Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 2/La célébration du râdjasoûya

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Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 2p. 442-452).


LA CÉLÉBRATION DU RADJASOUYA.



Vaîçampâyana dit :

Grâce à la protection d’Youddhishthira, au maintien de la vérité et à l’extermination des ennemis, il n’y avait pas une créature, qui ne trouvât son bonheur dans ses occupations régulières. 1204.

Grâce aux dons, que répandaient les puissants, grâce au devoir, dont les lois étaient respectées, Indra versait les pluies à souhait et les campagnes étaient fécondes. 1205.

La surveillance des troupeaux, l’agriculture, le commerce, toutes les entreprises suivaient bien leur cours ; mais il n’était rien de tout cela, sans exception, qui n’eût pour sa cause les soins du monarque. 1206.

On n’entendait pas le roi ou un favori du roi se dire l’un à l’autre, sire, des paroles sans justice pour des voleurs ou des fripons. 1207.

Ni la sécheresse ou l’inondation, ni les malheurs causés par le feu ou les maladies, rien alors de tout cela n’existait, parce que Dharmarâdja n’abandonnait jamais le devoir. 1208.

Les rois venaient pour faire la cour, s’acquitter du tribut, satisfaire un mouvement naturel ; ils ne venaient jamais par d’autres causes. 1209.

Des accroissements légitimes de richesses avaient augmenté ses trésors à tel point qu’on n’aurait pu les épuiser par les dépenses de plusieurs centaines d’années. 1210.

Quand le royal fils de Kountî, le souverain de la terre, vit cette masse d’argent et d’or brut ou travaillé de ses trésors, il tourna son esprit à la pensée du sacrifice. 1211.

Tous ses amis lui dirent, chacun en particulier et tous de compagnie : « Arrête ici maintenant le jour du sacrifice ! » 1212.

Tandis qu’ils parlaient de cette manière voici venir Hari, l’antique rishi, l’âme des Védas, invisible à ceux-mêmes, qui ont la connaissance, 1213.

Le plus grand des êtres du monde, l’Origine, l’Éternel, le soutien de ce qui a été, de ce qui est, de ce qui sera, Kéçava aux longs cheveux, le meurtrier de Kéçi, 1214.

L’exterminateur des ennemis, l’asile assuré dans les infortunes, le retranchement de tous les Vrishnides ; Hari faisant résonner à la fois les tambours et les tymbales, insigne du commandement des armées. 1215.

Quand Mâdhava, le premier des hommes, eut donné à Dharmarâdja une multitude variée de richesses ; il entra, environné de sa grande armée, au bruit éclatant de son char, dans cette ville capitale, impérissable, sans limite, océan de pierreries, réceptacle des richesses. 1216-1217.

Remplissant cette ville déjà pleine, il apportait le deuil à ses ennemis. La cité des Bharatides se réjouit de cette arrivée de Krishna, comme un jour sans soleil se réjouit du soleil, comme le calme plat se réjouit du vent. Réuni à lui avec des transports de joie et l’ayant honoré, suivant l’étiquette, 1218-1219.

Youddhishthira le fit asseoir commodément et l’interrogea sur sa bonne santé. Puis, accompagné des ritouidjs, Dhaâumya et Dwaîpâyana à leur tête, de Bhîma, d’Arjouna et de ses deux frères jumeaux, l’éminent personnage dit à Krishna : « Grâce à toi, Krishna, toute la terre est réduite sous ma puissance. 1220-1221.

» Favorisé par toi, rejeton de Vrishni, j’ai conquis des richesses considérables : je désire, fils de Dévakî, les employer toutes suivant les rites en dons aux principaux des brahmes dans la célébration d’un sacrifice. Mon désir est donc, assisté par toi, Dâçârhain, de célébrer le grand râdjasoûya. 1222.

» Veuille bien, prince aux longs bras, m’en accorder la permission, à moi et à mes frères puînés. Donne-toi, puissant Govinda, l’initiation à toi-même pour cette sainte cérémonie. 1223-1224.

» Célébré par toi, Dâçârhain, le sacrifice me lavera de mes péchés : donne-nous ton agrément, seigneur, à mes frères et à moi. 1225.

» Avec ta permission, Krishna, j’aborderai le plus grand des sacrifices. » * Krishna de lui répondre, peignant d’un mot l’étendue de ses qualités : 1226.

« Tigre des rois, tu es digne de l’empire universel. Aborde ce grand sacrifice : toi l’accomplissant, c’est comme si nous l’avions accompli nous-mêmes. 1227.

» Offre le sacrifice, que tu désires, tandis que je suis dans les dispositions les plus favorables. Use de moi à ta volonté ; je ferai tout ce que tu me diras. » 1228.

« Ma pensée, reprit Youddhishthira, n’a pas été stérile : je dois nécessairement atteindre à la perfection, Hrishîkéça, puisque, suivant mon désir, je te vois à mes côtés. » 1229.

Autorisé de cette façon par Krishna, l’aîné des Pândouides avec ses puînés de commencer les préparatifs pour le sacrifice du râdjasoûya. 1230.

Ce noble meurtrier des ennemis donna cet ordre à Sahadéva, le plus vaillant des guerriers, et à tous ses ministres : 1231.

« Qu’on apporte vite dans ce sacrifice, suivant la connexion, suivant l’ordre, tous les membres, qui doivent former le corps du sacrifice, conformément aux paroles des brahmes, les vases et les offrandes, les choses fortunées, sans rien omettre ! Qu’on fasse, telles que Dhaâumya les indique, toutes les dispositions en rapport avec les sacrifices ! 1232-1233.

» Qu’inspirés par le désir de m’être agréables, Indraséna, Viçoka, Pourou, Arjouna et Sârathi soient attentifs à faire apporter les aliments et tout ce qu’il faut à la vie !

» Que tous les désirs, ô le plus vertueux des enfants de Kourou, soient comblés de choses ravissantes, causant la joie des brahmes, charmant le goût et l’odorat ! »

Bientôt Sahadéva, le plus vaillant des guerriers, vint annoncer à Youddhishthira, le roi de la justice, qu’on avait exécuté déjà tout dans un temps aussi court que l’avait été sa parole. 1234-1235-1236.

Ensuite Dwaîpâyana, sire, amena les ritouidjs, vertueux brahmes, tels que les Védas mêmes, incarnés dans un corps visible. 1237.

Le fils de Satyavatî fit lui-même dans ce sacrifice les fonctions de prêtre officiant ; Sousâmon y fut le chantre du Sâma-Véda. 1238.

Le bien vertueux Yâjnavalkya y fut l’excellent adhwaryou ; Paîla, fils de Vasou, assisté de Dhaâumya, y remplit les fonctions du hotri. 1239.

Leurs fiïs et les différentes classes de leurs disciples, tous avant abordé sur la rive ultérieure des Védas et des Védângas, furent les hotragas, le cortège des oblations. Après qu’ils eurent proclamé le saint jour et qu’ils en eurent accompli toutes les règles, 1240.

Ils consacrèrent le grand sacrifice des Dieux, suivant la manière enseignée par les Çâsitas ; et des ouvrière, la permission accordée, se mirent à construire des logis parfumés, vastes, semblables aux maisons des habitants du ciel. Alors cet auguste monarque, le plus vertueux des rois, commande à Sahadéva, son ministre : « Envoie à l’instant même des messagers à la course rapide porter les invitations. » 1241-1242-1243.

À cet ordre du souverain, celui-ci d’expédier les courriers : « Invitez les brahmes et les rois, leur dit-il ; amenez les honorables vaîçyas et tous les çoûdras. 1244-1245.

Congédiés avec cette instruction, les messagers de faire les invitations et d’envoyer eux-mêmes promptement çà et là d’autres hommes à la marche légère. 1246.

Les brahmes alors, puissant Bharatide, de conférer au temps fixe l’initiation pour le râdjasoûya à Youddhishthira, le fils de Kountî, 1247.

Le vertueux fils d’Yama consacré se rendit à l’autel du sacrifice, environné de brahmes par milliers, 1248.

Accompagné de ses frères, de ses parents, de ses amis, de ses conseillers, des kshatryas et des souverains, qui s’étaient réunis là de toutes les contrées. 1249.

Entouré des ministres, le plus éminent des hommes semblait aux yeux le Devoir même incarné. Des brahmes versés dans toutes les sciences, qui avaient lu entièrement le Véda et les Védângas, étaient accourus en ce lieu de pays situées çà et là sur la terre. Des ouvriers par milliers avaient construit pour chacune de ces compagnies en particulier, suivant les ordres d’Youddhisthira, des habitations remplies d’aliments, de couvertures, et douées des qualités requises par toutes les saisons. 1250-1251-1252.

Ce fut là que, bien traités du roi, demeurèrent les brahmes, s’amusant à conter de nombreuses histoires ou regarder les jeux des comédiens et des jongleurs. 1253,

On entendait là sans relâche un grand bruit de magnanimes brahmes dans la joie, causant et mangeant. 1254.

« Qu’on donne ! donnez ! — Mangez ! qu’on mange ! » Ces paroles et de semblables frappaient continuellement les oreilles. 1255,

À chacun deux en particulier, Youddhishthira, par centaines de mille, donna des vaches, des couvertures, de l’or et même des femmes. 1256.

Le sacrifice du héros au grand cœur, fils de Pândou, fut célébré sur la terre, comme celui d’Indra au sein du ciel. 1267.

Ensuite, Véminent roi Youddhishthira d’envoyer Nakoula, son frère, à Indraprastha vers Bhishma, 1258.

Drona, Dhritarâshtra, Vidoura, Kripa et tous les cousins, qui étaient dévoués à Dharmarâdja. 1259.

Arrivé à Indraprastha, le Pândouide victorieux dans les batailles, Nakoula transmit l’invitation à Bhîshma et à Dhritarâshtra. 1260.

Ceux-ci, invités avec révérence, s’acheminèrent d’une âme joyeuse vers le sacrifice, les instituteurs spirituels à leur tête, et marchant à la suite des brahmes. 1261.

La nouvelle du sacrifice d’Youddhishthira y fit accourir les hommes, qui en savaient les cérémonies ; d’autres y vinrent par le désir de voir l’assemblée et l’aîné des fils de Pândou ; les kshatryas s’y rendirent des points différents de la terre ; mais tous affluaient là, Bharatide, avec des cœurs satisfaits. 1262-1263.

On y vit arriver, apportant les trésors grands et variés de leurs joyaux, Bhîshma, le sage Vidoura, Dhritaràshtra, 1264.

Et tous ses fils, Douryodhana à leur tête, Soubala, le roi de Gàndhàra, Çakouni à la grande force, 1265.

Atchala, Vrishaka et Karna, le plus habile des conducteurs de chars, le vigoureux Çalya et Vâhlika aux grandes forces, 1266.

Somadatta, le rejeton de Kourou, Bhoûri, Bhoûriçravas, Çala, Açvatthâman, Kripa, Drona et Djayadratha, né sur les rives du Sindhou, 1267.

Yajnaséna, Çâlva, le souverain de la terre, avec son fils, et Bhagadatta au grand char, le roi du Prâgdjyotisba, Avec tous les Mlétchhas, qui habitent les humides régions voisines de la mer ; les rois montagnards et le roi Vrihadbala, 1268-1269.

Et Vâsoudéva le Poundrakain, Vanya du Kalinga, Akarsha et Kountala, les Mâlavas et les Andrakas, 1270.

Les Drâvindas, les Sikbalas et le roi du Kâsbmlre, Kountibhodja à la grande splendeur, le prince aux blancs coursiers, 1271.

D’autres héros et tous les rois du Vâhlika, Virâta avec ses fils, et Màvella à la grande force, 1272.

Les rois et les fils de rois, souverains de pays différents, Çiçoupâla à l’immense vigueur avec son fils. 1273.

Çiçoupâla, ivre de combats, vint au sacrifice du fils de Pàndou, ainsi que Râma, Nirouddha, Kanka avec Sârana, 1274.

Gada, Pradyoumna, Çâmba, le vigoureux Tcharoudéshna, Oulmouka, Niçatha et l’héroïque Angâvaha.

Tous ces héros et d’autres, enfants comme eux de Vrishnî, vinrent au sacrifice. Ces rois et d’autres en grand nombre, nés dans la région du milieu, 1275-1276.

Accoururent au râdjasoûya, le grand sacrifice, du fils de Pândou. Suivant Perdre d’Youddhishthira, on leur distribua des habitations, 1277.

Bien pourvues d’aliments, sire, parées d’arbres et de vastes étangs. Dharmarâdja lui-même combla d’hommages ces magnanimes. 1278.

Les rois, bien traités, entrèrent dans ces demeures, faites au gré de leurs désirs, ravissantes, ornées d’opulence, semblables en hauteur aux cîmes du Kaîlâsa,

Toutes garnies de fenêtres d’or, embellies d’un pavé en pierres fines, entourées de tous côtés par des remparts hauts, blancs, artistement construits, 1279-1280.

Servies par des escaliers aux marches douces, couvertes tout à l’entour de grands sièges, tapissées de bouquets et de guirlandes, parfumées du plus suave aloës.

Pareilles en couleur au cygne ou à la lune, offrant une agréable perspective à la distance d’un yodjana, accèssibles, percées de portes égales, réunissant maints différents avantages, 1281-1282.

Et les membres, tels que les cîmes de l’Himavat, doués de plusieurs métaux. Quand les rois se furent délassés, ils virent, entouré d’une multitude de présents, 1283.

Environné d’une foule d’assistants, Youddhishthira, le roi de la justice. Pleine de rois, de brahmes et de grands saints, cette assemblée resplendissait alors comme le palais des cieux rempli d’immortels. 1284-1285.

Youddhishthira de s’avancer à la rencontre de son bisaïeul et de son instituteur spirituel. Il se prosterna à leurs pieds, sire, et tint ce langage 1286.

À Bhîshma, à Drona et son fils, à Douryodhana et ses plusieurs fois vingt frères : « Que vos excellences me soient entièrement favorables dans ce sacrifice ! 1287.

» Ces richesses considérables, que je possède ici, elles sont à vous. Que vos excellences me favorisent selon mes désirs en ce sacrifice, auquel je les ai convoqués. » 1288.

Le frère aîné des Pândouides, consacré par l’initiation, quand il eut ainsi parlé à tous, leur assigna aussitôt diverses fonctions conformes à leur aptitude. 1289.

Il confia l’administration des vivres et des festins à Douççâsana : il chargea Açvatthaman des rapports avec les brahmes. 1290.

Il remit à Sandjaya l’échange des civilités avec les rois ; deux hommes à la haute sagesse, Bhîshma et Drona, furent préposés à la connaissance de ce qui était ou n’était pas fait. 1291.

Le monarque donna à Kripa le soin de surveiller l’argent, l’or, les pierreries, et de répartir les honoraires du sacrifice. 1292.

Il employa les autres princes à telle ou telle autre affaire. Vâhlîka, Dhritarâshtra, Somadatta, Djayadratha, 1293.

Venus à l’invitation de Nakoula, jouîssaient là des plaisirs en maîtres du palais. Vidoura, le fils de la femme esclave, instruit dans tous les devoirs, eut pour mission de faire les dépenses. 1294.

Les révérences dues aux brahmes furent entièrement confiées à Douryodhana : la charge de Krishna fut celle de laver leurs pieds, 1295.

Aucun de ces hommes rassemblés de tous les pays, amenés par le désir de voir l’assemblée, de contempler Youddhishthira et de savourer l’excellence d’une rémunération supérieure, n’offrit pas un hommage, qui fût inférieur à mille, et n’enrichit pas Dharmarâdja d’une multitude de pierreries. 1296-1297,

« Comment puis-je aider, par le don de mes joyaux, le fils de Kountî à célébrer le sacrifice ? » Ainsi pensaient les rois et chacun d’eux à l’envi donnait ses richesses. 1298.

L’assemblée du magnanime fils de Kountî resplendissait alors de maisons aux cîmes de temples, flanquées de tours, environnées d’armées. Elle éblouissait par des palais de rois, par das habitations de brahmes, par des édifices bien appropriés, semblables aux palais célestes, incrustés de pierreries diverses, comblés d’une suprême abondance, peuplés d’une foule de rois, dont Çrî s’était complue, sire, à accroître les richesses. 1299-1300-1301,

Youddhishthira, dans ces jours, rivalisa d’opulence avec le Dieu Varouna ; il offrit un sacrifice de six feux, regorgeant de présents honorifiques. 1302.

Approvisionné de nourritures et de maints aliments, environné d’un monde de cuisiniers[1], il rassasia avec abondance tous les désirs de tous les assistants. 1303.

Cette assemblée fut comblée de pierreries et de mets. Dans ce grand sacrifice, des Maharshis, habiles dans la science des prières, des libations, des sacrifices avec le beurre clarifié et la vache, assouvirent la faim des Dieux. Les brahmes furent, comme les Dieux, rassasiés de grandes richesses ; et, dans ce sacrifice, toutes les castes furent saturées de joie. 1304-1305-1306.


  1. Bhuktavat. Il nous semble que ce mot doit et peut avoir ici le sens de cuisinier. Mais voici le sens le plus ordinaire : d’un monde bien nourri.