Le Martyre de Reims, les écoles dans les caves/01

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Le Martyre de Reims, les écoles dans les caves
Revue des Deux Mondes6e période, tome 40 (p. 866-882).
LE MARTYRE DE REIMS

LES
ÉCOLES DANS LES CAVES


JOURNAL DE L’INSPECTEUR PRIMAIRE

La relation qu’on va lire est la reproduction d’une partie des notes que j’ai prises au jour le jour à mesure que les événemens s’accomplissaient. Le récit de ces faits douloureux m’a paru assez éloquent par lui-même pour se passer d’amplifications littéraires. Il aura du moins le mérite, à défaut d’autre, d’avoir été vécu et d’être absolument sincère.

Reims, ville ouverte, n’a cessé d’être sous le feu de l’ennemi depuis le 12 septembre 1914 jusqu’aujourd’hui. L’année scolaire ne commençant qu’au mois d’octobre, je ne parlerai pas ici de ce qui se passa en août et septembre 1914. Il y aurait trop à dire d’ailleurs sur la vie à Reims pendant cette période où, en quelques jours, on passa avec une rapidité déconcertante de l’enthousiaste et aveugle confiance dans le succès, aux craintes de l’invasion, à l’affolement général, à l’exode en masse, et finalement aux horreurs de l’invasion allemande ! On vivait beaucoup dehors, le temps étant superbe ; les rues étaient sans cesse noires de monde. Durant les premiers jours, la foule se massa surtout sur le pont de Laon d’où l’on voyait se succéder jour et nuit, à quinze ou vingt minutes d’intervalle, les longs convois fleuris qui transportaient nos soldats joyeux et chantans. Les jours suivans, on se réunissait plutôt sur les promenades, face à la gare, où furent amenés les premiers prisonniers que chacun voulait voir, et bientôt aussi, — la nuit, — nos premiers blessés.

Vers le 11 août, le flot des Belges fuyant devant l’ennemi et dévalant à travers le faubourg Gérés nous apporta une première vision de la terrible réalité. Depuis cette époque jusqu’au début de septembre, ce tableau quotidien alla toujours s’assombrissant. Après les Belges de Liège, ce furent ceux de Charleroi, puis nos malheureux compatriotes de Givet, de Mézières, de Bethel, se repliant en hâte devant un ennemi qui les chassait comme un troupeau. Et l’on assista au lamentable défilé de ces pauvres gens poussant devant eux leurs bestiaux qui traînaient, efflanqués, de vieilles charrettes grinçantes portant quelques bottes de foin sur lesquelles s’entassaient pêle-mêle les enfans, les vieillards, la batterie de cuisine, la cage aux oiseaux et les souvenirs de famille, souvent les plus futiles... Puis ce fut le repliement de notre armée. D’abord, le corps des douaniers mobilisés qui, quatre par quatre, descendaient le faubourg Gérés. Puis les dragons, les hussards et le reste de la cavalerie partie quinze jours avant avec tant d’enthousiasme, qui maintenant allait se masser en arrière de Reims, en attendant de se replier vers la Marne où, enfin, devait avoir lieu le « grand rétablissement. »

Dès le 30 août, on percevait au loin la canonnade allemande ; le 31 août, on l’entendait très distinctement et, le 2 septembre, les Allemands étant à nos portes, le conseil de se replier fut donné officiellement aux fonctionnaires dont le séjour n’était pas indispensable dans la ville. Deux jours plus tard, le 4 septembre 1914, les Allemands entraient dans Reims qu’ils avaient au préalable, et « par erreur, » disent-ils, arrosé d’obus pendant une bonne demi-heure l’après-midi. Ils devaient l’occuper jusqu’au 12 au soir, date où ils en furent délogés par nos troupes qui, malheureusement, ne purent les refouler assez loin pour mettre la ville hors de leur atteinte. Ils s’installèrent sur les hauteurs qui, au Nord et à l’Est, dominent la ville et, dès le 13, commencèrent à la bombarder, La journée du 19 fut parmi les plus terribles : c’est à cette date qu’eurent lieu le bombardement et l’incendie de la cathédrale, ainsi que de toutes les rues avoisinantes ; le quartier des Laines, les abords de la place Royale, le centre de la ville et une grande partie du deuxième canton furent également très éprouvés. Comme la mobilisation avait beaucoup réduit le corps des sapeurs-pompiers, les incendies prirent rapidement de grandes proportions et leurs ravages furent considérables. Les jours suivans, eurent lieu des attaques françaises sur Brimont et près de la Pompelle et des ripostes allemandes dans ces deux secteurs avec le but évident de reprendre la ville. L’insuccès fut le même d’un côté et de l’autre. Nous occupâmes Brimont pendant quelques heures, les Allemands nous le reprirent ; par contre, un régiment de la garde prussienne se fit écraser à Cormontreuil et laissa entre nos mains quelques centaines de prisonniers en essayant de rentrer à Reims par le canal.

18 octobre 1914. — Aujourd’hui dimanche, comme presque chaque jour depuis un mois, les Allemands arrosent la ville. Du plateau de Bezannes, où nous sommes venus comme d’ordinaire passer l’après-midi, on a l’impression que « ça tombe » sur le faubourg de Laon. — Ah ! ce plateau de Bezannes ! Ce qu’il fut fréquenté en septembre, octobre et novembre 1914 ! — Situé au Sud-Ouest de la ville, il la domine légèrement et permet d’en découvrir à peu près tous les quartiers. Ajoutez à cela qu’il est tout à côté du faubourg de Paris où, depuis le furieux bombardement du 19 septembre, s’est réfugiée une grande partie de la population qui, candidement, s’y croit à l’abri des canons ennemis. Et comme cette population, attendant chaque jour la délivrance espérée pour reprendre son travail, est inoccupée, elle vient là quotidiennement, le temps étant délicieux, passer l’après-midi, avoir... bombarder sa ville, quelquefois même sa propre maison, ou à écouter le sifflement sinistre des obus dont elle fait le compte sans s’interrompre de causer. Nombre de personnes apportent des longues-vues pour bien déterminer les points de chute et mieux voir les incendies, car il y a souvent encore des bombes incendiaires, ou poursuivre mieux et plus longtemps le vol des avions. Les dames se munissent de tabourets ou de plians ; d’autres, plus simples, utilisent les bancs de la route devant le cimetière ; de pauvres gens enfin n’hésitent pas à s’installer à même la pelouse. Assis en cercle, ici on lit, surtout les journaux — auxquels on commence à ne plus croire, d’ailleurs ; là on tricote, on fait de la tapisserie, partout on cause : le plateau de Bezannes est devenu le dernier salon de Reims. Il faut bien prendre son mal en patience puisqu’aussi bien on n’en a pas pour longtemps : chacun sait que « les Noirs » sont arrivés et que d’ici trois à quatre jours ce sera le « grand coup ».

Il y a ainsi chaque jour des centaines et des centaines de personnes qui se rencontrent tant sur le plateau de Bezannes que sur le chemin qui y accède et dans les sentiers ou les prés voisins. Comme cet automne est superbe, après avoir assisté à la « représentation » toujours la même : bombardement de deux à trois ou de trois à quatre heures, on fait un détour par les routes de Soissons, de Chamery, ou d’Épernay, on remonte jusqu’à la Maison Blanche, puis on rentre chez soi à la nuit tombante.

En s’en revenant, on assiste à l’exode quotidien des pauvres gens qui chaque soir descendent du faubourg Gérés, de la rue de Cernay ou simplement du centre de la ville pour aller coucher au faubourg de Paris, s’y croyant plus en sécurité contre le bombardement. C’est une habitude qui remonte aux jours de septembre. Les émigrans mettent sur une « guinde » [1] le plus précieux du « berloquin » [2] et en route pour l’avenue de Paris ; là, ces malheureux campent où ils peuvent : chez des parens, des amis, d’anciens voisins, tous également hospitaliers. Mais comme le nombre des lits, et même des maisons, est tout à fait insuffisant, on s’étend où on peut. A la fin de septembre, quand les nuits étaient encore douces, certains dormaient sur les trottoirs, près de leur « guindé ; » maintenant tous rentrent, s’entassent pêle-mêle sur le parquet des appartemens, sur le foin des hangars ou la paille des écuries : c’est la guerre ! — « Eh, bien ! nos poilus sont-ils donc mieux dans les tranchées ? » — Et le lendemain malin, plus ou moins dépenaillés, ils reprennent le chemin de leur maison ou de celles qu’ils « gardent, » dans les quartiers voisins des lignes. Quelle tristesse que ces déménagemens périodiques, ce va-et-vient de pauvres sans travail et sans autres ressources que les secours du Bureau de bienfaisance, l’allocation de l’Etat ou l’indemnité de « garde » que leur paient mensuellement les riches propriétaires émigrés !

Lundi 26. — Tous les directeurs d’écoles absens de Reims, que j’ai convoqués pour conférer avec moi sur la situation et sur ce que nous pouvons faire, sont arrivés hier dimanche. La situation leur paraît très dangereuse et ils estiment qu’il n’y a lieu de rouvrir aucune école. C’est aussi, actuellement, l’opinion du maire ; je vais donc attendre. Je rends sa liberté à ce personnel que je rappellerai le moment venu.

Mercredi 28. — Je suis allé ce matin, pendant une accalmie, voir ma maison sur laquelle deux obus sont tombés lors du bombardement du 4 septembre. Les quartiers au nord de la place Royale sont lugubres. Personne dans les rues ou à peu près ; ce ne sont que maisons éventrées ou brûlées, poutres de fer tordues, pans de murs branlans. La circulation, même par « temps calme, » y est périlleuse : à l’angle de la rue de Bétheny et de l’ancien marché Saint-André, un homme qui passait hier devant une maison récemment incendiée a été tué par une grosse pierre qui s’est subitement détachée de la façade. Ma pauvre maison est dans un triste état : les obus l’atteignent maintenant par derrière depuis le recul des Boches. Un projectile a traversé l’immeuble du haut en bas, faisant à tous les étages des dégâts considérables.

Jeudi 5 novembre. — Je viens de faire une promenade nocturne dans la ville. Le spectacle de Reims le soir vaut d’être décrit. Depuis les bombardemens de septembre, il n’y a plus ni gaz ni électricité : on s’éclaire au pétrole. Mais comme nous sommes sur le front, l’autorité militaire a interdit depuis quelques jours tout éclairage des rues et même toute filtration de lumière par les portes ou les fenêtres des appartemens. Il paraît qu’il y aurait encore des espions qui la nuit font des signaux optiques à l’ennemi. Si bien que cette ville, autrefois ruisselante de lumière le soir, est maintenant, à la chute du jour, plongée dans la plus noire obscurité. La circulation devient difficile, inquiétante même. On marche à tâtons, se heurtant parfois les uns les autres ou buttant contre les poteaux du trolley des tramways. Cependant, de distance en distance, s’allument de petites lampes électriques qui brillent quelques secondes puis s’éteignent pour se rallumer un peu plus loin. On dirait une procession d’étoiles ; c’est très pittoresque, mais beaucoup moins pratique, parce que ces lampes aveuglent le passant qui vient se heurter contre vous. La nuit, on s’enferme chez soi : défense de sortir de huit heures du soir à six heures du matin. On n’a pas idée combien cet isolement, cette claustration forcée, douze heures sur vingt-quatre, est pénible, ni de quelle interminable longueur semblent les nuits !

Jeudi 26 -— Encore un bombardement qui peut compter parmi les plus terribles. — A huit heures dix du soir, alors que le couvre-feu venait de sonner pour les civils, cinq officiers sortant de leur « popote » se rendaient chez eux à l’extrémité de la rue de Vesles, lorsqu’un 210 vint s’abattre à quelques mètres, en tua trois et blessa les deux autres. Détail atroce : la cervelle de l’un d’eux, le commandants... rejaillit à la figure de son fils qui l’accompagnait, mais qui ne fut pas blessé. Jamais jusqu’ici l’ennemi n’avait tiré si loin dans le faubourg de Paris. C’était à cent mètres environ du pont d’Épernay. Dès le lendemain, beaucoup de gens du quartier déménageaient, les uns quittant Reims, les autres allant simplement se loger plus haut, à la Haubette. L’autorité militaire ordonna aux marchands qui, jusque-là, tenaient leur éventaire à cette extrémité de la rue de Vesles, de s’installer dorénavant avenue de Paris, au Sud du pont d’Epernay : on ne devait pas tarder d’ailleurs à s’apercevoir qu’ils n’’y étaient pas plus en sécurité. La rue de Vesles perdit ainsi beaucoup de son animation et de son pittoresque. Il était vraiment original, ce marché en plein vent, tant par son installation rudimentaire que par l’attitude de ces marchandes qui, bruyamment, interpellaient les passans et appelaient la clientèle. Avec cela, très fréquenté : c’était comme le rendez-vous quotidien de tout le faubourg de Paris, c’est-à-dire de plusieurs milliers de personnes.

Jeudi 3 décembre. — Reçu ce matin la visite de Mme Deresme, institutrice, réfugiée dans les caves Pommery. Elle me demande de l’autoriser à ouvrir une garderie dans les caves. Je l’y ai autorisée bien volontiers, lui conseillant même de transformer cette garderie en école dès qu’elle pourrait y réunir une vingtaine d’enfans. (Ce devait être la première École de cave.)

Vendredi 4. — Les journalistes des pays neutres sont venus à Reims, aujourd’hui. Leur visite a été rapide. Mais, vers trois heures, la caravane a été saluée par un certain nombre d’obus : à quatre heures, comme ces messieurs filaient de toute la vitesse de leurs autos sur la route d’Epernay, le bombardement faisait encore rage et la rue des Créneaux flambait. Ils ont certainement dû emporter un bon souvenir des procédés de la « Kultur. »

1915. Mercredi 13 janvier. — Je viens de voir le maire, M. le docteur Langlet, et lui ai proposé d’ouvrir quelques écoles pour recevoir les enfans qui courent les rues, exposant inutilement leur vie, ou fréquentent les cantonnemens. Comme le bombardement sévit presque chaque jour, ces écoles seraient, ainsi qu’à la maison Pommery, tenues dans les caves si c’est possible ; je vais procéder à une enquête.

Les jeudi 14, vendredi 15 et samedi 16 janvier, j’ai parcouru la ville et visité la plupart des caves des maisons de Champagne. Parmi celles qui sont libres, trois seulement se prêtent à l’installation d’écoles. Ce sont : les caves Pommery, Champion (place Saint-Nicaise) et Mumm (rue du Champ-de-Mars). Chez Pommery nous serons à dix mètres sous terre, par conséquent très en sécurité ; nous occuperons trois couloirs où auront lieu la classe, la récréation, les exercices physiques, car nous ne saurions négliger l’éducation physique dans une école ouverte sous le patronage du créateur du « Parc des Sports » et du « Collège d’athlètes de Reims. » Chez Champion, nous nous installerons dans le bas-cellier, laissant inoccupés les deux autres qui sont au-dessus : trois caves superposées permettront en cas de danger de s’abriter immédiatement. Ces celliers n’ont encore jamais été utilisés ; la construction n’en est même pas complètement achevée.’

De ma visite chez Mumm je devais emporter une impression qui ne s’effacera plus de ma mémoire. L’administrateur, M. Robinet, me faisait visiter divers celliers où il pensait qu’on pouvait installer une école, et qui d’ailleurs ne me parurent pas assez sûrs, en sorte que je leur préférai les caves mêmes. En parcourant ces celliers, j’eus sous les yeux un spectacle lamentable. Nous étions au début du « siège » de Reims. Beaucoup de malheureux Ardennais, descendus de Mézières et de Rethel, et de Rémois qui avaient quitté temporairement leurs domiciles bombardés, croyant à la délivrance prochaine de la ville, étaient venus mettre en sûreté leur « berloquin » dans ces celliers où on leur avait généreusement offert l’hospitalité. Ils étaient bien deux cents dans un des plus vastes, devenu une véritable cour des Miracles. Quand on y pénétrait, une odeur acre vous prenait à la gorge. Par quelques imprécises allées on avait bien cherché à diviser en compartimens ce grand espace de 50 mètres sur 20, mais on n’avait en réalité constitué que des compartimens factices et il fallait souvent, pour avancer, enjamber des couchettes étendues à même le dallage, ou faire le tour des lits, écarter des chaises et des fourneaux à pétrole. Ces pauvres gens avaient apporté là matelas ou paillasses. Sur des cordes tendues d’un pilier à l’autre se balançaient des bas troués, quelques étoffes rapiécées et du linge encore humide. Nous ne circulions que difficilement, courbant le dos pour franchir ces obstacles tendus à hauteur de nos têtes. Près de la couchette, unique souvent pour la mère et plusieurs enfans, un anémique fourneau à pétrole enfumait plus qu’il ne chauffait la casserole où était censée cuire la soupe du soir, et, par-ci par-là, pendaient aux piliers de l’édifice une cage à oiseaux vide de ses captifs, une vieille glace étoilée, un coucou grinçant ou un œil-de-bœuf n’ayant plus qu’une aiguille, pauvres souvenirs qu’avait en partie épargnés le bombardement et qui restaient encore précieux pour ces pauvres gens.

Des femmes, pour la plupart débraillées et mal coiffées, avec des enfans accrochés à leurs jupes, allaient et venaient dans ce vaste hall, bien heureuses encore d’y trouver un asile. Ceux qui n’ont pas vu quelles souffrances physiques et morales endurèrent, pendant les premiers mois de la guerre surtout, les malheureux émigrés obligés de fuir devant l’envahisseur, ne savent pas à quel degré le fléau de l’invasion peut éprouver les âmes même les mieux trempées. J’avais hâte d’éloigner les enfans de ce milieu aussi peu propice à leur santé physique qu’à leur éducation morale et je pensais qu’en ouvrant l’école dans un local tout proche, la maîtresse pourrait, par ses leçons, ses conseils et même les exigences réglementaires au point de vue de la propreté et de l’hygiène, contribuer à améliorer la condition non seulement des enfans, mais peut-être aussi des parens touchés indirectement. J’ouvris donc le 22 janvier l’école « Joffre. »

2 février. — Quels douloureux spectacles dans ces rues bombardées depuis six mois ! Les glaces des beaux magasins du centre, presque toutes brisées par les explosions, ont été remplacées ici par une devanture aux trois quarts en bois, le reste en verre ; là par des fermetures entièrement en bois, si bien qu’il faut tenir la porte ouverte pour éclairer l’intérieur, ailleurs par des planches à peine rabotées ou par des tôles. — Rue de Talleyrand, de grandes glaces fortement étoilées ont été consolidées avec du papier de toutes les couleurs ; rue des Deux-Anges, la maison d’un luthier est fermée par des couvercles de caisses portant encore cette inscription, qui par hasard se trouve juste à l’emplacement de l’ancienne porte : « Côté à ouvrir. » Non loin une maison de tailleur, jadis très importante, est indiquée par cette simple mention écrite à l’encre avec un bout de bois : « Auberge, tailleur — civil et militaire. » Un marchand de cycles de la rue de l’Etape s’est mis encore moins en frais et, dans sa hâte, a tout uniment, sur les panneaux de son magasin, griffonné à la craie, en gros caractères : « Pour les articles cyclistes, s’adresser au bistro voisin. » A l’angle de la même rue, un cabaretier a fermé son débit avec les rallonges de sa table. Et sur les monumens publics, aux carrefours des rues, un peu partout, imprimée sur papier vert tirant l’œil, mais à moitié déchirée ou maculée, se lit l’odieuse « Proclamation » allemande informant les Rémois que l’armée ennemie ayant pris possession de la « Ville et Forteresse » (?) de Reims, ils n’ont qu’à se bien tenir s’ils ne veulent encourir une des nombreuses peines qui les menacent, notamment la pendaison. Suit une longue et interminable liste d’otages.

Ne croyez pas cependant que la ville, quoique bombardée presque chaque jour, soit une ville morte. Dans la rue de Vesles, la circulation est assez active, de huit à dix heures du matin, et l’après-midi à partir de deux heures, car c’est généralement entre dix et quatorze heures que nos excellens voisins, toujours très méthodiques, nous arrosent. Nombre de magasins sont ouverts et même achalandés : les cliens « civils, » contrairement à ce qu’on pourrait croire, y sont aussi nombreux que les militaires.

Les Rémois donc vont et viennent dans les rues, sans souci du danger qui les menace à chaque pas, circulant au milieu des ruines, tenant à se rendre compte des effets du bombardement d’hier, regardant les cartes postales récentes qui répandront à travers le monde l’image des atrocités chaque jour renouvelées et chaque jour plus terribles de la « kultur allemande. » La ville, quoiqu’au tiers détruite, et où des tas de décombres soigneusement alignés devant les maisons atteintes, rappellent au promeneur les effets des obus de tous calibres, est toujours propre, et le visiteur n’est pas peu surpris de trouver les rues aussi bien entretenues qu’avant la guerre. — C’est qu’un avis de la municipalité, daté du 14 octobre 1914, ordonne de nettoyer les trottoirs et la chaussée « aussitôt la chute des obus, » et que le service de la voirie continue à être très bien fait. Ajoutez que le ravitaillement est assuré avec une régularité parfaite, grâce à la prévoyance de la municipalité qui fait emmagasiner chaque jour de grandes quantités de farine. La longue théorie des voitures chargées de sacs défile l’après-midi, à travers le faubourg de Paris, allant porter dans des écoles désaffectées toutes ces réserves qui suffiraient à soutenir un siège de plusieurs mois. Les mêmes mesures sont prises pour le charbon et pour toutes les denrées de première nécessité.

...Au coin du pont de Vesles, un vieux bonhomme qu’aucun bombardement n’effraye, sans doute parce qu’il porte le ruban de chevalier de la Légion d’honneur, tient crânement sous le bras son carton à journaux, criant à tue-tête : « Demandez l’Éclaireur de l’Est, aujourd’hui quatre pages. » Les deux journaux locaux ne tirent d’ordinaire que sur deux pages, qui suffisent amplement pour enregistrer la chronique locale peu riche en événemens variés...

Lundi 22. — Quelle nuit affreuse ! Il faisait, hier dimanche, un temps magnifique : gai soleil, température douce, et calme absolu ; tout Reims était dehors. Le soir, à huit heures cinquante-cinq, un sifflement sinistre se fait entendre suivi d’un éclatement tout proche ; presque aussitôt d’autres sifflemens et éclatemens se produisent, puis d’autres et d’autres encore sans arrêt. Rapidement, tout le monde descend à la cave, où bientôt des voisins viennent nous rejoindre. Nous restons là jusqu’à deux heures vingt. Dehors les obus sifflent sans discontinuer par rafales de huit ou dix et ces sifflemens ininterrompus, se répercutant sous les voûtes de notre asile, nous déchirent les oreilles. Vers onze heures, pendant une accalmie, je monte au grenier : on distingue cinq ou six grands foyers d’incendie. Dix minutes ne se sont pas écoulées, que de nouveaux éclatemens tout proches m’avertissent que l’arrosage n’est pas terminé. A la cave où je redescends, les dames, accourues dans cet abri et installées au petit bonheur sur des chaises, des bancs, des madriers, grelottent de froid. L’énervement chez chacune d’elles se traduit de manière différente. Mademoiselle P... rit d’un rire nerveux et continu qui fait peine à entendre ; mademoiselle C... parle sans cesse comme pour s’étourdir et se donner du ton et madame T... à chaque sifflement rapproché crie affolée : « Encore une ! » Les obus tombent en avant, en arrière, dans le canal, dans les champs où souvent ils n’éclatent pas, sur les maisons voisines où ils font un bruit d’enfer, au loin, sur le centre, partout. Enfin, deux heures et demie, puis trois heures arrivent et, transis de froid autant que rompus de fatigue nous remontons nous coucher. Mais, malgré l’accablante lassitude, comment dormir après de pareilles secousses ?

Ce matin, on m’affirme qu’il ne serait pas tombé moins de 3 à 4 000 obus sur Reims. Pas un quartier n’a été épargné, mais c’est surtout la rue de Vesles qui a été atteinte. Il y aurait en ville beaucoup de victimes : Rue de l’Etape, deux femmes ont été ensevelies sous les décombres de leur maison et les pompiers qui, trop peu nombreux, ont vainement essayé toute la nuit d’éteindre les incendies viennent de partir pour délivrer les emmurées. Il serait tombé des obus jusqu’à la Haubette qu’on croyait hors de la portée des canons-ennemis et le faubourg de Paris a eu largement son compte.

Afin que les élèves puissent se remettre de leurs émotions, e viens de fermer toutes les écoles pour une durée de trois ours. L’effroi ressenti par la population a été si grand que es départs se multiplient dans des proportions considérables ; jamais Reims n’avait subi pareil « arrosage. »

Mardi 2 mars. — Le bombardement a recommencé hier soir et duré toute la nuit. Vers six heures d’abord, sont tombés quelques obus, puis à partir de neuf heures ils nous arrivèrent par rafales. J’ai constaté trois grands foyers d’incendie illuminant toute la ville ; dans la nuit noire c’était sinistre et grandiose, cela rappelait l’effroyable incendie de la cathédrale.

Le jour arrive et on annonce que l’école maternelle Courmeaux est brûlée ainsi que nombre de maisons particulières et de magasins. Il y avait, parait-il, vingt-deux incendies allumés en même temps ! Aussi, les dévastations dans certains quartiers ont été considérables. Il est avéré que les Boches n’ont pas lancé cette nuit moins de 2 500 obus dont 150 incendiaires.

Mercredi 3. -— Après cette nuit terrible, j’ai donné congé aux écoles de la rue de Courlancy dont les élèves avaient été très impressionnés par le bombardement et suis allé visiter, aux caves Mumm, l’école Joffre, que j’ai fait photographier.

Vendredi 5. — Bombardement général de la ville : je ferme pour deux jours l’école « Albert Ier, » située dans un quartier très « arrosé » et où se trouvent des cantonnemens de troupes.

Samedi 6. — A dix heures m’arrive M. Brodiez, directeur de l’école u Dubail » (caves Champion), qui m’annonce qu’un 150 vient de tomber sur l’école et que des éclats ont rejailli jusque près des enfans qui jouaient dans le cellier du rez-de-chaussée. Personne de blessé cependant : les enfans ont été terrifiés, naturellement, mais il n’y a eu aucune panique. Depuis trois ou quatre jours, l’ennemi s’acharne sur cette école et sur le quartier. L’école « Dubail » sera fermée pour huit jours.

A quatre heures, Mlle Philippe, directrice de l’école « Joffre, » vient m’informer que l’insécurité augmente encore dans le quartier des caves Mumm sans cesse bombardé, si bien que les enfans courent les plus grands dangers et en se rendant en classe et en quittant l’école.

Lundi 22. — Encore une bien mauvaise journée. Dès six heures du matin, les avions volent de tous côtés. A 11 heures un quart, un avion boche survole le quartier de Courlancy et jette cinq bombes dont une sur la route de Bezannes, près du passage à niveau, où il tue une femme. Grand émoi au groupe scolaire de Courlancy en entendant ces formidables détonations. Je fais réunir les enfans dans une petite salle carrée au centre du bâtiment, qui me paraît plus protégée que le reste. Un mot de réconfort à tout le monde, les enfans reprennent leur air rieur et, l’aéro étant passé, les classes recommencent au bout d’un quart d’heure. Le lendemain, pas un enfant ne manquait : voilà l’effet que produisent sur les petits Rémois les bombes allemandes !

Après midi, grande activité des deux artilleries. Visite de M. Millerand, ministre de la guerre, La nuit, bombardement « intermittent et méthodique : » chaque heure régulièrement, une rafale.

Vendredi 9 avril. — Dans la nuit du 8 au 9, bombardement de neuf à onze heures du matin, sans arrêt ; nombreuses bombes incendiaires. L’ennemi tape surtout sur le centre de la ville et le faubourg de Laon. Sont incendiées notamment la maison Minard, rue Gambetta, les Folies-Bergère, même rue, une maison en face de l’école maternelle, rue Anquetil ; plus légèrement atteints divers immeubles rue de l’Ecu, et la Société Générale, place Royale, si bien que vers minuit on peut compter une quarantaine de feux simultanés.

Lundi 26. — Pendant la nuit, violente canonnade sur le front de Reims, surtout à l’Est vers Prunay et Sillery. Ce sont de gros canons qui entrent en action, puis bientôt les mitrailleuses et les fusils, pendant que les fusées éclairent tout le front ; il n’y a pas de doute : c’est une bataille sur toute la ligne.

Mardi 27. — Canonnade prolongée, encore à l’est de Reims, avec quelques gros coups sourds venant de Brimont et de Bétheny ; la bataille continue sans doute. Vers quatre heures un quart, elle atteint son maximum de violence : le canon tonne sans cesse et on entend très distinctement les rafales de 75, ainsi que le crépitement des mitrailleuses.

Mercredi 19 mai. — A neuf heures, j’accompagne à l’école « Dubail » M. Dramas, journaliste rémois, qui m’a demandé de la visiter. A deux heures, nous allons ensemble à la cathédrale. Un désastre ! L’intérieur cependant est moins atteint que le dehors. Les statues de la tour du Nord sont presque complètement calcinées, et, à l’intérieur, les stalles de gauche sont brûlées complètement. Un obus a troué la voûte au-dessus du maitre-autel : chose extraordinaire, l’horloge est intacte, ainsi que les orgues.

Mardi 25. — Les journaux de Paris nous apportent la grande nouvelle : l’Italie a déclaré la guerre. Aussitôt, je me fais un agréable devoir de rendre visite à M. Mazucchi, consul général d’Italie : réception très chaleureuse, congratulations réciproques. A mon retour, je passe dans les classes annoncer la bonne nouvelle, je la commente un instant devant les élèves réunis et donne un jour de congé aux écoles. Une conférence sera faite dans chaque établissement sur l’alliance italienne. A dix heures du soir, par un clair de lune splendide, bombardement violent. Les Allemands se vengent sur Reims de l’alliance italienne.

Mardi 1er juin. — Dès huit heures et demie, bombardement du centre de la ville, puis le tir s’allongeant atteint jusqu’au faubourg de Paris. A dix heures et demie, comme les coups se précipitent, je descends dans les classes. A l’instant précis où j’y arrive, se produit une très forte explosion : une bombe est tombée chez M. Choubry, au n° 48 de la rue de Courlancy, et l’école est au n° 2 ! Naturellement, les enfans ont été saisis par ce bruit formidable. Les maîtresses ont pris les mesures habituelles, ont rassuré les plus impressionnés, et, à onze heures vingt, le calme étant revenu, j’ai ordonné la sortie. Renseignemens pris, la bombe de la rue de Courlancy a tué une femme ; beaucoup d’autres victimes ont été faites en ville, surtout dans le centre.

Samedi 3 juillet. — A neuf heures dix du soir, j’étais assis dans la cour de l’école lorsque retentit un formidable éclatement, bientôt suivi d’un autre, puis d’un autre encore. Je rentre dans les classes et j’appelle, pour descendre à la cave, les personnes qui habitent au premier, car les sifflemens et les éclatemens se multiplient dans tout le quartier. Mlles F... et C... et M. T... descendent en hâte, non sans apporter chacun l’ordinaire sac contenant toute leur fortune, ce sac qu’on n’oublie jamais et qui reste, la nuit, posé près du lit de chaque Rémois pour être, en cas d’alerte, emporté dans la fuite. Avec M. T... nous nous blottissons dans un coin du « labyrinthe » aménagé près des classes. Alors commence la scène habituelle. A chaque sifflement, j’entends de la cave monter la voix de Mlle C... disant : « Encore une ! » ou : « Pas éclatée ! » « C’est dans le canal ! » « C’est rue de Vesles ! » etc.

Samedi 10. — Départ du premier convoi d’enfans pour ces « Colonies de vacances » que nous avons réussi à organiser. Grand remue-ménage rue de Courlancy, en face de l’école maternelle d’où partent ces convois. Accompagnés par leurs parens, nos « petits bombardés » arrivent dès six heures du matin (le départ est à sept heures), chacun portant le sac bourré de vêtemens, de jouets et aussi de victuailles, car il ne faut pas se laisser mourir de faim en route, et certains traverseront toute la France. Des charrettes, des camions à ridelles conduisent, sous la surveillance de maîtresses, tout ce monde à la gare de Pargny, distante de sept kilomètres. Là, après qu’on a fait un nouvel appel, les enfans prennent place dans le chemin de fer de banlieue qui les transportera jusqu’à Dormans, où ils attendront le grand train Nancy-Paris. Arrivés à Paris, la Société « l’Accueil français » les transportera dans les locaux où elle les hospitalise en attendant (un jour généralement) leur départ pour l’endroit où ils passeront leurs vacances. C’est beaucoup de fatigue pour nos instituteurs et institutrices surtout, mais cela fait tant de plaisir aux familles ! et nos courageux élèves ont si bien mérité ce repos loin des bombes !

Vendredi 17 septembre. — L’instituteur-soldat G... informe Mlle C... que les rumeurs relatives à l’offensive prochaine, au « grand coup, » seraient fondées : cela se mijote.

Le calme est à peu près général sur le front et en ville, même la nuit. A l’hôtel de ville on ne parle que du « grand coup » prochain. Dans ces conditions, je préfère ne pas faire rentrer les enfans envoyés en colonies de vacances. Ils ne reviendront que fin octobre. A l’ « Ouvroir » que j’ai installé rue de Courlancy, les institutrices fabriquent en hâte des milliers de lunettes pour masques anti-asphyxians demandés par l’Intendance.

Samedi 18. — Toujours les mêmes rumeurs relatives au « grand coup. » Un soldat a dit à T... que tout doit être prêt pour le 20 courant et que l’offensive peut avoir lieu tous les jours, à compter de cette date. L’action serait engagée sur tout le front. Partout, en ville et dans les cantonnemens, fiévreuse agitation des officiers et des soldats. Les cantines des officiers sont prêtes et placées en lieu sûr ; on en transporte de pleines charrettes à la Haubette. Tous les hôpitaux et ambulances sont vidés et prêts à recevoir de nouveaux blessés. Il nous faut prendre aussi nos dispositions contre le bombardement possible : j’ordonne la fermeture des trois garderies de vacances encore ouvertes (Dubail, Courlancy, Libergier) et interdis de nouvelles ouvertures sans autorisation formelle. Les écoles de la campagne resteront également fermées. Le calme cependant continue à régner. Voici qu’on apporte à l’ « Œuvre des Institutrices » des toiles à couper et à coudre pour faire 2 800 sacs à terre.

Dimanche 19. — G... et S... confirment les renseignemens donnés antérieurement. L’offensive aura bien lieu aux environs du 20. Le général irait habiter les caves Pommery où tout est prêt depuis longtemps pour le recevoir. Il emmènerait trois secrétaires, les autres restant à la Division. On parle beaucoup en ville d’une proclamation du général Joffre qui serait lue aux troupes aujourd’hui à trois heures. On croit pouvoir en donner même les termes. Mlle F... « fortifie » la classe de Mme L... par des rangées de caisses pleines de linge, par des tables superposées, des tableaux noirs, des meubles, des fauteuils et y place un lit. L’ouïe de la cave est fermée par des sacs pleins de cailloux. Au premier étage, je fais vider les armoires à linge dont le contenu est descendu à la cave. On range tous les meubles et le piano dans la cuisine, qui parait plus protégée. Aujourd’hui il y a encore moins d’animation en ville et on entend une canonnade très intense des nôtres sur le front Est.

Jeudi 23. — Pas de nouvelles sensationnelles, sinon l’annonce par S... et G... d’une proclamation très courte du général Joffre aux troupes. Est-ce enfin le déclenchement ? Dans le ciel ; vers quatre heures, nombreux aéros boches et français, nombreux combats que je suis avec T... du plateau de Bezannes. De quatre heures à cinq heures et demie, violent bombardement de la ville. Nous voyons distinctement tomber les bombes et s’élever la fumée noire, notamment au centre et aux environs de la cathédrale et de l’hôtel de ville.

Samedi 25. — On vient de faire évacuer le cantonnement des brancardiers divisionnaires, logés à l’école de garçons voisine. A six heures. G... nous annonce que le préfet a téléphoné à la Division que nous avions aujourd’hui avancé de trois kilomètres à Auberive ; des officiers disaient entre eux que les Anglais avaient avancé dans le Nord de trois kilomètres sur un front de dix. Attendons confirmation de ces bonnes nouvelles. A neuf heures vingt, ce soir, premier coup très violent d’un de nos gros canons placés à Saint-Brice. La lueur de l’explosion a illuminé l’horizon et le coup a fait trembler notre maison tout entière, si bien que nous croyions à l’explosion d’une bombe allemande, mais de quart d’heure en quart d’heure de nouveaux coups semblables nous ont rassurés. Il paraît que c’était « la grosse Julie » qui tirait.

Dimanche 26. — Toute la nuit, de demi-heure en demi-heure, « Julie » a continué de tirer. Ce matin, au « Communiqué, » de bonnes nouvelles, et ce soir à deux heures G... est venu nous annoncer que l’avance de nos troupes est officielle. On a gagné trois kilomètres en profondeur, fait 40 000 prisonniers. Bravo ! Nous nous empressons de répandre cette nouvelle partout autour de nous. Officiers, sous-officiers et soldats, eux, se chargent de la faire vite connaître en ville où toutes les figures sont radieuses et la gaîté générale, car on espère encore en une prompte délivrance ! Le « Communiqué » de trois heures annonce 12 000 prisonniers et confirme l’avance en Artois. On se réunit entre amis, pour sabler le Champagne.

Lundi 27. — Tout le monde attend toujours l’offensive en face de Reims. Du plateau de Bezannes, excellent lieu d’observation, on entend tonner formidablement le canon vers Berry-au-Bac et sur la ligne de l’Aisne. Et, dominant ce bruit terrible, de quart d’heure en quart d’heure, se fait toujours entendre la grosse voix de « Julie. »

Mardi 28. — Encore rien de nouveau sinon que le « Communiqué » de sept heures nous annonce 75 canons pris en Champagne, au lieu de 30. Ce soir, pas de journaux de Paris. Le « Communiqué » de quatre heures est plus que maigre. Chacun recommence à s’énerver.


OCTAVE FORSANT.

  1. Petite voiture à deux roues qu’on pousse devant soi.
  2. Terme local désignant le petit mobilier et les souvenirs personnels d’une famille pauvre.