Le Massacre des Amazones/Marie-Louise Néron

La bibliothèque libre.
« Marie-Louise Néron », dans Le Massacre des Amazones
Chamuel, éditeur (p. 149-152).

Marie-Louise Néron, femme d’un certain Jean-Bernard, demanda à quelques hommes connus, quelle femme des temps passés doit servir de modèle aux femmes d’aujourd’hui. Plusieurs lui conseillèrent sans rire d’imiter Jeanne d’Arc. Mais elle trouve plus facile de pasticher son mari, romancier inepte qui essaye de faire du Cladel, ramasseur de bouts d’anecdotes, plat conférencier qui trouve du génie à la moindre amazone et enseigne aux dames du monde à faire des bonnets de coton avec leurs bas hors d’usage, — jadis le plus parfait imbécile du monde politique, aujourd’hui le plus parfait imbécile du journalisme. Et il y a des jours, vraiment, où elle parvient à être aussi bête que lui. Du reste, c’est peut-être lui qui la supplée ces jours-là, car, sous divers pseudonymes, cette reporter représente souvent la Fronde en beaucoup d’endroits à la fois.

Elle a publié une des nombreuses éditions du roman où les amoureux ne peuvent s’épouser parce qu’ils sont frère et sœur ; où ils s’épousent tout de même, parce qu’on apprend à la fin qu’il y a eu substitution d’état civil et que le frère n’est pas du tout le frère de sa sœur. Un mot cueilli dans ce livre suffirait à faire juger la puissance intellectuelle et la force d’attention de Marie-Louise Néron. Le meurtrier de Jérôme Brassiac, longtemps triomphant, est enfin puni. Et l’auteur, sans doute étourdi de joie, de confondre assassin et victime et de s’écrier : « Le crime de Jérôme Brassiac était expié. »

À la Fronde, elle fait de tout. Elle fait de la critique et elle appelle maître « le sympathique auteur du livret des Cloches de Corneville, M. Ch. Gabet ». Elle fait de l’histoire et nous conte des événements bien extraordinaires. Voici, en exemple, quelques lignes découpées d’un de ses articles du 10 mars 1898 :

« Louis XVIII ne conserva pas son fauteuil à Regnault et lui substitua le mathématicien Laplace, élu le même jour que le journaliste Auger.

« Un académicien refusait de donner sa voix à ce choix imposé et votait pour Molière, ce qui faisait dire à Jean-Jacques Rousseau :

« Jusqu’à ce jour on remplaçait les morts par les vivants ; l’occasion se présente de remplacer les vivants par les morts. »

Même quand ce qu’elle veut dire est raisonnable, ce qu’elle dit reste bien bizarre. Elle nous raconte que certaines gens ont peur d’être enterrés vivants… après leur mort. Je cite encore la date. Il faut que chacun puisse vérifier des sottises trop invraisemblables. Dans la Fronde du 17 avril 1898, vous lirez cette phrase : « Si vous parlez avec des étrangers de marque, de passage chez nous, ils vous diront qu’une de leurs craintes est de mourir, naturellement, mais enterré, de mourir en France, où on a des chances pour être vivant. » Plutôt que de signaler les diverses beautés de ces lignes, j’en copie d’autres dans le numéro du 14 avril 1898. Mme Jean-Bernard, grâce à la merveilleuse précision de sa langue, réussit cette fois à calomnier M. de la Palice. Elle déclare gravement : « Comme toutes les médailles, les sous ont deux revers. M. de la Palice sait ça. » Et elle continue : « Sur le premier verso… » Mais en voilà assez.

J’aurais eu l’indulgence de dédaigner le couple Jean-Bernard, s’il se contentait de gagner quelque argent à mettre des inepties en mauvais français. Mais il aspire à la gloire littéraire. Il essaya de fonder une académie féminine et s’inscrivit lui-même, parmi les quarante, sous son principal pseudonyme : Marie-Louise Néron. Cette présomption me l’a prouvé : il y a aussi des fœtus qu’il faut qu’on tue.