petits volcans. Quand les leçons furent récitées, on commença l’exercice d’écriture. Comme il n’y avait qu’un pupitre, celui du maître, chaque enfant vint s’y asseoir à son tour et y griffonner une page toute tordue, tandis que le maître se promenait de long en large. La classe était moins bruyante. Le maître s’approchait pour regarder par-dessus l’épaule de celui qui écrivait, en lui disant avec douceur de remarquer comme les lettres étaient formées sur les modèles placardés le long du mur. Il lui en faisait admirer les pleins et les déliés, en lui recommandant de chercher à les imiter. Il interrompait ensuite la leçon pour leur répéter ce que l’enfant malade avait dit la nuit précédente et combien il regrettait de n’être pas encore avec eux. Il y avait dans le ton et les paroles du pauvre maître d’école tant de bonté et de tendresse, que les jeunes garçons parurent éprouver du remords de l’avoir ainsi tourmenté, et rentrèrent dans l’ordre le plus absolu ; durant deux minutes au moins, on ne mangea plus de pommes, on n’écrivit plus son nom au couteau, on ne se pinça plus, on ne fit plus de grimaces.

« Je pense, mes amis, dit le maître d’école quand l’horloge sonna midi, que je vous donnerai aujourd’hui, par extraordinaire, demi-congé. »

À cette nouvelle, les écoliers, le grand garçon en tête, poussèrent des clameurs d’enthousiasme au milieu desquelles on vit le maître remuer les lèvres, mais sans parvenir à se faire entendre. Cependant, comme il agitait la main pour réclamer le silence, les élèves eurent assez de docilité pour se taire, aussitôt que les poumons les plus vigoureux de la troupe n’en purent plus à force de crier.

« Promettez-moi d’abord, dit le maître, de n’être pas trop bruyants, ou bien, si vous voulez faire du bruit, de vous en aller bien loin, hors du village s’entend. Je suis sûr que vous ne voudriez pas casser la tête à votre ancien et fidèle camarade. »

Ici s’éleva un murmure général, sans doute très-sincère, car ce n’étaient encore que des enfants, pour protester contre toute idée de troubler le repos du camarade. Le grand garçon, probablement avec autant de sincérité naïve que tous les autres, prit ses voisins à témoin que, s’il avait crié, il avait crié tout bas.

« N’oubliez donc pas mes recommandations, dit le maître ; mes chers amis, c’est une faveur que je vous demande personnellement. Amusez-vous autant que vous pourrez, mais souvenez-vous que tout le monde n’a pas le bonheur d’être aussi bien portant que vous. Allons ! adieu.

— Merci, monsieur, — adieu, monsieur, » ces mots furent prononcés une foule de fois sur tous les tons, et les enfants sortirent lentement et sans bruit. Mais le soleil brillait, et les oiseaux chantaient, comme le soleil ne brille et comme les oiseaux ne chantent qu’aux jours de congé ou de demi-congé ; et puis les arbres penchaient leurs branches comme pour inviter les écoliers échappés à grimper et à se nicher dans leurs branches feuillues ; le foin les suppliait de venir s’ébattre et se coucher sur son tapis au grand air ; le blé vert, par ses ondulations agaçantes, les appelait vers le bois et la rivière ; le pré, rendu plus doux encore par un mélange de lumière et d’ombre, les conviait à sauter, à gambader, à se promener Dieu sait où. C’était plus de joie qu’il n’en faut à un enfant pour le rendre heureux, et ce fut avec de vives acclamations que toute la troupe prit ses jambes à son cou et s’éparpilla en criant et riant sur son passage.

« C’est bien naturel, mon Dieu ! dit le pauvre maître d’école, les suivant de l’œil. Je suis bien content qu’ils ne fassent pas attention à ma peine. »

Il est difficile cependant de satisfaire tout le monde ; c’est ce que nous savons presque tous par expérience, sans parler de la fable d’où je tire cette maxime. Dans l’après-midi plusieurs mères et tantes d’élèves crurent devoir exprimer leur mécontentement de la conduite du maître d’école. Quelques-unes se bornèrent à des allusions, par exemple en demandant avec politesse si c’est que c’était un jour marqué en lettres rouges sur le calendrier, ou le nom du saint dont on chômait la fête ; d’autres, les fortes têtes politiques du village, déclarèrent que c’était traiter un peu lestement les droits de la souveraine et faire un affront à l’Église et à l’État ; elles crurent subodorer dans ce coup d’État des principes révolutionnaires. Accorder un demi-congé pour une circonstance moins importante que l’anniversaire de la reine ! c’était être bien hardi : mais la majorité n’alla pas par quatre chemins pour exprimer son déplaisir personnel en termes énergiques : selon elle, mettre les élèves à la demi-ration de la science dont on leur devait part entière, ce n’était rien moins qu’un acte manifeste de fraude et de vol effronté. Une vieille femme même, voyant qu’elle ne pouvait réussir à enflammer ou à irriter le paisible maître d’école en lui disant des impertinences, fit grand tapage hors de sa maison, et trouva moyen de lui adresser une mercuriale indirecte durant une demi-heure, en se tenant près de la fenêtre de l’école à dire à une autre vieille dame que le maître devrait nécessairement déduire ce demi-congé du payement de la semaine, ou qu’il pouvait bien s’attendre à recevoir une opposition par huissier ; on n’avait déjà pas tant besoin de paresseux dans le pays. Ici la vieille dame éleva la voix. Les individus trop paresseux même pour être maîtres d’école, pourraient bien, avant peu, voir d’autres individus leur passer sur le casaquin ; pour sa part, elle ne manquerait pas de donner aux postulants de bons avis, pour qu’ils se tinssent prêts au besoin. Mais tous ces reproches, toutes ces scènes de violence n’aboutirent pas à tirer une parole du bon maître d’école qui restait assis, ayant Nelly à ses côtés : seulement il en était un peu plus abattu peut-être, mais toujours silencieux et n’ouvrant pas la bouche, pas même pour se plaindre.

Vers la nuit, une vieille femme traversa le jardin en se traînant de son mieux : et ayant rencontré à sa porte le maître d’école, elle l’avertit de se rendre immédiatement chez la dame West, et de partir devant elle au plus vite. Le maître et Nelly étaient au moment d’aller faire un tour ensemble ; et, sans quitter la main de l’enfant, il se précipita dehors, laissant la messagère le suivre comme elle pourrait.

Ils s’arrêtèrent à la porte d’une chaumière : le maître frappa doucement avec la main. La porte fut ouverte aussitôt. Ils entrèrent dans une chambre où un petit groupe de femmes en entourait une plus âgée que les autres, qui pleurait amèrement ; se tordait les mains et s’abandonnait à des mouvements convulsifs.

« Chère dame, dit le maître d’école prenant une chaise auprès d’elle, eh quoi ! est-il donc si mal ?

— Il s’en va grand train, s’écria la vieille femme ; mon petit-fils se meurt ! Et tout cela par votre faute. Je ne vous laisserais certainement pas en ce moment approcher de lui, n’était le vif désir qu’il a de vous voir. Voilà où vous l’avez réduit avec votre belle instruction. Ô mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! que faire ? …

— Ne dites pas qu’il y ait de ma faute, répondit le bon maître d’école. Je ne vous en veux pas, ma chère dame. Non, non ! vous êtes accablée, et vous ne pensez pas ce que vous dites. Je suis sûr que vous ne le pensez pas.

— Que si, répliqua la vieille femme, je le pense tout à fait. S’il ne s’était pas consumé sur ses livres, parce qu’il avait peur de vous, il serait maintenant gai et bien portant ! Je le sais bien, allez ! »

Le maître d’école regarda les autres femmes comme pour obtenir qu’une d’entre elles prononçât en sa faveur une parole bienveillante ; mais elles secouèrent la tête, et se dirent mutuellement à l’oreille qu’elles n’avaient jamais pensé que l’instruction fût bonne à grand’chose, et que cet exemple le prouvait bien. Sans répliquer par un seul mot, par un seul regard de reproche, le maître suivit la vieille garde-malade qui était venue le chercher et qui arrivait à l’instant, dans une autre chambre où l’enfant chéri du maître se trouvait à demi habillé et étendu sur un lit.

C’était un très-jeune garçon, presque un petit enfant. Ses cheveux encore bouclés ombrageaient son front, et ses yeux étaient extrêmement brillants ; mais leur éclat tenait plus du ciel que de la terre. Le maître d’école s’assit près de lui, et, se penchant vers l’oreiller, lui murmura son nom. L’enfant tressaillit, lui caressa le visage avec sa main, lui enlaça le cou de ses bras amaigris, en s’écriant que c’était son cher bon ami.

« Oui, je le suis, je l’ai toujours été, Dieu le sait ! dit le pauvre maître d’école.

— Quelle est cette jeune fille ? demanda l’enfant, à la vue de Nelly. Je n’ose l’embrasser, de peur de lui donner mon mal. Priez-la de me serrer la main. »

Nelly s’approcha en sanglotant et prit dans ses mains la petite main languissante que l’enfant malade retira au bout de quelques moments, en se laissant retomber doucement.

« Vous souvenez-vous du jardin, Harry, dit à demi-voix le maître d’école pour le tenir éveillé, car il semblait s’appesantir ; vous souvenez-vous comme vous le trouviez agréable le soir ? Il faut vous dépêcher de revenir le visiter encore, car je crois que toutes les fleurs vous regrettent. Je les trouve moins brillantes qu’auparavant. Vous y viendrez bientôt, mon cher petit, le plus tôt possible, n’est-ce pas ? »

L’enfant sourit doucement, tout doucement, et posa sa main sur la tête grise de son ami. Il remua aussi les lèvres, mais sans voix ; il n’en sortit pas un son, pas un seul.

Au milieu du silence qui suivit ces paroles, le bruit de voix éloignées, porté par la brise du soir, arriva à travers la fenêtre ouverte.

« Qu’est-ce que cela ? dit l’enfant ouvrant ses yeux.

— Vos camarades qui jouent sur la pelouse. »

L’enfant prit un mouchoir sous son oreiller et essaya de l’agiter au-dessus de sa tête. Mais son bras retomba sans force.

« Voulez-vous que je le fasse pour vous ? dit le maître d’école.

— Oui, s’il vous plaît, agitez-le à la fenêtre. Attachez-le au treillage. Quelques-uns de mes camarades le verront sans doute ; peut-être penseront-ils à moi et regarderont-ils de mon côté. »

Il souleva sa tête, et son regard alla du signal flottant à l’inutile raquette qui était posée sur une table dans la chambre, à côté de l’ardoise, d’un livre et autres objets autrefois à son usage. Une fois encore il se laissa retomber doucement et demanda si la jeune fille était là, parce qu’il voulait la voir.

Elle s’avança et pressa sa main inerte qui pendait sur le couvre-pied. Les deux vieux amis, les deux camarades, car ils l’étaient, bien que l’un fût un homme et l’autre un enfant, s’unirent dans un long embrassement ; puis le petit écolier se retourna du côté de la muraille et s’endormit.

Le pauvre maître d’école resta assis à la même place, tenant dans ses mains la froide main pour la réchauffer ; mais ce n’était plus que la main d’un enfant mort. Il le sentait, et cependant il continuait de la réchauffer encore sans pouvoir se résoudre à la quitter.