Le Mari embaumé/I/14. Où maître Pol réfléchit

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Hachette (Tome 1p. 204-205-220-221).





XIV

OÙ MAÎTRE POL RÉFLÉCHIT.


Chantereine, qu’elle appartienne au temps de Louis XIII ou à notre dix-neuvième siècle, n’a pas besoin d’une grande dépense de malice pour perdre maître Pol, ancien ou moderne.

Il suffit d’une question semblable à celle-ci : « As-tu peur de ta maman ? » pour lancer un pauvre diable à l’eau, tête première, avec une pierre au cou.

Maître Pol eut honte d’être pris pour un jouvenceau bien sage.

« Foi de Dieu ! gronda-t-il, personne n’a le droit de me dire : Fais ceci ou ne fais pas cela. Tu vas bien voir, fillette, que je manie les dés quand cela me plaît. Je vais te gagner ton collier de perles et des pendants d’oreilles par-dessus le marché ! »

La Chantereine sauta de joie, et son rire argentin accompagna le bruit des pistoles que Guezevern jeta sur la table de passe-dix à poignées.

« Oh ! oh ! s’écria-t-on de toutes parts, voici un royal enjeu !

— Un enjeu d’intendant ! » ajoutèrent quelques voix.

Et d’autres qui n’étaient pas sans une petite pointe de moquerie :

« Un enjeu d’intendant honnête homme ! »

Mais Guezevern était en trop belle humeur pour se fâcher ainsi du premier coup.

« Qui d’entre vous tient ma partie, messieurs ? » demanda-t-il.

Comme tous ceux qui étaient là hésitaient, une voix vint du côté de l’entrée et répondit :

« Moi, s’il vous plaît, mon gentilhomme.

— Le baron ! fit-on de toutes parts. Voici le baron ! Nous allons assister à une belle partie ! »

Un cavalier entre deux âges, d’élégante et noble tournure venait de franchir le seuil. Il se tenait droit, portait fort haut et marchait en homme sûr de lui-même. Si maître Pol avait été dans son sang-froid, il eût pu remarquer que les femmes et aussi les hommes accueillaient le nouvel arrivant avec une sorte de prévenance craintive.

Ce devait être un homme sincèrement respecté ou redouté.

« Mon gentilhomme, répondit Guezevern sans même se retourner, autant vous qu’un autre. Ce sera comme il vous plaira. »

M. le baron de Gondrin-Montespan, car c’était lui, traversa la chambre, donnant çà et là quelques poignées de main et caressant quelques jolis mentons. Il avait un peu l’air protecteur de l’homme de rang qui se compromet en douteuse compagnie. Renaud de Saint-Venant et lui échangèrent un regard tandis qu’il passait.

Guezevern n’avait rien vu de tout cela. Il rendit le salut que lui adressa M. le baron, parce qu’il était bon prince et s’assit sur un coin de table, laissant aller la partie qui commençait.

La Chantereine avait mis sur les genoux de Pol les tresses d’or de sa coiffure et riait tant qu’elle pouvait sans savoir pourquoi. C’est parfois un dur métier. Dans toute la rigueur du terme, elles gagnent leur pain à rire.

« J’ai perdu, dit le baron après quelques instants.

— Est-ce assez pour ton collier de perles ? demanda maître Pol.

— Non, répondit Chantereine, double !

— Double ! » répéta Guezevern.

Et M. le baron dit :

« Je tiens. »

La partie recommença.

M. le baron perdit encore.

« Pour les pendants d’oreille, à présent ! annonça Guezevern. Double !

— Je tiens ! » répliqua M. le baron.

Guezevern gagna encore cette troisième partie, puis une autre.

« As-tu assez ? demanda-t-il à Chantereine.

— Oui, répartit cette fois la belle fille.

— Alors, prends l’argent, je vais rentrer en mon logis. »

Chantereine bondit et se jeta sur les pistoles.

M. le baron le laissa faire, mais il dit en se levant :

« Ce jeune gentilhomme est prudent de caractère. »

Maître Pol l’entendit. Tout son sang breton avait monté à sa joue. Il ordonna à Chanterelle de laisser l’argent sur la table, puis :

« Mort de moi ! s’écria-t-il, lequel aimez-vous mieux, mon gentilhomme, du jeu des dés ou du jeu de l’épée ?

— C’est selon, répondit froidement Gondrin, qui était un raffiné de belle volée. Avec messieurs mes amis qui montent dans les carrosses du roi, j’aimerais mieux le jeu de l’épée ; avec vous, je préférerais rattraper mon argent.

— Mort de mes os ! reprit maître Pol, demain il fera jour pour le jeu de l’épée. En attendant je veux vous mettre plus bas qu’un mendiant. Double ! »

Il échappa à l’étreinte de Chantereine qui le retenait, et s’élança vers la table. Saint-Venant lui serra la main comme il passait et lui dit :

« Prenez garde ! c’est un rude joueur et c’est une rude lame ! »

Autant eût valu jeter de l’huile sur un feu ardent. Guezevern était ivre de colère encore plus que de vin. Il reprit place devant le tapis vert et ponta d’un seul coup tout ce qu’il avait gagné à M. le baron. La clientèle entière de Marion la Perchepré vint se ranger autour de la table.

Guezevern gagna haut la main ; c’était la cinquième partie, et on avait toujours doublé depuis la première.

Ceux qui eussent examiné de près Renaud de Saint-Venant à cette heure, auraient vu une expression d’inquiétude assombrir son visage d’ordinaire si placide et si frais.

M. le baron, au contraire, gardait tout son calme.

Quant à la Chantereine, elle ne se possédait pas de joie.

« Double ! cria Guezevern, montrant avec emphase le tas d’or qui était devant lui, et foin de celui qui m’a pris pour un pincemaille ; je doublerai cent fois si l’on veut !

— Bel ami, suggéra Chantereine, tu pourrais cependant bien retirer le prix de mon collier et de mes boucles d’oreilles sur ce tas de pièces d’or ?

— Jamais ! fis maître Pol. Tout est au jeu ! »

Et M. le baron dit :

« Je tiens ! »

Maître Pol avait la veine. Il mena si rondement cette sixième partie que Renaud devint tout blême. Seulement vous vous souvenez de ce qui arriva à Martin, au fameux Martin de la foire. Comme Martin, et faute d’un pauvre point, maître Pol perdit.

Les jolies couleurs de Saint-Venant remontèrent à ses joues.

La Chantereine suivit le tas d’or et passa honnêtement du côté de M. le baron.

Guezevern resta un peu étourdi.

Ce fut M. le baron qui dit à son tour :

« Double ! »

La somme était grosse. Il y avait de l’émotion autour de la table, et Marion la Perchepré vint elle-même voir ce beau coup.

Guezevern compta de l’œil l’amas de pièces d’or ; on put croire un instant qu’il allait se raccrocher à sa raison chancelante.

Renaud de Saint-Venant lui dit entre haut et bas :

« Ce serait folie. Songez, mon digne ami, que vous êtes un simple intendant !

— Mort de ma chair ! gronda Guezevern, qui vous demande conseil, à vous ? Je tiens !

Il y avait un étrange contraste entre la fièvre qui possédait Guezevern et le calme glacé de son adversaire.

Marion la Perchepré, qui s’y connaissait de longue main, paria trois contre un pour M. le baron.

En effet, ce pauvre Guezevern fut décavé sans marquer un point :

« Double ! » proposa tranquillement M. le baron.

C’était un beau joueur.

Guezevern se leva et passa ses deux mains sur ses yeux éblouis. Son premier soin fut de retourner ses poches, où il y avait un millier de livres.

Le tas d’or, compté avec soin par Renaud de Saint-Venant, représentait juste huit fois cette somme.

« On est parti de vingt-cinq pistoles, dit avec douceur cet excellent compagnon ; la seconde a donné cinquante, la troisième cent, la quatrième deux cents, les deux dernières quatre cents et huit cents pistoles.

— Qui me payera, demanda Chantereine, mon collier et mes pendants d’oreille ?

— Moi, répondit Guezevern, » en lui jetant son dû.

Le rire de la belle fille retentit aussitôt plus éclatant que jamais.

Guezevern était remis tant bien que mal.

« Buvons, dit-il, à moins que monsieur le baron ne soit pressé d’avoir son gain. La partie est finie. »

M. le baron, qui mettait l’or dans sa poche, toucha son feutre courtoisement et répondit :

« Mon gentilhomme, j’attendrai tant que vous voudrez, et tant que vous voudrez vous aurez avec moi votre revanche. »

Ils se séparèrent avec de grands saluts.

Au moment où Guezevern et Saint-Venant s’asseyaient à une table pour vider un flacon, Saint-Venant montra du doigt M. le baron qui s’éloignait, emportant sous son bras l’ingrate et toujours riante Chantereine.

« C’est une rencontre bien singulière, » dit-il.

Maître Pol fît d’abord la grimace en voyant Chantereine au bras de son adversaire vainqueur, puis il demanda :

« Quelle rencontre ? et pourquoi singulière ? »

Saint-Venant fit semblant de rougir et fut du temps à répondre.

« Quelle rencontre ? » répéta maître Pol en frappant du pied.

Car Dieu sait qu’en ce moment il n’aurait point fallu lui échauffer les oreilles.

« J’ai eu tort, murmura Saint-Venant, je n’aurais point dû vous parler de cela.

— Mort de moi ! compère, dites vite ou je me fâche.

— Mon digne ami, répliqua Renaud avec fermeté, vous avez la joue écarlate et l’œil brûlant. Je donnerais beaucoup pour vous voir en votre lit. C’est une méchante soirée que nous avons eue ici. Je consens à parler, si vous consentez à regagner l’hôtel de Mercœur tout doucement, en longeant le bord de l’eau pour rafraîchir votre sang.

— En route, donc ! » ordonna Guezevern, qui laissa son verre plein.

Saint-Venant le suivit aussitôt, mais avant de franchir le seuil, il trouva moyen d’envoyer de loin un signe à M. le baron de Gondrin, qui faisait rire la Chantereine à gorge déployée.

Marion la Perchepré, qui voyait tout, les vit sortir et demanda :

« À quelle sauce ce petit Judas de Renaud va-t-il accommoder le bel intendant de M. de Vendôme ?

Nos deux compagnons descendirent la rue Saint-Avoye, tournèrent l’hôtel-de-ville et prirent le bord de l’eau. Ils allaient tous deux en silence.

Vers le coin de la rue Planche-Mibray, Guezevern s’arrêta tout à coup pour demander :

« Qui est ce gentilhomme ?

— Son nom va bien vous étonner, mon digne ami, répliqua doucement Renaud. Voilà pourquoi il m’est échappé tout à l’heure de dire : c’est une singulière rencontre… et voilà pourquoi aussi je désirais tant vous voir dehors.

— Voyons ce pourquoi, fit Guezevern, intrigué au plus haut point. Est-ce que je le connais ?

— Vous devez le connaître, assurément, de nom. Vous êtes liés par une parenté commune, et pourtant, que je sache, vous n’êtes point amis.

— Foi de Dieu, s’écria maître Pol, expliquez-vous, à la fin ! Vous me tenez là sur le gril !

— Ce gentilhomme, prononça Renaud, d’une voix grave, est M. le baron de Gondrin-Montespan, votre compétiteur pour la succession du comte de Pardaillan. »

Maître Pol resta muet un instant.

« Cela m’a dégrisé, mon compère, dit-il ensuite ; pressons le pas, je vous prie.

— Que voulez-vous faire ? demanda Saint-Venant.

— Je ne veux pas dormir, répondit Guezevern, avec cette dette-là sur le cœur. »

Il marchait déjà à longues enjambées vers la tête du Pont-Neuf.

« Mais, objecta Renaud, qui avait peine à le suivre, vous avez le temps. On a vingt-quatre heures pour payer les dettes de jeu.

— Avec un autre, il se peut, répondit Guezevern ; avec un ennemi, cela brûle… et le baron de Gondrin-Montespan est mon ennemi ! »

Son pas s’allongea encore. Derrière lui, Saint-Venant soufflait ; mais, tout en soufflant, il se frottait les mains.

En arrivant à la porte de l’hôtel de Mercœur, Guezevern lui dit brusquement :

« Mon compère, je ne suis pas en humeur de prolonger la veillée. Je vous prie de me laisser seul, et je vous souhaite la bonne nuit. »

Saint-Venant l’embrassa avec effusion.

« Je donnerais tout ce que je possède au monde pour ne vous avoir point mené en ce lieu maudit, mon digne ami, répliqua-t-il de sa voix la plus douce. Je vous quitte, puisque vous le voulez, vous voici au seuil de votre logis. La nuit porte conseil, vous vous éveillerez tout autre demain matin. J’y songe, s’interrompit-il avant de prendre congé. J’allais manquer, bien malgré moi, au premier devoir de l’hospitalité. S’il vous prenait envie de vous rafraîchir, vous trouverez tout ce qu’il faut dans le placard, à droite de la porte d’entrée. »

Guezevern monta, puis s’enferma à double tour.

Il réfléchissait tout en allumant son flambeau.

Sa pensée, à cette heure, était extraordinairement nette et claire.

Il n’en était plus à se demander pourquoi son Éliane détestait Renaud de Saint-Venant.

Cette aversion c’était son amour même : le grand, le pur amour qu’elle lui avait voué, à lui Pol de Guezevern, cet amour était sorcier et prophète ; cet amour avait deviné les aventures de cette nuit.

« Ne joue pas ! avait dit cet amour et ne te laisse pas entraîner par Renaud de Saint-Venant ! »

Pourquoi l’homme, ou la femme, nous tous tant que nous sommes, pourquoi avons-nous toujours ces sages pensées à l’heure où nous allons faire quelqu’effrayante cabriole dans le pays de l’insanité ?

Car il en est invariablement ainsi. L’heure qui précède la suprême fredaine est pleine de philosophies admirables.

On discerne alors d’un œil sûr tout ce qu’on devrait faire, tout ce qu’on ne fait point, et à la suite des meilleurs raisonnements qui se puissent enfiler, on prend son élan vers l’absurde.

Guezevern resta longtemps immobile, assis sur le pied de son lit. Il se disait :

« Cela me coûtera très-cher, mais qu’importe ? Mon bon ange, ma chère Éliane, doit bien avoir des économies dans quelque coin. Demain, je lui écrirai, je lui avouerai tout, sans réticence ni fausse honte, en lui promettant bien de ne point recommencer. J’enverrai son dû à ce baron de Gondrin par un valet de M. de Vendôme, et je ne reverrai jamais mon compère Renaud de Saint-Venant. Mort de moi ! chat échaudé craint l’eau froide ! J’ai été trop bien étrillé du premier coup. Outre les deux cents pistoles que m’avait données ma bonne Éliane pour mes menus plaisirs, j’ai perdu six mille livres. C’est assez. Je suis corrigé pour le restant de mes jours !

« Et à quelque chose malheur est bon, ajouta-t-il en se levant. Sans cette mésaventure, j’aurais toujours été chancelant entre le vice et la vertu. Et après tout, maintenant, je suis un père de famille. Foi de Dieu ! la leçon sera salutaire ! »

Il avait soif. Il ouvrit le placard indiqué par Renaud, et qui contenait ce qu’il faut pour se rafraichir.

Il se rafraîchit.

S’il s’était mis au lit en ce moment, il y a dix à parier contre un que le sage programme, réglé tout à l’heure, eût été ponctuellement exécuté.

Sa folie d’aujourd’hui eût été la dernière.

Il ôta son pourpoint, — il arrangea sa couverture.

Mais il avait soif, et l’envie de réfléchir sagement le tenait.

Il continua de philosopher et de se rafraîchir.

Ce n’est pas sans danger. À mesure qu’on se rafraîchit, la philosophie monte à la tête.

— Foi de Dieu ! se dit-il en buvant son cinquième ou sixième verre, je ne vois, en vérité, pas pourquoi, je donnerais ce crève-cœur à ma pauvre chère Éliane. De quel front irai-je lui dire que j’ai manqué à mes deux promesses ? et ce, dès le premier soir ? Je puis emprunter. Ainsi je lui éviterai ce cruel chagrin, et, certes, mon devoir le plus sacré est de lui éviter tout chagrin. Foi de Dieu ! Foi de Dieu ! la réflexion est une merveilleuse chose : j’allais agir comme un étourdi !

Il remplit son verre jusqu’au bord, ajoutant :

« Où diable mon compère Renaud prend-il ce délicieux petit vin ? Il ne porte pas du tout à la tête ! »

Lapidez ce pauvre Breton de Guezevern si vous voulez, ô sobre lecteur, mais il décoiffa une autre bouteille.

Et le petit vin de Saint-Venant ressemblait à Saint-Venant lui-même : c’était un traître petit vin.

Guezevern en but si abondamment, sans cesser jamais de réfléchir, qu’il se demanda bientôt pourquoi emprunter, puisque ce baron de malheur lui avait offert sa revanche.

Que pensez-vous de l’argument ?

Du premier coup, Guezevern le trouva péremptoire.

Qu’était-il arrivé ? Guezevern avait gagné cinq parties sur sept. Son malheur avait été de jouer à ce jeu de dupes : quitte ou double. Si toutes les parties avaient eu le même enjeu, cent louis, je suppose, au lieu d’avoir une dette de sept mille livres, Guezevern eût emporté encore six mille livres de bénéfice.

Je suppose que ce calcul est clair pour chacun.

Pour maître Pol, il était l’évidence même.

Aussi, vers la fin de la troisième bouteille, il ouvrit l’armoire où était serrée l’épargne de M. le duc de Vendôme.

« Puisque je voulais emprunter, se dit-il, voici le cas. Demain matin, je remettrai le tout, et ma belle Éliane n’aura pas même eu un instant de chagrin.

Il prit d’abord les sept cents pistoles qu’il devait à M. le baron de Gondrin, et nous ne pouvons pas cacher que, ce faisant, il l’appela « ce coquin de baron, » comme s’il se fût agi du simple Mitraille.

Il prit un huitième rouleau de cent pistoles, pour avoir au moins sa revanche. Sa main n’était pas bien ferme, et ses jambes oscillaient un peu sous le poids de son corps.

Sur le point de fermer l’armoire, il hésita, il but un verre et il médita.

Notre ami Saint-Venant, vous le voyez de reste, avait bien raison : la nuit porte conseil.

Ayant médité, il but encore et il dit :

« Simple que je suis. Avec cent pistoles seulement, je serais obligé encore de jouer quitte ou double. »

Et il replongea ses deux mains dans le sac.

Ceci est une troisième ivresse.

Il était ivre déjà de vin et de philosophie, il devint ivre d’or.

Il prit à même, il prit follement, il prit tout ce qu’il pouvait emporter.

Et, refermant l’armoire à tour de bras, il s’élança au dehors.

La ville dormait, le couvre-feu était sonné depuis longtemps. Quoique maître Pol fût obligé de passer aux abords du Pont-Neuf, il ne rencontra pas l’ombre d’un coupeur de bourse.

Il arriva sain et sauf dans la rue Saint-Avoye.

Tout au fond du cul-de-sac, la maison de Marion la Perchepré était encore ouverte. Et si le lecteur s’est étonné jamais de voir un établissement de si bon goût dans un trou si infect, nous lui dirons que le lieu était merveilleusement choisi : au fond du cul-de-sac Saint-Avoye, on n’entendait jamais le couvre-feu.

Maître Pol entra comme un ouragan et demanda d’une voix de tempête :

« Où est M. le baron de Gondrin-Montespan ? »

M. le baron répondit en personne et avec un calme parfait :

« Me voici !

— À la bonne heure ! dit Guezevern qui alla vers une table de jeu sur laquelle il vida ses poches.

— Mort de moi ! s’écria-t-il, venez çà, monsieur le baron ! nous allons nous divertir ! Voici d’abord votre dû ! »

Et, se découvrant, il ajouta, en brandissant son feutre avec défi :

« Ensuite, voici mon enjeu : je fais mille louis du premier coup ! »

Il y eut un murmure dans la salle qui s’agita.

Le baron de Gondrin-Montespan vint s’asseoir vis-à-vis de maître Pol et répondit paisiblement :

« Je tiens. »