Le Midi — Madame Louise Colet

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Le Midi, année 4, n° 72, 14 mars 1876 (extrait) (p. 2-4).

MADAME LOUISE COLET.


Le télégraphe nous a apporté ces jours derniers la nouvelle de la mort de Mme Louise Colet. Cette femme de lettres appartenait par sa naissance à notre région. Elle a été de plus une des figures curieuses de notre époque. À tous ces titres nous devons en entretenir nos lecteurs :

Louise Révoil (c’est son nom de famille) naquit à Aix, en Provence, en 1810. Son père, directeur des postes dans cette ville, avait épousé Mlle Le Blanc de Servannes, qui lui avait apporté en dot le château de Servannes, situé dans la commune de Mouriès (Bouches-du-Rhône). M. Antoine Révoil, père de Mme Colet, avait eu l’occasion, dans le village d’Orgon, de sauver la vie à Napoléon I, qui allait être massacré par la population du pays.

Ceci se passait en 1814, lors du départ pour l’île d’Elbe. L’émeute avait été soulevée par une pauvre mère qui avait perdu ses deux fils dans la déroute de Moscou, et voulait assassiner l’empereur, cause de tous ses désastres.

Un des aïeux de Mme Colet était le chevalier de Révoil, qui fut le premier ministre des finances sous Louis XIII, et son arrière-grand-père avait présidé le Parlement de Provence en 1780.

Louise Révoil épousa, à l’âge de dix-huit ans, Hippolyte Colet, fils d’un vétérinaire de Nimes, et lui-même professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris, très-connu par un traité d’harmonie qui passe pour très-remarquable. En 1836, Mme Colet vint à Paris, où elle allait trouver un milieu favorable à l’épanouissement de son talent. Dès ce moment, les opinions politiques de Mme Colet se transformèrent : légitimiste de naissance, elle changea subitement de convictions et devint un des partisans les plus fervents de la République, imitant en cela G. Sand et Daniel Stern.

Préparée à la littérature par de fortes études, encouragée par d’illustres protections, Mme Colet se livra, dès 1836, au travail le plus assidu. Douée d’une imagination brillante, d’un vif sentiment de la nature et des arts, Mme Colet était naturellement destinée à remporter à quatre reprises, 1839, 1843, 1852, 1855, les palmes académiques.

Quelques défauts qu’on puisse signaler dans ces petits poèmes couronnés, on ne peut s’empêcher de trouver injustes et violentes les amères critiques d’Alphonse Karr, qui, à plusieurs reprises et jusqu’en ces dernières années, s’est acharné contre Mme Colet. On se demanderait même quelle peut être la cause de ces persécutions et de cette haine, si l’on ne savait que M. Karr a encore plus de fiel que de verve et plus de malice que d’esprit.

Nous n’entrerons pas dans le détail de tous les ouvrages de Mme Colet ; énumérons seulement les principaux, car cet écrivain a tout tenté et exploré tous les genres. Tantôt c’est le roman, le récit de voyage, l’autobiographie, qui l’attirent ; tantôt c’est le livre politique ou bien le drame.

Le poème couronné de 1839 n’avait pas été le début de Mme Colet dans la littérature ; dès 1836, elle avait publié un ouvrage de fantaisie, les Fleurs du Midi, qui la signala à l’attention du public dès son arrivée à Paris.

En 1840, elle compose les Funérailles de Napoléon, dont toutes les pages sont empreintes de cet esprit libéral du temps qui s’accommodait encore de la légende de Sainte-Hélène ; puis, ce sont des ouvrages d’une inspiration toute différente qui se succèdent : Penserosa, œuvre d’imagination, empreinte d’une douce mélancolie, précède le Marabout de Sidi-Brahim (1845).

Vers 1846, l’allure de la pensée change, la voix de l’écrivain prend un autre ton ; c’est le Réveil de la Pologne, sorte de petite épopée populaire et de cathéchisme libéral pour l’émancipation des peuples asservis.

En même temps, Mme Collet après plusieurs imitations de Shakespeare, écrivait pour la scène une œuvre originale, Charlotte Corday et Madame Roland.

Le succès ne devait pas en être assez heureux pour qu’elle persévérât dans la carrière dramatique : on ne saurait le regretter.

D’ailleurs le torrent des événements politiques allait attirer son attention et la tournure que prenaient les événements exciter son enthousiasme.

Elle accueillit, elle salua avec transport la révolution de 1848 qui ramena la liberté et rétablit dans leurs droits les neuf dixièmes des Français : ses ouvrages d’alors, la Premiêre journée de la République et surtout son Chant patriotique sont pleins d’un lyrisme enthousiaste et d’un vif sentiment de la fraternité.

Sous l’empire, le roman l’occupa tout entier. Citons, dans le genre de la fantaisie et de l’imagination, Folles et Saintes, livre qui fit grand bruit lors de son apparition ; les Derniers marquis (1867), satire piquante contre la noblesse, et les Derniers abbés, peinture des mœurs religieuses en Italie.

Parmi les romans historiques, la Jeunesse de Mirabeau, Madame du Châtelet et les Enfances célèbres. Tous ces volumes ont été plusieurs fois réimprimés, et leur succès du moment a été considérable. Notons aussi des récits de voyages en Hollande, aux Pyrénées, à Naples surtout, où Mme Colet a longtemps séjourné et a soulevé contre elle, lors du choléra, des haines qui ont failli lui coûter la vie. Mais cette partie des œuvres de l’auteur est véritablement la plus faible, celle où elle a le moins mis de son âme ; or, c’est l’accent personnel qui fait le principal, le seul mérite des ouvrages de Mme Collet.

N’oublions pas un livre singulier, bizarre, regrettable, Lui, 1859, où l’on trouve bien des révélations scandaleuses qui auraient dû rester secrètes.

Nous avons montré toute l’œuvre de Mme Colet ; car il est inutile de parler de quelques traductions faites pour des libraires plutôt que pour le public.

On voit que cet écrivain a abordé tous les genres, presque toujours avec succès ; c’était un esprit d’une fécondité merveilleuse et d’un goût assez juste ; je veux parler de ce goût populaire, franc, naturel qui distingue tout simplement le bon du mauvais, et non de ce goût plus raffiné, plus délicat, qui est le produit d’une culture plus parfaite et qu’on trouve par exemple, chez Mme d’Agoult. Dans Mme Collet, au contraire, ce qu’il y avait surtout, et on peut dire uniquement, c’est le bon sens et la verve.

Depuis quelques années, Mme Colet écrivait rarement ; nous nous souvenons pourtant, il y a six mois, d’avoir encore vu des lettres d’elle à l’Événement. Mais combien le style était devenu tourmenté et la pensée prétentieuse ! Mme Colet, autrefois si claire et si précise, en était arrivée à la déclamation et à la diffusion.

Celle dont Sainte-Beuve, excellent juge, vantait la simplicité et le bon goût, n’écrivait plus à la fin que d’un style faux et maniéré. Du reste, Mme Colet a été discutée toute sa vie ; jamais son talent ne s’est imposé à l’admiration. Si elle a eu autrefois beaucoup d’amis dévoués et enthousiastes, elle avait autant d’ennemis acharnés et convaincus. Les uns l’avaient porté trop haut, les autres l’avaient trop dénigré ; puis il s’est fait un grand silence, l’oubli est venu, et l’on a laissé Mme Colet mourir ignorée et abandonnée.

Aujourd’hui que l’on peut se prononcer impartialement sur le mérite de cette femme, en présence de sa tombe, après des années d’une triste ingratitude, on trouve, en somme, que ses partisans avaient encore plus raison que ses adversaires, et la postérité sera sans doute pour Sainte-Beuve contre Alphonse Karr.