Le Marquis de Villemer (RDDM)/Texte entier

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Le Marquis de Villemer (RDDM)
Revue des Deux Mondes2e période, tome 28 (p. 257-306).



LE MARQUIS DE VILLEMER



PREMIÈRE PARTIE.


A MADAME CAMILLE HEUDEBERT.


(À D…., par Blois.)



I.



Ne t’inquiète donc pas, chère sœur, me voilà arrivée à Paris sans accident ni fatigue. J’ai dormi quelques heures, j’ai déjeuné d’une tasse de café, j’ai fait ma toilette, et dans un instant je vais prendre un fiacre et me présenter à Mme d’Arglade pour qu’elle me présente à Mme de Villemer. Je t’écrirai ce soir le résultat de la solennelle entrevue, mais je veux d’abord jeter ces trois mots à la poste pour que tu sois rassurée sur mon voyage et ma santé. Prends courage avec moi, ma Camille, tout ira bien ; Dieu n’abandonne pas ceux qui comptent sur lui et qui font leur possible pour aider sa douce providence. Ce qu’il y a eu de plus douloureux pour moi dans ma résolution, ce sont tes larmes et celles des chers petits : j’ai de la peine à retenir les miennes quand j’y pense ; mais il le fallait absolument, vois-tu ! Je ne pouvais pas rester les bras croisés quand tu as quatre enfans à élever. Puisque j’ai du courage, de la santé, et aucun autre lien en ce monde que ma tendresse pour toi et pour ces pauvres anges du bon Dieu, c’était à moi de partir Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/262 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/263 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/264 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/265 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/266 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/267 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/268 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/269 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/270 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/271 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/272 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/273 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/274 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/275 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/276 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/277 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/278 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/279 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/280 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/281 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/282 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/283 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/284 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/285 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/286 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/287 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/288 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/289 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/290 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/291 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/292 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/293 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/294 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/295 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/296 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/297 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/298 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/299 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/300 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/301 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/302 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/303 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/304 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/305 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/306 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/307 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/308 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/309 n’aurez plus à vous plaindre de moi. Je le jure par tout ce qu’un homme peut avoir de sacré, par ma mère !

Après avoir ainsi réparé sa faute et rassuré Caroline, dont le départ eût fait échouer son plan, le duc se mit à lui parler d’Urbain avec un véritable enthousiasme. Il y avait en lui sur ce point tant de sincérité, que Mlle de Saint-Geneix abjura ses préventions. Le calme revint donc dans son esprit, et elle s’empressa d’écrire à Camille que tout allait bien, que le duc valait infiniment mieux que sa réputation, et que, dans tous les cas, il s’était engagé sur l’honneur à la laisser tranquille.

Pendant le mois qui suivit cette journée, Caroline vit fort peu M. de Villemer. Il eut à s’occuper des détails de la liquidation de son frère, puis il s’absenta. Il dit à sa mère qu’il allait en Normandie voir un certain château historique dont le plan lui était nécessaire pour son ouvrage, et il prit une route tout opposée, confiant au duc seul qu’il allait voir son fils dans le plus strict incognito. De son côté, le duc fut très occupé de son changement de position pécuniaire. Il vendit ses chevaux, son mobilier, congédia ses laquais, et vint, à la demande de sa mère, s’installer provisoirement, par économie, dans un entresol de son hôtel, qui allait être vendu aussi, mais avec cette réserve que le marquis resterait pendant dix ans principal locataire, et que rien ne serait changé dans l’appartement de sa mère.

Quant à Urbain, il monta trois étages et entassa ses livres dans un logement plus que modeste, protestant qu’il n’avait jamais été mieux, et qu’il avait une vue magnifique sur les Champs-Élysées. Durant son absence, on fit les préparatifs de départ pour la campagne, et Mlle de Saint-Geneix écrivait à sa sœur : « Je compte les jours qui nous séparent de cette bienheureuse campagne, où je vais enfin marcher à mon aise et respirer un air pur. J’ai assez des fleurs qu’on voit mourir sur la cheminée : j’ai soif de celles qui éclosent en plein champ. »

George Sand.

(La seconde partie au prochain n°.)



LE MARQUIS DE VILLEMER



SECONDE PARTIE[1].



VII.


LETTRE DU MARQUIS DE VILLEMER AU DUC D’ALÉRIA.


Polignac, 1er mai 45, par Le Puy (Ilaute-Loire).

L’adresse que je te donne est un secret que je te confie, et je suis heureux de te le confier. Si par quelque accident imprévu je venais à mourir loin de toi, tu saurais qu’avant tout il faudrait envoyer ici et veiller à ce que l’enfant ne fût pas négligé par les gens à qui je l’ai confié. Ces gens ne me connaissent pas ; ils ne savent ni mon nom ni mon pays ; ils ignorent même que cet enfant m’appartient. De telles précautions sont nécessaires, je te l’ai dit. M. de G… a conservé des soupçons dont la conséquence serait de douter de la légitimité bien réelle pourtant de sa fille. Cette crainte torturait une malheureuse mère à qui j’avais juré de cacher l’existence de Didier tant que le sort de Laure ne serait pas assuré. Je me suis aperçu plus d’une fois de la curiosité inquiète avec laquelle mes démarches étaient observées. Je n’y saurais donc apporter trop de mystère. Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/518 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/519 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/520 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/521 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/522 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/523 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/524 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/525 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/526 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/527 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/528 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/529 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/530 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/531 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/532 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/533 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/534 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/535 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/536 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/537 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/538 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/539 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/540 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/541 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/542 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/543 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/544 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/545 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/546 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/547 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/548 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/549 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/550 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/551 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/552 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/553 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/554 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/555 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/556 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/557 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/558 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/559 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/560 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/561 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/562 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/563 sépare. Prends-y garde, mon pauvre ami ! avec une imprudence, avec une légèreté, avec une erreur de ton dévouement, tu peux me tuer aussi vite que si tu prenais un pistolet pour me faire sauter la tête.

Le duc était fort embarrassé. Il trouvait la situation simple entre deux êtres plus ou moins portés l’un vers l’autre et séparés seulement par des scrupules qui avaient peu d’importance à ses yeux ; mais, selon lui, le marquis compliquait cette situation par des délicatesses bizarres. Si Mlle de Saint-Geneix s’abandonnait sans passion, il sentait la sienne s’éteindre, et, en perdant cette passion qui le tuait, il se sentait foudroyé plus vite. C’était une impasse qui désespérait le duc , et où il lui fallait pourtant bien suivre et respecter la pensée et la volonté de son frère. En causant encore avec lui et en tâtant avec précaution toutes les fibres de son âme, il en vint à reconnaître que la seule joie possible à lui donner était de l’aider à deviner l’affection de Caroline et à lui en faire espérer le progrès patient et délicat. Tant que son imagination se promenait dans ce jardin des premières émotions romanesques et pures, le marquis se berçait d’idées suaves et de jouissances exquises. Dès qu’on lui faisait entrevoir l’heure où il faudrait prendre un parti et risquer un aveu, il avait comme un sombre pressentiment de quelque désastre inévitable, et par malheur pour lui il ne se trompait pas. Caroline devait refuser et fuir, ou, si elle acceptait sa main, car l’honneur du marquis n’admettait pas l’idée de la séduire, la vieille mère devait se désespérer, succomber peut-être à la perte de ses illusions. Le duc était plongé dans ces réflexions, car Urbain commençait à s’assoupir après lui avoir fait jurer qu’il le quitterait pour se reposer lui-même dès qu’il le verrait endormi. Gaétan s’irritait de ne point trouver le moyen de le servir véritablement. Il aurait voulu avertir Caroline, faire appel à sa bonté, à son estime, lui dire de gouverner doucement le moral de ce malade, de lui épargner la vue de l’avenir, quel qu’il dût être, de le bercer d’espoirs vagues et de poétiques rêveries ; mais c’était lancer la pauvre fille sur une pente bien dangereuse, et elle n’était point assez enfant pour ne pas comprendre qu’elle y risquait sa réputation et probablement son propre repos.

La destinée, qui est très active dans les drames de ce genre, parce que son action rencontre toujours des âmes prédisposées à la subir, fit ce que le duc n’osait faire.

George Sand.

(La troisième partie au prochain n°.)




LE MARQUIS DE VILLEMER



TROISIÈME PARTIE.[2]



XIII.


Malgré la promesse que le duc avait faite à son frère de n’avertir personne, il ne put se résoudre à endosser la périlleuse responsabilité du silence absolu. Il croyait au médecin, quel qu’il fût, tout en disant qu’il ne croyait pas à la médecine, et il résolut d’aller à Chambon pour s’entendre avec un jeune homme qui ne lui avait paru manquer ni de savoir ni de prudence, un jour qu’il l’avait consulté sur une indisposition légère. Il lui confierait sous le sceau du secret la situation du marquis, l’engagerait à venir au château le lendemain sous prétexte de vendre un bout de prairie enclavé dans les terres de Séval, et là il ferait en sorte que le médecin vît le malade, ne fût-ce que pour observer sa physionomie et son allure, sans donner d’avis officiel ; on verrait à soumettre cet avis à M. de Villemer, et peut-être consentirait-il à le suivre. Enfin le duc, qui ne savait pas veiller dans le calme et le silence de la nuit , avait besoin d’agir pour secouer son inquiétude. Il calcula qu’en une demi-heure il serait à Chambon, et qu’une heure lui suffirait ensuite pour réveiller le médecin, parler avec lui et revenir. Il pouvait, il devait être Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/774 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/775 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/776 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/777 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/778 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/779 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/780 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/781 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/782 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/783 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/784 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/785 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/786 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/787 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/788 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/789 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/790 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/791 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/792 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/793 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/794 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/795 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/796 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/797 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/798 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/799 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/800 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/801 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/802 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/803 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/804 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/805 qui signifie en bon français : « Nous avons encore un grand mois avant que ma fille et ma filleule ne voient le monde. C’est à vous de plaire avant que l’on ne se grise avec le bal et les toilettes. Nous ne recevons guère de jeunes gens, et c’est à vous d’ailleurs d’être le plus jeune, c’est-à-dire le plus pressé et le plus heureux. »

— Mon Dieu, mon Dieu ! dit la marquise, je crois faire un rêve, mon pauvre duc ! Et moi qui ne pensais pas à toi ! Moi qui me figurais que tu avais attrapé tant de femmes que tu ne pourrais plus en rencontrer une assez simple,… assez généreuse,… assez sage après tout, car te voilà corrigé, et je jurerais que tu rendras la duchesse d’Aléria parfaitement heureuse…

— Gela, ma mère, je vous en réponds ! s’écria le duc. Ce qui m’a rendu mauvais, c’est le doute, c’est l’expérience, ce sont les coquettes et les ambitieuses ; mais une fille charmante, une enfant de seize ans qui se fierait à moi, ruiné comme me voilà,… mais je redeviendrais enfant moi-même ! Ah ! vous seriez bien heureuse aussi, vous, n’est-ce pas ? Et toi, Urbain, qui craignais tant d’être obligé de te marier ?

— A-t-il donc fait vœu de célibat ? dit la marquise en regardant le marquis avec tendresse.

— Non pas ! répondit Urbain avec vivacité ; mais vous voyez bien qu’il n’y a pas de temps de perdu, puisque mon aîné fait encore de si belles conquêtes ! Quand vous me donneriez encore quelques mois de réflexion…

— Au fait, au fait, rien ne presse en réalité, reprit la marquise, et puisque nous avons si bonne chance, je me fie à l’avenir… et à toi, mon excellent ami !

Elle embrassa ses deux fils. Elle était ivre de joie et d’espérance, elle tutoyait tous ses enfans. Elle embrassa aussi Caroline en lui disant : — Et toi, bonne et belle petite blonde, réjouis-toi donc aussi !

Caroline avait plus envie de se réjouir qu’elle ne voulait se l’avouer à elle-même. Vaincue par la fatigue d’une journée d’émotions, elle s’endormit délicieusement en se disant que la crise était ajournée, et que pendant quelque temps encore elle ne verrait pas l’obstacle sans appel et sans retour du mariage se placer entre elle et M. de Villemer.

George Sand.

(La quatrième partie au prochain n°. )

LE MARQUIS DE VILLEMER



QUATRIÈME PARTIE.[3]




XVIII.


La marquise ne dormit guère. Elle étouffait d’impatience d’être au lendemain. L’insomnie l’attrista. Elle vit tout en noir et s’attendit à une déception ; mais lorsque Caroline lui apporta sa correspondance, il y avait une lettre de la duchesse qui la transporta de joie. « Mon amie, disait Mme de Dunières, voilà un changement à vue comme à l’Opéra. C’est de votre fils aîné qu’il faut s’occuper. Je viens de causer avec Diane à son réveil. Je ne lui ai point noirci le duc, mais ma religion m’obligeait de ne lui rien cacher de la vérité. Elle m’a répondu que je lui avais déjà dit tout cela en lui parlant du marquis, que je n’avais plus rien à lui apprendre à quoi elle n’eût réfléchi, et que, tout en réfléchissant, elle en était venue à s’intéresser également aux deux frères, dont l’amitié était une si belle chose, que même, en songeant à la situation du duc, elle avait trouvé plus de mérite à bien porter le fardeau de la reconnaissance qu’à rendre le service exigé par le devoir. Elle a ajouté que, puisque je lui avais conseillé de faire le bonheur et la fortune d’un homme de mérite, elle se sentait attirée vers celui qui lui en saurait le plus de gré. Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/10 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/11 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/12 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/13 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/14 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/15 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/16 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/17 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/18 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/19 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/20 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/21 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/22 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/23 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/24 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/25 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/26 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/27 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/28 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/29 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/30 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/31 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/32 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/33 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/34 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/35 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/36 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/37 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/38 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/39 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/40 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/41 Il est sans doute calme à présent. Il a tant de force morale, et il doit si bien comprendre que je ne peux jamais le revoir ! Cependant sois sur tes gardes. Il est très pénétrant. Dis-lui que je suis un esprit très froid… Non, pas cela, il ne le croirait pas… Parle-lui de ma fierté, qui est invincible. Oh ! pour cela, oui, je suis fière, je le sens ! Et si je ne l’étais pas, serais-je digne de son affection ?

« On eût peut-être voulu que je me rendisse en effet indigne de son respect, non pas la mère : oh ! elle, non, jamais ! Elle a trop de loyauté, de religion et de chasteté dans l’âme ; mais le duc ! A présent je me souviens de bien des choses que je n’avais pas comprises, et qui se présentent sous un nouveau jour. Le duc est excellent, il adore son frère : je crois que sa femme, qui est un ange, va purifier sa vie et ses pensées ; mais à Séval, quand il me disait de sauver son frère à tout prix… J’y songe aujourd’hui, et la rougeur me monte au front !

« Ah ! qu’on me laisse disparaître, qu’on me laisse oublier tout cela ! Je me suis crue bien calme, bien digne et bien heureuse pendant un an ! Un jour, une heure ont tout gâté. D’un mot, M""" de Villemer a empoisonné tous les souvenirs que j’aurais voulu emporter pu^s, et que je n’ose plus interroger maintenant. Vraiment, Camille, tu avais raison quelquefois quand tu me disais qu’il ne fallait pas avoir l’esprit trop candide, et que je m’aventurais trop en don Quichotte dans la vie ! Ceci me servira de leçon, et je me défendrai de l’amitié comme de l’amour. Je me demande pourquoi je ne romprais pas dès à présent tout lien avec ce monde plein de périls et de déceptions, pourquoi je n’accepterais pas ma misère encore plus bravement que je ne l’ai fait. Je pourrais me créer des ressources dans cette province encore très reculée comme civilisation. Je ne pourrais pas y être maîtresse d’école, comme Justine se le figurait l’année dernière : le clergé a tout envahi, et les bonnes sœurs ne me permettraient pas d’enseigner, même à Lantriac ; mais je trouverais des leçons dans une ville, ou bien je pourrais être comptable dans quelque maison de commerce.

« Avant tout, il faut que je sois sûre d’être oubliée là-bas ; mais quand cet oubli sera consommé, il faudra bien que je pense à nos enfans, et je m’en préoccupe par avance. Sois tranquille après tout. Je trouverai ; je saurai triompher de la mauvaise destinée. Tu sais bien que je ne m’endors pas, et que je ne peux pas faiblir. Tu as de quoi aller pendant deux mois, et je n’ai absolument besoin de rien ici. Ne te tourmente pas, comptons toujours sur le bon Dieu, comme tu dois compter, toi, sur la sœur qui t’aime. »

George Sand.

(La dernière partie au prochain n°.)

LE MARQUIS DE VILLEMER



DERNIÈRE PARTIE.[4]



XXII.


Caroline avait raison de redouter les investigations de M. de Villemer auprès de sa sœur. Il était déjà retourné deux fois à Étampes, et, comprenant bien que la délicatesse lui interdisait tout ce qui aurait pu ressembler à un système d’interrogations, il se bornait à observer l’attitude et à commenter les réticences de Camille. Il pouvait dès lors se tenir pour assuré que Mme Heudebert connaissait la retraite de sa sœur, et que sa disparition ne lui causait point d’inquiétude réelle. Camille tenait en réserve la lettre où Caroline disait avoir trouvé un emploi hors de France, et elle ne la produisait pas. Elle voyait tant d’angoisse et de souffrance dans les traits déjà profondément altérés du marquis qu’elle n’osait porter ce dernier coup au bienfaiteur, au protecteur de ses enfans. Puis Mme Heudebert ne partageait pas tous les scrupules et ne comprenait pas toute la fierté de Caroline. Elle n’avait osé l’en blâmer, mais elle ne se fût pas fait un si grand crime d’affronter un peu le mécontentement de la marquise, et de devenir sa bru quand même. « Puisque les Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/300 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/301 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/302 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/303 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/304 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/305 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/306 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/307 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/308 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/309 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/310 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/311 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/312 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/313 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/314 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/315 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/316 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/317 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/318 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/319 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/320 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/321 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/322 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/323 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/324 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/325 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/326 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/327 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/328 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/329 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/330 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/331 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/332 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/333 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/334 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/335 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/336 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/337 aimable, beau et assez ingambe. Il vit dans un grand luxe, mais sans prodigalité, et se remettant de tout à sa femme, qui le gouverne et le maintient sage avec un rare esprit de conduite et une admirable finesse dans les gâteries de la passion proclamée. Nous ne voudrions pas jurer qu’il n’ait jamais pensé à la tromper ; mais elle a, su déjouer les fantaisies sans qu’il s’en aperçût, et son triomphe, qui dure encore, prouve une fois de plus qu’il y a quelquefois assez d’art et de force dans le cerveau d’une fillette de seize ans pour régler au mieux la destinée d’un professeur de scélératesse. Le duc, admirablement bon et assez faible, trouve plus de charme qu’on ne croit à ne plus ourdir de savantes perfidies contre le beau sexe et à s’endormir, sans remords nouveaux, sur l’oreiller du bien-être.

Le marquis et la nouvelle marquise de Villemer passent maintenant huit mois de l’année à Séval, toujours occupés, on ne peut dire l’un de l’autre, puisqu’ils se sont identifiés l’un à l’autre au point de penser ensemble et de se répondre avant de s’être questionnés, mais de l’éducation de leurs enfans, tous remarquables d’intelligence et de charme. M. de G… est mort. Mme de G… a été oubliée. Didier a été reconnu par le marquis pour un de ses enfans. Caroline ne se rappelle plus qu’elle n’est pas sa mère.

Mme Heudebert est fixée à Séval. Tous ses enfans sont élevés par les soins du marquis et de Caroline. Les fils du duc, plus gâtés, sont moins intelligens et moins bien portans ; mais ils sont aimables et pleins de grâces précoces. Le duc est excellent père et s’étonne, à tort, d’avoir déjà de si grands enfans.

Les Peyraque ont été comblés. On est retourné les voir l’année dernière, et cette fois on a gravi, par un beau soleil levant, la cime argentée du Mezenc. On a voulu revoir aussi la pauvre cabane où, en dépit des largesses du marquis, rien n’a été changé en mieux ; mais le père a acheté de la terre, et on se croit riche. Caroline s’est assise avec bonheur sous l’âtre misérable où elle a vu à ses pieds pour la première fois l’homme avec qui elle eut partagé sans effroi une hutte dans les Cévennes et l’oubli du monde entier.

George Sand.

Nohant, 30 avril 1860.

  1. Voyez la livraison du 15 juillet.
  2. Voyez les livraisons du 15 juillet et du 1er août.
  3. Voyez les livraisons du 15 juillet, du 1er et du 15 août.
  4. Voyez les livraisons du 15 juillet, du 1er et du 15 août, et du 1er septembre.