Le Mariage d’argent/Acte 5
ACTE CINQUIÈME.
Scène PREMIÈRE.
La bonne chose qu’un dîner ! surtout ceux d’à présent ! et quelle sublime, quelle admirable invention que celle du vin de Champagne !
Oui, cela égaie, cela étourdit, cela fait tout oublier.
Mais j’ai des complimens à te faire ; tu étais charmant auprès d’Hermance ; tendre, galant, empressé. Est-ce que, par hasard, tu en serais amoureux ?
Eh ! morbleu ! il le faut bien, j’y suis forcé. Veux-tu que l’on croie que je ne l’épouse que pour sa dot ? Dans la position où je suis, aux yeux du monde, il n’y a qu’une grande passion qui puisse me justifier, et je m’essayais. Aussi j’avais besoin de respirer ; si tu savais comme c’est terrible un amour d’obligation !
Eh ! mon Dieu ! tu t’y feras ; le mariage en lui-même n’est pas autre chose, et ce n’est pas parce que ta femme est riche que tu feras plus mauvais ménage. Il y a dans le monde une foule de préjugés bourgeois contre la fortune et même contre la beauté ! Une jeune personne est-elle riche ? ah ! elle aura un mauvais caractère ; est-elle jolie ! elle sera coquette. Eh bien ! moi, je connais des femmes laides qui n’avaient rien, et qui font enrager leurs maris ; qui ne leur apportent dans leur ménage que des chagrins. Si elles avaient apporté une dot, la dot serait là ; c’est une indemnité ; car la fortune ne gâte rien et répare bien des choses. Je t’engage donc à prendre la tienne en patience, à t’y résigner, et à continuer ton système de passion, si cela te convient, si cela t’arrange.
Oui certainement. Il faut que mes amis, il faut que tout le monde me croie heureux ; il y va de mon honneur. Mais ce qui m’inquiète, c’est ce soir, dans ton salon, ce contrat de mariage. Quand devant tout le monde on lira les articles, quand on connaîtra mon peu de fortune et la dot d’Hermance, qu’est-ce qu’on va dire ? et puis, je crains qu’elle n’y soit.
Qui donc ?
Madame de Brienne ! Grâce au ciel, elle a refusé d’assister à ce dîner ; aussi, tu as vu comme j’y étais bien, comme j’étais à mon aise ! Mais elle doit venir ce soir, et sa vue seule… Devant elle, je ne pourrai jamais signer.
Quel enfantillage ! Mais il faut avoir pitié de ta faiblesse. Cette signature était fixée pour onze heures au salon, eh bien ! je vais trouver le notaire, et sans en prévenir le reste de la compagnie, je l’emmène là, (Montrant la première porte à droite) dans mon cabinet, ainsi que ta future et nos témoins ; nous y lirons, nous y signerons ce contrat qui t’effraie, et d’ici à une demi-heure, tout sera terminé entre nous, et en comité secret. Es-tu content ?
À la bonne heure.
Pour les autres signatures, qui ne sont qu’une vaine formalité, les donnera après qui voudra. Mais afin de procéder par ordre, voici d’abord des papiers qui désormais t’appartiennent, c’est la dot de ta femme, qu’en bon et fidèle tuteur je remets entre les mains de l’époux de son choix.
Eh quoi ! déjà ?
Puisqu’en signant tu vas reconnaître les avoir reçus, il faut bien que je te les donne, et tu conviendras que c’est un beau moment que celui où l’on touche la dot ! c’est peut-être même le plus… (S’interrompant.) Malheureusement tu n’en jouiras pas long-temps, car là-dessus tu as des dettes à payer. Lajaunais, qui ce soir est des nôtres, compte sur son argent.
Oui, mon ami, je sais que de mes mains ce portefeuille va passer dans les siennes.
Pas tout-à-fait ; prends bien garde : tu ne lui donneras que deux cent mille francs.
Et pourquoi ?
Parce que les cent mille écus qu’il me doit, c’est à moi que tu les remettras ; c’est convenu.
Ah ! c’est à toi ! Mais alors tu pouvais les garder.
Non, mon cher, parce qu’en affaire, la règle, l’exactitude… Mais quand j’y pense, ce Lajaunais que malgré lui je force à être honnête et à payer ses dettes (Riant.) C’est très-gai.
Oui, sans doute !
Tu n’en ris pas assez.
Si vraiment, c’est très-drôle.
Scène II.
Eh ! mon dieu ! qu’avez-vous donc ? quels éclats de rire ! on vous entend du salon.
C’est ce Poligni qui est d’une folie, d’une gaieté !…
Quoi ! même avant le mariage ?
Et quand veux-tu donc que l’on rie, si ce n’est dans ce moment-là ? on jouit de son reste.
Oui, vraiment, je suis si heureux aujourd’hui ! de bons amis, une femme charmante, un dîner… un dîner de ministre !… car, tu y étais, Olivier ; mais tu n’as pas fait honneur comme nous au champagne qu’il nous a prodigué. Ce cher Dorbeval, cet excellent ami ! Je serais bien ingrat si je ne l’aimais pas !
Et moi donc !… Mais un bon dîner ne doit jamais nuire aux affaires, au contraire, et je vais penser aux nôtres. Olivier, est-ce que tu ne prends pas de café ?
Non.
Et toi, Poligni ? Cela fait bien, cela dissipe les fumées.
Non, non, Dieu m’en garde, je suis si bien ainsi !
Alors, je vais prendre le mien. (À Poligni.) Tu sais que dans une demi-heure, je t’attendrai là dans mon cabinet ?
Oui, mon ami, oui, je n’y manquerai pas.
Scène III.
Ton mariage a donc toujours lieu ?
Oui, mon ami, oui, sans doute ; pourquoi me fais-tu cette question ?
Oh ! pour rien. (À part.) Allons, madame de Brienne ne lui a pas encore parlé ; mais c’est elle que cela regarde.
Et si tu faisais bien, tu suivrais mon exemple, tu ferais comme moi un bon mariage, un mariage d’inclination : juge donc quelle brillante perspective ! une grande fortune qui, chaque jour, peut s’augmenter encore ; de la considération, du crédit, le bonheur de recevoir mes amis ; car vous viendrez tous ! quelle ivresse ! quelle suite de plaisirs ! Nous n’aurons pas le temps de réfléchir, et déjà, d’avance, je ne puis te dire à quel point je suis heureux !
C’est singulier, cela n’en a pas l’air ; le bonheur a un aspect plus tranquille. Mais cet amour pour Hermance t’est donc venu bien subitement ?
Non, mon ami, je l’aimais et depuis long-temps, mais sans oser l’avouer à personne, parce que la dis*proportion de nos fortunes… la sienne qui est superbe, songe donc : cinq cent mille francs de dot !… on aurait pu croire… et jamais je ne me serais déclaré, sans Dorbeval, qui s’est aperçu de notre amour, qui l’approuve, qui consent à nous unir, et je lui dois ma fortune, mon bonheur, une jeune personne charmante, qui joint aux traits les plus séduisans le caractère le plus heureux !
Le caractère ! le caractère ! Il y a quelque temps cependant, tu me parlais de sa légèreté, de sa futilité.
Hein ! Je ne dis pas non, mais cela ne messied pas à une femme ; j’aime mieux qu’elle soit futile que d’être pédante ; et quand on réunit, comme elle, les qualités de l’esprit et du cœur…
Pour ce qui est de ses qualités, je t’ai entendu toi-même te plaindre de son humeur, de sa coquetterie.
Sa coquetterie ! eh ! mais pas tant ; je ne vois pas cela. Je te jure, mon ami, que tu t’abuses sur son compte, ou que lu as des préventions contre elle.
M’en préserve le ciel ! Moi, ce que j’en dis, c’est pour toi ; et, si les avis, les conseils d’un ami peuvent t’éclairer…
Des avis ! des conseils ! Je n’en veux pas, je ne veux rien écouter. Si quelque illusion, si quelque erreur m’abuse, qu’on se garde de la dissiper, qu’on me la laisse tout entière ; je m’y plais, je veux y rester.
Mais si l’on te prouvait à toi-même que ce mariage ne te convient pas.
Ce mariage ! rien ne peut le rompre ; il faut qu’il ait lieu. Sais-tu que maintenant c’est mon seul espoir ? sais-tu que, s’il venait à manquer, ce serait fait de moi, de mon honneur, de ma vie, et que je n’aurais plus qu’à me brûler la cervelle ?
Y penses-tu ? c’est du délire, de la passion ; tu l’aimes donc avec excès ?
L’aimer… moi, l’aimer ! crois-tu donc que la fatalité qui me poursuit m’ait ôté le sens, le jugement, ait assez fasciné mes yeux pour me cacher la nullité de son esprit, la sécheresse de son cœur, la vanité, seul mobile de ses actions ? Crois-tu que, tout à l’heure encore, je ne l’aie pas vue, dans le salon, entourée d’une foule de jeunes fats, dont son sourire sollicitait les hommages ?
Et tu l’as souffert ?
Et que m’importe à moi !
Qu’entends-je ?
Je t’en ai trop dit pour te rien cacher. Aussi bien, je suis trop malheureux, et j’ai besoin d’un ami à qui confier mes peines. Oui, sans ce mariage, je suis perdu, déshonoré, obligé de fuir : à toi-même, je t’enlève le fruit de tes travaux !
Qu’importe ! sois heureux !
Je ne le puis : je dois six cent mille francs !
Grand Dieu !
Et je ne te parle pas de mes inquiétudes, de mes craintes, de mes tourmens : voilà ce qui m’en coûte pour être agent de change.
Où en était la nécessité ? toi qui avais une fortune honorable et indépendante, huit mille livres de rente, qui te forçait à les compromettre ?
Qui m’y forçait ? l’ambition, la vanité, le désir des richesses, le désir de briller.
Eh bien ! tu es encore maître de ton sort, il ne dépend que de toi ; plus d’égards, de vains ménagemens, il faut tout rompre.
Rompre ! y penses-tu ? et dans quel moment ? Quand toute une famille est réunie pour signer ce contrat, quand il y a dans ce salon plus de deux cents personnes qui seraient témoins d’un pareil éclat ! et de quel droit déshonorer une jeune fille qui n’a d’autres torts envers moi que de me sauver moi-même du déshonneur, de faire ma fortune, et à qui je ne peux pas même reprocher ses défauts, car je les connais, je les accepte ; c’est à moi au contraire à la protéger, à la défendre : j’y suis engagé d’honneur, je suis lié par ses bienfaits, (À voix basse.) car déjà j’ai reçu sa dot : elle est là, j’en ai disposé d’avance, je l’ai presque employée. Je sais comme toi que j’y puis renoncer encore ; je sais même qu’en vendant tout ce que je possède, je retrouve ma liberté au prix de l’indigence ; mais te l’avouerai-je enfin, cette fortune dont j’ai déjà fait l’essai, cette fortune qu’on ne goûte pas impunément, est devenue pour moi le premier des biens. Plutôt mourir que de décheoir à tous les yeux ! et je sacrifierais à cette idée mon avenir, mon amour, madame de Brienne, et moi-même s’il le faut.
Ô ciel ! madame de Brienne ! tu l’aimerais encore !
Plus que jamais !
Et cependant, tu lui as dit…
Oui, parce que je tenais à son estime, parce que je veux bien rougir à tes yeux, mais non pas aux siens ; et que, connaissant son âme noble et désintéressée, j’ai pensé qu’elle me pardonnerait mon inconstance plus aisément que ma fortune. Mais ce secret que je confie à toi seul, ne le trahis jamais : tu me le promets, tu me le jures ; je suis méprisable à ses yeux, si je ne suis infidèle.
Ah ! ne crains pas que je te trahisse ; tu sais que moi-même…
Oui, je me rends justice. Tu la mérites mieux que moi, tu es plus digne de tant de vertus. Qu’elle soit heureuse, qu’elle m’oublie, qu’elle t’aime ! c’est ce que je veux, c’est ce que je désire, et cependant… Adieu, adieu, plains-moi, et si je te suis cher, garde bien mon secret.
Scène IV.
Et ce matin, je me croyais malheureux ! Il l’est cent fois plus que moi. Il aime, il est aimé ; elle peut faire son bonheur, et il renonce à elle parce qu’elle ne peut faire sa fortune. Ah ! il avait raison : pour son honneur, gardons bien son secret !
Scène V.
C’est vous, madame ? vous sortez du salon ?
Oui, j’avais promis d’y paraître, j’y suis descendue un instant. Il y avait un monde, un bruit ; ils parlaient tous de ce contrat ; grâce au ciel, je n’ai rien entendu. (Avec inquiétude.) Il paraît que c’est ce soir à onze heures ?
Oui, madame.
Tout entière à ses devoirs de maîtresse de maison, madame Dorbeval pouvait à peine approcher de moi ou me parler ; perdue au milieu de la foule, je n’apercevais ni ce que je désirais, ni ce que je craignais de rencontrer ; car je ne voyais ni vous ni Poligni, et fatiguée de tout ce monde, je quittais le salon, je rentrais chez moi.
Sans parler à Poligni ?
Je ne l’ai pas vu ; d’ailleurs je n’avais rien à lui dire, j’y étais décidée.
Vraiment !
Depuis que vous m’avez quittée, j’ai réfléchi à ce que votre amitié, votre générosité m’avait confié, et j’ai trouvé indigne de moi d’en profiter. Oui, il ne m’est pas permis de compromettre une jeune personne, à laquelle, après tout, on ne peut reprocher que de l’imprudence, de l’étourderie ; et nous avons toutes si besoin d’indulgence ! Et puis cela empêchehut-il qu’il n’eût été infidèle ? Il ne m’aime plus, il l’aime, il me l’a dit !
Grand Dieu !
Et si je les séparais, ils s’aimeraient davantage. (Vivement.) Non, non, n’y pensons plus ! Je ne suis plus telle que vous m’avez vue ce matin, sans énergie, sans force, sans courage. Ma raison est revenue, et avec elle ma fierté et l’estime de moi-même ; (Avec fermeté) je n’ai point mérité mon sort, je n’ai rien à me reprocher, je perds celui que j’aime, mais je m’immole à son bonheur, mais je fais des vœux pour lui, je le force à me plaindre, à m’estimer, à me regretter. (Mettant la main sur son cœur.) Je souffre encore, il est vrai ; mais je suis sans remords, et il en aura peut-être !
Ah ! combien je vous admire !
Vous restez à ce contrat ; moi je ne puis. Mais je vous verrai demain, n’est-il pas vrai ? Vous avez voulu mon amitié, elle va vous imposer bien des obligations, vous être bien à charge.
Ah ! madame !
Non, je ne le pense pas. Je vous dirai ce que j’attends de vous : quelques visites, quelques démarches indispensables, car vous n’ignorez pas ce qui m’arrive aujourd’hui ; je n’ai pas eu le temps de vous le dire je suis riche.
Ô ciel !
Oui, je suis comprise dans ces indemnités ; je m’en doutais déjà ; mais tout à l’heure, au salon, monsieur Dubreuil, un commis des finances, me l’a confirmé hautement, et si vous saviez comme les complimens, les félicitations m’ont sur-le-champ accablée, et combien je me suis trouvé d’amis que je ne soupçonnais pas ! je ne savais que répondre, je n’y étais plus ; c’est un mauvais moment pour être heureuse.
Mais cette fortune, je l’espère… je veux dire, je le pense, n’est pas une fortune bien grande ?
Si vraiment ; plus que je ne peux vous dire.
Cependant ce n’est pas aussi considérable, par exemple, que la dot d’Hermance ?
Près du double.
Grand Dieu !
Qu’avez-vous donc ?
Rien, rien, madame. (À part.) Après tout, ne lui ai-je pas juré de me taire, de garder son secret. Mais le puis-je à présent sans faire leur malheur à tous deux ? ah ! je rougis d’avoir hésité, et c’est l’honneur lui-même qui m’ordonne de le trahir.
Que dites-vous ?
Que le sort ne m’avait souri un instant que pour mieux m’accabler, et pour renverser toutes mes espérances. Apprenez que maintenant rien ne s’oppose à votre bonheur, à votre union ; vous pouvez épouser Poligni.
Y pensez-vous ? quand il en aime une autre !
Plût au ciel ! mais il n’a jamais aimé que vous ; il vous aime encore.
Il serait possible !
Ah ! vous pouvez m’en croire : c’est moi, moi seul au monde qui possède son secret ; il vient de me le confier… pour mon malheur !
Pourquoi alors ce mariage avec Hermance ?
Ce mariage faisait son désespoir, mais il y était forcé. Cette charge qu’il vient d’acheter compromettait son avenir, et pour acquitter les six cent mille francs qu’il doit, il lui fallait une dot considérable, une femme riche, et maintenant il trouve tout réuni dans celle qu’il aime.
Que viens-je d’entendre ? il m’aimait ! il m’aime encore ! et il en épousait une autre ! Il m’abandonne pour une dot, pour un mariage d’argent ! (Avec un sentiment de mépris.) Ah ! (Elle cache sa tête dans ses mains, et reste quelque temps absorbée dans ses réflexions, elle se relève et dit a Olivier.) Olivier, se secret qu’il vous a confié, vous seul en avez connaissance ?
Oui, madame, je le crois.
Et vous avez tout sacrifié pour votre ami ! pour moi… (À part.) Ah ! quelle différence ! et que je rougis de moi-même ! (Cherchant à reprendre sur elle.) Allons, (Elle regarde la pendule et dit froidement.) Ce mariage est pour onze heures : il sera temps encore ; je veux lui écrire.
Ne voulez-vous pas le voir ?
Non, dans ce moment sa présence me ferait mal.
Adieu, vous que j’ai tant aimée, et que je perds à jamais. J’ai eu la force de tout immoler à votre bonheur ; mais je n’ai pas celle d’en être le témoin. Adieu pour toujours !
Olivier, de grâce…
Non, madame, je ne puis.
J’ai pourtant un service à vous demander. Ah ! vous restez ; j’en étais sûre.
Que me voulez-vous ?
Cette lettre doit être remise à Poligni à l’instant ; oui, à l’instant même ; car il faut que sur-le-champ il puisse y répondre. Dieu ! le voici.
Scène VI.
Ah ! madame, ne me fuyez pas ; que je puisse au moins vous voir… pour la dernière fois !
Je le voulais… je ne le puis… Mais cette lettre vous était destinée, je vous la laisse. (Elle lui donne la lettre.)
Un instant encore ; d’après ce que je viens d’entendre, j’y dois une réponse.
Eh bien ! lisez.
Ah ! tout est fini pour moi.
« Je sais que vous m’aimez encore ; je sais les motifs qui vous forcent à épouser Hermance. » (À Olivier.) Ah ! tu m’as trahi !
Oui, pour ton bonheur !
« Ce mariage vous rendrait à jamais malheureux, et je dois l’empêcher, non pour moi, car l’amour est éteint dans mon cœur, je vous le jure, et vous savez si l’on doit croire mes sermens ; mais mon amitié qui vous reste s’effraie de votre avenir, et je sais un moyen de sauver votre réputation sans compromettre votre bonheur : je suis riche, j’ai huit cent mille francs, disposez-en. Olivier m’aimera bien sans cela, et vous pouvez les accepter sans rougir de la femme de votre ami. »
Ah ! que viens-je d’entendre !
Olivier, levez-vous.
Ah ! malheureux !
Eh bien ! vous ne répondez pas ? Qui vous empêche d’accepter ?
Je vous remercie de votre amitié, de vos offres généreuses qui désormais me sont inutiles. Mon sort est fixé, et je ne pourrais maintenant, sans me perdre aux yeux du monde, sans manquer à l’honneur, rompre des engagemens qui du reste comblent tous mes vœux.
Scène VII.
DORBEVAL, tenant Hermance par la main.
Eh bien ! où est donc le marié ? on le demande de tous les côtés, et c’est moi qui lui amène sa femme.
Et, mon Dieu ! oui, voilà tout le monde qui vient vous chercher.
Tout le monde ! ah ! c’est fort aimable ! c’est charmant ! je suis ravi, enchanté !
Oh ! ce n’est rien encore. Une de ces dames vient de se mettre au piano, et nous allons avoir un bal impromptu.
Nous danserons ! c’est délicieux ! Tous les plaisirs à la fois ! (Prenant la main d’Hermance.) Ma chère Hermance, venez, que je vous présente à mes amis. D’abord, à Olivier, mon camarade de collège.
Oh ! je connais déjà monsieur, nous avons passé cet été quelques jours ensemble à Auteuil ?
À… Auteuil !
Nous y avons joué la comédie.
Le Mariage de Figaro ?
Justement ! je jouais Fanchette.
Fanchette ! c’est charmant ! c’est très gai !
Mais à mon tour, madame, permettez-moi de vous féliciter. On vient de m’apprendre votre fortune. Huit cent mille francs ! Vous avez dû être ravie d’un pareil changement ?
Oui, je me réjouis du changement que j’éprouve, et auquel je n’osais croire.
Mais, à propos, j’ai de bonnes nouvelles à t’apprendre ; notre spéculation va à merveille ! Dès demain, en réalisant, ta charge est payée, et, fin de mois, ta fortune est faite. Tu deviens un capitaliste, un riche propriétaire, et tu seras dans ton ménage aussi heureux que moi : maison de ville et de campagne, des chevaux, des équipages, de l’or, des amis ; tu auras tout réuni.
Excepté le bonheur !