Le Menuisier Simon ou la Rage de sortir le dimanche

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LE MENUISIER SIMON,
OU LA RAGE DE SORTIR LE DIMANCHE.

Air de la Catacoua.


Allons, Suzon, je t’nons dimanche,
Ouvre tes yeux et tes rideaux ;
Quand j’ons six grands jours scié la planche,
Tu sais qu’ j’ai d’ la maison plein 1’ dos.
IL faut que j’ sortions d’un’ barrière...
Débarbouill’ vite ton garçon... ;
Passe l’ jupon,
Moi, l’ pantalon,
Et, zon, zon, zon,
En avant ma Suzon !
J’gob’rons moins de m’ringu’s que d’ poussière.
Mais je n’ serons point z’à la maison.

Ou c’ que j’irons ? que tu vas m’ dire ;
C’est aujourd’hui foire à Pantin,
Courons-y vite, que j’ respire
L’ parfum z’embaumé du matin...
Seul’ment n’ mets pas tes plus bell’s hardes,
Car ce nuage au-d’ssus d’ Charenton
JN’ promet rien d’ bon ;
Tant pis... Quoi donc ?
Et zon, zon, zon,

J’ sais c’ que c’est qu’un bouillon.
J’allons être inondés d’hall’bardes... ;
Mais je n’ s’rons point z’à la maison.

L’enfant sur l’ bras, la femm’ sous l’autre,
V’là Simon parti pour Pantin :
Arrivés là, le marmot s’ vautre
Sur l’gazon près d’un gros mâtin...
En aboyant, Dragon l’ regarde.
Puis mord la jambe au p’tit garçon.
L’ pèr’ frapp’ Dragon,
L’ maîtr’ frapp’ Simon,
Et, zon, zon, zon...
D’ coups d’ pieds en coups d’ bâton :
V’là l’ menuisier au corps de garde... ;
Mais il n’est point z’à la maison.

Pour queuqu’s sous l’affaire s’arrange ;
Les v’là contents, quand par malheur,
Suzon, qu’est fraîche comme un ange,
Rencontre en ch’min un amateur...
L’ menuisier tomb’ sans crier gare
Sur l’ casaquin du Céladon
L’appell’ cocbon...,
L’autr’ cornicbon... ;
Et, zon, zon, zon,
De raison en raison,
Il r’cule et le v’là dans un’ marre... ;
Mais il n’est point z’à la maison.

Sorti d’ là, fait comme on peut croire,
Au soleil il va pour s’ sécher...
Et v’là qu’ tous les malins d’ la foire
L’i d’maud’nt où c’ qu’on vient de 1’ pécher...
Il s’ sauv’ sur des sacs à farine,
R’bondit sur des sacs à charbon...
Et d’ bond en bond,
Tomb’ dans un fond
Où, zon, zon, zon,
Heurté par un buisson,
Il roul’ dans un fagot d’épine... ;
Mais il n’est point z’à la maison.

Comme on n’ vit ni d’air ni d’ taloches ;
Ils entrent dîner chez Le Noir...
Mais n’ sachant pas l’état d’ ses poches,
Quand vient l’ quart d’heure du comptoir,
Pas seul’ment d’ quoi payer l’om’lelte,
Et l’ traiteur n’entend pas raison...
Paie, ou sinon
Gar’ la prison.
Et, zon, zon, zon :
V’là, pour comble d’ guignon,
Simon au violon d’ la Villette... ;
Mais il n’est point z’à la maison.

Sa femme, maudissant l’ dimanche,
Court trouver l’ maire qui n’y est pas... ;
Près d’ son jeun’ commis ell’ s’ démanche,
Pouss’ des soupirs, lâch’ des hélas !...
Rien qu’all’ n’ fass’ pour qu’ son homm’ soit libre :
Le jeun’ commis ne dit pas non...
Faible Suzon !
Pauvre Simon !
Et, zon, zon, zon,
Le v’là hors de prison...
Sa femme a perdu l’équilibre....
Mais il n’est point z’à la maison.

Enfin, s’ promettant bien sa r’vanche,
Il rentre ; mais, malgré les rieurs,
Pas d’ danger qu’il dis’ que l’ dimanche
On peut étr’ chez soi mieux qu’ailleurs...
Aux anges de sa p’tite prom’nade
Dans la marre et dans la prison,
Gai comm’ pinson.
S’ moquant d’ la leçon.
Et, zon, zon, zon.
Il dit à sa Suzon... :
J’ rentrons battu, blessé, malade ;
Mais j’ s’rais p’t'ètre mort z’à la maison.