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Le Mardi-gras au village (Verhaeren)

La bibliothèque libre.
Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 157-158).


LE MARDI GRAS AU VILLAGE


Et chaque fois que l’almanach

Ramène en Flandre
Et jour des Cendres
Et Mardi gras,
Les solennels boulangers sonnent,
À coups de trompe au petit jour,
Que leurs pains blancs, fourrés et lourds,
Cuisent au four,
Pour le bonheur et les amours

Des petites et grandes personnes.


Et les pâtes superbement se lèvent

Et les boudins jutent de sève,
Et la rôdeuse odeur de leur cuisson

Courant de bouge en ferme et de ferme en maison
La prétentaine,

Fait se pâmer, à l’unisson,

Les nez, les cœurs et les bedaines.


Venant des champs et des bruyères,

Les servantes et les commères,
Paniers au bras,
Déjà sont là
Pour emporter, en s’y chauffant les mains,
Les pains ardents, les pains
Joyeux, luisants, transfigurés,

Les pains pareils à des sabots dorés.


Jour de fête, jour de bien-être !

On regarde, par les fenêtres,
Hommes, femmes, enfants et vieux
Couper les pains par le milieu
Et tout à coup, crever le boudin formidable.
Lards et graisses poissent la table.
Du lait crémeux, du café chaud
Emplit jusques au bord les pots,
Et dans un coin les chiens grognent et se querellent
Autour des croûtes et des peaux

Qu’on leur jette au hasard en de larges écuelles.