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Le Massacre des Amazones/Paix équitable

La bibliothèque libre.
Chamuel, éditeur (p. 260-265).


XVI

PAIX ÉQUITABLE


Ceux qui m’ont suivi jusqu’ici reconnaîtront que j’ai fait un tableau impartial de l’actuelle littérature féminine. J’ai « massacré » impitoyablement ce qui m’a paru nul ou médiocre ; mais j’ai exalté en une joie la beauté des vraies œuvres rencontrées. Et mon enthousiasme s’exprima aussi librement quand l’écrivain admiré était célèbre et s’appelait Mme Daudet ou Marni et quand il était inconnu et signait Max Lyan ou Jacques Fréhel.

On me rendra une autre justice : amoureux de toute beauté et brutal contre tout « sot livre », je me suis montré également sévère pour les faux artistes des deux sexes, et j’ai soulevé autant de colères puériles chez les femelles imitatrices et chez les mâles impuissants.

Ce salaire de fureurs me satisfait. Les injures, publiques ou privées, signées ou anonymes, que souleva ma critique franche me furent autant de joies. Mais, parmi les approbations qui me vinrent, nombreuses aussi, quelques-unes me répugnent et je veux les repousser du pied.

Certains, écrivains comme on serait épicier, s’irritent de voir « la partie » trop encombrée, et ils détestent la femme qui écrit comme on déteste un concurrent. Ils me crurent leurs sentiments bas et applaudirent à une campagne qui leur paraissait injuste comme leur cœur, utile comme leurs calculs. Qu’ils portent ailleurs leurs félicitations déshonorantes et leurs ignobles poignées de main. Je leur répète cette phrase de mon premier chapitre : « Hommes ou femmes, ceux qui font métier et marchandise de littérature sont des prostitués : je les méprise également. » Maintenant qu’ils m’ont compris, j’espère qu’ils haussent les épaules en murmurant : « Imbécile ! »

Je n’accepte non plus aucune fraternité d’armes avec les anti-féministes pour qui le bas-bleu se définit : la femme qui écrit. Pourquoi écrire serait-il un geste d’homme plutôt qu’un geste de femme ? Le premier, en face du bas-bleu, femme qui essaie d’écrire en homme, j’ai signalé, plus méprisable encore, la chaussette-rose, homme qui essaie d’écrire en femme. L’artiste a pour premier devoir d’être lui. Il est vrai que pour cela il faut ÊTRE. Que ceux qui ne sont pas nous épargnent leurs vains bavardages. S’ils font du bruit, ces échos, ils auront la joie vaine des éloges payés, et la joie vaine des éloges de camarades, et la joie vaine des éloges équivoques des lâches. Leur châtiment sera d’entendre un homme sincère leur dire : Tu n’es pas.

La femme marche vers un affranchissement qu’elle comprend mal, je crois. Imitatrice inhabile, incapable de juger et d’utiliser l’expérience de l’homme, elle tient à suivre exactement la même route que nous avons suivie, à refaire les mêmes faux pas, à recommencer les mêmes chutes, à s’engager derrière nous dans l’impasse du suffrage universel. Je crie son erreur, par amour de la vérité, sans espoir d’être entendu. C’est une loi inéluctable qu’un peuple opprimé considère comme idéale la situation du peuple oppresseur, réclame les biens vrais ou faux dont le tyran paraît jouir. On ne fait pas deux étapes à la fois : la femme deviendra citoyenne, pour apprendre combien la cité est méprisable.

L’affranchissement économique et politique de la femme sera-t-il accompagné de son affranchissement esthétique ? L’esprit féminin se dégagera-t-il de l’imitation de l’esprit viril et le bas-bleu est-il destiné à disparaître bientôt ?

Le bas-bleu est éternel. Deux éléments principaux contribuent à le former : une prétention puérile d’abord, le désir de nous montrer qu’on peut faire ce que nous faisons ; et aussi la timidité, l’effroi de s’engager seule dans une voie inconnue. Car tout véritable artiste doit tracer un sentier nouveau à travers la forêt. La timidité diminuera, la prétention grandira. Et elle restera toujours pédantisme d’élève et snobisme de suiveuse. Il y aura demain comme aujourd’hui quelques chaussettes-roses et beaucoup de bas-bleus. La nature de la femme est plus imitatrice, et l’exemple des succès masculins lui sera toujours « un dangereux leurre ».

Mais les exceptionnelles qui osent se montrer elles-mêmes deviendront un peu plus nombreuses, et, parmi des œuvres intéressantes, nous donneront peut-être quelques chefs-d’œuvre.

Les gestes même du génie ne sont imprévus que relativement, et on peut dès aujourd’hui indiquer les limites que l’art féminin ne dépassera pas.

Toutes mes lectures me l’ont prouvé : une femme ne peut concevoir et composer qu’en imitatrice une œuvre objective. Elle est inégale à l’effort d’une synthèse nouvelle. Elle ne créera jamais ni un poème large, ni un drame puissant, ni un caractère autre que le sien, ni un roman qui ne soit pas son roman, ni surtout une doctrine philosophique. Les femmes philosophes, de celles que Descartes admirait jusqu’à Mme Clémence Royer, sont des disciples. Peut-être le lecteur s’est-il étonné de la large place que j’ai faite aux incohérences de Clémence Badère, d’Eulalie-Hortense Jousselin, de quelques autres. Les pages que je leur ai consacrées ne sont point des pages perdues : elles montrent que la femme essayant de rassembler les éléments d’un système original se disperse elle-même dans la folie.

Mais la femme dira mieux que nous les émotions de l’enfant, et ses propres émotions, et aussi ce qu’il y a de commun à son cœur et au nôtre. C’est à elle que semble s’adresser l’appel fameux :

Ah ! frappe-toi le cœur : c’est là qu’est le génie.

Car la femme est la sensibilité, l’homme la pensée et le mouvement. La femme est le centre, l’homme la circonférence. Et l’être complet est le couple : femme-homme, harmonie-action.

On reproche souvent aux formules leur pauvreté et leur vague. Ces blâmes sont mal fondés quand la formule est précisée par tout un livre, enrichie de mille observations de détail. J’essaie donc encore cette conclusion :

La femme est l’élément passif de l’humanité.

Mais je supplie le lecteur de ne pas entendre autour du mot « passif » des harmoniques injurieuses. Le néant est inconcevable et les termes négatifs en apparence expriment de simples relations. « Passif » ne signifie même pas « moins actif » ; il veut dire : « dont l’activité est moins visible, moins en dehors ». Dans le corps dit au repos s’agite l’innombrable armée des mouvements moléculaires, et tel choc dont la masse ne semblera point émue les exaspérera. La vie extérieure de la femme est moindre que celle de l’homme, sa vie intérieure est plus profonde ; c’est peut-être cette différence qui constitue tout le fameux « mystère féminin ». Ses gestes sont moins larges et plus rares parce qu’en elle les mouvements physiologiques et psychologiques tourbillonnent plus intenses. Lourde des êtres qui ne sont point encore et des rêves subconscients que ses fils exprimeront en pensées, sa fécondité même fait sa relative immobilité.

FIN