Le Mari de la veuve
1832
mme de vertpré
M. DE VERTPRÉ.
LÉON AUVRAY, futur de Pauline.
Mme DE VERTPRÉ.
PAULINE, nièce de madame de Vertpré.
HÉLÈNE, femme de chambre.
Scène PREMIÈRE
Eh bien ! mademoiselle, je sonne, j’appelle, et vous ne venez pas. Que faisiez-vous donc, s’il vous plaît ?
J’habillais mademoiselle Pauline.
Descendez chercher mes lettres : j’ai vu entrer le facteur, et j’en attends une avec impatience.
Voici Joseph qui les monte.
Prenez-les et donnez-les-moi. — C’est bien.
Puis-je retourner auprès de mademoiselle Pauline ?
Non, restez. — (Lisant les adresses.) Madame veuve de vertpré. — (Elle jette la lettre.) Madame Adèle de Vertpré. C’est son écriture. — (Elle l’ouvre.) Aujourd’hui !… il arrive aujourd’hui ! Cher Paul !… Venez, Hélène, et écoutez bien ce que je vais vous dire ; ce matin, un monsieur de 35 à 36 ans se présentera pour me parler ; si je suis avec quelqu’un, vous me préviendrez ; si je suis seule, vous le ferez entrer.
Madame veut-elle me dire son nom ?
C’est inutile, vous le reconnaîtrez sans qu’il se nomme. Excepté M. Léon Auvray, fiancé de Pauline, qui vient nous voir tous les jours à cette campagne, je ne reçois personne ; ainsi…
Si je me trompais, alors madame ne m’en voudrait pas ?
Des cheveux bruns, des yeux noirs, taille moyenne ; voilà son signalement, retenez-le.
Si monsieur Léon était avec madame, cela ne ferait rien ?
Non, sans doute.
Mais si madame était à sa toilette ?
Vous le conduiriez près de moi.
Sans prévenir madame ?
Sans me prévenir.
Je demande pardon à madame de toutes mes questions, mais madame n’a pas l’habitude de recevoir tout le monde.
La personne que j’attends n’est pas tout le monde.
Je voulais dire les étrangers.
Ce monsieur n’est point un étranger.
Madame peut être tranquille, aussitôt que son parent sera arrivé…
Je n’attends pas de parents.
Alors, je devine.
Vous devinez fort mal.
C’est…
Mon mari, mademoiselle.
Le mari de madame ? Mais tout le monde la croit veuve.
Mais tout le monde se trompe. Maintenant, écoutez : Comme vos questions indiscrètes, vos suppositions plus indiscrètes encore m’ont forcée envers vous à une confidence que je ne comptais pas vous faire, vous aurez la bonté de garder le silence, ou, à la moindre indiscrétion, vous entendez, à la moindre, je serais obligée de vous renvoyer, Hélène, et cela malgré l’affection que je vous porte ; car ce secret n’est point à moi seule, et il pourrait compromettre une personne qui m’est plus chère que moi-même.
Oh ! madame, soyez sûre !…
C’est bien. Vous voilà prévenue, ainsi soyez discrète… On monte. — (Elle entre à moitié dans sa chambre.) Voyez qui.
Monsieur Léon ! faut-il dire que madame n’y est pas ?
Non, dites-lui de m’attendre ; puis vous viendrez me donner mon chapeau.
Scène II
Puis-je entrer ?
Oui.
Seule ?
Seule.
Il me semblait avoir entendu la voix de madame de Vertpré.
Elle était là tout à l’heure, et, en vous entendant…
Elle est rentrée dans sa chambre ; ce qui veut dire qu’elle ne me recevra pas ce matin.
Eh bien, au contraire, elle vous prie d’attendre que sa toilette soit achevée.
Oui, monsieur.
sur le fauteuil où madame de Vertpré l’a laissée, et s’asseyant.
Écoute, Hélène.
Quoi ?
Madame de Vertpré t’a parlé de moi ? – Écoute donc !
À l’instant.
Et elle te disait ?…
Qu’est-ce que vous faites donc ?
À qui cette écharpe ?
À ma maîtresse.
Et elle a touché son cou, ses épaules ! Je l’envie et je la baise.
Mais, monsieur, ce n’est pas l’écharpe que vous baisez ; ce sont mes mains !
C’est que tes mains sont jolies, Hélène.
Vous êtes fou.
Je suis amoureux.
De mes mains ?
Un peu ; de ta maîtresse beaucoup.
Pauvre jeune homme ! — (Haut.) Et mademoiselle Pauline, votre fiancée ?
C’est une charmante personne.
Que vous aimez aussi ?
Comme une sœur.
Cela ne fera pas son compte ; car je crois qu’elle vous aime autrement qu’un frère.
Tiens, voilà ce qui m’inquiète, et me rend parfois si triste.
Vous ? Ah ! par exemple !
Mais aussi, comment diable madame de Vertpré ne réfléchit-elle pas que, pour marier sa nièce, c’est un mauvais moyen que de la prendre auprès d’elle ? Certainement, avant d’avoir vu ta maîtresse, j’aimais Pauline de toute mon âme… mais, depuis cette époque, depuis que je les vois toutes deux à côté l’une de l’autre, malgré moi je fais des comparaisons… Elles sont jolies toutes deux ; mais madame de Vertpré a dans sa beauté quelque chose de plus piquant… Toutes deux sont pétillantes d’esprit ; mais l’esprit de madame de Vertpré est complété par l’usage du monde, qui manque à Pauline… Chacune d’elles a un excellent caractère, mais pour un rien, Pauline se fâche et boude ; madame de Vertpré, au contraire, est toute et toujours gracieuse… Pauline m’aime, je le sais ; mais, sans fatuité, madame de Vertpré ne me déteste pas ; elle m’accorde hautement le titre d’ami, et un autre que moi, en récapitulant nos promenades, nos causeries, les petits services qu’à chaque instant elle me demande, et que je suis si heureux de lui rendre, un autre que moi… Eh bien ! cela te fait rire ?
Auriez-vous la prétention d’épouser madame de Vertpré, par hasard ?
Pourquoi pas ?
Pardon, mais c’est que…
N’est-elle pas veuve ?
Ah ! C’est vrai ; je l’oubliais. On sonne chez madame de Vertpré. Voyez, voilà qu’on m’appelle ; je bavarde avec vous, et je vais être grondée.
Tu diras à ta maîtresse que je t’ai retenue pour te dire qu’elle est charmante, et elle te pardonnera.
Soyez tranquille.
Scène III
Il n’y a pas de mal à conter ses secrets à la femme de chambre, la maîtresse en apprend toujours quelque chose. Ainsi elle avait prévu que je viendrais, et elle avait dit que je restasse ! C’est que c’est long une toilette de femme ! Si du moins il y avait ici un journal. Ah ! l’album de madame de Vertpré, une page blanche, un crayon, l’album ouvert… C’est un défi.
Oh ! N’abrège jamais ces heures que j’envie !
Ah ! c’est vous !
Je vous effraye ?
Vous ne le croyez pas.
Qu’écrivez-vous ?
Rien.
Des vers ?
De souvenir.
Pour qui ?
Vous le demandez !
Voyons-les.
Mais non.
Mais si, je vous en prie, monsieur Léon ; je me fâche !
J’aurais voulu les finir avant de les montrer… à vous surtout, Pauline.
Ce sera votre première pensée, et c’est toujours la meilleure.
Oh ! n’abrège jamais ces heures que j’envie !
De me les accorder Dieu te fit le pouvoir ;
T’entendre est mon bonheur, et te voir est ma vie,
Laisse-moi t’entendre et te voir !
« T’entendre et te voir ! »
La poésie a sa langue à elle : on tutoie Dieu, et Dieu ne s’en fâche pas.
C’est vrai, — (elle lui tend la main.)
et je ne serai pas plus susceptible
que lui.
Si tu veux de mon front écarter le nuage,
Comme l’air en passant chasse l’ombre des cieux,
Les yeux fixés aux miens, laisse sur mon visage
Passer tes longs et noirs cheveux.
Comment, monsieur !…
Ah ! oui, cieux et cheveux : la rime n’est pas riche, n’est-ce pas ? Je vous disais bien qu’il fallait que ces vers fussent corrigés.
Mais ce n’est pas cela.
Qu’est-ce donc ?
Passer tes longs et noirs cheveux.
Mes noirs cheveux !
Ah ! bénédiction ! elle est blonde !… et d’un blond superbe encore. — (Haut.) Mon Dieu ! mais c’est que…
C’est que ces vers étaient pour une autre, voilà tout.
Je vous jure…
Au fait, pourquoi ces vers seraient-ils pour moi ? et pourquoi me feriez-vous des vers ?
Mais c’est une distraction inconcevable ; je voulais écrire blonds. Le crayon m’a tourné entre les doigts.
Ah ! oui, longs et blonds. Vous avez raison, monsieur, ces vers ont besoin d’être corrigés, leur harmonie est étrange.
Décidément, je m’embrouille. — (Haut.) Pauline…
Oh ! faites attention que vous me parlez en prose, monsieur.
Mademoiselle… Allons, voilà qu’elle pleure.
Du tout, je ne pleure pas, vous vous trompez.
Au diable la poésie ! par exemple, c’est bien la première et la dernière fois… Écoutez-moi. Ces vers…