Le Malheur d’Henriette Gérard/Chapitre 12

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Poulet-Malassis et De Broise (p. 217-244).


CHAPITRE XII


parodies


La comédie a des faces aiguës autant que des faces rondes, et elle déchire avec des pointes qui agissent comme des scalpels pour démontrer les maladies grotesques.

Depuis longtemps madame Gérard n’avait eu à manier une affaire aussi intéressante que ce mariage. Elle pouvait loger dans sa tête plus de préoccupations qu’un ministre. Son cerveau avait des casiers, des cartons pour chaque objet, comme une salle d’archives.

M. de Neuville s’attristait, sans bien même s’en rendre compte, des tristesses d’Henriette. Le président tournait à un peu de mélancolie, et commençait à trouver plus de charmes au commerce des muses qu’à celui des hommes.

Malgré les secousses électriques des grandes scènes d’intérieur, les soirées devenaient languissantes aux Tournelles. La maussaderie se pétrifiait sur tous les visages. Le tonton Baudouin tournoyait vainement au milieu de la famille en désarroi pour rattacher les anneaux qui se détachaient.

On ne voulait cependant pas laisser un instant de relâche à Henriette.

Aristide, ayant appris par la femme de chambre qu’Henriette comparaissait devant son père et sa mère, était allé écouter à la porte ; mais il n’entendit que des lambeaux de phrases ; assez, cependant, pour être réjoui lorsqu’on parlait durement à sa sœur, ou irrité quand elle répliquait sèchement.

Au moment où elle sortit, il lui dit : « Eh bien, es-tu contente ? À quand la noce ? » Henriette ne le regarda pas et passa. Il lui fit une grimace par derrière. Pour se consoler, Aristide courut à la cuisine, où il trouva le domestique Jean, qui cassait de vieilles planches. Aristide s’amusa à l’aider.

« Est-ce vrai, demanda le domestique, que mademoiselle va se marier ?

— Bah ! dit Aristide, ça peut durer longtemps, de ce train-là !

— On dit que c’est avec ce vieux monsieur qui a un château. »

Aristide ne manqua pas de rire.

« Ne voilà-t-il pas un beau mari, hein ? pour une fille qui aime les jeunes !

— Ce n’est pas trop amusant non plus, dit le domestique.

— Ce n’est pas pour l’amuser qu’on la marie !

— C’est égal, reprit Jean, il est vieux, malgré qu’il soit bien tenu. Est-ce que c’est un ancien militaire, ce monsieur-là ?

— Non, c’est un ancien, voilà tout, » dit Aristide riant plus fort.

Madame Gérard, à ce moment-là, appela son fils et lui reprocha de passer son temps avec les domestiques et les paysans, ce qui lui faisait prendre de mauvaises manières.

Aristide répondit : « Ce n’est pas étonnant, on ne veut jamais causer avec moi. On aime mieux parler avec Henriette.

— Tant qu’on te verra préférer cette société-là à la nôtre, dit la mère, on ne sera pas fort disposé à te prendre au sérieux. Du reste, voici des affaires graves qui nous arrivent. Mon intention et celle de ton père est que tu y prennes part. Nous voulons te demander ton avis.

— Mon avis ! répéta Aristide, ouvrant ses yeux et ses narines comme en face de quelque gourmandise extraordinaire.

— Tu sais…

— Oui, je sais…

— Eh bien ! penses-tu qu’il faut faire ce mariage ?

— Je le crois bien, s’écria-t-il. Vous vous laissez toujours dire par Henriette des choses… que je ne souffrirais pas !

— Tu as donc remarqué son infernal caractère, toi aussi ? dit madame Gérard, qui cherchait à recueillir le plus grand nombre possible de témoignages contre sa terrible fille.

— Il n’y a qu’à voir ce qu’elle fait, reprit-il, et tout exprès pour vous tracasser ! Mon oncle le dit bien aussi.

— Je le crains, dit madame Gérard.

— Mais c’est sûr ! On lui a fait apprendre tant de belles choses qu’elle se croit plus que tout le monde, ajouta Aristide, dont la rancune était rivée à cette seule idée.

— Oh ! nous allons lui rectifier le jugement. Il sera bon que tu lui parles, de ton côté.

— C’est qu’elle ne m’écoutera pas. Elle a l’air de m’en vouloir.

— On passe par là-dessus, quand les circonstances l’exigent. Tu iras la trouver un de ces jours, et tu lui diras qu’elle a bien tort, qu’elle oublie ses devoirs, qu’elle nous rend très malheureux, et que tu viens tout fraternellement lui conseiller de changer de conduite. Nous avons décidé avec ton père que puisque Henriette trouvait un si beau parti, sa dot et sa part d’héritage te reviendraient !

— C’est bien juste ! s’écria Aristide. Elle n’a pas besoin de notre argent, puisqu’elle a celui de son mari. Je lui parlerai très doucement. Je sais la manière ! »

De tels dialogues me mettent en joie, une joie de fou, avec des envies de danser en tombant à grands coups de bâton sur le dos de ces êtres.

Grâce à madame Vieuxnoir et aux indiscrétions du curé chez les dévotes, tout Villevieille avait su les détails de la soirée du 28 mai. Les bourgeois et même la haute société étaient furieux. On accusait les gens de Paris d’infecter le pays de leurs mauvaises mœurs ; d’autant plus qu’un jeune professeur, récemment arrivé de la ville dissolue, venait de séduire une petite ouvrière, et qu’on prétendait que madame Baudouin cherchait à plaire à l’abbé Durieu.

Du reste, madame Gérard commençait à se croire assez sûre de Mathéus pour ne point s’inquiéter de tous ces bruits.

Le 30, madame Baudouin arriva avec son curé et le présenta ; mais il vit tout de suite que madame Gérard ne lui conviendrait pas. Madame Baudouin demanda des nouvelles d’Henriette.

« Elle est d’un entêtement sans bornes, dit madame Gérard en la prenant à part ; je crains décidément qu’elle ne passe pour plus spirituelle qu’elle ne l’est. Cette fille ne comprend rien à la vie. Aussi, je veux essayer maintenant de l’intervention de nos amis.

— Bien, répondit madame Baudouin indiquez-moi sa chambre, je vais aller la trouver. »

Madame Gérard mena son amie jusque-là et la laissa. Madame Baudouin frappa doucement. Henriette, étonnée, vint ouvrir.

« Voulez-vous me permettre, ma toute belle, d’entrer dans votre petit sanctuaire ? » dit la grosse femme, souriante.

Dans sa situation, Henriette prévoyait bien que tout visage, toutes paroles, se rapporteraient à son mariage. Elle s’épargnait autant que possible les mots inutiles. La jeune fille fit asseoir madame Baudouin et prit sa broderie, afin de se donner le temps de mieux réfléchir avant de répondre.

« Ma charmante enfant, commença madame Baudouin, j’ai été bien peinée pour vous de ce que vous avez fait lundi soir !

— Oh ! Madame, s’écria Henriette, ne parlons plus de ce qui est passé.

— Ah ! mais, ma chère petite, reprit madame Baudouin avec une dignité affectueuse, c’est dans votre intérêt que je vous en parle. Je ne puis croire que vous ayez mauvais cœur, et pourtant il paraît que vous ne vous êtes pas repentie. Avec votre éducation, on devait s’attendre à de bons sentiments de votre part ! Vous n’avez donc pas la crainte de Dieu ? Le respect des parents est la première vertu d’une jeune fille. »

Henriette était importunée par la robe de madame Baudouin, dont la couleur gorge de pigeon changeait désagréablement à chaque mouvement. Elle avait envie de lui dire : « Ôtez-moi cela de là, je vous entendrai mieux ! »

Mais elle finit par ressentir dans les intonations caressantes et indécises de la grosse femme une prédisposition à se laisser influencer.

« Tenez, Madame, interrompit-elle, si vous saviez la vérité, vous comprendriez mes chagrins.

— Ah ! Eh bien, contez-les-moi, ma petite belle ; j’ai si bonne opinion de vous !

— Comment voulez-vous qu’il ne paraisse pas cruel d’épouser un homme qu’on n’aime pas, surtout un vieillard ? Au contraire M. Germain est un homme très distingué sous tous les rapports, et on ne veut pas le reconnaître ! Je l’aime, je lui ai fait une promesse : je ne cause de mal à personne en voulant la tenir ! »

Henriette se mettait à la portée de madame Baudouin par des paroles d’une simplicité primitive.

« Figurez-vous donc, continua-t-elle, qu’il y a peu de temps encore, mon père et ma mère trouvaient très mal qu’on mariât une jeune fille à un vieillard. Nous ne sommes pas absolument pauvres ; il n’y a donc pas de nécessité d’argent pour les pousser. Si on juge que M. Germain n’est pas assez riche, on peut l’attendre et l’aider à faire sa fortune. Je ne saurais vivre qu’avec lui. Si je l’aime, ce n’est point ma faute. Il n’y a pas là de calcul ; je ne pourrais pas m’en empêcher. Pourquoi m’accuser, alors ? Pourquoi cette irritation générale contre lui et contre moi ? Vous voyez qu’il est facile de comprendre pourquoi je me débats. Mes parents ont à peine un faible intérêt à ce mariage avec ce M. Mathéus, et moi le bonheur de toute ma vie est en jeu.

— C’est vrai, ma chère enfant ; votre cœur parle à sa façon, mais la société, la religion, veulent l’obéissance.

— La société ! dit Henriette, mais du soir au lendemain toutes ses lois sont renversées. Aujourd’hui, je suis obligée d’obéir, soit ; mais que demain je sois mariée à n’importe qui, et me voilà maîtresse de mes actions, armée contre ma famille, la quittant et pouvant la fouler aux pieds, avec l’opinion et la loi de la société pour moi, n’est-ce pas ?

— Ma foi, ma toute jolie, c’est bien un peu comme cela. Vous avez une raison et une pénétration remarquables. Mais, voyez mon exemple. J’ai été mariée à un homme beaucoup plus âgé que moi, et je n’en suis pas morte.

— Oh ! Madame, était-ce la même chose ? On m’arrache à M. Germain pour me donner à ce M. Mathéus, sans raisons, sans motifs. Si je n’aimais pas M. Germain, il me serait peut-être indifférent d’épouser l’autre. Et puis, je vois qu’on me trompe ! Ah ! que je vous serais reconnaissante, Madame, si vous vouliez bien être mon amie, mon appui, et m’informer de ce qui se passe réellement !

— Je parlerai à votre mère, chère petite belle ; il est trop dommage de vous voir triste.

— Ah ! si vous pouviez arriver à faire cesser mes inquiétudes ! Si je pouvais avoir des nouvelles d’Ém… de M. Germain !

— J’essayerai auprès de vos bons parents. Cependant, dit madame Baudouin, qui s’étonnait d’avoir changé de camp si promptement, vous les avez trop irrités lundi. Vous ne deviez pas faire…

— Mais, Madame, lorsqu’on n’a pas d’autres moyens à employer ! On me pousse à bout. Concevez-le. Je voyais ce M. Mathéus venir à la maison, sans savoir ce qu’il voulait. On m’avait promis de tout arranger avec M. Germain ! Je n’ai pas été maîtresse de ma colère. Mettez-vous à ma place. Je ne pouvais agir autrement pour défendre à la fois M. Germain et moi.

— Pourtant, ce M. Mathéus est un très digne homme, et vous l’avez traité…

— Est-il donc bien noble et bien digne à toi de vouloir m’épouser malgré moi ?

— Mais il vous aime, ma chère enfant !

— Que puis-je y faire ? C’est donc là pourquoi on veut sacrifier mon avenir à son caprice, comme si j’étais l’étrangère, moi, et que lui fût l’enfant de la maison ? Enfin, pensez-vous que mon père et ma mère ont absolument raison ? »

Ce discours, où à la plus grande sincérité se joignait, bien pardonnable, un certain calcul d’effet à produire sur l’esprit peu subtil de madame Baudouin, ébranla celle-ci.

« Je n’avais pas envisagé cela de la sorte, ma toute belle petite, reprit-elle, vous m’avez éclairée. Il est si difficile de se reconnaître au milieu des question les plus simples !

— Je vous remercie du fond du cœur, dit Henriette, de l’intérêt que vous me portez, Madame. Depuis si longtemps je n’avais entendu de paroles d’amitié, que je n’y croyais plus.

— Oui, oui, continua madame Baudouin, je suis votre amie, chère petite. Vous me plaisez tant ! Vous me confierez vos peines. Je vais retourner près de votre mère, qui m’écoute volontiers, et vous verrez que tous vos soucis finiront. Calmez-vous, prenez patience. Il n’y a rien de tel vraiment que d’entendre les deux parties. Et maintenant, ma toute belle, voulez-vous me permettre de vous embrasser ? »

Madame Baudouin redescendit au salon, où elle retrouva le curé Durieu et madame Gérard en froideur. Ils ne se sentaient point sympathiques l’un à l’autre.

« Eh bien, chère Madame, dit la grosse femme, cette pauvre petite est très gentille, très douce. Elle m’a exposé ses raisons avec beaucoup de sens. Puisqu’elle est fort attachée à ce jeune homme, on pourrait peut-être…

— Ah ! s’écria madame Gérard avec une sorte de colère, mis voilà justement le non-sens ! Elle s’opiniâtre à grandir une insignifiante amourette. J’aurais dû vous prémunir contre son caractère avant de vous laisser aller là-haut. Elle a un esprit hautain, contradicteur, qui ne veut jamais plier et cherche à faire plier les autres. Depuis son enfance, je combats cette mauvaise prédisposition.

– Elle paraît cependant bien douce ! répéta madame Baudouin.

— C’est qu’elle est fort adroite !

— Ce que vous me dites-là, chère Madame, me donne à penser.

— Nous ne pouvons la laisser se livrer à ses folies. Et si je la contrains à son propre bien, c’est parce que j’ai la conviction qu’elle ouvrira les yeux à la fin. Je ne sais même si déjà, au fond, elle ne nous en sait pas gré ! Toutes les jeunes filles ont la tête un peu agitée. Vous et moi nous avons eu aussi notre petit roman. Regrettons-nous qu’on nous en ait détournées ?

— Mon Dieu, dit madame Baudouin, qu’y a-t-il en effet à alléguer contre M. Mathéus ? C’est un homme charmant. Le mariage est très convenable sous tous les rapports. Comme je le contais à la petite, j’ai passé ma vie auprès d’un mari très âgé et maintenant, je n’en suis point fâchée.

— Mais certainement ! reprit madame Gérard. On se fait de sots épouvantails ! Je vous demande si l’on peut s’allier à ces Germain. D’ailleurs, ce garçon n’a rien d’honorable. Il a agi d’une façon révoltante. Ah ! si Henriette voulait le juger froidement ! Mais je vous l’ai dit, l’orgueil et la domination sont ancrés dans sa tête.

— Oui, dit madame Baudouin, qui réfléchit, elle m’a paru chercher à m’imposer ses sentiments.

— Ah ! murmura la mère, quelle fille légère ! quel aveuglement ! Quatre-vingt mille livres de rentes ! chère Madame, et ne pas savoir ce que c’est, les dédaigner ! Enfin, une fois mariée, elle s’apprivoisera.

— Bien sûr, ajouta la grosse femme, la fortune de mon mari a été pour moi un dédommagement de ses humeurs et de ses maladies. D’ailleurs, il ne m’aimait pas, tandis que M. Mathéus adore Henriette.

— Et il est très cassé ! ajouta madame Gérard.

— Il n’y a plus à balancer. Et puis je m’en rapporte à vous et à votre sagesse.

— Il faut beaucoup de fermeté dans la vie, » dit madame Gérard, satisfaite d’elle-même.

Toutefois la mère d’Henriette ne se soucia plus d’employer l’adresse de sa vacillante amie contre l’imprenable rocher de la jeune fille. Celle-ci, qui avait espéré rencontrer un appui, quelque faible qu’il fût, vit dès le même soir qu’elle s’était trompée, car, s’étant approchée de madame Baudouin pour lui demander quel résultat avait produit leur alliance, la grosse femme répondit : « Ma toute belle petite, il faut suivre en tout point les avis de votre mère, vous n’en recevrez jamais de meilleurs. »

Madame Gérard accourut aussitôt près d’elles, veillant désormais à ce qu’Henriette ne restât pas longtemps seule avec madame Baudouin, sur qui elle aurait pu reprendre de l’empire.

Henriette, quoique un peu attristée de son nouveau mécompte, ne se désola pas trop. Madame Baudouin n’était qu’un pis-aller. Il valait mieux ne compter que sur soi-même.

M. Mathéus revint : il apportait un gros bouquet qu’il offrit à Henriette de son air éternellement suppliant.

Ce soir-là il n’y avait que la mère, la fille et lui.

Sa résignation toucha Henriette, qui en eut pitié et se promit d’être moins dure, sachant qu’un peu de politesse ou de douceur envers le vieux homme ne changerait pas les résolutions qu’elle avait prises. « Et puisque mes résolutions ne changeront jamais, réfléchit-elle, je puis éviter les embarras accessoires d’une lutte en feignant jusqu’au bout d’être bien disposée. Quand le moment sera venu, je ferai écrouler toutes les illusions, d’autant plus facilement qu’on m’aura crue convertie et qu’on ne prendra plus garde à moi. » Puis elle se dit quelle pouvait essayer de dégoûter Mathéus en se montrant à lui sous des côtés intéressés, avides, mauvais, ne l’estimant pas assez pour se soucier de son estime.

Elle prit toutefois très froidement les fleurs, parce qu’elle avait réellement de la peine à se montrer gracieuse, tant le vieux Mathéus lui déplaisait.

« Elles sont très belles, dit-elle.

— Je les ai cueillies moi-même, » reprit Mathéus.

Henriette ne répondit pas. Le pauvre homme se brisait la tête à pénétrer ces caprices, qu’il attribuait à une nature de chat.

Il fit à la jeune fille des compliments sur sa broderie, et comme elle avait du fil à dévider, il lui présenta ses mains peur ce petit office. Il cherchait dans les moindres choses des indices de paix, et il n’osait pas se plaindre, même le plus doucement, des bourrades du lundi.

Néanmoins la gaîté ne se développait pas dans le salon entre ces trois personnages. Madame Gérard parlait autant qu’elle pouvait, mais Mathéus laissait tomber la conversation de la mère pour regarder la fille, ses petites mains, ses cheveux, son cou. Madame Gérard s’effaçait, mais tremblant que quelque phrase pareille à un coup de marteau ne fût assénée à Mathéus par Henriette.

Le vieillard avait ruminé le projet d’amener la jeune fille à la Charmeraye pour lui faire reconnaître ce qui devait être à elle et tâcher d’apprendre quelle partie du château, quelle chambre elle préférerait.

« Je serais heureux de vous offrir, Mesdames, une petite fête à la Charmeraye, dit-il.

— Nous irons bien volontiers, » répondit madame Gérard.

Mathéus regarda Henriette qui ne bougeait pas. Le vieillard était tout troublé de ce silence qui lui paraissait une nouvelle catastrophe.

Il reprit timidement :

« Je voudrais beaucoup avoir l’opinion de Mademoiselle sur la Charmeraye ; elle y verra des fleurs, elle qui les aime ! »

Henriette sentit quelles rumeurs sourdes passaient dans le sein de Mathéus, à cette façon de parler à la troisième personne, mais elle resta tout aussi muette.

« Je viendrai vous chercher un de ces matins à l’improviste, » ajouta Mathéus, n’osant croire qu’Henriette acceptait et n’ayant pas le courage de s’arrêter à l’idée qu’elle n’acceptait pas.

Quand Mathéus était là, le mot 80, 000 livres de rente courait dans l’air comme une guêpe dont on ne peut pas se débarrasser ; en dépit de tous ses sentiments, Henriette était curieuse d’essayer si sa mère avait dit vrai, si Mathéus ferait tout ce qu’elle voudrait, comptant employer cette certitude au service de sa malice et se venger de lui en le tourmentant.

« Tout le monde parle de cette belle propriété, je serai enchantée d’y aller, » dit-elle.

Le vieux homme fut électrisé autant que madame Gérard fut surprise.

« Ah ! s’écria Mathéus, il ne dépend que de vous, Mademoiselle, que la Charmeraye vous appartienne. »

Henriette, commençant à suivre ses nouveaux systèmes, répondit : « Oui, je sais, il ne dépend que de moi, mais encore faut-il que la Charmeraye me plaise ! »

Madame Gérard pensa que sa fille inventait quelque chemin couvert pour mieux surprendre et écraser Mathéus ; elle était sur les épines et prête à faire encore une scène terrible à Henriette.

« Si vous n’en êtes point satisfaite telle qu’elle est, dit Mathéus, il sera facile de la faire arranger.

— C’est une excellente idée de nous donner une fête, reprit Henriette : il faut nous la faire voir sous sa bonne mine, cette Charmeraye. »

Madame Gérard se croyait dans un pays inconnu ; pleine de défiance, elle considérait Henriette avec un ébahissement aussi comique que celui d’un homme qui, ayant laissé échapper des secrets importants devant un sourd-muet, s’aperçoit qu’il n’a affaire ni à un muet ni à un sourd.

Mathéus, ranimé comme s’il entendait des trompettes sonner des fanfares entraînantes, s’écria : « Ah ! que vous me rendez heureux. Mademoiselle ! »

« Qu’il ne se réjouisse pas tant, » pensa Henriette, qui reprit, voulant interrompre toute explication amoureuse : « J’ai des idées très arrêtées sur l’emploi des grandes fortunes. Mes plans sont tout faits. J’ai des systèmes sur les bijoux, que j’aime beaucoup et que je n’ai jamais possédés en grande quantité. »

Mathéus se dit que ces paroles signifiaient : Marions-nous.

« Jamais, répondit-il, les diamants n’auront été si bien placés qu’à votre cou. J’en ai beaucoup qui viennent de ma tante, je serai charmé que vous les fassiez monter à votre fantaisie.

— Il est si nécessaire, recommença Henriette, d’être établi sur un grand pied et d’employer largement ses revenus ! Le mouvement des domestiques, l’activité d’un grand train me remplit de gaité et m’amuse ! On croit qu’on ne peut pas faire de luxe en province : au contraire, on peut y mener des existences princières !

— Quand on est seul, dit Mathéus, il est difficile de bien monter une maison : lorsque nous serons deux… » Il hésita.

Henriette ne protesta pas, elle riait en dedans. Madame Gérard ne savait que dire, tant elle était étonnée ; elle avait perdu tout son sang-froid.

« Lorsque nous serons deux, continua Mathéus, j’aurai le plaisir de vous voir déployer votre bon goût. Tout est à vous, et, si quelque chose me tarde, c’est de vous voir ordonner, disposer de votre fortune. Je vous aime beaucoup, Mademoiselle, plus que vous ne le pensez ; j’aurais beau vous répéter mille fois que vous pouvez compter sur un cœur, ce ne serait pas une preuve, mais dites-moi à l’instant même ce que vous désirez, peut-être ne douterez-vous plus.

— Je vous suis très reconnaissante, dit Henriette prise dans cette déclaration comme dans un filet, et je vous avoue qu’il me paraît fort intéressant, lorsqu’on a vécu d’une façon simple, de se trouver tout à coup très riche. »

Henriette ne tranchait pas assez dans le vif ; elle ne mettait pas trop grand courage à s’avilenir devant Mathéus, et elle ne pouvait se plier si facilement à feindre. Elle craignait d’être accusée de mauvaise foi plus tard, après avoir paru s’engager positivement ; aussi reprit-elle :

« Mais, comme je vous l’ai dit, il faut que la Charmeraye me plaise.

— Elle lui plaira, Monsieur, soyez-en certain, » dit madame Gérard avec son accent impérieux.

Mathéus s’écria :

« Je ferai tout pour qu’elle vous plaise. »

Henriette, prise à l’improviste par le coup de patte de sa mère, se laissa dompter à moitié.

« Mais je l’espère bien, » répondit-elle.

Mathéus se retira de bonne heure pour aller savourer sa joie, comme un homme qui après avoir longtemps perdu au jeu fait un jour un gain considérable.

« Eh bien ! tu as su être très fine, dit à Henriette madame Gérard, qui cherchait à savoir le fond de sa pensée.

— Ce n’est pas difficile, répondit à double entente la jeune fille.

— Aussi cela ne tardera pas beaucoup maintenant, ajouta madame Gérard à dessein.

— Oh ! sans doute ! » dit Henriette.

La jeune fille avait frémi, mais elle comptait toujours sur le dernier moment pour se relever.

« Tu vois que je ne t’avais pas trompée, tu seras heureuse !

— Probablement, répliqua froidement Henriette, qui, lasse de tant de concessions et de mensonges, alla se réfugier dans sa chambre.

« On s’habitue trop au changement d’idées, se dit-elle avec terreur, on finirait par penser ce qu’on dit sans le vouloir. »

Le lendemain on commença à prétendre dans toute la maison qu’Henriette revenait au vrai et se marierait volontiers. Cela même fut dit devant elle.

Henriette s’enraya de voir sa résistance comptée pour rien par des gens imperturbablement convaincus qu’ils arriveraient à leur but, et que n’arrêtaient ni la netteté de ses déclarations, ni ses ruses. Elle douta d’elle-même. « Je n’ai donc aucune force, je ne suis donc pas capable de combattre, puisqu’on ne semble même pas s’apercevoir que je me défends ! Et Émile qui me laisse là ! »

Cependant chaque jour amenait ses événements pour quelqu’un.

Aristide n’avait pas oublié la femme de l’avocat ; bien plus, il avait l’intention de se montrer poli avec elle, chose presque incroyable, car jamais Aristide ne s’était dérangé pour personne. Insoumis aux petits devoirs du monde, on ne le considérait pas comme un homme dans la société de Villevieille.

Aristide fit de grands travaux dans sa mémoire pour se rappeler les usages, les convenances, afin d’apparaître sous un jour agréable à la jeune femme. Il se mit même en tête d’être élégant, de plaire, et surtout de se montrer homme de bon ton. Comme il était rempli à la fois de l’aplomb des sots et de leur sensitivité baroque, il voulait revoir cette petite créature mignarde et prétentieuse qui lui avait laissé une profonde impression. Aristide s’habilla donc un matin d’un certain pantalon jaune et d’un gilet vert, puis il couronna une aussi suprême recherche en prenant des gants rose tendre.

Sa mère, non habituée à tant de beauté, lui demanda où il allait. Il affecta le mystère, et répondit en clignant les yeux d’un air fin : « Je fais mes visites, moi aussi ! »

Pour les gens qui ne savent pas voir, Aristide n’était pas laid. Sans barbe, gras, rouge et blanc, armé de gros yeux bleus mauvais qui passaient pour beaux, il fit l’effet d’Apollon à madame Vieuxnoir en entrant dans son salon provincial. Elle fut toute saisie de cette visite, qu’elle soupçonna immédiatement amoureuse.

Elle se montra à demi embarrassée et sut prodiguer des milliers de caresses dans ses inflexions de voix, ses penchements, ses remuements, ses airs de tête. Aristide crut recevoir une pluie de diamants.

Le salon de l’avocat sentait le moisi. Les persiennes, fermées, y entretenaient une ombre triste. La pièce était carrelée, et les carreaux rouges, archifrottés, reluisaient d’un brillant terne et froid. Des boiseries peintes en gris foncé recouvraient les murs. Un meuble mesquin, caché sous des housses de toile, ne remplissait pas l’espace des panneaux. De petits tabourets en tapisserie embarrassaient partout les jambes. Les arts étaient représentés par six grandes gravures encadrées dans des baguettes éraflées : Héro et Léandre, le Dernier des Abencerrages, etc. La pendule, avec deux candélabres dont elle était flanquée, et la glace de la cheminée, étaient entortillées dans des fourreaux de gaze destinés à en préserver les dorures contre les atteintes des mouches qu’on entendait bourdonner tout autour. Au milieu, une table ronde à trépied et à dessus de marbre supportait un pot de fleurs dont la plante se mourait. Entre deux fenêtres se cachait une table à jeu vieille et déflorée. Madame Vieuxnoir, ne comprenant pas l’harmonie de bourgeoise maussaderie qu’exhalait son salon, y avait introduit un piano en palissandre, tout neuf, qui semblait fort étonné parmi ces vieilleries.

La petite femme, sur son canapé, lisait des poésies quand la servante annonça Aristide par ce nom étrange : M. Larestibérard.

Les idées de madame Vieuxnoir furent troublées, et, en deux secondes, elle entassa des montagnes de recherches pour deviner le personnage ainsi défiguré.

« Et comment se porte madame Vieuxnoir ? dit Aristide en s’avançant carrément et prenant la main de la petite avocate pour la baiser !

— Ah ! mon Dieu, c’est vous, monsieur Gérard ? Figurez-vous que ma femme de chambre vous a affublé d’un nom si singulier ! »

Une pareille entrée en effet, était capable de nuire à l’amour.

« Votre camériste a un vice dans la langue, dit le chevalier Aristide, pensant être élégant.

— Est-ce que vous désiriez voir M. Vieuxnoir ? dit la petite créature, feignant de ne point prendre la visite pour elle.

— Non, Madame c’est vous-même que je voulais avoir le plaisir et l’honneur de visiter, reprit Aristide, content de sa phrase.

— Que c’est aimable à vous ! je pensais que vous veniez pour le procès. »

Aristide fut ravi de tomber sur un sujet de conversation, car il ne savait, autrement, comment commencer.

« Oh ! le procès, dit-il, c’est une bêtise de notre voisin. »

Il était assis sur une chaise en face du canapé, glorieux de sa mise, fier de son émancipation, et dévorait de ses gros yeux madame Vieuxnoir, nonchalamment penchée vers lui.

« Madame votre mère a montré beaucoup de tête dans cette affaire, reprit celle-ci ; c’est une dame bien remarquable… »

En ce moment, la petite avocate se rappela qu’elle avait des bas de deux jours, et elle retira ses pieds sous sa robe ; mais les jupes n’étaient pas assez longues. Aristide suivit le mouvement et vit les bas ; mais il n’en fut point contrarié : en province, on est habitué à l’économie.

« On n’en voit pas beaucoup comme ça, » dit Aristide.

Madame Vieuxnoir ne sut s’il parlait de sa mère ou des bas. Elle était inquiète.

« Mais, ajouta le jeune homme, elle n’est pas encore tant qu’on dit ! »

La petite avocate était désolée de n’avoir point prévu la venue d’un homme en gants rose tendre, et, dans sa préoccupation, elle ne prenait point garde au langage peu heureux de ce beau garçon.

« Malgré ça, reprit Aristide, elle est le chef de la famille ; mon père est moins qu’elle à la maison.

— C’est un ménage si uni ! » répondit madame Vieuxnoir, ramenant toujours avec acharnement ses pieds en arrière et se donnant un air de tête aimable, afin de retenir fixés sur son visage les yeux d’Aristide.

« Monsieur votre père, continua-t-elle, peut s’en reposer avec confiance sur madame votre mère.

— Oh ! dit Aristide enchanté de traîner partout son antipathie contre Henriette, entre eux deux ça va bien, mais il y a quelqu’un là-bas qui ferait damner cent curés. D’ailleurs, vous y étiez lundi !

— Oui, répondit la petite avocate avec prudence, je me rappelle vaguement ; je sais qu’il est question d’un mariage pour mademoiselle votre sœur. »

Elle était affriandée par la pensée d’obtenir tous les détails relatifs au scandale des Tournelles.

« Vous n’avez jamais rien vu de pareil. Elle fait endiabler toute la maison pour son petit va-nu-pieds. »

Ce dernier mot renouvela la torture des bas pour madame Vieuxnoir. Elle expiait sa tenue négligée par les craintes qu’elle en concevait à l’égard des amours.

« Elle n’y tient pas plus que moi, reprit Aristide, mais ça lui sert à faire de l’effet.

— Il paraît qu’il s’est présenté un très riche parti. Tout le monde trouve mademoiselle votre sœur fort heureuse… Mais, cependant, si elle aimait ce jeune homme ! dit madame Vieuxnoir, qui se sentait du respect pour l’amour en ce moment.

— Est-ce qu’elle est pour aimer, s’écria Aristide, ni celui-là ni un autre !

— En tout cas, c’est un événement rare dans la haute société, ajouta la petite femme. Connaissait-elle le jeune homme depuis longtemps ? »

Maintenant l’avocate tournaillait et cherchait à amener Aristide sur le terrain délicat de la passion. Mais quand il s’agissait de sa sœur, celui-ci ne songeait plus qu’à ses griefs ; aussi ne comprenait-il pas ce que l’avocate cherchait à lui faire comprendre.

« Tout ça, dit-il, c’est à ne pas s’y reconnaître ; c’est du calcul. Elle a toujours l’air de me mépriser, et, pourtant, si elle a manqué à la vertu, elle devrait bien changer de gamme. Je vous dis cela, Madame, parce que je crois que vous devez inspirer de la confiance. Je n’ai jamais vu une dame qui me revienne si bien, et on ne trouve pas beaucoup de personnes qui soient justes. Aussi, ça ne rend pas toujours la vie gaie que les autres ne fassent pas attention à vous. »

La petite avocate se régala de la galanterie d’Aristide, et pensa, elle aussi, à la vertu. Elle répondit :

« Oh ! je ne crois pas, Monsieur, qu’on ne vous rende pas justice. Votre conduite dans ces affaires est très approuvée à la ville. C’est vous qui avez découvert le germe du mal et empêché, par votre surveillance, des conséquences fâcheuses, bien qu’il soit toujours fâcheux pour une jeune fille que… Mais du reste, quant à mademoiselle Henriette, aucun soupçon ne s’attache à elle : la demande de M. Mathéus les a fait évanouir…

— Ah ! oui, dit Aristide, elle a été dire tout ça l’autre soir. Mais si j’apprenais, ajouta-t-il fièrement, qu’on répète quelque chose contre notre honneur, on aurait affaire à moi.

— On pense que mademoiselle votre sœur ne s’en tire pas mal, puisqu’elle épouse un homme qui a cent cinquante mille livres de rentes et qui lui donne trois cent mille francs de diamants !

— Sans moi, s’écria Aristide, excité à l’enthousiasme, Dieu sait ce qui serait arrivé !

— Cette pauvre mademoiselle Henriette ! reprit l’avocate, espérant toujours faire sortir de ce sujet les mots amoureux, ainsi qu’à force de battre un caillou on en tire du feu, cette pauvre mademoiselle Henriette ! comme les jeunes filles sont imprudentes ! Cependant, n’est-elle pas un peu excusable, si elle a été aimée ! »

Madame Vieuxnoir serrait peu à peu les mailles de son filet autour de l’esprit mal aiguisé d’Aristide. Elle ne réussit pourtant pas encore cette fois à lui ouvrir l’entendement. Il répondit :

« C’est égal, une fois partie de la maison, on sera bien plus tranquille !

— Elle n’est donc pas bonne ?

— Cette fille-là, elle peut se vanter de m’avoir fait joliment des maux. Il n’y a pas de jour qu’elle ne me nuise. Et moi, je suis un dindon : je suis trop patient, je n’ai pas la malice dans le cœur comme elle. Enfin, sans moi, elle n’aurait pas à tant faire la fière. Si elle s’était laissé faire un enfant !… »

Madame Vieuxnoir minauda, rougit, parut s’inquiéter des mots hardis de ce jeune homme d’une dangereuse beauté, venu tout à coup dans son salon, où jamais ne se montrait de jeunesse.

« Oh ! dit-elle, il ne faut pas dire de pareilles choses.

— C’est pour vous dire qu’on n’est pas toujours si heureux qu’on en a l’air. »

« Il faut bien que je ne lui déplaise pas pour qu’il soit accouru ainsi au bout de quatre jours. » Tel était le raisonnement de la petite avocate, qui avait envie de mordre dans Aristide comme dans une pomme d’api fraîche !

Les femmes de province sont assez brusques dans leurs passions ou leurs galanteries. Comme elles ont peu d’occasions, elles se hâtent de les saisir, de peur de ne plus les retrouver.

Madame Vieuxnoir poussa un léger soupir, et il se fit un moment de silence. La petite avocate préparait sournoisement son brûlot pour incendier Aristide, sous la forme de la phrase suivante : « C’est une singulière chose que l’amour ! À quoi cela nous porte ! Moi, je n’ai jamais été aimée, et je m’en félicite ! »

Le grand mot féminin était lâché. Malheureusement le chevalier Aristide, dans son inexpérience, ne sentit point l’importance du mot, et comme il cherchait à se raccrocher depuis un instant à une autre branche intéressante d’entretien, il évita le brûlot sans l’avoir soupçonné. Voyant un livre aux mains de l’aimable personne, il crut devoir lui dire : « Et vous, Madame, vous charmez vos loisirs ? »

Il se pencha et lut sur la couverture le titre du livre.

« Ah ! c’est d’Alfred de Musset, » ajouta-t-il en faisant claquer ses lèvres comme un dégustateur de bon vin.

« Un bien grand poète ! » répliqua madame Vieuxnoir, qui vit matière à glisser de nouveau l’amour, comme une couleuvre, sous la poésie.

Aristide reprit vivement : « Et faites-vous aussi des vers, Madame ?

— Hélas ! non, » répondit la petite femme, employant alors un autre grand système, celui de la plainte et de la mélancolie ; « dans notre vie du fond de la province, il vaut mieux avoir des aptitudes plus positives. Savez-vous ce que je fais ? continua-t-elle amèrement : je fais mon ménage, je compte mon linge, je surveille mes confitures, je recouds les boutons aux habits de mon mari. Voilà mon idéal ! C’est plus raisonnable, n’est-ce pas ? — Ah ! que la raison paraît pâle, cependant, devant les aspirations des poëtes ! » reprit-elle.

Aristide fut lancé dans l’infini. Il tordit sa cervelle comme une éponge qu’on égoutte, pour répliquer sur le même mode, le mode majeur.

« Sans la raison, dit-il, il n’y aurait pas de poésie, et sans poésie, il n’y aurait pas de raison !

— Vous avez déjà beaucoup pensé ! s’écria madame Vieuxnoir.

— Au milieu de mes préoccupations, je réfléchis ! dit Aristide d’un air modeste.

— Ah ! les préoccupations, reprit-elle, qui n’a les siennes ? Moi, mon intérieur est si triste, ma vie si vide ! Ainsi, j’aurais voulu recevoir un peu de monde, mais mon mari ne s’en soucie pas ; ah ! les maris ! »

Elle soupira et continua : « Je vais chez des juges, des notaires ; quelques dames de marchands de bois ! Est-ce là un aliment pour le cœur et l’esprit ? Mon mari est très bon, mais… »

Elle s’arrêta sur ce mais, puis continua : « Je le vois à peine ; il est si occupé ! Presque jamais il n’est ici. La fièvre de l’éloquence est une fièvre particulière qui absorbe les avocats ! Et puis quand il rentre, il est de mauvaise humeur. Il a aussi des manies… j’en souffre. »

M. Vieuxnoir rentra à ce moment même, et son arrivée mit fin au panégyrique. Après quelques mots de politesse, Aristide partit. Madame Vieuxnoir resta très remuée par la visite du jeune homme si bien habillé, si aimable. « Reviendra-t-il bientôt ? » se dit-elle.

La famille Gérard était prédestinée à faire les cent coups dans ce malheureux pays. Il n’était partout question que des Tournelles à la ville, au village, à quatre lieues à la ronde, même dans tout le département.

L’après-midi, à deux heures, Corbie se trouvait au café de Bourgthéroin, entouré de son cercle habituel, lorsqu’il aperçut Aristide sur la route. Celui-ci vint droit à lui et l’emmena à l’écart.

« Ce diable de M. Gérard, le voilà parti, dit le pépiniériste ; faudra-t-il lui demander si sa nièce se marie, quand il reviendra ?

— Bah ! on dit tant de choses… ça le contrarierait peut-être, répliqua le capitaine Bourgeois.

— Il y aurait moyen de le prendre, continua le percepteur.

— Est-ce vrai qu’elle va avoir un enfant ? dit le fils du maire.

— Il ne faut pas en dire plus qu’il n’y en a, reprit le capitaine ; il paraît seulement qu’elle se marie. Madame Mathieu sait le nom du Monsieur ; il n’est pas de par ici.

— Oh ! dit le fils du maire, c’est une frime ! Les Parisiens marient tout de même leurs filles après qu’elles ont pondu.

— Pas toujours, interrompit le percepteur. Mon ancien receveur général avait une fille à qui est arrivée la même aventure, la même ou une autre ! Quand il a vu qu’elle avait la ceinture lâche, il a attendu le poupon, et il vous a envoyé la fille au couvent pour toute la vie, et le petit en nourrice, au diable.

— M. Corbie n’est pas content de tout ça, on le voit bien, dit le fils du maire : il n’est plus si drôle qu’autrefois.

— Dame, il y a de quoi ! La belle-sœur n’est pas grand’chose de propre non plus ! reprit le pépiniériste.

— Mais lui n’en est pas moins un brave homme, et qui n’est pas bête, toujours ! s’écria le capitaine.

— Ah ! bigre, non ! » répondit le fils du maire.

Laissant cette espèce de chœur fonctionner comme ceux des tragédies antiques, Corbie et Aristide se promenaient sur la route.

« Comme tu es beau ! avait dit Corbie en considérant curieusement la toilette de son neveu.

— Ah ! répliqua Aristide, vous me disiez l’autre jour que je ne connaissais pas l’amour. Eh bien, je le connais à présent. Vous savez, madame Vieuxnoir…

— La femme de l’avocat ? demanda Corbie étonné.

— Oh ! c’est une femme qui a bien de l’esprit ! J’ai été chez elle aujourd’hui ! »

Aristide semblait, par son air, annoncer le plus grand événement du monde.

« Eh bien, qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Oh ! beaucoup de choses. C’est de ces femmes à qui on peut dire tout ce qu’on a sur le cœur. Je n’ai jamais été si content. Dans trois jours, j’y retournerai. Elle a si bon ton et elle cause si bien ! Vous ne pouvez pas vous figurer comme elle a de l’instruction.

— Il faut prendre garde, dit Corbie : tu sais ce qui m’est arrivé !

— À présent je vois bien ce que c’est, reprit Aristide : c’est comme le feu. Pour les filles, ça doit être très dangereux. Un homme, c’est fort ; mais une fille, ça lui fait perdre la tête.

— Ainsi, dit Corbie, tu apprends déjà à connaître les passions. Sois prudent. La femme d’autrui, c’est grave !

— Oh ! il y a une chose qui me va, répliqua Aristide ; l’avocat n’y est presque jamais : ce sera plus commode.

— Oui, mais, dit Corbie, en amour il faut respecter la femme !

– Celle-là ne m’en impose pas, reprit le jeune homme ; au contraire, il me semble que c’est ma cousine : j’avais envie de l’embrasser. Du reste, j’ai été malin.

– Ah ! voilà bien le jeune homme ! dit Corbie. Il ne faut rien brusquer. Apprends à bien la connaître. Tu ne l’as encore vue que deux fois…

— Ça ne fait rien, répondit Aristide plein d’éclairs ; je savais bien que j’en valais un autre. Nous nous sommes compris. Je suis sûr d’elle comme de mon petit doigt. »

Corbie éprouva de la jalousie contre son heureux neveu.

« Ah çà, tu t’es donc déclaré ? dit-il.

— Non, pas si vite ! mais j’ai vu ! Et puis, c’est l’instinct !

— On va plus loin qu’on ne veut avec l’amour, ajouta Corbie : c’est une maladie qui laisse des traces ! »

Les paroles chagrines de cet homme désillusionné ne glacèrent point la chaude vaillance d’Aristide, qui croyait voir s’étendre devant lui des avenues tout illuminées.

« Dame ! c’est bon, tout de même, répliqua le jeune homme.

— Je te dis que ça laisse des traces, s’écria Corbie, dont la figure devint sombre. Ensuite il faut se venger, et c’est amer.

— Oh ! je ne me laisserais pas faire par une femme, dit Aristide.

— Ne t’y fie pas. C’est un pré marécageux où il faut veiller à ne pas s’enfoncer.

— C’est moins roué qu’on ne croit, les femmes ! » continua Aristide, remuant intérieurement des océans de malice et se sentant une supériorité vivifiante.

En quittant son oncle, il traversa le bourg et passa devant la maison de Perrin. L’imbécile lui cria :

« Veux-tu que j’aille chez toi demain, Aristide ?

— Non, non, dit Aristide ne se souciant plus désormais des joies que lui procurait Perrin ; Madame Vieuxnoir remplissait tout.

— Et après-demain ?

— Non, je suis occupé. Je t’enverrai chercher. »

Perrin rentra tristement dans la boutique. Aristide marcha d’un pas délibéré vers les Tournelles. Depuis qu’il était si bien apprécié par madame Vieuxnoir, il possédait la force et ne craignait plus les dédains d’Henriette. À son tour il voulait humilier sa sœur.

Madame Gérard avait dit au président : « Mon fils a une toilette singulière et un air d’empereur romain aujourd’hui ! »

M. de Neuville, qui se trouvait dans la vestibule lorsque Aristide revint, le plaisanta :

« Eh bien, lui dit-il, nous sommes donc amoureux ? Nous venons de chez notre belle ? Ça s’est-il bien passé ?

— Il faudra demander cela au mari ! » cria fièrement Aristide en faisant le geste d’un maréchal de France qui jette son bâton dans les retranchements ennemis.

M. de Neuville crut qu’Aristide faisait allusion à sa position délicate d’ami de la maison, et, sur le premier moment, il ne put s’empêcher de baisser le nez ; mais bientôt il réfléchit et s’écria en dedans : « Ah ! ma foi, ils devraient y être habitués ! »

Ce jour-là Henriette fit une incartade qui les rendit tous furieux. Mécontente d’elle-même, elle voulait réagir contre ses dernières concessions.

Mathéus reparut avec des fleurs. « Je crois, dit-il à Henriette, pouvoir vous offrir ce bouquet avec plus de confiance. »

Henriette regarda ce grand corps qui se pliait lentement. Il lui semblait qu’il se baissait pour disparaître dans quelque trappe. Mathéus fut interdit par l’expression de son regard. Il s’arrêta. Les yeux d’Henriette signifièrent :

« Continuez donc ! »

Il reprit :

« Vous m’avez causé tant de joie avant-hier par quelques bonnes paroles, que vous serez encore généreuse pour moi aujourd’hui. »

Henriette fronça le sourcil, et, avant de répondre, l’inquiéta par le même regard cruel.

« Si c’est une générosité de ma part envers vous, dit-elle, c’est une lâcheté vis-à-vis d’un autre. Je vous en prie, Monsieur, ne songez plus un instant à moi. Ne perdez pas des soins et un temps inutiles à apporter ici des fleurs que je n’accepte pas. »

Mathéus s’inclina. Le sang ne coulait plus dans ses veines ; il ouvrait singulièrement ses yeux tout ridés d’une patte d’oie, et restait là, idiot, devant la jeune fille.

Les autres personnages ne dirent rien, la surprise suspendait leurs colères : ils s’étaient attendus à voir couler un flot de gracieusetés de la bouche d’Henriette. Madame Gérard devenait verte.

Mathéus revint à lui, et d’une voix basse dit :

« La profondeur de mon affection, je n’ose dire amour, puisque ce mot vous épouvante quand je le prononce, est telle que j’aurai le courage de rester près de vous. Votre aversion ne pourra jamais égaler mon dévouement. »

Madame Gérard fut rassurée un peu par l’énergie du vieux homme.

Il ajouta :

« Vous avez tort, oui, sérieusement, vous avez tort de méconnaître mes sentiments. Je suis un roseau dans vos mains. »

Mais le cœur d’Henriette resta fermé à ces prières.

« En toute autre circonstance, dit-elle, je vous rendrais justice, mais ici vous disputez déloyalement à un absent la place qui est à lui.

— Henriette, s’écria le vieillard, permettez-moi de vous appeler Henriette, dites-moi les choses les plus dures, je les supporterai ; mais ne m’empêchez pas de rester du moins dans la même chambre que vous, sans parler, si mes paroles vous sont odieuses !

— Comme vous voudrez, Monsieur, répondit Henriette avec hauteur, ici je ne suis pas libre !

— Avant-hier, reprit Mathéus doux comme un martyr, vous daigniez me parler tout autrement. Je ne comprends pas ce changement qui me désespère.

— Vous me permettrez à votre tour, dit Henriette, d’être le seul juge de ce qu’il me convient de faire.

— Certainement, Mademoiselle, » répliqua le vieillard découragé. Cependant il examinait ce charmant visage, cette jolie taille, et il n’avait qu’une pensée : « Comme elle est belle ! »

Mathéus reprit donc :

« Daignez vous rappeler que je suis là, si vous avez besoin de moi pour les petits services que demande votre travail.

— Oh ! merci beaucoup ! » dit la jeune fille d’un ton sec semblable à un brusque coup de ciseaux.

Le vieillard recula près de madame Gérard, dont les mains demandaient à tordre et les pieds à fouler quelque chose. Il secoua la tête :

« Je ne sais pas persuader, dit-il : il faudrait non pas une bouche d’or, mais une bouche de diamant.

— Ne vous tourmentez point, répliqua madame Gérard, ce sont les nerfs qui sont en mouvement chez cette enfant. »

Elle s’approcha d’Henriette en serrant les lèvres, pour mieux lancer une phrase meurtrissante, et lui dit d’un ton furieux quoique voilé :

« Vous lasserez ma patience !

— On ne lassera pas la mienne ! » répondit très haut la jeune fille.

Mathéus courut à madame Gérard et la prit par le bras.

« Je vous en prie, s’écria-t-il, ne l’irritez pas. Je ne veux pas être la cause d’un désagrément pour elle. J’espère qu’elle reviendra à nous ! Voyez, sa figure s’adoucit déjà. Elle est ravissante. »

Henriette s’assit près d’une fenêtre et prit sa broderie, toujours irritée, mais aussi satisfaite qu’un maître d’armes qui a patronné son adversaire. Elle venait de célébrer le culte d’Émile, et le jeune homme lui apparaissait resplendissant comme ces rois mages tout lumineux peints sur un vitrail.

« Quels gestes gracieux quand elle brode ! » disait Mathéus à madame Gérard, qui aurait voulu mettre des lames aiguës dans ses yeux lorsqu’elle regardait sa fille.

Tous les autres étaient désorientés et se tenaient courbés sous l’inflexible roideur de la jeune fille. On parla mollement, d’une manière gênée, de sujets insignifiants.

Madame Gérard, aussi roide et orgueilleuse qu’Henriette, chercha à dissimuler sa défaite et à se venger. Elle pensa qu’Henriette souffrirait en voyant sa mère affecter de considérer comme non avenu ce qui venait de se passer. Elle entreprit donc Mathéus, lui parla des habitudes de la famille, de l’enfance et de la première jeunesse d’Henriette ; cita les traits d’esprit de celle-ci, en fit l’éloge, au milieu des exclamations de ravissement du vieillard. Elle exaspéra Henriette, qui fut atteinte d’un grand dépit en s’apercevant n’avoir rien gagné encore.

Sa mère l’interpella même plusieurs fois, pour lui demander de confirmer les récits qui transportaient Mathéus d’aise.

La jeune fille, obligée à répondre, disait oui, non, et rien de plus, prête à se lever et à crier à madame Gérard : « Mais je devine votre manœuvre, vous êtes fausse en ce moment ! »

Son supplice se termina à l’heure du dîner, pour recommencer bientôt après, car à table tout le monde essaya de vaincre le silence obstiné où elle voulut se renfermer. Ni Pierre, ni le curé, ni le président, ne la fléchirent. À la fin ils perdirent le sang-froid.

On avait mis Mathéus à côté d’Henriette. Il lui versait à boire, lui offrait les plats, lui parlait, ayant ainsi mille prétextes d’en obtenir quelques mots. Mais de ces lèvres il ne sortait que des monosyllabes incompréhensibles.

Pierre s’écria :

« Parleras-tu enfin ?

— Je n’ai rien à dire, répondit la jeune fille.

— C’est pour se rendre intéressante, dit Aristide, qui reçut en riposte un sourire plein de mépris.

— Vous n’êtes peut-être pas bien portante ? demanda Mathéus.

— Mais si ! » répliqua Henriette.

Afin d’éviter de regarder personne, elle tenait ses yeux fixés sur la nappe.

Alors on recommença à faire discourir le vieillard sur sa fortune, ses diamants, dans l’espoir d’amener des motifs d’entretien capables de s’insinuer dans cette volonté de se taire ; mais on ne réussit pas. Les uns étaient rouges, les autres violets, verts, chacun selon son tempérament, et chacun agité, menaçant la rebelle.

Après le dîner, Mathéus s’assit de nouveau près d’Henriette. Elle se leva sans affectation et alla prendre une place où il ne pouvait la rejoindre. Mathéus était un peu animé par le repas, et il avait moins de sensitivité pour les affronts qu’il subissait. Le vieil homme tournailla assez sottement autour de la jeune fille, tâchant de s’en rapprocher. Il essaya d’abord de s’appuyer sur l’angle d’une console derrière laquelle elle s’était réfugiée ; mais cet angle lui perçait les reins. Il recommença à marcher tout autour d’Henriette, comme un factionnaire. Puis il tenta de se glisser entre une lourde table à moulures aiguës et l’espagnolette saillante de la croisée, pour arriver par un autre chemin. Il se heurta rudement les pieds et les épaules, fit une grimace et revint, dépité, se jeter sur un canapé à l’autre extrémité du salon.

« C’est spirituel ce que tu fais là ! » dit Aristide à sa sœur.

Pierre et madame Gérard étaient horriblement contrariés que se révélât à Mathéus le désordre de la famille. On ne savait plus que faire. Enfin madame Gérard proposa un whist, qui fut joué d’un air funèbre.

À neuf heures et demie Henriette arriva près de la table à jeu et dit bonsoir.

« Tu n’es pas malade, répondit madame Gérard, tu ne quitteras pas le salon. Ce serait une impertinence. »

Henriette reposa un flambeau qu’elle avait pris et se rassit froidement.

« Ô Mademoiselle, dit Mathéus, laissant ses cartes au milieu de la partie, que dois-je croire ? »

Elle leva la tête en l’air d’un air profondément las. Mathéus reprit ses cartes et joua tout de travers.

Deux robers finis, on quitta le jeu. Pour remplir le vide des minutes et masquer la plaie des méfaits d’Henriette, Pierre voulut occuper Mathéus d’horticulture. À tous moments celui-ci retournait la tête vers sa fiancée. À dix heures un quart, Henriette ne changeant point d’attitude, Mathéus consterné se décida à partir.

En le reconduisant, madame Gérard lui dit avec un sourire :

« Il n’y a rien à craindre, la cause du bon sens triomphera.

— Ah ! répondit-il en regardant la jeune fille, peut-être parviendrai-je à diminuer l’éloignement d’Henriette pour moi ! »

Le roulement de sa voiture se perdit bientôt au bout de l’avenue.

« À présent, dit madame Gérard à Henriette, vous pouvez remonter. »

La jeune fille s’élança hors du salon, tant elle avait hâte de sa délivrance.

« Eh bien, dit Aristide, on la laisse aller comme ça, sans lui laver la tête ?

— J’ai toujours soutenu, reprit Pierre, qu’il n’y a qu’un moyen : c’est de la chasser à coups de pied devant soi. »

Madame Gérard haussa les épaules comme toujours.

« Que chacun de nous l’attaque d’abord en particulier, et, répliqua-t-elle, ensuite je verrai ce qu’il y aura à faire.

— Madame, demanda le curé, voulez-vous tenter l’éloquence des principes religieux ?

— Il est inutile de lui faire peur de l’enfer, s’écria le président.

— Je lui ferai peur de l’ingratitude filiale, » dit gravement le curé Doulinet.

Henriette se jeta tout habillée sur son lit, la tête brisée, épuisée d’avoir tenu sept heures contre tous les assauts. Elle s’endormit vite, et le lendemain matin, se retrouvant habillée, elle en conçut de l’amertume contre ceux qui la troublaient au point de lui enlever les habitudes soignées et délicates auxquelles elle attachait auparavant beaucoup d’importance.