Le Marquis ridicule ou la Comtesse faite à la hâte/Acte III

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ACTE III


Scène I.

LIZETTE, DOM SANCHE.
Lizette.

Les valets du marquis à leur maître fidelles,
Avoient si bien par-tout placé leurs sentinelles,

Que durant le souper même, je n’ai pas pu
Tirer hors de son trou notre amant morfondu.
Il me fait grand’pitié, car il est fort aimable ;
Mais, ma foi, le marquis ne sera pas traitable,
Et je me trompe fort, s’il est moins diligent
À garder sa moitié qu’à garder son argent.
Sortez, mon cavalier, sortez en diligence,
Vous m’avez aujourd’hui coûté plus d’une transe.
Nous avons un mari jaloux comme un damné.

D. Sanche.

Hélas ! il est mon frére, et de plus mon aîné.

Lizette.

Dites-vous ?

D. Sanche.

Dites-vous ?Et de plus, c’est le dernier des hommes.

Lizette.

Nous sommes bien à plaindre en l’état où nous sommes ;
Moi d’avoir un tel maître, et vous un frére tel.
J’en fais dès aujourd’hui mon ennemi mortel ;
Il ne méritoit pas une femme si belle.

D. Sanche.

Ni moi de l’éprouver si fiére et si cruelle.

Lizette.

Vous l’avez obligée et vous êtes bien fait,
Espérez, son esprit est sensible au bienfait ;
Et quoique par vertu sa peine il dissimule,
Je sais qu’il est choqué d’un mari ridicule.
Si peu qu’un sot époux à nos yeux fasse mal,
Le tems change en mépris le respect conjugal ;
Et si peu qu’un mari se rende méprisable,
Il ne manque au galant qu’une heure favorable.



Scène II

DOM BLAIZE, LIZETTE, DOM SANCHE, ORDUGNO.
D. Blaize.

Ordugno ?

Lizette.

Ordugno ?Le voici, mon dieu, que ferons-nous ?

D. Blaize.

Eh ! viens donc, Ordugno ?

Lizette.

Eh ! viens donc, Ordugno ?Vîte, recachez-vous,
Maudit soit l’Ordugno. Je tremble en chaque membre.

D. Blaize.

Ordugno ?

Ordugno.

Ordugno ?Pourquoi donc sortir de votre chambre ?

D. Blaize.

Mes amoureux soupirs en ont échauffé l’air,
Et pourroient à la fin moi-même m’y brûler.

Ordugno.

Que ne reposez-vous votre personne lasse ?

D. Blaize.

Je ne puis demeurer long-tems en une place,
Triste comme je suis.

Ordugno.

Triste comme je suis.Pourquoi triste ?

D. Blaize.

Triste comme je suis. Pourquoi triste ?Pourquoi ?
Quel mortel ici-bas doit l’être plus que moi ?
Je veux absolument me cacher d’un beau-pére,
Qui me trouve d’abord, grâce à mon sot de frére :
Qui contre l’ordre exprès à lui par moi donné,
À lui frére cadet par moi son frére aîné,
Qui contre l’ordre donc, porté dans ma missive,
De ne révéler pas à personne qui vive

Que je suis dans Madrid, a d’abord découvert
L’infaillible moyen de me prendre sans vert.

Ordugno.

Et qu’ordonniez-vous à dom Sanche ?

D. Blaize.

Et qu’ordonniez-vous à dom Sanche ?De faire
Investigation de Blanche et de son pére,
Savoir ce qu’on en dit dans la Cour de Madrid,
Car si quelqu’un de Blanche avoit surpris l’esprit,
Par conséquent le corps, je n’aurois que son reste,
Et ma honte bientôt deviendroit manifeste ;
Ainsi dom Blaize Pol encorné plus qu’un bœuf,
Auroit à souhaiter de se voir bientôt veuf :
Au-lieu que si mon frére eût caché ma venue,
Cette maison bientôt m’auroit été connue :
Et cela fait, suivant mon information,
Ou bien j’aurois agi par consommation,
Ou bien j’aurois d’abord rompu mon mariage ;
Mais il n’en est plus tems, Ordugno, dont j’enrage.
Qui pis est, le beau-pére est de ces esprits doux,
Qui sur tout, en tout tems sont d’accord avec vous ;
Qui ne quittent jamais leur douce procédure,
Et qui rient au nez quand on leur fait injure.

D. Sanche, à part d’où il est caché.

Le fantasque qu’il est m’auroit pris en défaut,
S’il n’eût ainsi parlé de sa lettre tout haut ;
Mais je puis maintenant dire que je l’ai lue,
Quoiqu’à dire le vrai, son valet l’ait perdue.

D. Blaize.

Mais épluchons un peu la future moitié.
Qu’en dis-tu ?

Ordugno.

Qu’en dis-tu ?Qu’elle est belle.

D. Blaize.

Qu’en dis-tu ? Qu’elle est belle.Et trop de la moitié.
Et de cette suivante un peu trop familiére ?

Ordugno.

Qu’elle me plaît beaucoup.

D. Blaize.

Qu’elle me plaît beaucoup.Elle ne me plaît guére.

Comment ! à sa maîtresse, à la barbe des gens,
Elle parle à l’oreille, à toute heure, en tout tems.
Loin de moi, loin de moi soubrette qui conseille :
On dispose du cœur de qui l’on a l’oreille ;
On dispose du corps de qui l’on a le cœur,
Cela fait, un mari se trouve sans honneur.
Va, va-t’en dans ma chambre, apporte une lumiére,
Je ne veux pas laisser le moindre coin derriére
Où je n’aye porté mes regards et mes mains.
Si j’allois y trouver le malheur que je crains,
Quelque Galant caché, je ferois rumeur telle,
Que mon maudit hymen se romproit par querelle.

D. Sanche, dans sa cachette.

Si cet extravagant cherche par-tout ainsi,
Il ne faut point douter qu’il ne me trouve ici ;
Mais je me puis sauver tandis qu’il ne voit goute.

D. Blaize.

J’entends marcher quelqu’un auprès de moi, sans doute.
Qui va là ?

D. Sanche.

Qui va là ?Qui va là toi-même !

D. Blaize.

Qui va là ?Qui va là toi-même !Es-tu mortel,
Ou fantôme ?

D. Sanche.

Ou fantôme ?Je suis homme vivant, et tel,
Que pour avoir osé profaner la demeure
Et l’honneur d’un Marquis, je t’étrangle sur l’heure.

D. Blaize.

Tu me serres la gorge, homme trop ponctuel !
Mais je t’étranglerai d’un effort mutuel.
Démon ! car tu ne peux être un homme ordinaire,
Après le mal cruel que tu me viens de faire.
Que cherches-tu céans ?

D. Sanche.

Que cherches-tu céans ?J’y cherche à t’y punir.

D. Blaize.

Et d’où prends-tu l’audace et le droit d’y venir ?

Ordugno en entrant éteint sa chandelle contre le visage de son Maître.

Ordugno ? l’étourdi m’a brûlé le visage.

Ordugno.

Qui diable vous croyoit aussi dans mon passage ?

D. Sanche.

Ha, mon frére ! est-ce vous ? à la voix d’Ordugno
Je vous ai reconnu.

D. Blaize.

Je vous ai reconnu.Frére, ou plutôt bourreau,
À quoi bon m’étrangler ?

D. Sanche.

À quoi bon m’étrangler ?À dessein de vous plaire.

D. Blaize.

La belle invention pour hériter d’un frére !

D. Sanche.

Vous me l’aviez écrit.

D. Blaize.

Vous me l’aviez écrit.Oui, de vous informer
De Blanche et de ses mœurs, non de vous enfermer
Dans son logis de nuit, mon cadet ! c’est trop faire,
C’est transgresser mon ordre, enfin c’est me déplaire.

D. Sanche.

Je n’ai point eu dessein que de vous obéir.

D. Blaize.

Mais n’avez-vous point eu celui de me trahir ?

D. Sanche.

Votre lettre en mes mains ne fut pas plutôt mise,
Qu’afin d’exécuter vos ordres sans remise,
J’entrai dans ce logis.

D. Blaize.

J’entrai dans ce logis.Où je vous vois caché.
Qui vous y fit entrer ?

D. Sanche.

Qui vous y fit entrer ?Je suis bien empêché.

D. Blaize.

Parlez donc : qu’avez-vous à vous gratter la tête ?
Eûtes-vous pour cela quelque prétexte honnête ?
Car on n’introduit pas pour rien et sans sujet
Dans un logis d’honneur, un cavalier suspect.

D. Sanche.

Je priai, je promis, je gagnai la suivante,
Feignant pour sa maîtresse une amour violente,

D. Blaize.

N’avais-je pas bien dis ? la friponne qu’elle est,
À la fidélité préfère l’intérêt.
Je m’en veux éclaircir, puisqu’il y va du nôtre.
Prenez cette casaque, et me donnez la vôtre,
Et cependant allez dans ma chambre. Ordugno,
Vous tiendrez compagnie à ce godelureau.
Je vais bien attraper la maudite soubrette,
Elle croira venir tirer de sa cachette
Mon frére, et me prendra pour ce larron d’honneur ;
Et je découvre ainsi ce qu’elle a sur le cœur.

D. Sanche.

Il va tout découvrir, ô la sotte défaite
Dont je me suis servi !

D. Blaize.

Dont je me suis servi !La maudite soubrette
Sur la foi des manteaux truqués si prudemment,
Pour dom Sanche aura pris dom Blaize assurément.
Elle viendra bientôt le tirer de sa geôle,
Et lors je ne dis pas que sur sa tendre épaule
Coups orbes et pesants par moi ne soient donnez :
Mais je lui veux devant tirer les vers du nez.

Lizette, croyant parler à Dom Sanche.

Le sot homme est sorti.

D. Blaize, à part.

Le sot homme est sorti.Peste ! Comme on me nomme.

Lizette.

Ha ! que n’est-il déjà doublement un sot homme !

D. Blaize, contrefaisant sa voix.

Bon. Du plaisir reçu je me revancherai.

Lizette.

Je n’ai rien fait au prix de ce que je ferai.
Sortez donc. Ce marquis nous fera de la peine,
Fantasque comme il est.

D. Blaize, à part.

Fantasque comme il est.Ha ! la double vilaine.

Lizette, entend venir dom Sanche qu’elle croit dom Blaize.

Dieu me veuille assister ! Ne le voilà-t-il pas ?

Elle s’enfuit.

Songez à vous ; pour moi je me sauve à grands pas.

D. Blaize.

Ha ! c’est vous, pourquoi donc venir si-tôt, mon frére ?

D. Sanche.

Le desir de savoir le secret d’une affaire,
Où notre honneur commun peut être intéressé,
En est cause.

D. Blaize.

En est cause.Ma foi, vous étiez bien pressé.

D. Sanche.

Qu’avez-vous donc appris ?

D. Blaize.

Qu’avez-vous donc appris ?Trop. D’abord la traîtresse.
M’a promis sa faveur auprès de sa maîtresse,
Puis m’a donné du sot et du fantasque aussi :
Mais je lui veux apprendre à me traiter ainsi.
Chaque chose a son tems ; et quant à vous, dom Sanche,
Je veux que vous feigniez d’être amoureux de Blanche.
Je veux par votre amour adroitement joué,
Découvrir si son cœur vous peut être voué ;
Et je pourrai, peut-être avec la même feinte
Découvrir si ce cœur n’a point eu d’autre atteinte.
Vous pouvez bien penser que je serois gâté,
S’il falloit que la belle en eût déjà tâté.

L’adresse à ce dessein n’est pas peu nécessaire :
N’y faites pourtant pas tout ce qui s’y peut faire,
Que votre feint amour n’ait rien d’incontinent.

D. Sanche.

Ce Mari curieux, qu’on nomme impertinent,
N’en a jamais tant fait.

D. Blaize.

N’en a jamais tant fait.Vous me voulez instruire,
Vous malheureux cadet qu’un aîné peut détruire,
Vous m’osez conseiller ; vous me traitez de sot,
Moi, tous sens, tout esprit, moi dom Blaize, en un mot ?

D. Sanche.

Mais que peut-on penser d’un homme qui s’ingére
D’aimer une beauté destinée à son frére ?
Et quelle opinion auroit-elle de moi ?
Qui feroit un tel crime ?

D. Blaize.

Qui feroit un tel crime ?Et n’est-ce pas de quoi
Donner une couleur à pareille entreprise,
Que feindre que votre ame est dès long-tems éprise ?

D. Sanche.

Je ne l’ai jamais vue.

D. Blaize.

Je ne l’ai jamais vue.Et suis-je donc un fou ?
Et n’avez-vous pas vu son portrait à mon cou ?
N’est-il pas digne assez de votre idolâtrie ?
Mais, foin, je l’ai laissé dans notre hôtellerie.
Je m’en vais le querir.

D. Sanche.

Je m’en vais le querir.J’irai bien.

D. Blaize.

Je m’en vais le querir. J’irai bien.Volontiers
Vous iriez fureter ma malle et mes papiers.
Rengaînez, rengaînez votre offre officieuse !
Que ces fréres cadets ont l’ame curieuse !
Je suis des curieux l’ennemi capital.

D. Sanche, à part.

La belle occasion que m’offre ce brutal !

D. Blaize.

Que dites-vous tout bas ?

D. Sanche.

Que dites-vous tout bas ? Que je suis prêt de faire
Tout ce qu’il vous plaira.

D. Blaize.

Tout ce qu’il vous plaira.M’obéir c’est me plaire.
Ordugno !

Ordugno.

Ordugno ? Monseigneur ?

D. Blaize.

Ordugno ? Monseigneur ? Ordugno ?

Ordugno.

Ordugno ! Monseigneur ? Ordugno ? Monseigneur ?

D. Blaize.

Faut-il pour mes péchés qu’un valet soit dormeur ?
Ordugno ?

Ordugno.

Ordugno ? Monseigneur ?

D. Blaize.

Ordugno ? Monseigneur ? Dieu te puisse confondre,
Monseigneur, monseigneur, ce n’est là que répondre ;
Mais ce n’est pas venir.

Ordugno.

Mais ce n’est pas venir.Hé bien ! que voulez-vous ?

D. Blaize.

Sortir.

Ordugno.

Sortir.Sortir si tard, c’est à faire à des fous.

D. Blaize.

Parle pour toi, crocan. Sais-tu bien ce qu’engendre
L’indulgence d’un maître au valet bon à prendre
Certaines libertés, qui lassent à la fin,
Et qui font tôt ou tard qu’on le traite en faquin ?

Va querir mon épée, et prends aussi la tienne,
Et lanterne, et poignard.

Ordugno.

Et lanterne, et poignard.Faut-il que Merlin vienne ?

D. Blaize.

Non. Qu’on m’ouvre, aussi-tôt qu’on m’entendra siffler.

Il sort.

Je reviens à l’instant.

Merlin.

Je reviens à l’instant.Où veut-il donc aller
Si tard ?

D. Sanche.

Si tard ?Tu le sauras devant que la nuit passe,
D’où viens-tu toi ?

Merlin.

D’où viens-tu toi ?Je viens de perdre à tope et masse
Un petit diamant dont m’avait fait régal
La belle Stefanie, honneur de Portugal.
Il n’en est pas au monde une plus folle qu’elle,
Je la viens de trouver avecque sa sequelle,
C’est-à-dire Louize et son Olivarès,
Assiégeant ce logis ; et de loin et de près,
Elle, ou quelqu’un des siens, n’en quitte pas la porte,
Guignant les gens au nez, soit qu’on entre ou qu’on sorte.
Dans ses mains par malheur je suis tantôt tombé,
Et sous ses questions j’ai quasi succombé.
Elle m’a fait sur vous mille et mille demandes,
Quand elle m’auroit fait autant de réprimandes,
Je crois sur mon honneur, qu’elle m’eût moins pesé.
Quelqu’un dans son esprit vous a démarquisé ;
Je l’en trouve pour vous un peu moins échauffée,
Et même je la tiens de Dom Blaize coëffée,
Et que c’est pour lui seul qu’elle bat le pavé.

D. Sanche.

Je voudrois de bon cœur qu’elle l’eût enlevé.

Merlin.

Le marquisat sans-doute a donné dans son tendre,
Un marquisat aussi n’est pas mauvais à prendre.

D. Sanche.

Plût à Dieu que ses yeux fissent un même effet
Sur ce cher frére aîné, qui seroit bien son fait,
Et que d’elle amoureux, il me cédât mon ange !

Merlin.

Qui ne pleureroit pas peut-être d’un tel change :
Mais songez-vous encor à la prise d’un cœur
Si réguliérement retranché dans l’honneur,
Un cœur qu’on peut nommer la plus dure des roches,
Qui ne peut pas souffrir seulement des approches ?
Vous m’allez alléguer ses yeux, astres jumeaux.
D’accord : mais c’est tirer votre poudre aux moineaux.

D. Sanche.

À peine croiras-tu, Merlin, par quelle voie,
Un espoir surprenant ressuscite ma joie.

Merlin.

Dites-la, vous verrez si je la crois ou non.

D. Sanche.

Aussi jaloux que fou, mon frére tout de bon,
Veut que… mais quelqu’un vient ; je te dirai le reste
Tantôt.



Scène III

LIZETTE, DOM SANCHE, MERLIN.
Lizette.

Tantôt.Mon cher Monsieur, notre Maîtresse peste
D’une étrange façon contre vous.

D. Sanche.

D’une étrange façon contre vous.Et pourquoi ?

Lizette.

Que sait-elle ? elle peste encor plus contre moi.
Mais si près du marquis vous êtes bien tranquille,
Que fait-il donc ? dort-il ?

D. Sanche.

Que fait-il donc ? dort-il ?Le marquis est en ville
À l’heure que je parle.

Lizette.

À l’heure que je parle.Et qu’y fait-il si tard,
Cet ennemi commun ?

D. Sanche.

Cet ennemi commun ?C’est une affaire à part.
Vous saurez seulement, que dom Blaize, et dom Sanche
Sont fort bien. Que ne suis-je aussi-bien avec Blanche !

Lizette.

Si vous étiez sorti, vous y seriez fort bien.
Jamais esprit ne fut moins ferme que le sien.
Ô le sot animal qu’une fille timide !
À force de pleurer, elle a la tête vuide :
Mais lorsque la pauvrette a su qui vous étiez,
D’aise elle m’a baisée, et fait cent amitiez.

D. Sanche.

Sait-elle que je suis le déplorable frére
Du trop heureux marquis ?

Lizette.

Du trop heureux marquis ?Elle se désespére
De n’avoir pas le choix de dom Blaize et de vous,
Et de se voir réduite à prendre un tel époux.

On siffle.
D. Sanche.

Merlin ! on a sifflé. C’est mon frére ; va vîte
Ouvrir la porte.

Lizette.

Ouvrir la porte.Et moi, je regagne mon gîte.

D. Sanche.

Ne m’abandonnez pas au besoin.

Lizette.

Ne m’abandonnez pas au besoin.Je ferai
Des merveilles pour vous, ou bien j’y périrai,
Parce que je crois faire une œuvre charitable,
En faisant réussir une amitié sortable,
Outre que j’ai pour vous autant d’affection,

Elle sort.

Que j’ai pour le marquis de juste aversion.


Scène IV

DOM BLAIZE, DOM SANCHE, MERLIN, ORDUGNO.
D. Blaize.

Ordugno ?

Ordugno.

Ordugno ?Monseigneur ?

D. Blaize.

Ordugno ? Monseigneur ?Que je périsse infame,
Si je prends dans Madrid belle ni laide femme.
Comment ! un étranger y paroît-il soudain ?
Les femmes du pays le courent comme un daim.
Mon frère, justement au sortir de la porte,
Deux dames de qui l’une à l’autre sert d’escorte,
Et certain quinola qui sert à la mener,
Comme un liévre gîté me sont venu tourner,
Et celle qui des deux m’a paru la maîtresse,
D’une démarche fiére et d’un air de princesse,
M’est venu sottement, soit pour mal, soit pour bien,
Regarder sous le nez, et m’a caché le sien.
J’ai cru cette action d’abord une passade,
Et l’inutile effet d’une folle boutade :
Mais maîtresse, suivante et le vieil écuyer,
N’ont point abandonné leur prétendu gibier.
Ils m’ont depuis céans jusqu’à l’hôtellerie
Toujours envisagé de la même furie :
La Dame cheminant tantôt à mon côté,
Tantôt me devançant d’un pas précipité,
Et tantôt se faisant par moi laisser derriére,
Le retour s’est passé de la même maniére :
Là-dessus j’ai sifflé, vous m’avez fait ouvrir.
La Dame que mes yeux font sans-doute mourir,
(Et ce n’est pas ici le premier de leurs crimes,
Ils ont bien fait tomber ailleurs d’autres victimes)
M’a fait, comme j’entrois, entendre un grand soupir,
Très-infaillible effet d’un amoureux desir.
Et de là je conclus, que je serois peu sage,
Si j’allois dans Madrid me joindre en mariage,
Où d’abord que j’arrive, on me court nuit et jour,
Où l’homme est le cruel, la femme y fait l’amour ;

Où l’on obséde un homme au milieu d’une rue ;
Où l’on peut être pris par une malotrue.
Et que seroit-ce donc, si, séjournant ici,
Quelqu’autre chaque jour m’entreprenoit ainsi ?
Quoi ! si je me trouvois au milieu de cent d’elles,
Et qu’étant convoité de ces cent demoiselles,
Mon corps de cent côtés fût à la fois tiré,
Dom Blaize en cent morceaux se verroit déchiré ?
Ordugno, notre noce, ou je me trompe, est faite,
Je veux dès ce matin déloger sans trompette.

Ordugno.

Et tous vos beaux habits ?

D. Blaize.

Et tous vos beaux habits ?Nous nous en servirons.

Ordugno.

Et ceux de votre train ?

D. Blaize.

Et ceux de votre train ?Nous nous en déferons.

Ordugno.

On ne se défait pas de tels habits sans perte.

D. Blaize.

Veux-tu que je me jette en une fosse ouverte,
Et qu’étant marié, je sois encornaillé ?
Mais d’un bien plus grand soin je me sens travaillé ;
Il faudra que je trouve une excuse valable
À dom Cosme, un vieillard d’une humeur détestable.
Un bourreau d’esprit doux, qui vous accorde tout,
Et vous fait compliment en vous poussant à bout,
Qui ne manquera pas de louer ma prudence ;
Qui dira, quoiqu’il perde en ma chére alliance,
Qu’il rompra mon hymen tout comme il me plaira ;
Et dans le même tems qu’il me le promettra,
Le malheureux qu’il est, quoi que je puisse faire,
Malgré mes dents et moi se fera mon beau-pére.
Mortel eut-il jamais un embarras pareil !
Mais la nuit là-dessus nous donnera conseil,
Vous ne laisserez pas de toute votre adresse
De dire des douceurs à ma jeune maîtresse.
À propos, nous aurions besoin d’une clarté,
Pour bien voir son portrait que j’avois apporté :

Mais la Lune est fort claire, approchons la fenêtre,
Ici comme en plein jour il ne saurait paroître,
Mais…

Stefanie, qui est dans la rue, passant la main à la fenêtre de la salle basse et arrachant le portrait, dit

Mais…Donne.

D. Blaize.

Mais… Donne.Hai, bon dieu, comme on me l’a ravi :
C’est le même dragon qui m’a tantôt suivi.

D. Sanche.

Qu’avez-vous ?

D. Blaize.

Qu’avez-vous ? Ce que j’ai ? la demande est plaisante !
Et n’avez-vous pas vu l’action violente
Que l’on me vient de faire, et comme on m’a grippé
Mon portrait de la rue, après m’avoir frappé ?

D. Sanche.

Vous me surprenez fort.

D. Blaize.

Vous me surprenez fort.Ha, par ma foi, c’est elle !

D. Sanche.

Et qui ?

D. Blaize.

Et qui ? La même dame avecque sa sequelle,
Qui me couroit tantôt. Peste, qu’elle m’a fait
Une grande écorchure en prenant mon portrait !

D. Sanche.

On peut aller après.

D. Blaize.

On peut aller après.Ma foi, la larronnesse,
En vitesse de pieds surpasse une tigresse :
Aussi-bien qu’un portrait, on y perdroit ses pas.
Encor un coup, ici l’on ne m’attrape pas ;
Mais allons nous coucher. À propos, notre frére,
Coucher avec quelqu’un n’est pas mon ordinaire :
Passe pour une fois. Ô dom Cosme ! ô Madrid !
Ô maudit mariage ! ô marquis sans esprit !

Il sort.
D. Sanche.

Ô destin ! ô amour ! ô toute aimable Blanche !
Pourrez-vous rendre heureux un autre que dom Sanche ?

Il sort.
Merlin.

Ô dom Blaize ! ô dom Sanche ! ô cher couple de fous !
Que le pauvre Merlin va souffrir avec vous !

Il sort.
Ordugno.

Ô cher ami Merlin ! que les fiévres quartaines
Puissent serrer bien fort ces deux têtes mal-saines.