Le Malheur d’être laide

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LE MALHEUR D’ÊTRE LAIDE





En vain sur mon malheur, Alfred veut me tromper,
Aux torts qu’il se reproche, il ne peut échapper ;
En vain, il se promet de me rester fidèle ;
Sa tristesse me dit que je ne suis plus belle.
Hélas ! son inconstance est peinte en ses regrets.
Depuis qu’un mal affreux a dévasté mes traits,
Dans mes yeux autrefois embellis par mes larmes,
La douleur elle-même a perdu tous ses charmes.
L’orgueil de mon amour est détruit pour jamais,
Et je crains les regards de celui que j’aimais !
Pourquoi ses tendres soins m’ont-ils rendu la vie ?
Dans la tombe du moins la beauté m’eût suivie ;
La mort ne m’aurait point enlevé son amour,
J’aurais charmé ses yeux jusqu’à mon dernier jour,
Et, rendant à ma cendre un douloureux hommage,
Son cœur serait resté fidèle à mon image !

Maintenant il s’épuise en serments superflus
Pour exprimer encor l’amour qu’il ne sent plus.
Sans espoir de bonheur, sans trouble, sans ivresse,
C’est dans ses souvenirs qu’il cherche sa tendresse,
Et, triste lorsqu’il veut m’admirer aujourd’hui,
Ses yeux sur mon portrait se fixent malgré lui.
Pour être plus sincère, en sa pitié touchante,

Il dit que je suis bonne, et que ma voix l’enchante.
Quand, des soins d’une amie implorant la douceur,
Je repose mon front sur le sein de ma sœur,
Il sourit tendrement, il nous regarde ensemble,
Et dit, pour me flatter, que ma sœur me ressemble.
Mais celle qui garda ses attraits séduisants,
Et celle qui, mourante à la fleur de ses ans,
A vu s’évanouir une beauté trop chère,
Ne se ressemblent plus qu’aux regards d’une mère.

En vain la mienne aussi cherche à me rassurer,
Et des mêmes atours veut encore me parer ;
Sa ruse ne saurait tromper celui que j’aime,
Et pour lui seul, hélas ! je ne suis plus la même !
Ah ! puisque son bonheur n’est plus en mon pouvoir,
Qu’un autre l’accomplisse !… et je saurai le voir !
Qu’il lui porte ces fleurs, ces voiles d’hyménée,
Cette blanche couronne à mon front destinée,
Oui… de ma jeune sœur qu’il devienne l’époux,
Qu’elle rende la joie à ses regards si doux,
Et qu’Alfred, dégagé de sa foi généreuse,
Oublie en l’admirant que je suis malheureuse !