Le Malheur d’Henriette Gérard/Chapitre 03

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Poulet-Malassis et De Broise (p. 39-56).


CHAPITRE III


remue-ménage général


La soirée où Henriette avait fait tant d’impression sur Corbie était celle du 2 mai.

Le frère de Pierre Gérard était un être d’une intelligence bornée, et très préoccupé de lui-même, des qualités qu’il pensait posséder.

Il avait la vanité d’être doué de tous les mérites et aurait voulu qu’on ne lui parlât que de lui, qu’on le régalât continuellement de son éloge. Il se reconnaissait toujours dans tous les portraits avantageux qu’on faisait des autres, et sollicitait souvent, en petit comité, la famille de constater qu’il était digne d’éloges sous tous les rapports.

Toutefois, une profonde timidité le condamnait au silence la plupart du temps, et l’empêchait de se montrer tracassier ou de paraître trop grotesque.

L’oncle Corbie avait vu grandir Henriette, et depuis un an surtout qu’elle avait achevé le développement de son adolescence, il se sentait de mauvaise humeur, quand il rentrait à Bourgthéroin, contre l’aspect vieux et laid de sa servante.

La timidité de Corbie l’avait tenu toute sa vie éloigné des femmes, sauf peut-être deux ou trois aventures involontaires. Henriette, par ses talents, sa beauté, son esprit, lui inspirait une sorte de crainte, en même temps qu’elle avait enflammé toutes ses aspirations contenues. Ce n’était pas de l’amour, mais une sorte de croyance comique qu’Henriette était faite pour lui, et que, seul, il était digne d’elle, par son caractère et ses sentiments. Rapprochant ces divers petits faits, qu’Henriette lui avait peint son portrait, qu’elle le regardait souvent, plaisantait avec lui, tenait à connaître son avis sur les romances qu’elle chantait, les figures qu’elle dessinait, Corbie imaginait qu’elle le distinguait. Il se disait que les oncles épousaient les nièces fréquemment. Une seule chose l’inquiétait : il n’avait que 4,000 fr. de rentes, et les vues de son frère et de sa belle-sœur s’élevaient à un beaucoup plus riche parti pour leur fille. Aussi n’avait-il jamais osé leur ouvrir son cœur à ce sujet ; mais, persuadé qu’Henriette serait ravie d’un tel mariage, il jugeait qu’étant ainsi deux à le vouloir, on ne contrarierait pas leur vœu commun.

Néanmoins sa timidité s’opposait à ce qu’il tentât aucune ouverture auprès de sa nièce, dont la supériorité lui inspirait du respect, lorsqu’une conversation qui eut lieu chez madame Gérard vint le remplir de confiance et de hardiesse.

Le gros homme s’était trouvé à une des réceptions de sa belle-sœur, où la conversation tomba sur le cœur et l’esprit, la jeunesse et la vieillesse. On épuisa tout La Rochefoucauld, je crois ; jeunes gens ardents, vieillards spirituels et femmes intelligentes, tout le monde venait chez madame Gérard pour causer, et on y causait consciencieusement, comme si on avait joué à ces jeux, si chers à la province, qu’on appelle la syllabe, la sellette, etc. Cette conversation émut beaucoup Corbie, et il lança enfin, avec anxiété, une question qui habitait depuis longtemps dans son sein.

« N’y a-t-il pas, dit-il, des gens qui conservent longtemps le cœur et l’esprit jeunes, quoiqu’ils puissent passer, par leur âge, pour n’être plus jeunes ?

— Certainement, s’écria madame Gérard, qui avait l’air de Corinne, cela se voit, et on le reconnaît à des signes manifestes, qui forment une loi immuable, presque sans exceptions. »

Corbie était tendu de toute son attente, comme un chien qui s’apprête à recevoir un os que suce son maître.

« En général, ajouta madame Gérard, le physique participe à ce printemps prolongé. On rencontre quelquefois des hommes semi-grisonnants, dont les cheveux noirs luttent avec acharnement contre les blancs. Ils ont des yeux vifs, le teint animé, des gestes brusques ou plutôt rapides…, tout le monde en a vu. »

Et l’oncle Corbie, tout frémissant, comme s’il avait été une corde de violon pincée par sa belle-sœur, se disait tout bas : « C’est moi, c’est bien moi ! » Il était étonné que tout le monde ne se tournât pas de son côté et ne s’écriât pas : « Mais c’est comme M. Corbie. » Ses petits yeux brillaient, un sourire modeste tortillait sa bouche ; son ventre avait de petits soubresauts joyeux, et sa chaise craquait sous lui, partageant son allégresse.

« L’âge véritable, continua madame Gérard, est cependant empreint sur leur physionomie, personne ne s’y trompera. Chacun dira : « Voilà un homme de cinquante-six ans, » par exemple.

« Moi ! » continuait à se dire tout bas Corbie, qui avait cinquante-six ans.

« Mais on gardera une vague impression, comment dirai-je, d’un dessous de trente-huit ans… »

L’oncle fut tout ravi de se voir faire ainsi cadeau de dix-huit ans !

« C’est charmant ! » dirent avec de fins sourires les personnes qui écoutaient. Madame Gérard était comme un nageur qui dans l’eau se sent une facilité de mouvements toute réjouissante et barbote à plaisir. Avant lu dans un feuilleton ce qu’elle récitait, elle barbotait dans sa propre éloquence et faisait des passes pour éblouir son public.

Une seule créature avait l’abomination d’être à cent lieues de ces symphonies d’esprit. C’était Aristide, que préoccupait depuis un quart d’heure un petit lacet dénoué, sautillant sur la jupe de la robe de madame Gérard. Ce petit lacet suivait tous les mouvements de celle qui parlait, et semblait appuyer sa vivacité les dires de la mère d’Aristide. Le jeune homme ne méditait rien moins que de réduire le lacet au silence en l’attachant sournoisement à un bouton de l’habit de Corbie. Il faillit troubler plusieurs fois l’entretien en cherchant à exécuter son complot, mais il ne lui fut pas permis de détruire ainsi le germe d’une aventure funeste qui se préparait ce jour-là.

Madame Gérard continuait « C’est que l’homme intérieur domine l’homme extérieur. Voyons, par exemple : tenez, comme une lumière qui rend transparentes les parois d’une lanterne.

Cette phrase fit les délices de l’auditoire ; il y eut un murmure véritablement flatteur pour l’improvisatrice. Et pourtant, si Henriette se fût trouvée là, elle aurait désorganisé ce triomphe, car elle avait lu le matin, dans le journal, le discours de madame sa mère.

Corbie, plein d’impatience, s’écria : « Et quel caractère a-t-il, cet homme ? » sans qu’on pût savoir s’il voulait parler de l’homme intérieur ou de l’homme extérieur.

« Attendez, reprit sa belle-sœur en souriant, cette illumination dont nous parlons provient de la nature des idées qui occupent cet homme de 38-56. Les idées jeunes, gracieuses ou fougueuses, ont une phosphorescence qui subsiste toujours. »

Cette hauteur de prétentieux ne fit pas sourciller un front ; on trouvait cela toujours très remarquable, et on l’écoutait comme un solo dans un orchestre.

« Cette phosphorescence demeure d’autant plus vive qu’elle surgit dans les premières obscurités de l’âge mûr, de la vieillesse même, et cela en raison du contraste. Ainsi ces caractères aiment les oiseaux, les fleurs le coucher du soleil, toutes choses qui constituent le gracieux de la vie.

— Oui ! » dit Corbie avec une profonde conviction.

De toutes parts s’élevèrent des « Comme c’est vrai ! Quelle finesse d’observation ! On devrait écrire cela ! »

« En même temps, dit madame Gérard, ils aiment le bruit, le mouvement, les aventures, les récits de batailles, les romans rudement taillés ; c’est la partie exaltée de leur nature, et ils y joignent la simplicité, c’est-à-dire l’absence de manies, la facilité à vivre, la bonne humeur ; ils ont l’expérience, la pratique de l’existence, la bonté ; ce sont peut-être les meilleures organisations. »

Le pauvre visionnaire Corbie se tordait de plaisir sur sa chaise, en entendant faire ainsi ce qu’il appelait son éloge.

Quand on trouve des diamants, on les enferme soigneusement ; puis, soir et matin, on les contemple et on les caresse dans sa main ; Corbie renferma tout aussi précieusement en lui-même les paroles de sa belle-sœur. Il venait de se voir révéler son âme par cette femme omnisciente et omnipotente. Il se trouvait garanti, breveté excellente nature, par la mère d’Henriette. Cela le décida, certain, en s’offrant à la jeune fille, de lui offrir un être souverainement bon et agréable, dont les qualités payeraient à peu près à leur prix les talents surhumains qu’elle possédait. Cependant, il n’osa pas davantage s’en ouvrir au père ou à la mère, et il chercha pendant plusieurs jours une occasion d’entretenir sa nièce seule.

Quant à madame Gérard, elle avait deux langages : un d’apparat, dont elle se servait pour les réceptions, et un autre plus simple, plus humain, pour les affaires de famille et d’intérêt. Je dis cela pour expliquer les raffinements de causerie qui ont paru tout à coup, et qui pourraient faire croire qu’elle s’exprimait toujours de cette façon ambitieuse et professorale.

Du reste, toute la colonie des Tournelles vivait à ce moment dans une grande activité d’esprit et de mouvement.

Il était arrivé depuis six mois à Villevieille une madame veuve Baudouin, femme assez riche, originaire de la ville, et qui s’y réfugiait un peu en souvenir de son enfance qui s’y était écoulée, et beaucoup pour être la première dans cette petite ville. Ses trente mille livres de rentes lui assuraient, en effet, une incontestable prééminence. C’était une grosse femme, d’un âge assez mûr, sans méchanceté et sans bonté, grandement insignifiante, à qui il fallait de la société autour d’elle, et une société un peu soumise, qu’elle comptait s’attacher par des dîners et des petits gâteaux.

Celle-là était plus dévote que madame Gérard, et, de plus, l’était avec désintéressement. Dans sa vie, elle avait pratiqué quelques évêques, ce qui donnait aussi plus de relief à sa dévotion.

En s’installant à Villevieille, elle fit assez de fracas, meubla une maison richement et invita ce qu’il y avait de mieux. Elle avait apporté une lettre d’un évoque pour le curé de Saint-Louis, paroisse rivale de celle de Saint-Anselme, dirigée par le curé Doulinet. M. l’abbé Durieu s’abattit aussitôt sur madame Baudouin. Les choses se passèrent au rebours de ce qui existait entre M. Doulinet et madame Gérard, qui était la dominatrice de cet ecclésiastique, homme doux et timide. L’abbé Durieu s’empara de madame Baudouin et lui donna des conseils sur la conduite à tenir. Il lui dit d’abord que si elle cherchait à éclipser et à dominer, ce rôle serait encore plus difficile en province qu’à Paris, parce qu’à Villevieille, où tout le monde était parent ou allié, on se retirerait d’une maison où l’on verrait des intentions de primauté trop marquées. « Ce n’est que par la piété et la charité que vous obtiendrez ici une influence réelle, lui dit-il ; vous pouvez employer votre fortune par ces deux voies, sans exciter l’inimitié ou l’envie. On louera votre conduite, et on aura raison. »

Madame Baudouin aimait les prêtres, parce qu’elle les avait toujours trouvés plus agréables pour elle que les autres hommes, l’insignifiance de sa personne ayant toujours rebuté les gens qui n’avaient aucun intérêt à être aimables, tandis que chez les prêtres elle avait trouvé ces attentions, ces hommages qui lui plaisaient. Les prêtres recherchent en effet volontiers la société des femmes, car les autres hommes leur sont presque toujours hostiles et les accueillent d’une manière acerbe et moqueuse.

Le curé Durieu était mortifié de ce que madame Gérard lui eût préféré le curé Doulinet, auquel il se savait supérieur par l’intelligence ; il la représenta donc à madame Baudouin comme une femme légère, compromise même, à cause du président, et qu’on ne pouvait pas voir. La nouvelle venue ne fit pas de visite à madame Gérard, ce dont celle-ci fut très froissée.

En outre, le curé de Saint-Louis, voyant les avantages que son collègue retirait de l’appui de madame Gérard, qui avait fondé une Société de bienfaisance dite de Saint-Vincent-de-Paul, dont le trésor fut confié à l’abbé Doulinet, persuada à madame Baudouin de fonder la société de la Protection maternelle.

Madame Baudouin vit alors se rallier autour d’elle le monde le plus distingué de la ville. On lui sut gré de ses petites fêtes, et, comme on apprit bientôt que madame Gérard était contrariée de tout ce manège, on mit un peu de malice à aller chez madame Baudouin.

Attiré par le mouvement de la foule, le curé de Saint-Anselme manifesta naïvement l’intention d’entrer en relations avec la nouvelle venue ; le président parla aussi de la voir, puisqu’il devait rencontrer dans son salon les personnes qu’il fréquentait habituellement. Madame Gérard, fort irritée, le leur défendit positivement. Elle voyait une petite guerre dans les manifestations de madame Baudouin, et elle redoubla d’activité ; elle inventa à la fois une loterie de bienfaisance et une exposition d’horticulture, prenant magistralement le pas sur rivale. Madame Gérard suivit, de plus, une autre voie pour guerroyer : elle se posa en pénitente austère, prétendit que c’était elle qui avait refusé d’aller chez la veuve, et déclara tout haut que madame Baudouin vivait trop luxueusement pour quelqu’un qui fait profession de charité. Elle l’attaqua aussi sur son bon goût, et tâcha d’éveiller la susceptibilité des provinciales contre ses prétentions. En même temps, la dévotion de madame Baudouin excita la sienne, et les deux curés ne s’en trouvèrent point mal.

Du reste, l’abbé Euphorbe Doulinet s’était donné une mission à accomplir ; il s’affirmait tous les jours à lui-même que, s’il allait si souvent aux Tournelles, ce n’était que pour y combattre le péché ; mais peut-être se trompait-il un peu, car le péché ne reculait pas devant lui, et le pauvre curé ne pressait pas assez vivement madame Gérard d’y renoncer. En effet, si elle s’accusait de sa faiblesse passée envers le président de Neuville, de temps à autre aussi elle parlait vaguement de fautes nouvelles. Peut-être le curé ne se sentait-il pas assez de force pour briser un de ces attachements dont les dernières convulsions ne finissent pas. Il est certain que, de loin en loin, M. de Neuville et madame Gérard avaient, pendant quatre ou cinq jours de suite, un air singulièrement contrit vis-à-vis l’un de l’autre, un air penaud comme des gens attrapés. Ces époques indéterminées formaient même une petite saison de maximes, parce que la mère y sentait tout à coup le besoin de donner beaucoup de conseils à sa fille. Henriette avait depuis longtemps démêlé la vérité, et M. de Neuville ne paraissait jamais devant ses yeux sans qu’elle lui appliquât intérieurement la terrible épithète : « l’amant de ma mère ! » Mais sa délicatesse avait toujours trompé madame Gérard, qui ne lui soupçonnait point du tout ce cruel savoir.

Le curé Doulinet sanctionnait donc par sa faiblesse les fautes de sa pénitente, en y assistant ; mais c’est qu’il avait été enlacé par toutes sortes de séductions. L’esprit de madame Gérard le rendait fier de son intimité ; cette intimité l’intéressait à la famille, et il se plaisait mieux aux Tournelles, endroit si intellectuel, que chez les vieilles dévotes de Villevieille.

Au commencement, pourtant, M. Doulinet avait eu à subir les reproches de son ancien entourage : Comment mettait-il le pied dans cette maison de perdition ? Comment pouvait-il tolérer le scandale ?

Il répondait, il est vrai : « Je ne le tolère pas, je le combats d’aussi près que je puis. Cette dame est très pieuse, elle est venue m’appeler à son secours ; elle souffre, je ne l’abandonnerai pas. Des liens formés depuis longtemps sont si lents à se dénouer ! »

À force de s’enthousiasmer pour madame Gérard, l’abbé en vint à dire un jour, « qu’au point de vue mondain, ce devait même être un beau spectacle que la force de l’attachement de madame Gérard pour le président. »

Cette femme avait besoin de se rendre intéressante de toutes les façons, et feignait auprès de son curé des déchirement pareils à ceux d’Héloïse ; et lui, trouvait qu’une belle lutte à entreprendre pour l’amour de Dieu, c’était de la ramener à la plus pure vertu ; seulement, il restait trop en contemplation.

Ses paroles firent venir des idées baroques aux vieilles dévotes ses amies. Elles se constituèrent en une espèce d’ordre secret pour le salut de madame Gérard, et le curé fut encouragé dans sa mission d’apôtre. Toutes les semaines il y avait un conciliabule. « Eh bien, disait-on, que font-ils ? où en est-ce ? Cette malheureuse femme revient-elle aux bons sentiments ? »

L’abbé Doulinet répondait : « Elle est pleine de bonne volonté, elle pleure ; mais les passions mondaines sont si tenaces ! »

Les dévotes faisaient alors des neuvaines à l’église pour l’âme de madame Gérard. Elles faillirent rédiger une lettre pour la supplier de rentrer dans la bonne voie. Le curé donnait force pénitences à madame Gérard, mais il abordait très timidement la question de rupture. Le doux personnage craignait de n’être pas assez éloquent pour agir sur un être aussi supérieur. Sa nature caressante, son caractère serviteur, ne lui inspiraient pas l’énergie. Enfin, par ses atermoiements, il avait l’avantage de meubler petit à petit son pauvre Saint-Anselme tout nu, et il se laissait dominer par ce terrible raisonnement : « Si elle n’était pas un peu coupable, elle n’aurait pas à apaiser sa conscience. Or, les dons qu’elle fait à l’église du Seigneur rachètent en partie ses fautes. » Et il expliquait avec attendrissement aux dévotes le système de rédemption que représentaient la chaire, les bénitiers de marbre et les tableaux donnés par madame Gérard.

Le curé était bien tombé, car personne n’est mieux disposé à meubler les églises nues que les femmes un peu légères et attardées dans la légèreté. Elles ne croient pas précisément avec une foi bien ardente, mais elles veulent se concilier le bon Dieu, dans le cas où tout ce qu’on en dit serait vrai. Elles prennent leurs précautions et ne renoncent pas au monde. De sorte qu’il n’existe pas d’association plus avantageuse pour chacun des associés, que celle d’une femme ainsi troublée et d’un prêtre réparateur. Celle-là y gagne le ciel sans perdre ses amants ; celui-ci fait prospérer sa fabrique et sauve une âme.

Madame Gérard mettait de l’art à se confesser au curé. Elle pensait bien que ses contritions devaient transpirer dans la ville et pouvaient lui attirer quelque intérêt de la part des dévotes, et elle craignait que l’abbé Durieu et madame Baudouin ne lui enlevassent ces complaisantes spectatrices de son rôle de Madeleine, à l’attention desquelles elle tenait beaucoup.

À ce moment, la grande préoccupation de l’abbé Doulinet était d’obtenir un tableau et des lampes. Il eût été absolument heureux aux Tournelles sans le président, qui le harcelait durement. L’abbé Euphorbe lui répondait presque toujours avec une douceur suave et angélique, mais parfois, poussé à bout, il rendait épigramme pour épigramme. Du reste, il considérait le magistrat comme chargé par le ciel de lui faire subir des épreuves, et il apportait la résignation des anciens martyrs dans ses relations avec le président farouche et tortionnaire.

Villevieille étalait donc un luxe ridicule de sociétés de bienfaisance, car à peine la Société de la Protection maternelle et celle de Saint-Vincent-de-Paul avaient-elles vingt pauvres à secourir. Néanmoins l’abbé Durieu eût voulu fonder un hospice ; mais les quatre-vingt mille francs nécessaires ne se décidèrent jamais à sortir de la bourse de madame Baudouin, qui n’avait pas d’ambition.

Durant ces luttes, quelques personnes furent enlevées à la nouvelle venue par madame Gérard, comme à la pointe de l’épée. Un revirement se fit. On trouva que madame Baudouin affichait une hostilité de mauvais goût. Alors l’abbé Durieu fit changer de front à sa subordonnée : elle dut se mettre à chanter les louanges de la maison des Tournelles, dire qu’elle n’avait point compris la haute valeur de madame Gérard, et envoyer un don très riche à la loterie. La guerre se poursuivit à coups de compliments et par combats d’argent. Saint-Anselme et Saint-Louis s’embellirent considérablement. Toutefois madame Gérard fut écrasée un moment par les profusions de sa rivale. Elle se tourna alors vers les objets d’art et triompha davantage. Le président ne fut plus occupé qu’à déterrer de vieilles peintures, de vieilles boiseries, de vieux cuivres, récompensé de ses fatigues par l’admiration générale envers de brillantes découvertes, et par le bonheur d’écrire des notices élégantes pour la société archéologique du département.

L’abbé Durieu se désolait de son infériorité artistique, à laquelle il ne pouvait remédier et qui attirait de fortes moqueries sur certains vitraux de son invention, commandés à une maison de Paris féconde en travaux de pacotille. Aussi pensait-il déjà à réconcilier les deux femmes et à les diriger toutes deux ensuite.

Madame Gérard était donc au fort de cette lutte vers le mois de mai ; elle menait grand train une loterie de bienfaisance et rassemblait des patronnesses pour l’exposition d’horticulture au profit des indigents. Or, il n’y avait ni horticulture ni indigents à Villevieille, mais, à force de génie, on pouvait créer l’un et l’autre. Le curé et le président succombaient à la tâche, surtout le président, à la fois conseiller archéologique, charitable et juridique.

À tout cela se joignait un procès qu’avait Pierre Gérard avec un de ses voisins ; et encore ne peut-on guère prétendre que Pierre eût ce procès, car il avait dit : « Cela regarde ma femme et Moreau. » Et c’était, en effet, madame Gérard qui avait soulevé le litige.

La propriété des Tournelles s’arrêtait à cinquante mètres environ d’un petit ruisseau de campagne, très clair, très joyeux, qui coulait dans un pré. Un sentier étroit séparait ce pré, appartenant au voisin Seurot, ancien boulanger, du pré de Pierre Gérard, mais bizarrement, sans raison topographique. Les gens qui venaient pour la première fois aux Tournelles croyaient que cette eau en dépendait, et ne manquaient jamais de dire aux Gérard : « Que vous êtes heureux d’avoir de l’eau !  » et le ruisseau coulait pour le voisin ! Ce refrain agaçait madame Gérard, qui était furieuse d’être complimentée sur l’eau qu’elle n’avait pas. Une terrible envie d’avoir le ruisseau la tourmentait. Pierre avait l’idée fixe que, d’après la configuration naturelle, la propriété avait dû s’étendre jusqu’au delà du ruisseau ou au moins jusqu’au ruisseau même. Aristide s’amusait à y jeter de temps en temps un sien ami, nommé Perrin, qui était sa victime, dans l’espérance de le faire rosser par le voisin comme violateur de son bien. Les domestiques y remplissaient furtivement leurs seaux ; enfin, toutes les têtes de la maison avaient l’air de danser autour du ruisseau, comme les mouches autour d’un morceau de sucre.

Madame Gérard, toujours acharnée à agir, fouilla, pendant deux jours de suite, tous les papiers de famille. On aurait dit le travail d’une taupe ou de quelque autre animal fouisseur.

L’instinct la guidait : elle découvrit un plan de la propriété, remontant à vingt ans de date, d’après lequel le ruisseau faisait partie des Tournelles. À la faveur des fréquents changements de maîtres qu’avaient subis les Tournelles pendant ces derniers vingt ans, le voisin s’était sournoisement emparé de quelques arpents de terre, avec la satisfaction moqueuse d’un homme qui berne son prochain. Comme aucun acte de vente n’indiquait qu’on eût aliéné la moindre parcelle depuis cette époque, et que la prescription n’était pas acquise au voisin dangereux, madame Gérard proposa d’abord de lui faire un procès, un jour même, je crois, où il se promenait béatement sur le bien mal acquis, en vue des fenêtres de ses adversaires.

Pierre Gérard, très ardent à poursuivre des droits de créancier, parce qu’alors sa position procédurière était toute tracée et bien définie, ne se souciait guère d’une revendication épineuse et montra beaucoup de répugnance à entamer le procès.

« Alors, dit madame Gérard, il faut forcer le voisin à nous attaquer.

— Faites comme vous voudrez, dit Pierre ; moi je ne bougerais pas pour cette affaire-là.

— Mais, s’écria Aristide, nous aurons des truites, il y en a dans le ruisseau.

— Voyez-vous, dit Pierre sentencieusement à sa femme, la terre et la loi se tiennent par la main, la loi n’aime guère à troubler la terre. »

La loi, la terre et l’argent étaient devenus pour Pierre trois personnes de chair et de sang comme pour un peintre officiel, et il en abusait dans la conversation en guise de marionnettes économiques.

Le lendemain de cette conférence, madame Gérard, décidée comme une lionne, se leva à cinq heures du matin, et fit venir quatre jeunes paysans vigoureux sur le terrain envahi, avec ordre de bêcher à outrance. Quelques heures après, le boulanger Seurot, qui faisait sa tournée, vit ces grands gaillards sur son pré. D’abord, il ne comprit pas très bien, mais il commença à se mettre en colère de loin, parce qu’il n’aimait pas voir un pied étranger chez lui. Les paysans, tout en sueur, s’essuyaient le visage ; ils avaient tout remué à la pioche jusqu’au ruisseau.

« Que faites-vous là, brigands ? s’écria le voisin stupéfait ; je vais vous faire arrêter.

— Dame, répondit l’un d’eux, nous travaillons le bien de M. Gérard. »

On eût secoué le boulanger comme une bouteille qu’on n’eût pas plus agité son sang. Il faillit avoir une attaque d’apoplexie, sous l’assaut d’un mélange de honte, de fureur, de crainte et de surprise combinées. Les paysans racontèrent le soir qu’ils avaient cru un moment qu’il allait crever.

Après ce faux étouffement, il se remit un peu, réfléchit, pensa qu’il ne serait pas facile aux Gérard de prouver leur droit de possession, et il commença par vouloir leur faire peur. Il alla immédiatement chez madame Gérard.

Elle fut d’abord très choquée de le voir entrer comme un cheval de labour, brutalement, sans se faire annoncer, presque sans la saluer. Il le prit d’un ton très insolent, en criant très haut :

« C’est inqualifiable ! on ne se conduit pas comme ça ! c’est la violation de la propriété ! La justice se prononcera sur une agression aussi scandaleuse. »

Madame Gérard lui répondit alors de son air le plus glacialement hautain, un air blanc qui valait bien l’air violet du boulanger :

« Monsieur, un homme comme il faut se comporte plus poliment que vous ne faites. Non-seulement il ne doit pas manquer d’égards envers une femme, à qui cela donne une triste opinion de son caractère, mais lorsqu’il est dans une fausse position, il doit avoir le bon goût et la pudeur de ne point faire de bruit.

— Comment, Madame, s’écria Seurot, vous faites des insinuations sur mon compte ? Tout cela, c’est une affaire de mauvaise foi !

— Comme vous dites, Monsieur, répliqua madame Gérard très irritée ; c’est vous-même qui vous jugez. Et je vous engage à ne point demeurer dans mon salon pour vous y conduire d’une façon inconvenante. Il y a trois hommes dans ma famille, et vous oubliez qu’ils pourraient vous entendre. Du reste, ajouta-t-elle il n’y a rien de commun entre moi et vous, et mon dédain m’est une protection suffisante contre vos grossiers procédés. »

Se voyant brusquement mis à la porte, Seurot, dominé par les manières de madame Gérard, sortit machinalement ; mais du corridor il s’écria avec un juron terrible : « Vous entendrez parler de moi ! »

Ce vieux boulanger était un sanguin plus patient qu’un chat, dans les affaires, quand il était calme, et plus violent qu’un taureau lorsque le sang lui montait à la tête. Il alla droit au parquet à Villevieille déposer une plainte en violation de propriété. Comme il n’y avait pas beaucoup d’affaires au tribunal depuis quelque temps, greffier, juge d’instruction, procureur, se jetèrent sur celle-là en affamés, et le président prévint le même jour madame Gérard que la guerre était déclarée.

Quant à Pierre, tandis que l’activité de sa femme s’éparpillait comme l’eau qui tombe d’une pomme d’arrosoir, il concentrait toute la sienne, au contraire, en un seul point. Une méditation obstinée l’absorbait ; il voulait inventer une charrue merveilleuse, et il en tombait presque dans des rêves. Son imagination ne lui apporta d’abord qu’une petite idée mesquine, maigrelette, présent dérisoire du dieu des inventeurs : l’idée de changer quelques pièces de bois dans les roues ! C’était peu quand il considérait qu’il fallait s’occuper de l’avant-train, de l’arrière-train, du soc, du manche, et qu’il songeait que sa machine devrait modifier l’économie agricole !

Il s’entourait de papiers, de dessins, de bouts de bois, de morceaux de fer, couvrait des albums de croquis, et, le soir, fabriquait d’étranges petites choses qu’il défaisait ensuite avec impatience. Sa femme ne voulait pas lui permettre de travailler au salon, qu’il salissait avec ses menuiseries : elle eut beaucoup de peine à lui faire cette concession. Ce travail était la cause qui empêchait Pierre de prendre part au procès. L’affaire avec Seurot eût brisé l’avenir de la charrue Gérard. Avant même d’avoir rien trouvé, Pierre tâtait les paysans ; il disait devant eux :

« Ah ! si on pouvait inventer une charrue qui fît le travail toute seule, bien légère et creusant profond ! »

Et il ajoutait d’un certain air :

« Qui sait ? elle nous viendra peut-être un jour. »

La charrue est une des machines les plus étranges, les plus fantastiques qui existent, qu’elle soit dans sa simplicité primitive ou dans sa complication moderne. Elle ressemble certainement à un immense insecte, un de ces insectes armés de sabres, de haches, pour creuser la terre et s’y faire des nids, et qu’on aurait grossi au microscope. Pierre finissait par avoir des cauchemars terribles où la charrue Stewart combattait contre la charrue Adams et la dévorait : les roues tournaient comme des yeux, le manche frétillait comme une queue de scorpion, les socs se tordaient comme des pattes, l’articulation des deux trains semblait une arête dorsale, une sorte de reins sur lesquels se dressait l’avant-corps de la machine, pour lutter. Et, en attendant, son esprit torturé s’était mis à combiner une partie d’une invention anglaise avec une partie d’une invention américaine et une autre d’une invention française, et Pierre se figurait que cette compilation involontaire constituerait une création originale.

Enfin, Aristide avait aussi son dada dans la personne de Perrin, pauvre être rudimentaire qu’il avait découvert à Villevieille, au fond de la boutique d’un épicier, son père, et dont il faisait son compagnon, sa victime, son confident et son serviteur. Perrin agréait à Aristide, parce que celui-ci exerçait sur lui une supériorité sans conteste. Considéré lui-même, aux Tournelles, comme un garçon de peu d’importance et d’intelligence, Aristide avait été enchanté de trouver une sorte d’imbécile sur qui il triomphait continuellement, auprès duquel il était un aigle. Il le mystifiait avec acharnement, lui contait des bourdes incroyables et le jetait dans des aventures dangereuses ; mais Perrin ne se fâchait jamais ; il avait pour Aristide une tendresse idiote. En effet, son ami lui donnait une espèce de vie. Tous les autres rudoyaient ou raillaient Perrin, et le traitaient plutôt comme une chose que comme un être. Aristide seul semblait s’intéresser à lui, le promenait, le remuait, lui procurait quelques plaisirs. Perrin en était reconnaissant comme un chien, et subissait les coups et les farces sans en chercher la raison, attribuant ses mésaventures au hasard, et les oubliant dès le lendemain ; très heureux de cette tutelle de tous les instants qu’Aristide exerçait sur lui, car le jeune Gérard ne voulait pas s’en séparer et le traînait partout.

À ce moment, il y avait à Villevieille un cirque établi pour quelques jours ; Aristide et Perrin y étaient continuellement fourrés, et le premier se mit en tête de faire apprendre à son esclave le saut périlleux, tel que le pratiquait Antonio, le clown de la troupe.

« Tu vois, lui disait-il, comme on applaudit Antonio ; est-ce que tu ne serais pas content qu’on t’applaudît comme lui ? Il faut étudier le tour : ce n’est pas difficile.

— Oh ! dit Perrin, on n’apprend ça qu’étant enfant.

— Bah ! dit Aristide, Antonio n’est plus enfant, et il va très bien tout de même. Vois-tu, on décompose le travail ; on commence par le simple et on finit par le composé.

— Oui, dit Perrin qui voulait toujours avoir l’air de comprendre.

— On commence par la culbute simple, reprit Aristide ; tu sais bien faire la culbute ?

— Pardieu ! s’écria Perrin en posant ses mains sur le gazon.

— Va ! »

Perrin fit sa culbute, mais sans grâce ; et comme il y a des êtres voués à un perpétuel malheur, ses reins frottèrent sur un caillou.

« Tu es un cul-de-plomb, dit Aristide ; regarde donc Antonio, comme il est vif !

— Comme une anguille ! répondit Perrin ; et, entraîné par l’ambition d’acquérir plusieurs talents, il ajouta : Je voudrais bien savoir faire la roue.

— Bon, dit Aristide, quand tu sauras faire le saut périlleux, tu apprendras facilement la roue.

— Ce serait tout de même fameux ! s’écria Perrin exalté : tout le monde me regarderait !

— Après la culbute simple en mettant les deux mains, reprit Aristide, viendra la culbute à une seule main, et ensuite sans mettre les mains. Tu vois la gradation. Avec la gradation, on fait tout ce que l’on veut. Le saut périlleux, c’est une culbute sans mettre les mains, en donnant un coup de reins.

— C’est bien sûr, dit Perrin, quand je saurai, nous la ferons chez toi ?

— Oui, dit Aristide, mais il faut de la persévérance. Si au bout de huit jours tu vas changer comme une girouette !

— Oh ! dit Perrin, scandalisé qu’on doutât de lui.

— Il faudra d’abord, ajouta Aristide, faire deux cents culbutes par jour au moins. Il faut de la volonté. Sans la volonté, l’empereur n’aurait pas été empereur.

— C’est vrai, dit Perrin, l’empereur ! »

Le lendemain de cette conversation, le domestique Jean et la cuisinière furent prévenus des grands exercices d’étude qu’allait entreprendre M. Perrin. Vers dix heures du matin ils entendirent des cris singuliers et coururent à une petite pelouse, où ils trouvèrent les deux compagnons.

Perrin avait débuté par une quinzaine de culbutes assez heureusement exécutées, mais il s’était fatigué de ce travail épouvantable et contraire aux vertèbres du cou. Il n’accomplissait plus sa tâche qu’avec une lenteur pénible et douloureuse. On voyait sa tête apparaître, puis descendre, et en place s’élever un fond de culotte grotesque, qui roulait à son tour et disparaissait ; on entendait un coup sourd et une plainte. Aristide, sans pitié pour la sueur qui coulait du front de son ami, le forçait à continuer, en lui donnant, chaque fois qu’il accomplissait sa révolution sur lui-même, de grands coups de pied dans le derrière, en criant « Mais va donc, lourdaud ! » Il le tirait aussi par les jambes ou par la tête, mais le meilleur aiguillon, c’étaient les coups de pied. Perrin retombait lourdement sur le nez ou sur le dos, seulement sa conscience l’empêchait de renoncer.

À la fin, Aristide, le bourrant de toute sa force, lui fit faire la culbute malgré lui, sans s’inquiéter de ses cris et de ses gigotements désolés. « Tu en as deux cents à faire, lui criait-il, grand lâche ! c’est pour ton bien ! » Le domestique et la cuisinière riaient si fort qu’Aristide comprit son propre comique, et, lâchant son ami, il s’en alla presque tomber à la renverse, tant il riait aussi. Perrin se releva humilié, et il eut une courbature qui dura huit jours, après laquelle Aristide l’obligea à reprendre ses études. Mais Perrin ne pouvait s’élever au-dessus de la culbute vulgaire, et souffrait des reproches que lui faisaient Jean et la cuisinière sur son inaptitude.

« Qu’est-ce que vous voulez, disait-il : on a le don ou on ne l’a pas. »

Quant au président, il avait un faible tout spirituel pour Henriette. Il éprouvait un plaisir singulier à voir la jeune fille. Tout fin qu’il croyait être, M. de Neuville n’était pas homme à comprendre d’où venait ce plaisir. Il n’eût jamais pensé que la sensation de repos et de fraîcheur qui le gagnait lorsqu’il contemplait Henriette était analogue à celle qu’on éprouve en été lorsqu’on quitte un terrain sec, aride et grillé, pour entrer sous un bois plein d’ombre. Tous les visages des Tournelles, y compris le sien, étaient secs, arides et grillés. Henriette, du reste, avait soin de ne montrer dans ses manières aucune répugnance visible pour lui, afin qu’on ne reconnût pas quelle science du bien et du mal elle possédait.

M. de Neuville aimait à faire parler la jeune fille, la regardait longuement et se sentait l’envie de lui écrire des odes. Les magistrats deviennent souvent disciples d’Horace, lisent, admirent et relisent Horace ; de là en eux un tendre de sentiments tout païen et mythologique, des idées de couronnes de roses, de Cécube et de Falerne.

Mais, d’un autre côté, madame Gérard était mécontente des attentions de M. de Neuville pour sa fille, et elle les observait soigneusement et silencieusement.