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Le Messianisme chez les Juifs/Deuxième partie/Chapitre 1

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DEUXIÈME PARTIE

L’APOCALYPTIQUE JUIVE



CHAPITRE PREMIER

GÉNÉRALITÉS SUR LES APOCALYPSES APOCRYPHES


Il ne saurait être question ici ni d’une étude complète de toutes les apocalypses juives, ni d’un exposé détaillé de leurs doctrines. Le dépouillement des idées a été fait en dernier lieu par M. Volz[1], qui les a correctement rangées sous certaines rubriques. Notre sujet est plus étroit ; nous nous attachons surtout à l’eschatologie et au messianisme des apocalypses. C’est le thème traité récemment par M. Baldensperger[2]. Avant d’y entrer, il est nécessaire d’indiquer les sources ; nous le ferons très brièvement pour ne pas insister sur certains points déjà souvent traités. Les apocalypses canoniques sont exclues de ce travail qui comprend le livre d’Hénoch[3], le livre des secrets d’Hénoch[4], le livre des Jubilés[5], quoiqu’il n’appartienne pas complètement au même genre, divers passages des Livres sibyllins[6], l’Assomption de Moïse[7], les Testaments des douze Patriarches[8], l’Apocalypse d’Esdras[9], appelée aussi le IVe d’Esdras, l’Apocalypse de Baruch[10], l’Apocalypse d’Abraham[11]. Notre but est moins d’être complet que de saisir, s’il se peut, les grandes lignes de cette littérature étrange, et de suivre son développement et ses transformations.

C’est une tâche délicate que de mettre un peu d’ordre dans ce chaos, au risque de sacrifier mainte nuance à la nécessité d’aboutir à des idées générales, tâche nécessaire cependant à cause de l’importance extrême — disons tout de suite disproportionnée — que l’on attache aujourd’hui à ces produits d’un temps à la fois agité et épuisé par la fièvre. Au surplus le lecteur qui aurait eu le courage de les lire et de les relire pourra se dispenser de nous suivre, car il aura recueilli certainement de cette lecture l’impression que nous voudrions communiquer, d’un gigantesque effort dans le vide, ou d’un rêve ennuyeux, avec quelques éclairs de bon sens dans le cauchemar d’un malade, et parfois de réelles beautés[12], avec un accent religieux, et plus encore nationaliste, sincère et passionné.

L’apocalyptique a fleuri d’environ 160 av. J.-C. à 120 après. Nous avons à nous demander en quoi elle consiste comme genre littéraire, quelles sont ses doctrines, surtout en ce qui regarde les fins dernières et le Messie, dans quel sens elle a évolué et quelle a pu être son influence.


I. — GENRE LITTÉRAIRE DES APOCALYPSES.


Le genre littéraire des apocalypses a un lien étroit avec les doctrines qu’elles mettent en œuvre ; il faut cependant l’étudier à part ; c’est le bien propre des voyants, tandis que leurs doctrines sont très souvent le fait de tout le monde. Omettre cette distinction, c’est introduire dès le début une confusion irrémédiable dans une matière déjà si enchevêtrée.

Avant tout l’apocalypse regarde l’avenir, et surtout l’avenir des derniers jours. C’est en cela qu’elle se rattache à la prophétie et qu’elle s’en distingue. L’antique prophétie, compagne des destinées d’Israël, n’était pas demeurée toujours la même. Elle avait atteint avec Isaïe le moment décisif où les énergies de l’action avaient pris corps dans une admirable création littéraire. Isaïe flagelle les ivrognes d’Ephraïm[13], accable de ses sarcasmes Sobna, le maître de chambre[14], oppose au doute d’Achaz la solidité des promesses de Dieu[15]. On le voit circuler dans Jérusalem, annonçant par son costume le destin de l’Égypte menacée par le Tartan de Sargon[16] ; il menace, il détourne, il persuade ; et cependant cet orateur énergique, orateur presque dans le sens d’homme politique, comme on l’était à Athènes, de Périclès à Démosthène, est encore ce que nous nommons un Prophète, car il a toujours devant les yeux l’avenir, tel que Dieu le réalisera certainement à son heure. Pour tous les prophètes d’action, le salut, promis par Dieu, entrevu par eux et annoncé au peuple, était toujours dans la perspective des événements auxquels ils prenaient part.

Après le retour de la captivité, après Aggée et Zacharie, les lointains de l’avenir apparurent de plus en plus comme cachés dans les secrets de Dieu. Les Assyriens et les Chaldéens avaient servi de fléaux de Dieu et d’instruments de sa justice ; Cyrus avait été, de la même manière, un Sauveur élu par Dieu. Mais après cela on ne voit plus les ennemis occuper sous leur nom propre les premiers plans de l’horizon prophétique. Les espérances se rattachent vaguement à la fin des temps, ou, plus vaguement encore, à ce temps-là, à ce jour-là, au jour choisi par Dieu, au jour de Dieu…

Et, peu à peu, le rôle actif du prophète diminue. Les faux prophètes avaient fatigué la nation par leurs assurances précises d’événements qui ne se réalisaient jamais. Le prophétisme avait rempli ses destinées. On ne vit plus paraître de prophètes. On savait bien que Dieu se réservait d’en envoyer encore. On attendait un prophète qui fût reconnu et authentique[17], mais personne n’osait plus en revêtir le manteau.

On peut lire dans Zacharie à quel traitement se serait exposé celui qui aurait osé assumer le rôle des Isaïe et des Jérémie[18].

Pendant le gouvernement des Perses, et durant la première période de l’hellénisme, sous le joug assez léger des Ptolémées, la prophétie demeura muette. Durant la persécution d’Antiochus Épiphane, elle n’était plus là pour soutenir la lutte contre les influences étrangères, quelquefois secondées par le sacerdoce ; et cependant les nécessités du temps étaient pressantes ; il fallait réveiller les âmes, les secouer par la crainte du jugement, les animer par une grande espérance. Or cet espoir était celui de l’ancien Israël, annoncé par les prophètes. Emprunter les traits d’un de ces hommes de Dieu qui avaient laissé un souvenir impérissable, qu’on se représentait volontiers comme admis de leur vivant, ou après leur mort, à la connaissance des mystères divins, assurait un double avantage : l’autorité de leur nom d’abord, et la garantie qu’offrirait pour l’avenir la réalisation déjà accomplie des prophéties qu’on leur prêtait.

Le premier caractère extérieur de la littérature nouvelle est donc la pseudonymie. Celui qui est censé parler est un ancien, Noé, Hénoch, Abraham, Moïse, Baruch, Esdras, voire une de ces femmes que les Grecs regardaient comme inspirées, la Sibylle. Hénoch était le type de ces apôtres de l’au-delà. A la veille du déluge, ce grand jugement qui avait frappé l’humanité primitive, il avait été enlevé pour continuer à vivre auprès de Dieu. Il était naturel de mettre dans sa bouche les plus graves avertissements et d’attendre de lui la révélation des mystères célestes. Aussi toute une littérature s’est réclamée de son nom. C’est probablement par lui qu’on commença, sauf à remonter ensuite jusqu’à Adam et à descendre jusqu’à Esdras ; il est le héraut du jugement et de Dieu.

Quel que soit le confident de Dieu, il reçoit une révélation ; c’est le nom même d’apocalypse qui caractérise ce genre. Et cela encore est une transformation de l’ancien prophétisme. Les visions ne lui étaient pas étrangères. Isaïe avait vu Dieu entouré de Séraphins[19] ; Amos, Jérémie, Zacharie avaient assisté à des spectacles surnaturels qui étaient des symboles. Un objet apparaissait au prophète ; il lui était montré par Dieu, en même temps que le sens de l’apparition lui était révélé. Manifesté d’une façon surnaturelle, cet objet appartenait cependant à la nature : c’était une branche d’amandier[20], une chaudière[21], un cordeau de maçon[22], des chevaux de diverses couleurs[23]. Tout cela est fort simple et de la vie quotidienne ; c’est dans le Temple qu’Isaïe a vu Dieu.

La nouvelle école s’élève plus haut ; elle ne demande pas à Dieu de descendre et préfère monter chez lui pour voir de près ses mystères.

Or comment pénétrer jusqu’au ciel et en sonder les secrets sans une révélation très particulière ? Et comme les choses du ciel doivent être éblouissantes et bien plus belles que celles d’ici-bas, il faut donc, pour les décrire, recourir à des comparaisons, à des images fort imparfaites, qui obligent sans cesse l’auteur à protester de leur insuffisance : c’est comme un homme, comme un feu, comme de la neige, etc.[24].

On s’explique assez l’impuissance du voyant, accablé par la sublimité de ce qu’il contemple. Ce qui est moins naturel, et cependant très logique, c’est que la même condition, révélation et symbolisme, s’imposait pour le passé.

Hénoch, qui racontait toute l’histoire des Israélites, était censé l’avoir connue par révélation. D’autre part, il ne pouvait cependant réciter les faits comme ils étaient dans les histoires. La disproportion eût été trop grande entre les deux parties de son horizon prophétique, celle qui était déjà passée au temps de l’auteur réel, et celle qui était encore cachée dans l’avenir. Le symbolisme qui était le langage approprié pour le thème futur et céleste, s’imposait donc aussi pour le passé, et même pour le présent. C’était comme la condition du genre ; ainsi tout s’harmonisait et l’avenir semblait sortir des données du passé. L’esprit du lecteur qui s’ingéniait à reconnaître des histoires connues dans les subtiles images dont il suivait le développement croyait en deviner la suite sans trop de peine ; le point de suture — le présent — contenait en germe les solutions prédestinées. Ainsi les allégories des divers animaux ou des semaines dans Hénoch, de l’aigle dans Esdras, de l’arbre dans Baruch.

Comme il ne s’agissait plus d’une vision rapide, suggérant un sens précis, mais de tout l’enchaînement des faits, le symbolisme succombait à la tâche. La même comparaison est obligée de se plier à des circonstances diverses, de se transformer pour exprimer des sens nouveaux ; cela ne se peut sans violence et sans bizarrerie. D’autres fois les images se succèdent, toujours plus étranges, pour exprimer l’inexprimable ; et, pour graduer l’horreur croissante des catastrophes, on aboutit à des exagérations qui ne font plus aucune impression, tant elles sortent de la réalité.

Le passé et l’avenir envisagés sous une même perspective, dessinés par les mêmes symboles, sous l’aspect de choses révélées d’une façon surnaturelle, ce n’est plus l’enchaînement des faits naturels ou volontaires, c’est le spectacle des œuvres de Dieu. Ce n’est pas que la causalité divine soit plus intime et plus profonde dans l’Apocalypse que dans la Prophétie ; elle y est pour ainsi dire étalée, exprimée par des ressorts extérieurs plutôt que pénétrée dans son énergie secrète. Le roi d’Assyrie n’était, pour Isaïe, qu’un instrument mis en branle par Dieu : telle une hache ou une scie dans la main de l’ouvrier[25]. On ne pouvait exprimer plus fortement l’intensité de l’action divine. Mais enfin c’était lui, le roi, qui prenait les villes. D’après Baruch, ce sont les anges qui ont détruit Jérusalem et non les Chaldéens[26]. Les hommes ne sont donc plus que des marionnettes ; le public peut s’y tromper ; le voyant aperçoit les fils qui font mouvoir les personnages et parfois même ceux qui les tiennent.

C’est ce qu’on a nommé le déterminisme de l’apocalyptique. A vrai dire, il n’est jamais absolu au point de nier la liberté humaine, car nos voyants sont très soucieux au contraire de marquer les responsabilités. Il suffit cependant pour donner à l’histoire, — cette histoire qui n’est plus qu’une vision de l’avenir, — l’aspect d’une machinerie qui se déroulerait suivant un plan convenu. De là aussi les tournures passives qui sont un des traits de ce style. Les choses sont faites, plutôt qu’elles ne se font, par des agents invisibles et presque impersonnels ; malgré sa claire vue, l’auteur ne peut pas toujours démêler tous les ressorts de la mécanique divine ; il ne peut que constater son fonctionnement sans distinguer toujours ceux qui la mettent en branle. « Les livres furent ouverts »,… « son nom fut nommé »,… « des cordes furent données » [27]… Aussi le voyant a-t-il constamment besoin d’être assisté pour comprendre la raison des choses. Les images sont équivoques, les acteurs ne parlent pas ; il faut qu’un ange se trouve là à point nommé pour donner un sens à cette représentation muette. Les anges sont à la fois acteurs et exégètes, exégètes des causes surnaturelles, même lorsqu’ils expliquent le cours des astres[28]. Tout se succède dans ce cinématographe, sauf la nature toute pure, qui n’apparaît jamais.

C’est décidément, répétons-le, un spectacle. Or il est d’un sage impresario de préparer d’avance tous les décors, et d’avoir tous les figurants sous la main. Faut-il s’étonner que les principaux acteurs et les principales pièces du drame eschatologique soient déjà censés existants au temps du voyant, cachés derrière la scène, dans les conseils de Dieu ? Ils sont donc préexistants par rapport au moment où ils joueront leur rôle, mais le voyant n’est-il pas censé voir se dérouler dans l’avenir des événements déjà passés ? Qu’importe le passé, le présent et l’avenir pour celui qui contemple tout dans la détermination divine ? Le Messie et la Jérusalem nouvelle sont présents à la pensée de Dieu, il peut les montrer à ses fidèles. Quand ils les auront vus, leur foi sera plus ferme, ou plutôt ne sera plus une foi, mais une claire vue. Il n’est pas besoin de supposer ici une influence des Idées de Platon. Les Idées ont une existence idéale plus stable et plus réelle en elle-même que leur existence phénoménale, mais cette existence garde dans Platon quelque chose d’abstrait ; ce sont bien des Idées. Au contraire les objets préexistants des Apocalypses, du moins avant que ce concept ait été généralisé et peut-être spiritualisé, la Jérusalem nouvelle et le Messie, sont entrevus sous des contours très concrets. Ils sont encore noyés dans un vague que l’auteur ne peut éclaircir, mais son intention est de les présenter comme tout le reste, comme des images vues. Lorsque le passé n’est plus qu’un tableau symbolique, l’avenir peut bien être représenté comme présent. Ni le passé n’est tout à fait l’histoire, ni l’avenir n’est tout à fait inexistant. Tandis que dans l’évolution naturelle, toutes choses vont du germe au plein épanouissement, puis à la mort, ici tout vit en même temps, le passé est encore à venir, et l’avenir existe déjà.

Il est cependant un trait de l’apocalypse qu’on pourrait être tenté d’expliquer par une influence étrangère. Les stoïciens avaient imaginé de longues périodes après lesquelles le monde, développé à l’extérieur, puis replié sur lui-même et consumé par le feu, recommencerait selon les mêmes voies le cours de ses destinées. Est-ce de là que vient un des principes premiers de l’apocalypse : la fin comme le commencement[29] ? On admettait en effet une sorte de symétrie entre la création du monde et son renouvellement. La grande crise messianique devait être une naissance nouvelle ou palingénésie ; tout devait se reproduire dans le même ordre ou dans un ordre inverse, mais avec une exacte correspondance. Est-ce le thème stoïcien transposé ? Cela est peu vraisemblable. L’inspiration des apocalypses a une autre source. La nature ne les intéresse que comme une dépendance de l’ordre moral. Si les animaux doivent cesser de nuire, si la paix doit régner dans la nature, au temps du Messie comme au temps d’Adam, c’est parce que l’innocence des temps messianiques l’emportera sur l’innocence primitive. Et ce tableau avait été déjà tracé par l’ancienne prophétie[30]. L’apocalyptique ajoutera des traits nouveaux, ramenés au thème moral et religieux, avec son affectation spéciale de mettre en relief le grand acteur. Dès lors le dénouement est comme une péripétie suprême ; il manifeste la sagesse et la puissance de celui qui a tout ordonné : le drame qui a eu pour premier théâtre l’Éden doit se terminer sous des cieux nouveaux et sur la terre nouvelle.

A considérer ainsi le passé et l’avenir comme présents dans une image qui se déroule, l’auteur s’interdisait d’insister sur le présent, court moment qui n’était qu’un point du tableau, il n’y pouvait faire que des allusions voilées, pour ne pas trop se découvrir. Toute incursion dans le domaine des faits réels, toute invective trop caractérisée, toute allusion trop claire, l’auraient obligé à poser son masque. On ne peut pas être à la fois entre ciel et terre et jouer un rôle actif parmi les siens. L’inspiration divine et leur génie ont bien servi Daniel et saint Jean. Le caractère pratique et le but religieux immédiat de ces admirables apocalypses éclatent en dépit du genre et leur donnent une valeur de vie. Aussi peut-on assez facilement reconnaître dans quelles circonstances ont vécu leurs auteurs. Il en sera ainsi d’Esdras, la plus belle apocalypse après ces deux chefs-d’œuvre, et en partie ainsi de Baruch, conçu sur le même thème[31]. Dans les autres cas, il est extrêmement difficile, quelquefois impossible de savoir quand les auteurs ont vécu, et quels événements ils visent. Le mystère qu’ils s’étaient imposé les couvre encore.

Le dernier terme de toutes ces cachotteries devait être une théorie formelle de l’apocalypse apocryphe. La façon dont Esdras l’expose est bien connue[32]. Mais comment des livres, composés depuis des siècles, étaient-ils parvenus aux mains de celui qui les produirait en public ? Les anges veilleraient sur eux et sauraient, au moment opportun, les révéler à un dépositaire sûr — l’auteur lui-même ! — chargé de les montrer à « des hommes fidèles, et qui me sont agréables, et qui ne prononcent pas mon nom en vain, dit le Seigneur[33] ». Le livre du voyant, fût-il antédiluvien, était donc communiqué, en grand mystère, à un cénacle d’hommes choisis, faisant partie du même groupe et partageant les mêmes espérances, crédule ou complice ; il s’adressait à des initiés.

Pouvait-on, par ce procédé, enseigner des choses bien nouvelles ? Il fallait, en tout cas, les corroborer d’une doctrine reçue et même d’une imagerie traditionnelle.

C’est une erreur très répandue, mais une erreur quand même, de se représenter l’apocalyptique comme l’explosion d’un système nouveau. En effet, même lorsqu’ils se mêlent de science, nos auteurs sont aux antipodes de la nature et de l’observation. Le livre d’Hénoch contient toute une partie destinée à expliquer le système du monde[34]. Il faut être très indulgent pour y voir avec M. Martin « un précieux témoin des premiers essais de construction scientifique[35] ». Rien de plus touchant que ces premières tentatives, balbutiement de la science si l’on veut, pourvu qu’elles contiennent un germe de progrès par une analyse attentive, ou même par le simple enregistrement consciencieux des faits. Mais le livre astronomique d’Hénoch est tout autre chose, et plutôt, comme M. Martin lui-même l’a très bien vu, le résidu des traditions hétérogènes de l’Orient ancien, un amalgame de traditions populaires mises au service du calendrier lunaire orthodoxe. Et c’est l’époque où déjà Ératosthène avait fondé la géographie scientifique, et où Hipparque découvrait la précession des équinoxes et mesurait presque exactement la distance de la terre à la lune[36]. On n’en demandait pas tant à un Juif ; mais ici encore il faut constater combien l’apocalyptique est loin des réalités et de la vie.

Volontiers on imagine ces voyants comme emportés par leur fantaisie, cédant sans doute trop facilement à ses élans déréglés, mais, à cause de cela même, originaux et neufs. Rien de plus faux, et c’est à peine si quelques combinaisons sont leur œuvre. Quand ils sortent de la tradition, ils sont rarement heureux. S’ils s’éloignent de la nature, ce n’est pas pour s’abandonner à l’inspiration d’un rêve créateur, c’est pour consulter les livres. Ces visionnaires sont les plus livresques des hommes. Il nous est facile de reconnaître, en comparant, par exemple, Hénoch à la Bible, à quel point ils sont dépourvus d’invention, jusque dans le choix des expressions[37]. Il nous est bien permis de supposer qu’ils ont consulté d’autres livres, aujourd’hui perdus, qui auraient poursuivi le développement des idées cosmogoniques de la Bible.

Le style devait être en harmonie avec ces conditions du genre. On ne peut guère le comparer qu’au style révolutionnaire, singulier mélange d’enthousiasme pour les temps nouveaux et de citations pédantes, passionné, convulsif, enivré, dirait Platon, du vin pur de la liberté, et hérissé d’allusions classiques à l’histoire des Grecs et des Romains. Encore le monde nouveau des sans-culottes était-il déjà commencé ; celui des apocalypses devait descendre du ciel. Le voyant veut être sublime, puisque son sujet l’exige, et il n’est souvent qu’emphatique ou érudit. Il y a de tout dans ce style, sauf le naturel et la simplicité. Il n’est tout à fait sincère que lorsque l’homme se découvre sous le voyant, ému de sentiments vrais : la haine, souvent atroce, de ses ennemis, une ardente sympathie pour ses compatriotes malheureux, l’anxiété d’une foi qui veut demeurer inébranlable ; parfois même, mais seulement dans l’apocalypse d’Esdras, il atteint à une vraie beauté, lorsque, au lieu de décrire froidement les choses du ciel, il s’arrête, frémissant d’angoisse, devant le mystère insondable du mal. En lisant les apostrophes enflammées du Coran, on croit entendre l’écho de certains apocryphes : rien n’est plus éloigné de la simplicité touchante des Évangiles.

Parmi les grandiloquences du style apocalyptique, celle peut-être qui nous frappe le plus, qui nous transporte dans une sphère absolument merveilleuse et surnaturelle, parce que nous ne sommes pas habitués à ces figures, c’est l’emphase qui associe la nature inanimée aux événements de l’histoire. Et quand nous disons la nature inanimée, nous nous plaçons encore à notre propre point de vue, car l’origine première de ces métaphores remonte à un temps où on la croyait au contraire animée et susceptible des mêmes émotions que les hommes. C’est surtout le monde céleste, le ciel, le soleil, la lune et les étoiles, qui sont mis en branle dans des circonstances qui ne sont pas toujours le craquement dernier du monde et son renouvellement.

Ces manières de parler se trouvaient déjà dans la Bible. A propos de la prise de Babylone par les Mèdes, on lit dans Isaïe :

Voici le jour de Iahvé qui vient,
cruel avec colère et fureur ardente,
Pour changer la terre en désert,
pour y exterminer les pécheurs.
Les astres des cieux et leurs constellations
ne feront plus briller leur lumière ;
Le soleil s’obscurcira à son lever,
et la lune ne fera plus luire sa lumière[38].

Dans le jugement qui doit s’exercer sur Édom, le même recueil met en scène tous les peuples et toute la nature, comme si le châtiment d’Édom était en raccourci l’image du jugement universel :

Toute l’armée des cieux se désagrégera,
les cieux seront roulés comme un livre,
Et toute leur armée tombera,
comme tombent les feuilles de la vigne,
comme tombent celles du figuier.
Car mon glaive dans les cieux s’est enivré ;
voici qu’il descend sur Edom[39]

Même procédé dans Jérémie, à propos des malheurs qui menacent Juda et Jérusalem :

Je regarde la terre, et c’est le chaos primitif,
les cieux, et ils ne donnent plus de lumière ;
je regarde les montagnes, et elles sont ébranlées,
et toutes les collines sont culbutées[40].

Dans Ezéchiel, tout le ciel porte le deuil de la ruine de l’Egypte[41].

Dans Joël, et devant une invasion de sauterelles :

La terre tremble, le ciel s’agite, le soleil et la lune sont obscurcis, et les étoiles ont éteint leur éclat[42].

Le dernier exemple est peut-être le plus caractéristique. Après cela il est tout naturel que les collines bondissent comme des agneaux, quand le Seigneur viendra réaliser ses merveilles.

Ce serait évidemment un très lourd contresens que de prendre à la lettre ces fortes images. Ce serait méconnaître le style de la Bible, dont les apocalypses s’inspirent le plus souvent, et à laquelle elles empruntent le canevas de leurs descriptions. Ce serait même méconnaître les habitudes du monde ancien, car les Grecs eux-mêmes, en dépit de leurs tendances au rationalisme, ont associé la nature et spécialement le ciel, aux scènes qui se jouaient sur la terre, et cette tradition n’a jamais été tout à fait interrompue.

En voici quelques exemples qu’on a rencontrés tout à fait par hasard.

Lorsque le devin Théoclymène pressent la mort des prétendants à la main de Pénélope, il s’écrie :

L’antichambre et la salle sont pleines de fantômes, entraînés dans l’obscurité vers l’Erèbe ; le soleil au ciel périt, et d’affreuses ténèbres se précipitent[43].

Ce sont les nuées elles-mêmes qui expriment leur émotion dans Aristophane :

Ensuite lorsque vous avez pris pour général le corroyeur paphlagonien, ennemi des dieux, nous avons froncé les sourcils, et nous avons fait des signes terribles ; le tonnerre a crevé avec des éclairs ; la lune a quitté ses voies ; le soleil, retirant aussitôt à lui sa mèche de lampe, a déclaré qu’il ne brillerait pas pour vous, si Cléon était général[44].

Assurément ce ton léger contraste avec l’émotion intense des prophètes ou des voyants d’apocalypses, mais il n’en est que plus caractéristique.

La mort de César, comme l’antique festin de Thyeste, était un événement bien capable de contraindre le soleil à se détourner avec indignation, ainsi qu’Antoine l’affirme dans Josèphe[45].

On trouverait sans doute des exemples très nombreux de ce style chez les anciens. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’il se soit perpétué dans les clichés des inscriptions funéraires :

Cette journée fut une calamité ; ce fut un jour de malheur et d’oppression, jour de ténèbres et d’obscurité, jour de nuage et de brouillard, jour où les cieux et leurs luminaires furent obscurcis, où ils se sont revêtus d’un cilice. Les étoiles ont pris le deuil ; les collines ont fléchi, tout Israël a été effrayé[46].

S’il ne s’agit pas ici du jugement dernier, n’est-ce pas du moins une allusion à la ruine de Jérusalem ? Point ; il s’agit de la mort du rabbin Isaac Alfasi, le 12 mai 1103, et l’épitaphe est en prose. Le décès de rabbi Yôna (26 juillet 1257) ne fut pas moins calamiteux :

Fils de Sion, devant cette stèle, pleurez le soleil enfoui sous la poussière de la terre ; le firmament s’est revêtu d’obscurité, les constellations sont honteuses ; la lune rougit, au jour où a été ensevelie la gloire de la loi, son diadème[47].

Les modernes, eux, ont trouvé du plaisir à se plaindre de l’insensibilité de la nature, témoin indifférent de nos joies et de nos douleurs : le Lac de Lamartine, la Tristesse d’Olympio de Victor Hugo, un Jour simple de M. Fernand Gregh. Ce n’est pas une raison pour méconnaître une manière bien différente, qui fut celle de l’antiquité, et spécialement des Sémites palestiniens. Et cette appréciation d’un genre littéraire disparu[48] est tout à fait nécessaire pour l’intelligence des apocalypses et même des passages apocalyptiques du Nouveau Testament.


II. — DOCTRINES GÉNÉRALES DE L’APOCALYPTIQUE.


Incontestablement l’apocalyptique est un genre littéraire distinct, dont on peut analyser les conditions et qui a son originalité propre. Peut-on aussi la considérer comme constituant un corps de doctrines originales et homogènes ? Est-ce l’œuvre d’une école de philosophie religieuse, ou un simple cadre, comme le dialogue philosophique qui se prête indifféremment à toutes les thèses ? On pourrait aussi concevoir une sorte de moyen terme. Il est tel genre littéraire qui impose à celui qui le choisit une tournure d’esprit particulière, ou plutôt, celui qui le choisit est déjà porté à voir les choses sous un certain angle. Telle la satire. On n’attend pas d’elle un jugement impartial sur le bien et le mal à une époque donnée, mais plutôt une charge vigoureuse contre les vices du temps. Chacun cependant poursuivra son propre idéal en les flagellant.

Il en est ainsi de l’apocalypse. Chaque auteur avait ses doctrines particulières, et, même dans sa conception de l’avenir, il subissait l’influence de son temps ; mais le choix qu’il faisait du genre apocalyptique indiquait à lui seul les préoccupations qui dominaient sa pensée. Il avait renoncé à l’action pratique pour chercher son refuge dans l’au-delà, un au-delà qui n’était pas toujours le même que celui d’un autre voyant. La ressemblance la plus étroite dans le thème, et même dans les images, n’implique naturellement pas la communion des idées.

On peut donc parler des doctrines de l’apocalyptique, non de sa doctrine. Ces doctrines sont celles du temps, appliquées à l’avenir, et on peut même se demander si les apocalypses ont mis en circulation une seule idée vraiment nouvelle, ou si elles se sont contentées de combinaisons.

Il ne faut rien exagérer ; toutefois l’analyse est beaucoup moins simple que certains savants ne semblent le croire.

D’après M. Baldensperger, — un théologien protestant qui s’est beaucoup occupé de l’apocalyptique, — elle n’est ni la continuation, ni la transformation de la prophétie, ni une nouvelle interprétation des prophéties non accomplies. Ce serait plutôt « l’attente messianique détachée de l’idéal terrestre politique et élevée à l’ordre surnaturel » [49].

Cette antithèse posée, il est facile de la développer dans le détail. On dessinerait deux tableaux, celui de la prophétie et celui des apocalypses, dont le second serait comme l’agrandissement et la transfiguration de l’autre.

Le héros de l’ancienne prophétie est Israël, et le thème du messianisme, sa délivrance des ennemis qui l’ont subjugué. Ces ennemis seront anéantis par le jugement de Iahvé qui rassemblera son peuple dispersé et lui fera goûter, dans la Terre Sainte, à Jérusalem, auprès du Temple, plus glorieux que jamais, un bonheur éternel. Le Messie sera l’agent de toutes ces merveilles.

Dans l’apocalyptique, on verrait au premier rang l’homme, placé dans le Cosmos pour pratiquer la vertu. Les ennemis des gens pieux sont les méchants. Le jugement de Dieu s’exercera sur le monde en faveur des justes qui jouiront de l’immortalité et de la résurrection. Les biens de l’au-delà sont promis non plus dans Jérusalem, mais dans le Ciel.

Il faudrait, pour achever l’antithèse, faire du Messie l’agent de ce salut surnaturel. Personne n’oserait aller jusque-là, tant il est évident que le Messie des apocalypses ne joue pas ce rôle. Et cela donne à réfléchir. A y regarder de près, on doit confesser que rien n’est plus faux que de concevoir l’apocalypse de cette façon. Si l’apocalyptique avait donné sur tous les points allégués une solution ferme, en interprétant l’ancienne prophétie dans un sens moral et religieux, en substituant l’idée du salut éternel des justes à celle du bonheur temporel d’Israël, elle aurait abandonné le terrain du judaïsme ; si elle avait regardé le Messie comme étant à la fois le fondateur d’une vie religieuse nouvelle et l’agent du salut éternel, elle ne serait pas seulement un acheminement vers le christianisme, elle serait le christianisme lui-même. Or l’apocalyptique n’a fait aucun pas utile, elle n’a même pas montré la voie.

Ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’elle a su apprécier l’importance des problèmes nouveaux qui s’imposaient à l’attention des Israélites — comme des autres peuples ; — elle leur a donné les solutions qui découlaient de l’enseignement orthodoxe dans Israël depuis le retour de la captivité, mais elle n’a pas su concilier ces solutions avec les anciennes prophéties messianiques. Loin de renoncer à l’idéal temporel d’Israël, elle l’a encore exagéré jusqu’à l’exaspération, en même temps qu’elle était dominée par des préoccupations plus hautes. Le tableau nouveau qui est l’agrandissement ou la transfiguration de l’ancienne prophétie, c’est celui qu’a tracé le christianisme. L’apocalypse se place entre les deux, comme un cliché photographique tiré deux fois, où toutes les images seraient juxtaposées et mêlées de façon à ne présenter qu’un ensemble confus. Et ce ne sont pas seulement plusieurs apocalypses rapprochées qui formeraient ce mélange : il n’en est aucune un peu considérable qui ne soit une tentative désespérée pour concilier des notions que l’auteur ne pouvait ni embrasser dans leur étendue, ni ranger dans leur perspective vraie. L’apocalypse n’a pas abordé de plus hauts sujets que l’ancienne prophétie ; elle a affecté de se complaire dans le mystérieux et l’inaccessible, sans égaler jamais le profond sentiment religieux des prophètes. C’est ce qu’il nous faut voir de plus près, à propos de Dieu, de l’homme et du Messie.

On dit volontiers que le Dieu de l’apocalyptique est plus transcendant. C’est là un terme fort vague. Il n’est pas plus puissant que le Dieu d’Isaïe[50], ni plus sage que le Dieu de Job[51], ni plus juste que le Dieu d’Abraham[52], ni plus miséricordieux que le Dieu de Moïse[53], ni plus longanime que le Dieu d’Élie[54]. Mais il habite plus loin. On a essayé de le rendre plus imposant et plus sublime, et pour cela on n’a rien trouvé de mieux que de l’éloigner. Il ne convient plus à sa Majesté de venir converser parmi les hommes ; quand on veut le trouver, il faut faire un long voyage ; encore le plus souvent ne daigne-t-il pas parler lui-même, il a ordinairement un interprète qui est un ange. Hénoch, enlevé par les vents, approche d’un palais en pierres de grêle, entouré de flammes, habité par des Chérubins. Ce n’est point encore la demeure de Dieu. Il arrive enfin devant une maison, bâtie en langues de feu, et en tout si excellente, en magnificence, en splendeur et en grandeur, qu’on ne peut la décrire : « Son sol était de feu ; des éclairs et le cours des étoiles (formaient) sa partie supérieure, et son toit, lui aussi, était de feu ardent » [55]. C’était encore relativement simple ; dans l’Hénoch slave, dans l’apocalypse d’Abraham, l’itinéraire est beaucoup plus compliqué.

Si la religion a pour but d’unir l’homme à Dieu, on ne peut que regretter l’ancien Dieu d’Israël, qui était toujours au milieu de son peuple. Cet éloignement est-il compensé par un caractère plus marqué de spiritualité ? Mais c’est précisément parce que Dieu est esprit qu’il est présent partout et agit en tout. Le livre des paraboles d’Hénoch nomme avec emphase Dieu le Seigneur des Esprits[56], probablement pour donner à entendre que les Ṣebaôth du Dieu d’Israël sont des anges, mais cela ne marque pas sa propre spiritualité d’un trait plus net. Le Dieu de l’apocalyptique ne pouvait être que le Dieu d’Israël, unique, tout-puissant, très sage, juste et rémunérateur. Il faut le dire à sa louange : elle ne s’est point écartée de l’orthodoxie juive d’une seule ligne. Les traits particuliers qu’elle lui donne sont ceux d’un roi, habitant un palais inaccessible, d’une incomparable majesté et qui gouverne par ses ministres ; il est moins vivant et moins agissant que le Dieu des patriarches ; est-il davantage le type de la perfection morale ? on ne peut s’en rendre compte que d’après ses rapports avec l’homme.

L’apocalyptique, et c’est encore son honneur, s’est préoccupée de l’homme comme être moral individuel, ayant sa place dans le monde et dans les desseins de Dieu. Ce n’était point chose nouvelle[57]. Le principe était supposé par toute l’ancienne histoire et il avait été posé explicitement par Jérémie et par Ezéchiel[58]. A l’alliance écrite contractée avec le peuple, Dieu devait, d’après Jérémie, substituer une alliance imprimée par Dieu dans le cœur de chacun[59]. Cette parole rompait avec le collectivisme de l’ancienne solidarité, et manifestait le lien direct et personnel qui existe entre Dieu et chaque âme. Lorsque les Juifs viennent se plaindre à Ezéchiel que Dieu n’est pas juste, puisqu’il punit les enfants pour les fautes des pères, en frappant tout Israël quand il n’était pas le plus coupable : « les pères mangent du verjus, et les dents des fils en sont agacées »,… le prophète répond : « Je suis vivant, dit le Seigneur Iahvé ; vous n’aurez plus à répéter ce proverbe en Israël. Toutes les âmes sont à moi ; l’âme des fils comme l’âme du père est à moi ; l’âme qui pèche sera celle qui mourra » [60]. Si admirable que soit l’expression : « toutes les âmes sont à moi », la doctrine d’Ézéchiel n’était pas complète : ne faisant aucune allusion distincte à la vie future, elle pouvait laisser croire que toute justice était rendue à l’individu dès cette vie. C’était bien l’opinion des amis de Job. Mais le problème une fois posé, il suffisait d’un regard jeté sur le monde pour s’apercevoir qu’il n’est pas résolu ici-bas. La conscience morale, pleinement confiante en la justice de Iahvé, exigeait une rétribution après la mort, au cours de cette survivance dont les Israélites n’avaient jamais douté. Et l’espérance du pieux Israélite avait encore un fondement plus assuré que la justice de son Dieu. Pendant cette vie, il avait cherché Iahvé de toute son âme et il l’avait trouvé. Iahvé à son tour le prendrait avec lui dans sa gloire. C’est la confiance du Psalmiste[61] :

Pour moi, je suis toujours avec toi ;
tu m’as pris la main droite,
tu me conduis selon tes desseins,
et après tu me prendras en gloire.

Ce passage n’est pas isolé dans l’Ancien Testament. Ce n’était pas encore la nouvelle alliance, effusion complète de la charité de Dieu, provoquant la charité dans le cœur de l’homme ; cependant les anciens écrits inspirés contiennent plus d’une manifestation de cette tendresse de cœur pour Dieu qui est le fruit le plus exquis de la religion. Or nous n’avons pas su en trouver dans les apocalypses un seul accent vraiment sincère. Naturellement il y est beaucoup question pour les élus d’être auprès de Dieu, ou plutôt chez Dieu, d’être bénis par lui, comblés de biens, et inondés de sa lumière. Mais le soupir de l’âme éloignée de son bien, le désir passionné de le rejoindre pour lui être uni, sont absents de ces livres comme aussi l’assurance du psalmiste de le posséder dès ici-bas. On lit une seule fois du bonheur futur : « ils seront tous à Dieu » [62], de même qu’il est dit dans le livre de la Sagesse : « leur récompense est dans le Seigneur » [63]. Mais ce trait est isolé, et il serait fort exagéré de parler d’union à Dieu dans les autres descriptions paradisiaques, d’ailleurs relevées et spirituelles. Esdras considère comme le suprême bonheur des élus avant la béatitude définitive, l’espérance de voir celui qu’ils ont servi sur la terre[64]. La vie future c’est la vie, une vie glorieuse, dans la lumière, et aussi un festin qu’on peut se représenter comme très spirituel. Les apocalypses sont, ici encore, dans le courant le plus orthodoxe de la révélation, mais il faut constater que toute cette lumière enflamme peu le cœur. Quelle folie, semble dire Baruch, de perdre son âme en préférant le monde présent au monde futur ! Or, dans ce monde futur, la curiosité intellectuelle sera pleinement rassasiée ; on pourra satisfaire à son gré les désirs les plus extravagants[65], mais Dieu n’est pas nommé. Tous ces voyants des apocalypses qui parlent sans cesse des justes et des méchants auraient-ils su dire quel est le premier commandement, celui qui résume la Loi et les Prophètes ?

Et à coup sûr ils auraient été fort embarrassés sur le second. Avec le commandement d’aimer Iahvé son Dieu, l’Israélite avait reçu celui d’aimer son prochain. Ce prochain c’était Israël lui-même. Dévots à un même Dieu, protégés par lui et combattant ses guerres, les Israélites avaient une raison de s’aimer qui n’était pas seulement dans le lien du sang ; elle avait déjà un fondement religieux. On fait honneur à l’apocalyptique d’avoir agrandi l’ancien horizon, et, comme le Dieu d’Israël était devenu plus expressément le Dieu du monde, l’idée de l’humanité ou de l’individu aurait remplacé l’image absorbante d’Israël. Si l’on entend par là une doctrine propre à l’apocalyptique ou dégagée par elle, cela est évidemment faux. Le Serviteur de Iahvé, dans le recueil d’Isaïe, avait pour mission de convertir toutes les nations à Iahvé. Est-il vrai du moins que les voyants d’apocalypses aient précisé la notion de l’individu, ou se soient préoccupés beaucoup des Gentils dans leurs rêves d’avenir ? Est-il vrai que leurs sentiments envers tous les hommes soient plus fraternels, et inspirés par leur attitude envers Dieu ?

Il ne serait pas possible de le dire.

La notion précise de l’individu, l’autonomie de la personne, sa dignité propre, ce sont là des idées grecques, en particulier des concepts socratiques et platoniciens, et qui, il faut bien le dire, ne conduisent guère au sentiment d’une vraie fraternité entre les hommes. Ils en détourneraient plutôt, en exaltant la puissance de la monade humaine isolée, s’ils n’avaient par ailleurs l’avantage de rompre avec un égoïsme national trop accentué. De toute façon ils n’ont par eux-mêmes aucune valeur religieuse, tant qu’on ne considère pas l’origine commune des âmes et leur retour à Dieu. Si les apocalypses en sont peu pénétrées, ce n’est point une lacune de l’ordre religieux, mais de l’ordre philosophique, et la preuve que la philosophie grecque a eu sur eux moins d’influence qu’on ne l’admet quelquefois.

Ce qui a brisé dans Israël la solidarité nationale des anciens jours, ce n’est point un aperçu sur la nature humaine en soi, à laquelle tous les individus participent de la même manière, c’est l’ébranlement produit par l’invasion de l’hellénisme et la résistance du sentiment religieux. Des Juifs qui dissimulaient leur circoncision pour paraître dans les gymnases ou qui même brûlaient de l’encens au Zeus Olympien n’étaient plus des Juifs, mais des scélérats qui se réprouvaient eux-mêmes en s’assimilant aux Gentils. Et si on rencontrait parmi ces derniers des hommes justes, tolérants, ou même bienveillants pour les Israélites fidèles, n’étaient-ils point meilleurs que les renégats, à tout le moins plus excusables ? Les guerres civiles ont ici produit leur effet naturel, et les guerres religieuses sont les plus atroces des guerres civiles. L’antithèse n’était plus Juifs et Gentils, mais justes et pécheurs, fidèles et renégats, quelquefois, d’une façon très concrète, Pharisiens et Sadducéens.

Obligés de prendre parti, les voyants ont-ils des tendances universalistes ? Leur attention est certes plus attirée vers le sort des Gentils ; ils comprennent mieux que toute l’humanité a les mêmes destinées ; ils ne peuvent plus, quand il s’agira de la fin du monde, se concentrer dans le seul Israël. On peut donc parler d’un certain universalisme de leur intelligence ; serait-ce que le cœur, lui aussi, est devenu plus large ? Non, car ces Gentils sont idolâtres, et leurs pratiques fort déréglées. On méprise leurs mœurs, on condamne leur culte et leur religion ; ils sont réprouvés d’avance. Il leur était licite de se convertir et d’obtenir leur pardon, mais on avait trop souffert de leur dureté ou de leur indifférence pour désirer sincèrement une conversion générale qui les aurait rendus dignes du bonheur. Malgré tout ce sont toujours des êtres d’une nature inférieure. Quand l’apocalypse daigne s’occuper d’eux, ou bien elle les condamne en bloc, ou bien elle les traite comme ils ont traité Israël. Dans certains cas ils paraissent associés à la félicité du peuple élu, mais on peut toujours croire que c’est à titre de serviteurs, ainsi que les textes le font voir quand ils s’expriment clairement. Ils n’ont aucune ressource pour opérer leur salut, s’ils ne sont pour ainsi dire greffés sur Israël.

Et si l’indifférence était assez pour les Gentils, quand ils n’étaient que des peuples étrangers, de quelle haine ne poursuit-on pas maintenant les persécuteurs et les renégats ! Une partie de la félicité des justes consistera à se venger de leurs adversaires, ou du moins à se réjouir de leur châtiment : « Les rois et les puissants, en ce temps-là, périront et seront livrés aux mains des justes et des saints » [66]… « Je les livrerai aux mains de mes élus ; comme la paille dans le feu et comme le plomb dans l’eau, ainsi ils brûleront devant la face des saints, et ils seront submergés devant la face des justes » [67]… Les justes de l’apocalypse d’Abraham crachent à la face de leurs ennemis et se réjouissent de leurs tortures[68].

Esdras, dira-t-on, est bien éloigné de ces sentiments de haine. La pensée d’une origine commune de tous les hommes en Adam lui est familière ; il sait que Dieu aime les âmes qu’il a créées ; leur perte le touche et même l’accable. Lui-même cependant regarde comme le deuxième degré de la félicité de voir les tourments des impies[69]. Aussi bien son saisissement en songeant à la perte du plus grand nombre est-il surtout spéculatif ; il ne comprend pas l’incroyable pullulation du mal qui doit fatalement entraîner les hommes à la damnation. Il prend soin de nous dire que Dieu aurait pu se contenter de la fidélité d’Israël, si Israël avait consenti à lui donner cette satisfaction. Il ne s’intéresse qu’à Israël, et son Dieu aussi, qui avait tout créé en vue d’Israël. C’est pour le peuple élu qu’il interroge trois fois, et les trois allégories ne s’occupent que de lui. Il n’envie pas pour Israël la gloire de sauver le monde en ramenant l’humanité à son créateur. Non, il faut seulement qu’lsraël, toujours vaincu, soit enfin vengé de ses ennemis. Le cœur de l’auteur, aigri par la souffrance, est fermé à la charité.

L’ancien horizon, du moins celui du cœur, n’est donc point dépassé ; on peut même dire qu’il est rétréci, puisque quelques Israélites sont désormais exclus sans que cette exclusion soit tout à fait compensée par l’accession de quelques Gentils. C’est ce qu’on peut dire d’une façon générale, puisque chaque voyant a son système eschatologique particulier.

Dieu et l’homme sont toujours envisagés dans leurs rapports à venir. La doctrine des fins dernières avec ou sans Messie, c’est bien le cœur de l’apocalyptique ; c’est le problème qui s’imposait à la sagacité du voyant, problème dont les termes pouvaient varier selon les idées du temps et les détails au gré de ses aspirations et de sa fantaisie. En fait les solutions sont nombreuses, divergentes et même contradictoires. Les grouper sous certains chefs serait une tâche relativement aisée, mais on aimerait mieux savoir s’il n’y a pas entre elles un développement sinon logique, du moins coordonné aux circonstances, et, s’il était possible, suivre l’évolution historique de ces bizarres concepts. Mais comment refaire l’histoire avec des documents non datés, et qui se dérobent de parti pris à toute enquête sur leurs origines ? On ne peut aboutir à une certitude complète, et ce serait beaucoup que d’atteindre à la vraisemblance. Cependant les points de repère ne font pas absolument défaut. Quelques-unes de nos pièces portent assez clairement l’empreinte de leur temps ; d’autres en seront rapprochées par l’analogie de leurs doctrines. Il est raisonnable de placer au début l’apocalypse qui semble se souder le mieux à l’ancienne littérature prophétique sur les derniers temps. Puis de nouvelles conceptions se font jour, et l’on se préoccupe davantage du monde de l’au-delà. La pensée de concilier ces éléments épars n’a pu venir que très tard, lorsque les illusions particulières avaient eu le temps de se produire et aussi d’être déçues. Le voyant est alors moins suggestionné par les circonstances ; il embrasse d’un regard toutes les données de la question, et il s’efforce de grouper les diverses réponses dans une synthèse.

On essaiera donc d’établir une évolution historique dont les étapes principales paraissent bien marquées, pourvu qu’on prenne son parti de certaines marches parallèles. Pour plus de clarté, on assignera une rubrique à chacune de ces solutions, en indiquant les apocalypses ou les fragments qui s’y rattachent. Il y a dans l’ensemble un double courant, celui de l’eschatologie sans Messie et celui de l’eschatologie messianique, qui finissent par se confondre. Dans chaque série on passe de conceptions temporelles à des conceptions toujours plus transcendantes. C’est ainsi que l’eschatologie non messianique sera d’abord simplement cosmique pour devenir plus spirituelle, et que, de la même façon, et pour un moment, le messianisme historique deviendra transcendant.

L’eschatologie non messianique est antérieure à l’autre dans les apocalypses, mais elle poursuit ses destinées même après que déjà le messianisme y est apparu.

On aboutit au tableau suivant qui mêle l’ordre logique au développement de l’histoire :


A. — 1) Eschatologie cosmique temporelle sans Messie.

2) Eschatologie cosmique transcendante sans Messie.

B. — 1) Eschatologie messianique historique.

2) Eschatologie messianique transcendante.

C. — Eschatologie cosmique transcendante avec un Messie historique moins transcendant.

  1. Jüdische Eschatologie von Daniel bis Akiba, dargestellt von Paul Volz, Tübingen, 1903.
  2. Die messianisch-apokalyptischen Hoffnungen des Judenthums, von W. Baldensperger, 3e éd. complètement revue, Strassburg, 1903.
  3. Charles, The book of Enoch, translated from Professor Dillmann’s ethiopic text emended and revised in accordance with hitherto uncollated ethiopic MSS. and with the Gizeh and other greek and latin fragments which are here published in full, with introduction, notes, appendices and indices. Oxford, 1893. – Beer, Das Buch Henoch, traduit en allemand avec une introduction et des notes, dans Die Pseudepigraphen des alten Testaments, de Kautzsch, Tübingen, 1900. – Das Buch Henoch, dans l’édition de Berlin des auteurs grecs ecclésiastiques, texte grec édité par L. Radermacher ; traduction en allemand du texte éthiopien par Joh. Flemming, Leipzig, 1901. – Fr. Martin, Le livre d’Hénoch, traduit sur le texte éthiopien, Paris, 1906. – Charles, The ethiopic version of the book of Enoch edited from twenty-three MSS. together with the fragmentary greek and latin versions, Oxford, 1906.
  4. Le livre des secrets d’Hénoch ou le livre slave d’Hénoch, existe dans deux recensions, l’une plus longue (A) publiée par Popov en 1880 d’après un ms. écrit dans le dialecte du sud de la Russie, de 1679 ; l’autre (B) publiée par Novakovic en 1884, d’après un ms. serbe du xvie s. Traduction anglaise de Morfill, commentée par Charles en 1896 ; allemande, de Bonwetsch : Das slavische Henochbuch, Berlin, 1896. Dans ce dernier ouvrage qui nous sert de base, les deux recensions sont publiées intégralement ; pour la recension serbe, un ms. de Vienne, très semblable, a été consulté. Des fragments conservés dans des mss. slaves anciens sont pour l’ensemble conformes à B, qui est, selon nous, la recension la plus ancienne.
  5. Charles, The book of Jubilees or the little Genesis, London, 1902. Cet ouvrage écrit d’abord en hébreu a été traduit du grec, et c’est du grec que procède la version latine, qui comprend environ un tiers de l’ouvrage, et la version éthiopienne qui est complète, sauf peut-être des lacunes insignifiantes. Le texte latin a été publié par Mgr Ceriani, Monumenta sacra et profana, 1861, t. I, fasc. 1, p. 15-62 ; édité ensuite par Rönsch, das Buch der Jubiläen, Leipzig, 1874. Le texte éthiopien est conservé dans quatre manuscrits : a) à Paris, b) au British Museum, c) à Tübingen, d) dans la collection de M. d’Abbadie. L’édition de Dillmann en 1859 est fondée sur c, d. Celle de Charles en 1895 sur les quatre mss. Traduction anglaise citée de Charles, allemande de Littmann dans les Apocryphes de Kautzsch, 1900. Il existe aussi un fragment syriaque (Ceriani, Mon. sac., 1861, II, fac. 1, p. 9-10) contenant les noms des femmes des patriarches, mais l’existence d’une version totale n’est pas prouvée.
  6. Die Oracula sibyllina, bearbeitet im Auftrage der Kirchenväter Commission… von Dr. Joh. Geffcken, Leipzig, 1902. – Geffcken, Komposition und Entstehungszeit der Oracula sibyllina ; cf. Bousset, dans Zeitschrift für die neut. Wissenschaft, 1902, p. 23 ss. ; Schürer, Theol. Literaturzeitung, 1903, p. 629 ss., RB., 1904, p. 627 ss. Il faut toujours consulter Alexandre, Oracula sibyllina, volumen alterum (contenant les excursus), Paris, 1856.
  7. Sur l’Assumptio Mosis, cf. RB., 1905, p. 481-486.
  8. Les Testaments des douze Patriarches existent en grec. Des mss. existants quatre sont utilisés dans Sinker, Testamenta XII Patriarcharum, ad fidem codicis Cantabrigiensis edita, accedunt lectiones cod. Oxoniensis, Cambridge, 1869 ; et Appendix containing a collection of the Roman and Pathmos mss. and bibliographical notes, Cambridge, 1879. – Il existe une recension arménienne plus courte dont les variantes ont été signalées par M. Conybeare, Jewish Quarterly Review, 1893, p. 375-398 ; 1896, p. 260-268 et 471-485. Un testament de Nephtali existe en hébreu dans la Chronique de Jerachmeël ; cf. Apocryphen de Kautzschn II, p. 458 ss. L’ouvrage capital est maintenant celui de M. Charles, The greek versions of the testaments of the twelve Patriarchs edited from nine mss. together with the variants of the armenian and slavonic versions and some hebrew fragments by R. H. Charles, Oxford, Clarendon Press, 1908 et The testaments of the twelve Patriarchs, translated from the editor’s greek text, and edited, with introduction, notes and indices, by R. H. Charles, London, Black, 1908.
  9. Sur Esdras, cf. RB., 1905, p. 486-501. Le texte latin est cité d’après Bensly, The fourth book of Ezra, Cambridge, 1895. – Cf. Léon Vaganay, Le problème eschatologique dans le IVe livre d’Esdras, Paris, 1906.
  10. Sur l’Apocalypse de Baruch, cf. RB., 1905, p. 501-511. Nous la citons en latin d’après la traduction sur le syriaque de Fritzsche, Libri apocryphi veteris testamenti… Lipsiae, 1871.
  11. Sur l’Apocalypse d’Abraham, cf. RB., 1905, p. 511-514.
  12. Surtout dans IV Esdras qui est vraiment à part.
  13. Is. xxviii.
  14. Is. xxii, 15-25.
  15. Is. vii ss.
  16. Is. xx.
  17. I Mac. xiv, 41.
  18. Zach. xiii, 2 ss.
  19. Is. vi.
  20. Jér. i, 11.
  21. Jér. i, 13.
  22. Amos, vii, 7.
  23. Zach. i, 8 ss.
  24. On entend assez l’imperfection littéraire de ce procédé ; le vrai poète emploie des images, non des comparaisons, à moins que la comparaison ne soit un petit tableau en elle-même.
  25. Is. x, 15.
  26. Apoc. Baruch, vii, 1 : Et post haec audivi angelum dicentem angelis qui tenebant lampades : diruite ergo et subvertite muros eius usque ad fundamenta, ne glorientur hostes et dicant : nos subvertimus murum Sion, et incendimus locum Dei fortis.
  27. Hénoch éth. xlviii, 3 ; xlviii, 3 ; lxi, 1.
  28. Uriel montre à Hénoch ceux qui guident les étoiles (Hén. lxxx, 1).
  29. Épître de Barnabé, vi, 13 : Λέγει δὲ κύριος· Ἰδοὺ ποιῶ τὰ ἔσχατα ὡς τὰ πρῶτα. On ignore à quoi se réfère l’auteur. Ce qui ressemble le plus à ce dicton est le mot cité par Hésychius : τοῦτο πύθιον· τοῦτο πρῶτον καὶ ἔσχατον.
  30. Is. xi, 6-10.
  31. La prise de Jérusalem ayant eu lieu une première fois sous Nabuchodonosor, les auteurs pouvaient faire allusion à la ruine sous Titus sans renoncer à la pseudonymie.
  32. IV Esdras, xiv, 45 ss. Esdras réécrit tous les livres sous l’inspiration divine ; les premiers, connus de tous comme canoniques, sont livrés au public, les autres réservés : priora quae scripsisti in palam pone, et legant digni et indigni ; Novissimos autem LXX conservabis, ut tradas eos sapientibus de populo tuo : In his enim est vena intellectus et sapientiae fons et scientiae flumen. Les apocryphes sont donc supérieurs aux canoniques !
  33. Hénoch slave, texte A, xxxv, 3.
  34. lxxii-lxxxii.
  35. Le livre d’Hénoch, p. xxiv.
  36. Hipparque a fait ses observations de 161 à 120 av. J.-C. Le livre astronomique d’Hénoch est probablement antérieur à 135.
  37. C’est ce que M. Martin a très bien reconnu : « Le Livre d’Hénoch tout entier témoigne d’une profonde connaissance de l’Ancien Testament. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la table des textes qui termine ce volume, pour comprendre à quel point ses auteurs se sont inspirés de toutes ses parties, depuis les premiers chapitres de la Genèse jusqu’aux derniers prophètes et aux livres sapientiaux, et surtout d’Isaïe et de Daniel » (Le livre d’Hénoch, p. c. M. Auguste Sabatier n’a pas exagéré en écrivant que « l’apocalypse est à la prophétie ce que la Michna est à la Thora ». Il a dit aussi très justement:« C’est l’idée abstraite qui toujours crée l’image. Celle-ci n’est grotesque qu’au point de vue de l’art plastique. Jugée du point de vue rationnel où elle a été composée, elle est ingénieuse comme une allégorie soutenue. Vous vous croyiez emportés dans le domaine de la poésie féerique ; vous n’êtes que dans celui de l’abstraction historique. » (L’apocalypse juive et la philosophie de l’histoire, dans la Revue des ét. juives, t. XL, p. lxv-lxxxvi).
  38. Is. xiii, 9-10. Traduction Condamin.
  39. Is. xxxiv, 4-6. Traduction Condamin.
  40. Jér. v, 23, 24.
  41. Ez. xxxii, 7-8.
  42. Joël, ii, 10. Traduction van Hoonacker.
  43. Odyssée, xx, 355 ss.

    εἰδώλων δὲ πλέον πρόθυρον, πλείη δὲ καὶ αὐλὴ
    ἱεμένων Ἔρεϐόσδε ὑπὸ ζόϕον· ἠέλιος δὲ
    οὐρανοῦ ἐξαπόλωλε, κακὴ δʹ ἐπιδέδρομεν ἀχλύς.

  44. Nuées, 581 ss.
  45. Ant. XIV, xii, 3.
  46. Nouvelles archives des missions…, t. XIV, fasc. III. Rapport sur les inscriptions hébraïques de l’Espagne, par M. Moïse Schwab, p. 258.
  47. Même endroit, p. 300.
  48. On lit dans un roman de M. Éd. Rod, auteur dont les descriptions sont assez sobres et à propos d’un chagrin d’amour : « Valentin se mit à trembler de tous ses membres : le monde s’arrêtait, le soleil s’éteignit » (Revue des Deux-Mondes, août 1895, p. 490).
  49. Die messianisch-apokalyptischen Hoffnungen des Judenthums, 3e éd., p. 173.
  50. Is. xl, 15 ss.
  51. Job, xxvi.
  52. Gen. xviii, 22-33.
  53. Ex. xxxiv, 6.
  54. I Rois, xix, 9 ss.
  55. Hénoch éth. xiv, 7.
  56. Cette expression si fréquente ici (104 fois d’après M. Charles) se trouve encore II Macch. iii, 23-24. C’est tout ce qu’on cite d’ordinaire. Il faut cependant ajouter une inscription du premier siècle après J.-C. : ἐπικαλοῦμαι καὶ ἀξιῶ τὸν | Θεὸν ὕψιστον, τὸν κύριον τῶν πνευμάτων | καὶ πάσης σαρκός (Dittenberger, Sylloge, n° 816).
  57. M. Löhr a réagi avec raison contre un préjugé trop répandu, dans sa petite brochure : Sozialismus und Individualismus im Alten Testament ; Giessen, 1906.
  58. Charles, A critical history of the doctrine of a Future Life, p. 51-81.
  59. Jér. xxxi, 31-34.
  60. Ez. xviii, 3 s.
  61. Ps. lxxiii, 23 s. ; cf. RB., 1905, p. 195.
  62. Hén. i, 8 : καὶ ἔσονται πάντες τοῦ Θεοῦ. Encore, d’après le contexte, s’agit-il d’être sous la providence et la lumière de Dieu, plutôt que d’être uni à lui. Cf. dans Hén. xxxviii, 4 ; xlv, 4 ; lviii, 6, au livre des Paraboles.
  63. Sap. v, 15.
  64. Septimus ordo… festinant enim videre vultum eius cui serviunt viventes et a quo incipiunt gloriosi mercedem recipere (IV Esdras, vii, 98).
  65. Videbunt enim mundum qui invisibilis est eis nunc, et videbunt tempus quod nunc occultatum est ab eis… in excelsis enim illius mundi habitabunt, et assimilabuntur angelis, et aequabuntur stellis, et erunt transmutati in omnem formam quam voluerint, etc. (Apoc. Baruch, li, 8 ss.).
  66. Hén éth. xxxviii, 5.
  67. Hén éth. xlviii, 9 ; cf. xci, 12 ; les pécheurs seront livrés aux mains des justes.
  68. Apoc. d’Abraham, xxix ; xxxii.
  69. vii, 93.