Le Ministère des arts

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Le Ministère des arts
Revue des Deux Mondes3e période, tome 49 (p. 613-627).
LE
MINISTÈRE DES ARTS

Si la monarchie protège les arts, les républiques ne leur sont point ennemies. Sans remonter à la démocratie athénienne ni à l’oligarchie de Venise, on a l’exemple de la première république française. La révolution a ouvert le musée du Louvre, créé les quinze grands musées de province, introduit l’étude du dessin dans l’enseignement, décrété des concours et des expositions, fondé la quatrième classe de l’Institut, où les artistes retrouvèrent les honneurs et les avantages de l’ancienne Académie royale de peinture et de sculpture. De toutes les institutions de l’ancien régime, la révolution n’en a conservé qu’une seule : le prix de Rome. Le 25 novembre 1792, la convention, qui avait cependant à s’occuper de choses tout autrement sérieuses, plaçait l’école de Rome sous la direction de l’agent français près le saint-siège, et le 1er juillet 1793, Rome fermée, les élèves chassés, elle décrétait qu’une pension de 2,400 livres serait servie pendant cinq ans aux lauréats. C’était maintenir le principe de l’école de Rome malgré les événemens.

La troisième république, qui se pique d’être athénienne, a jusqu’à présent imité la première dans sa sollicitude pour les beaux-arts. Depuis 1872, les expositions, les commandes aux artistes, les acquisitions de tableaux et de statues ont été nombreuses. Les écoles spéciales de dessin de Paris et des départemens ont reçu des subventions. On a ouvert le Panthéon à la grande peinture. Le dessin a été rendu obligatoire dans les lycées et dans les écoles. On a commencé l’inventaire des richesses d’art de la France. Enfin, sans doute pour affirmer l’importance des choses de l’art dans notre pays, après avoir fait de l’ancienne direction des beaux-arts un sous-secrétariat d’état, on vient de créer un ministère spécial des arts.


I.

Le ministère des arts, tel qu’il a été constitué par le décret du 14 novembre 1881, comprend tous les services qui formaient l’ancien sous-secrétariat des beaux-arts : les écoles des beaux-arts, les musées, les expositions, les manufactures de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais, les commandes et les acquisitions, les monumens historiques, les théâtres. De plus, le nouveau ministère a dans ses attributions le service des bâtimens civils, dépendant jusqu’ici du ministère des travaux publics, le service des édifices diocésains, pris au ministère des cultes, le service de l’enseignement technique des arts et métiers, détaché du département de l’agriculture et du commerce, enfin la surveillance de l’enseignement du dessin dans les établissemens scolaires.

On ne saurait nier le nombre et l’importance des services du ministère des arts. On pourrait encore moins méconnaître sans injustice le sens pratique et l’esprit d’organisation dont témoigne le décret du 14 novembre, du moins dans la plupart de ses dispositifs. Presque tous les services que ce décret a rattachés au département des beaux-arts et qui y étaient absolument étrangers au point de vue administratif, auraient dû cependant en faire partie depuis longtemps. Les bâtimens civils dépendaient du ministère des travaux publics, en sorte que pour tous les musées nationaux, le Louvre, le Luxembourg, Versailles, le contenant appartenait aux travaux publics, le contenu aux beaux-arts. On s’imagine quelles difficultés de toutes sortes, quelles perpétuelles menaces de conflits, quelles chinoiseries administratives résultaient de ce dualisme. S’il y avait au Louvre une cheminée à ramoner, un carreau à remettre, il fallait s’adresser aux. travaux publics. Les conservateurs du musée voulaient-ils opérer quelque modification dans l’aménagement d’une salle on en ouvrir une nouvelle, l’avis conforme du ministère des travaux publics était nécessaire. A Versailles, les gardiens du château relevaient uniquement des travaux publics; quand on avait un tableau à déplacer, on devait faire venir des gardiens du Louvre. Faute d’un chauffage suffisant, les fresques du palais de Fontainebleau, ont été détériorées par l’humidité. L’administration des beaux-arts, dont l’autorité s’arrêtait au seuil des bâtimens civils, n’a pu qu’adresser des plaintes aux travaux publics. Les bâtimens civils ne comprenaient pas seulement les musées: il y a l’Institut, l’École des beaux-arts, le Panthéon, l’Elysée, Sèvres, les Gobelins, l’Arc-de-Triomphe, la colonne Vendôme, l’obélisque, les statues des squares et des places. Ces divers monumens n’appartiennent-ils pas de plein droit aux beaux-arts? Plusieurs bâtimens, il est vrai, n’ont aucun rapport avec les beaux-arts: tels les écoles vétérinaires, les dépôts d’étalons, le Muséum d’histoire naturelle, l’école de Grignon, la maison de Charenton, la cour de cassation. Devait-on pour cela scinder le service des bâtimens civils, donner aux beaux-arts l’entretien et la surveillance de tous les édifices ayant un caractère d’art déterminé et laisser aux travaux publics les bâtimens ayant seulement une destination pratique? C’était désorganiser ce service, en détruire l’unité de vues et d’action. D’ailleurs, on peut sans sophisme prétendre que toute construction est du ressort des beaux-arts, puisque c’est une œuvre d’architecture.

Pour les édifices diocésains, la raison voulait aussi que le service en fût transféré au département des beaux-arts. Avant le décret du 14 novembre, — c’est à n’y pas croire, — des cathédrales comme celles de Paris, de Reims, de Rouen, de Bayeux, bien que classées parmi les monumens historiques, ne relevaient, pour les travaux d’entretien et de réparation, ni de la surveillance ni du contrôle de la commission des monumens historiques. Il n’y a qu’à regretter que le décret n’ait pas affecté aux beaux-arts, avec les édifices diocésains, les édifices paroissiaux, dont un grand nombre sont des monumens historiques. L’enseignement obligatoire du dessin, créé par M. Bardoux dans tous les établissemens scolaires, dépendait, professeurs et inspecteurs, du ministère de l’instruction publique. Le décret du 14 novembre laisse au grand-maître de l’Université la nomination des professeurs, tout en attribuant au ministre des arts la surveillance et l’inspection de l’enseignement. Il semble d’abord qu’on aurait pu donner au département des arts l’enseignement entier du dessin. Mais on conçoit aisément les considérations de discipline intérieure qui s’y sont opposées. Des difficultés, des froissemens étaient à redouter entre des professeurs nommés par un ministre et placés sous l’autorité immédiate de fonctionnaires supérieurs nommés par un autre ministre.

La partie du décret du 14 novembre qui paraît le moins inattaquable est l’attribution au ministre des arts de l’enseignement technique dépendant jusqu’ici du ministère de l’agriculture et du commerce et comprenant le Conservatoire et les écoles d’arts et métiers, les comités des arts et manufactures. Que les écoles et manufactures d’art industriel et d’art décoratif soient rattachées au département des arts, cela est fort logique. Mais quels rapports secrets existent entre l’art et la mécanique, la filature, le tissage, la chaudronnerie, la construction des machines, la chimie agricole, la tenue des livres? quelle compétence auront les inspecteurs des beaux-ans pour juger l’enseignement donné à l’École d’horlogerie de Cluses ou à l’École de tissage de Lille? Voilà des innovations sans motif, voilà où commence le bouleversement. L’art n’est pour rien dans un métier à tisser, attendu que celui qui l’a fait ne s’est nullement inquiété de sa forme plastique. Où il n’y a pas souci de la forme, il n’y a pas art.

A la réserve de l’attribution des arts et métiers au ministère des arts, l’esprit du décret du lu novembre mérite l’approbation générale. Réunir sous la même autorité les divers services des beaux-arts, jusqu’ici disséminés, en unifier et en simplifier l’administration, la faire agir d’après une vue d’ensemble, donner ainsi à tous ses actes la précision et l’harmonie, il n’y a là qu’à louer. Toutefois le décret gagnerait peut-être à la suppression de cette phrase : « Il est créé un ministère des arts. »

Nous nous expliquons. Approuver pleinement la réunion sous un même chef de tous les services regardant les beaux-arts n’implique point que l’on regarde comme une nécessité l’existence d’un ministère des arts. Que le décret eût porté «direction » au lieu de « ministère,» et nous pensons que les intérêts de l’art et les intérêts de l’état n’en eussent été que mieux sauvegardés. Voici pourquoi. D’une part, un ministère entraîne de très grosses dépenses qu’on évite avec une simple direction. On doit loger le ministre, et le loger bien. Il faut au ministre un secrétaire-général, un secrétaire particulier, un chef de cabinet, un sous-chef de cabinet et quelques attachés au cabinet qu’on pourvoira de places au départ du ministre. Souvent même on adjoint au ministre un sous-secrétaire d’état qui a, lui aussi, un chef et un sous-chef de cabinet. Avec un ministre, les divisions deviennent des directions et les bureaux des divisions. Les chefs, les sous-chefs et les employés croissent à proportion. C’est miracle que cette multiplication des fonctionnaires. Sous l’empire, l’administration des beaux-arts comptait deux bureaux. Cette administration en avait sept hier avec un sous-secrétaire d’état. Combien en aura-t-elle demain avec un ministre? D’ailleurs, la question n’a pas grande importance puisque ce n’est qu’une question d’argent. Or, qu’importent au budget des dépenses-ministérielles les cinq cent ou sept cent mille francs que doit coûter la transformation du sous-secrétariat des beaux-arts en ministère des arts?

C’est donc moins pour quelques misérables centaines de mille francs, — la France est assez riche pour se donner le luxe d’un ministère de plus, — que pour une autre cause qu’on doit regretter la création d’un ministère des arts. En voici le danger. Un ministère des arts sera nécessairement confié à un homme politique, au lieu qu’une direction des arts eût été nécessairement confiée à un homme compétent. En effet, depuis la révolution de février, quels sont les hommes qui se sont succédé à la direction ou à la surintendance des beaux-arts? M. Charles Blanc, M. le comte de Nieuwerkerke, encore M. Charles Blanc, puis M. de Chennevières et M. Eugène Guillaume, tous artistes ou écrivains ne s’étant jamais occupés de politique et s’étant toujours occupés d’art. Voyons au contraire les ministres ou les sous-secrétaires des arts : MM. Maurice Richard, Turquet et Antonin Proust, tous députés, tous hommes politiques, tous hommes d’état, c’est-à-dire ayant l’omniscience, possédant toutes les aptitudes et aussi capables assurément d’être ministres de l’instruction publique, de l’agriculture ou des affaires étrangères que ministres des arts. — Au reste, ces défiances bien fondées disparaîtraient devant certains titulaires du ministère des arts. Tant valent les hommes, tant valent les institutions. Il n’est pas impossible de trouver des députés qui feraient de bons ministres des arts. Dans l’ancienne assemblée nationale, il y avait M. Vitet, M. Beulé. (Malheureusement M. Beulé a préféré être ministre de l’intérieur.) Aujourd’hui, à défaut d’un Vitet ou d’un Beulé, un homme ayant seulement le sentiment de l’art et sachant prendre souvent conseil de ses chefs de service pourrait faire du ministère des arts une création utile et féconde.


II.

Dès les premiers jours, quelques esprits chagrins ont déclaré que le ministère des arts est une institution d’inutilité publique. Piqué au jeu, le nouveau ministre a voulu prouver bien vite qu’il a été nommé pour faire quelque chose. — Je m’agite, donc je suis. — L’intention est louable, mais M. le ministre des arts n’a pas assez écouté les conseils de la sagesse des nations qui commande de se hâter lentement. A peine installé, à peine renseigné, ne s’est-il pas avisé, tout en préparant une demande de crédit de plusieurs millions pour l’agrandissement de l’École des beaux-arts, d’élaborer un projet de réforme qui réduit à rien ladite École? Pour confondre ses détracteurs de parti-pris qui demandent ce que les artistes peuvent gagner à la nomination d’un ministre spécial, M. le ministre des arts supprime l’enseignement des beaux-arts.

L’enseignement donné aujourd’hui à l’École des beaux-arts comprend l’enseignement théorique général : cours d’histoire, d’esthétique, d’anatomie, d’histoire de l’art, de perspective, de comptabilité d’architecture; l’enseignement pratique élémentaire: cours de dessin et de modelage; enfin renseignement pratique supérieur, que les jeunes artistes reçoivent dans neuf ateliers : trois pour la peinture, dirigés par MM. Cabanel, Gérôme et Lehmann[1] ; trois pour la sculpture, dirigés par MM. Cavelier, Dumont et J. Thomas; trois pour l’architecture, dirigés par MM. André, Guadet et Ginain. Ces neuf ateliers, qui sont absolument gratuits, ont chaque année de 1,000 à 1,400 élèves[2] et ne coûtent à l’état que 44,000 francs. La somme est minime, surtout si l’on songe que ces ateliers constituent le seul enseignement pratique ouvert par l’état aux peintres, aux statuaires et aux architectes. L’institution est bonne, puisque c’est de ces ateliers qu’est sortie l’élite des jeunes peintres contemporains. Mais M. le ministre des arts ne pense pas comme tout le monde. Il estime que ces 44,000 francs sont mal employés, que ces ateliers n’ont aucune utilité. Loin d’être utiles, ils sont nuisibles, — nuisibles aux professeurs comme aux élèves, à qui ils font également perdre leur temps, nuisibles à l’art, dont ils entravent la liberté. Le ministre entend supprimer les ateliers. Déjà il a réuni le conseil supérieur de l’École, lui a exposé très confusément ses projets et l’a fait voter. Onze voix contre neuf ont donné raison à l’opinion ministérielle. Cette majorité de une voix enlevée par un ministre ne rappellerait-elle pas le refrain de la chanson des Deux Gendarmes, si l’on ne savait que presque tous les membres du conseil qui ont paru approuver le ministre veulent non la suppression des ateliers, mais leur réorganisation sous les mêmes professeurs[3]?

En attendant mieux ou pire, voilà les ateliers condamnés, ce qui équivaut à la suppression de l’enseignement des beaux-arts. En effet, avec sa bibliothèque, ses collections, ses cours d’esthétique et d’histoire de l’art, l’École des beaux-arts devient une succursale de la Bibliothèque nationale, une dépendance du Louvre, une annexe du Collège de France: elle cesse d’être une école des beaux-arts.

A la vérité, M. le ministre des arts, qui ne sait pas très bien ce qu’il veut, se défend de vouloir supprimer à l’école l’enseignement pratique. Tantôt il déclare qu’il maintiendra seulement les cours élémentaires, mais tantôt il prétend créer des ateliers sur des bases toutes nouvelles. Au lieu de diminuer l’enseignement pratique supérieur, il l’agrandira. Les élèves ne trouvaient dans chaque atelier qu’un seul professeur, partisan de la doctrine académique, imbu d’idées étroites et exclusives. Ils y trouveront désormais un roulement de dix ou douze professeurs choisis entre les artistes les plus dissemblables par la manière, la méthode, les idées esthétiques. Un mois, ce sera M. Carolus Duran qui dirigera les élèves, un autre, ce sera M. Puvis de Chavannes; d’après le tour de roulement, à M. Cabanel succédera M. Manet. Ainsi l’école sera en rapport avec les aspirations de l’art nouveau. Ainsi sera aboli l’enseignement dit officiel. Ainsi sera créée l’indépendance de l’enseignement de l’art. De même que l’état ne reconnaît aucune religion d’état, de même, il ne reconnaît aucune esthétique d’état et il n’impose aucun enseignement esthétique.

Ce principe, fort discutable dans la théorie, est inapplicable dans la pratique. Que divers maîtres enseignent à la fois diverses choses à un même élève, cela est fort bien. Mais que divers maîtres enseignent à la fois une même chose à un même élève, cela est détestable. C’est l’enseignement par morceaux, l’enseignement en mosaïque. Quels résultats en obtenir? La tâche est rendue impossible aux professeurs. Ne faut-il pas, pour que ses leçons soient fécondes, que le maître connaisse l’élève, le suive d’un bout à l’autre de l’année, pénètre ses dispositions, le conduise par des exercices gradués vers le but que lui indiquent les aptitudes qu’il a découvertes? Or un professeur qui ne verra un élève qu’un mois dans une année ne pourra pas être à la hauteur de sa mission. D’autre part, les élèves se trouveront fort empêchés. Pour l’étude du modèle vivant, pour la composition, un maître donnera tel conseil, indiquera telle correction qu’un autre maître jugera inutiles ou nuisibles. Celui-ci verra une qualité où celui-là verra un défaut. Dès lors, quel professeur l’élève écoutera-t-il, à quel maître se vouera-t-il? L’indépendance de l’art, idée juste peut-être au point de vue des récompenses que décerne l’état aux artistes, est une idée absolument fausse au point de vue de l’enseignement. Décréter ici l’indépendance, c’est décréter le chaos. Que feront les élèves en présence de ce chaos? Ils déserteront l’école ou du moins ils n’y viendront plus que de temps en temps, non comme en un atelier, mais comme en un centre d’art, et tous entreront dans des ateliers libres, puisque, en résumé, il leur faudra bien apprendre leur métier. Les ateliers officiels ne coûtaient rien aux élèves. L’atelier libre coûtera à chacun une cotisation de 300 à 500 francs par an. Ainsi le premier acte du ministère des arts aura été la suppression de la gratuité de l’enseignement des arts.

Les anciens ateliers sont-ils donc si condamnables? Ils sont cependant défendus par les anciens et les nouveaux élèves, par le plus grand nombre des artistes et des critiques d’art, enfin par l’éloquence des faits. C’est dans ces ateliers, qui n’ont pas l’heureuse fortune de plaire à M. le ministre des arts, que se sont formés les jeunes peintres aujourd’hui les plus remarqués aux expositions. Du seul atelier de M. Cabanel sont sortis Henri Regnault et MM. Humbert, Benjamin Constant, Morot, Comerre, Gervex, Cot, Bastien-Lepage, Henri Lévy, Thirion, Sylvestre, Blanchard. Depuis quinze ans, il y a eu dans cet atelier neuf grands prix de Rome, quinze seconds prix, et tous les prix du Salon décernés jusqu’à ce jour. Le ministre est mal fondé à parler des tendances académiques et de l’esprit exclusif de cet enseignement. Il nous paraît qu’un maître qui forme des peintres de talens aussi différens que MM. Cot et Benjamin Constant, Thirion et Gervex ne saurait sans étonnement entendre accuser ses leçons de tendances étroites et d’exclusivisme. Pense-t-on donc en haut lieu qu’un roulement de professeurs donnera à la France un plus grand peintre que Henri Regnault et à l’art indépendant un peintre moins académique que M. Bastien-Lepage? Dans les autres ateliers de l’Ecole, l’exclusivisme et l’influence tyrannique du maître règnent tout juste comme dans celui de M. Cabanel. Voyez plutôt : M. Lecomte du Nouy, un néo-grec, sort de l’atelier de M. Gérôme. C’est dans l’ordre. Soit; mais M. Roll, qui prend pour sujets l’inondation de Toulouse et les grèves des mineurs et qui peint des toiles immenses à grands coups de brosse, est aussi élève de M. Gérôme. Les artistes ne perdent dans les ateliers de l’École ni leurs aptitudes ni leur originalité. Suivant leur goût ou leur tempérament, les uns restent fidèles à la tradition tandis que les autres s’en écartent avec la plus complète indépendance.

M. le ministre des arts a déclaré en plein sénat qu’il voulait « indépendantiser » l’art. — A entendre d’aussi étranges vocables, on penserait que M. le ministre des arts veut aussi « indépendantiser » la langue française. — La liberté de l’art ! voici la grosse question que soulève la fermeture des ateliers, voici ce qui donne à cette mesure une très grande importance. Admettons pour un instant ce principe que l’état doit se désintéresser de l’enseignement de l’art comme de l’enseignement religieux. Regardons comme juste cette doctrine que, toutes les manifestations de l’art ayant également droit à la protection de l’état, l’état doit, en conséquence, faciliter aux artistes opposés à toute tradition un enseignement analogue à leurs idées. Pourquoi alors se borner à la réforme de l’enseignement de la peinture et de la sculpture? Pourquoi ne pas appliquer ces principes de liberté à toutes les branches de l’enseignement, à tous les établissemens payés ou subventionnés par l’état? Supprimez les inspecteurs de l’enseignement du dessin ; qu’on enseigne à dessiner d’après les principes de M. Ingres ou d’après ceux de M. Manet, l’état n’a rien à y voir. Donnez les manufactures de Sèvres et des Gobelins, qui sont une grosse charge pour le budget (1 million), à des compagnies industrielles, car les vases de Sèvres et les tapisseries des Gobelins sont de l’art officiel au premier chef, — et souvent quel art! du moins pour Sèvres. De quel droit mettre dans le cahier des charges de la Comédie-Française et de l’Odéon que ces théâtres devront jouer chaque année l’ancien répertoire un certain nombre de fois? C’est imposer au public une littérature d’état. Des réformes sont aussi commandées dans l’enseignement supérieur des lettres. Il convient de donner une chaire de littérature au Collège de France à M. Jules Vallès. C’est un homme de beaucoup de talent, il a déclaré que le Misanthrope l’ennuie et que Homère est bon à mettre aux Quinze-Vingts[4]. Cela importe peu. C’est une opinion littéraire, et l’état, qui a des idées larges en art et en littérature, se reconnaît le devoir d’aider toutes les opinions à se produire, bien que n’en patronnant aucune. Le Conservatoire de musique et de déclamation réclame aussi son indépendance. Des professeurs comme MM. Ambroise Thomas et Massenet sont les représentans de l’art officiel, de l’art qui ouvre à ses adeptes l’entrée de la villa Médicis et plus tard celle de l’Institut. De même, pour les professeurs de déclamation. MM. Got, Delaunay, Régnier, enseignent aussi le grand art, acte attentatoire à la liberté de l’art dramatique. En vertu de quel principe le gouvernement s’arrogerait-il le droit d’imposer un enseignement d’état aux compositeurs et aux comédiens quand il ne se reconnaît pas celui d’imposer cet enseignement aux peintres et aux statuaires? Il faut donc supprimer les cours du Conservatoire comme on a supprimé les ateliers de l’École des beaux-arts et les réorganiser suivant des idées moins exclusives. Il y aura dans la classe de composition lyrique un roulement entre MM. Victor Massé, Lecocq et Hervé, et dans la classe de déclamation un roulement entre MM. Delaunay, Brasseur et Lassouche. Ainsi seulement on établira dans tout l’enseignement des arts cette indépendance qui tient si fort au cœur de M. le ministre des arts.


III.

Agréablement surpris par la suppression des ateliers de l’École, les partisans de la liberté dans l’art, qui ont de la logique demandent que l’on supprime du même coup l’Académie de France à Rome. Nous ne savons si M. le ministre des arts a, par quelques paroles, provoqué cette discussion passionnée sur l’École de Rome; mais étant données ses préférences en art, ses déclarations aux Chambres, ses récentes acquisitions pour le Louvre et ses mesures projetées à l’égard de l’École des beaux-arts, il n’y aurait là rien qui pût étonner.

Au XIXe siècle, il a toujours été de mode d’attaquer l’École de Rome. Depuis Géricault, qui, bien qu’il eût écrit de Rome « qu’on doit faire de meilleures choses quand on se trouve au milieu de cette quantité de chefs-d’œuvre[5], » appelait l’Académie de Rome « une cuisine bourgeoise qui engraisse le corps et anéantit l’âme, «jusqu’à ce spirituel publiciste qui déclarait hier que la villa Médicis est « une antique maison de fausse éducation!) et le prix de Rome « une chose fastidieuse et surannée, funeste à l’avenir de l’art français, » il n’est pas d’attaques de railleries, de critiques, que n’ait eues à subir l’École de Rome. Cette école ne sert à rien, n’a rien produit, fait perdre leur temps aux artistes, les engourdit, détruit leur originalité, leur donne des idées fausses, ne forme que des hommes médiocres. Nous ne parlons que pour mémoire des gens qui écrivent fort sérieusement, avec la plus belle ingénuité du monde : Il n’y avait pas d’Académie de France à Rome en ce XVIe siècle où Jean Goujon et Germain Pilon faisaient des chefs-d’œuvre. — Autant dire tout de suite : Il n’y avait pas d’Académie d’Athènes à Rome au temps de Périclès. — Le raisonnement est admirable! Parce que l’École de Rome n’existait pas à des époques où il était impossible qu’elle existât, il faut fermer la villa Médicis.

Cette École de Rome qu’on décrie tant a cependant ceci pour elle. Attaquée par ceux qui n’y ont pas été et qui, en conséquence, la connaissent peu ou mal, elle est défendue par ceux qui y ont été et qui, en conséquence, la connaissent bien. Tous les anciens élèves de la villa Médicis, aussi bien les peintres perdus dans la foule des médiocrités que les maîtres qui ont inscrit leur nom au livre d’or de l’art français, sont partisans de l’École. Ils reconnaissent le charme sévère et pénétrant de Rome, l’influence heureuse des leçons prises chaque jour dans l’étude recueillie des maîtres, les bienfaits de cette demi-retraite si favorable an travail sérieux et à la conception des grandes œuvres, les avantages de cette existence en communion d’idées et de travaux avec des compagnons qu’on retrouvera dans le rude chemin de la vie. Il en est pour cela de l’École de Rome comme de l’Ecole normale. Les anciens normaliens, même ceux qui ont jeté la toque universitaire par-dessus le tonneau des Danaïdes du journalisme, se rappellent avec plaisir leurs années d’école.

A lu villa Médicis, dit-on, l’artiste se trouve banni de ce grand centre de production qui est Paris; il vit avec les morts, il est en dehors du mouvement de l’art. Or Paris n’est-il pas aussi un centre de plaisirs faciles où l’artiste peut perdre le goût et l’habitude du travail? Paris n’est-il pas le foyer même des tentations de toute sorte auxquelles le peintre risque de sacrifier ses plus hautes ambitions et les principes du grand art? La vie avec Raphaël et avec Michel-Ange ne vaut-elle pas, pour élever l’esprit, la vie des cercles ou des brasseries? Ce prétendu mouvement de l’art n’est-il pas le plus souvent qu’une mode passagère qu’il est salutaire d’ignorer? L’enseignement de l’École de Rome, dit-on encore, est exclusif et suranné. Il ne forme que des médiocrités, des « forts en thème » et des artistes tous coulés dans le même moule. On est étonné d’apprendre que Flandrin et Baudry sont des médiocrités. On ignore pourquoi Henri Regnault est considéré comme un « fort en thème. » On se demande si vraiment Rude, Pradier, Jouffroy et Simart sont des sculpteurs coulés dans le même moule. Un autre grief énoncé contre l’École de Rome est qu’elle a été en dehors de tout le mouvement d’art du XIXe siècle. Cela dépend de quel mouvement on entend parler. Si c’est du mouvement impressionniste, nous n’y contredisons pas. Comme suprême argument, on invoque tous les artistes de ce temps qui n’ont pas passé par Rome : Géricault, Eugène Delacroix, Auber, Diaz, Ary Scheffer, Clésinger, Paul Dubois, Meissonnier, Courbet, Carolus Duran, Viollet-le-Duc, Puvis de Chavannes, Vollon, Bonnat; mais on oublie de citer ceux qui sont sortis de l’École. L’Académie de France a eu cependant pour élèves Ingres, Flandrin, Rude, Pradier, David (d’Angers), Gérôme, Cabanel, Baudry, Hébert, Chapu, Baltard, Lefuel, Duc, Charles Garnier, Henri Regnault, Carpeaux, Antonin Mercié, Henner, Herold, Halévy, Berlioz et Gounod. Il nous paraît qu’une école d’où sont sortis ces hommes-là n’a pas démérité. Il nous semble qu’on dot réfléchir plus d’un jour avant d’en décider la suppression. D’ailleurs entendons-nous. Qu’on nous dise que, si Ingres et Rude n’étaient pas allés à Rome, ils n’en eussent pas moins été Ingres et Rude ; d’accord. Rome ne donne pas le génie. Mais s’imagine-t-on que, s’ils fussent restés à Paris, ils eussent eu plus de génie ? D’autre part, faut-il admettre que tels peintres médiocres, que nous ne nommerons pas, seraient devenus des artistes de talent sans leur séjour à la villa Médicis ? Cela n’est pas soutenable. Nous pensons même qu’à talent égal ou à médiocrité égale, Rome, si elle ne rend pas plus fort et plus habile, a du moins l’avantage d’élever l’esprit vers la grandeur et l’idéal. Deux œuvres statuaires de premier ordre, deux chefs-d’œuvre peut-être, ont ces dernières années provoqué l’admiration unanime. L’une est le célèbre groupe de M. Antonin Mercié, prix de Rome ; l’autre est l’Arlequin de M. de Saint-Marceaux. Nous comprenons sincèrement qu’on admire ces deux œuvres à un même degré. Il n’en est pas moins manifeste que le Gloria victis est d’un sentiment tout autrement élevé. Penser que la France doit à l’École de Rome sa supériorité dans les arts, c’est donner à l’enseignement une bien grande importance et faire trop bon marché du génie français. Mais prétendre que cette école a toujours été inutile quand elle n’a pas été funeste, c’est oublier la foule des artistes qui se sont formés ou fortifiés à son enseignement, c’est oublier que l’Académie de France a toujours opposé le grand art aux envahissemens de l’art facile et de l’art vulgaire. L’École de Rome, avec son origine illustre, ses noms glorieux, ses belles traditions, a un éclat qui rejaillit sur la France entière. La suppression de l’École de Rome n’amènerait sans doute pas l’abaissement de l’art français, mais les nations étrangères penseraient qu’il est découronné.


IV.

Les deux grands services des beaux-arts sont l’enseignement et les musées. On sait ce que le nouveau ministre veut faire pour l’enseignement. Voyons maintenant ce qu’il a fait pour les musées. Le budget alloue pour toutes les acquisitions des musées du Louvre, du Luxembourg, de Versailles et de Saint-Germain la somme de 162,000 fr. Nous ne discutons pas ici sur ce crédit dérisoire, nous donnons un chiffre. Or le premier mois de son avènement, M. le ministre des arts achète pour le Louvre cinq tableaux de Gourbet dont le prix total s’élève avec les frais à 149,000 francs[6]. Que cette acquisition ait été faite sans l’avis conforme du conservatoire du Louvre, ce qui est absolument illégal, passons sur l’oubli de cette vaine formalité, d’autant mieux que le ministre aurait pu se faire donner cette sanction. Il eût trouvé sans doute au Louvre comme à l’Ecole des beaux-arts une voix de majorité. Que ces tableaux soient payés sur l’exercice 1882, au détriment de toute autre acquisition ultérieure, ou par un crédit supplémentaire demandé aux chambres comme une grande réparation nationale, peu importe. Dans l’un et dans l’autre cas, l’argent du Louvre ou l’argent de l’état aura été malencontreusement employé. Nous reconnaissons l’énorme talent de Courbet. Courbet a eu et au plus haut degré plusieurs des qualités des grands maîtres. Lorsqu’il était en ses bons jours, — il en a eu beaucoup de mauvais, — il était peintre dans toute l’acception du mot. Alors sa touche est large et franche; son mâle coloris a parfois des accens de lumière d’une extraordinaire intensité. Il accuse dans ses figures le relief, le mouvement, la vie ; il agite comme la brise les fouillées profondes et humides et étend jusqu’à l’infini les grands horizons. Courbet a droit de cité au Louvre. Mais le Luxembourg ne possède-t-il pas deux tableaux de la meilleure manière du peintre, la Vague et le Trou du puits noir? La sœur de Courbet n’a-t-elle pas fait don au Louvre de l’Enterrement à Ornans et d’une autre toile? C’est donc déjà quatre œuvres du maître-peintre qui peuvent être placées dans notre musée. Qu’on eût acquis encore l’Homme blessé ou l’Homme à la ceinture de cuir pour avoir un autre spécimen de son talent, et il nous semble qu’avec ces cinq tableaux l’œuvre de Courbet eût été bien suffisamment représenté. Mais acheter d’un coup cinq tableaux, ce qui portera à neuf les Courbet du Louvre, cela est excessif[7]. C’est à croire qu’on veut donner à Courbet une salle spéciale comme au plus grand maître de l’école française.

Pourquoi tant se presser de faire entrer au Louvre les tableaux de Courbet quand on laisse dans l’antichambre du Louvre, au Luxembourg, la Naissance de Henri IV, d’Eugène Deveria, la Chasse au faucon, de Fromentin, le Général Prim, de Regnault? Et qui pensera que si, par aventure, il y avait eu ce mois dernier une vente importante d’œuvres de Ingres, de Decamps, de Rousseau ou de Delacroix, le ministre des arts eût grevé son budget futur ou demandé un crédit extraordinaire pour enrichir le Louvre de cinq nouveaux tableaux de ces maîtres? Or c’est justement ce qui doit étonner, inquiéter, effrayer dans ces acquisitions. C’est leur caractère, ce sont les tendances qu’elles marquent. On y voit non seulement une manifestation en l’honneur de Courbet, ce qui n’est rien, mais un manifeste en l’honneur d’un certain art, ce qui est grave. Rapprochez l’entrée au Louvre de huit ou neuf tableaux de Courbet de la suppression des ateliers officiels, des déclarations du ministre sur l’indépendance de l’art, des discussions passionnées à propos de l’école de Rome et de la décoration de M. Manet[8], et vous comprendrez qu’il y a menace de rupture entre l’administration et le grand art. On va combattre les idées de noblesse, de grâce, de grandeur et de beauté au profit d’un monstrueux idéal de brutalité et de bassesse. La liberté dans l’art, ce sont les nouvelles écoles d’ignorance et de vulgarité donnant l’assaut aux traditions des maîtres; c’est la revanche des « magots » de Teniers contre l’arrêt de Louis XIV; c’est la Vénus hottentote qui dit : Ote-toi de là! à la Vénus grecque.

Avec l’art libre, c’est-à-dire l’art des réalistes et des impressionnistes substitué à l’art officiel, c’est-à-dire à l’art des Flandrin et des Baudry, on nous promet l’art civil substitué à l’art religieux. Les commandes seront réservées exclusivement « aux mairies, aux préfectures et aux sous-préfectures. » C’est dans la logique des événemens. Il est permis toutefois de demander si les artistes et le public gagneront à cela. L’église est toujours un peu un musée. Mais quand on va à la mairie, on est occupé de tout autre chose que de regarder des peintures. Pour les préfectures et les sous-préfectures, il faut avouer que mettre là des peintures murales équivaut à décorer une cave. Vous imaginez-vous que le touriste qui va voir dans la cathédrale de Montauban le Vœu de Louis XIII ira de même à la préfecture attiré par quelque peinture ! A Paris, les étrangers qui ne manquent pas d’entrer à Saint-Sulpice pour les toiles de Delacroix et à Saint-Germain des Prés pour les fresques de Flandrin courront-ils les vingt mairies de Paris, dont les salles de mariage seront décorées de Panathénées civiles? En eussent-ils l’envie, qu’ils y renonceraient dès leur première visite, grâce aux difficultés de toute sorte qu’ils rencontreraient et à l’urbanité bien connue des employés de l’administration.

Le programme de réorganisation conçu par M. le ministre des arts n’est rien moins qu’un programme de désorganisation. Il supprime de fait l’enseignement des beaux-arts en fermant les ateliers pratiques de l’École. On s’appuie sur ses idées pour demander la suppression de l’Ecole de Rome. Il fausse le goût public par les récompenses qu’il décerne et par les acquisitions qu’il fait. — Aussi bien, le Salon annuel est désormais libre. Les artistes en nomment les jurés, en font les dépenses, en touchent les recettes, et s’y enrichissent. Les ateliers de l’École fermés, les élèves trouveront dans des ateliers libres l’enseignement que l’état leur refuse. L’École de Rome elle-même supprimée et les commandes et les acquisitions réservées aux adeptes de l’art nouveau, le culte de l’idéal ne périra pas pour cela. Les artistes, après tout, n’ont pas besoin qu’on les garde en nourrice jusqu’à trente ans, ni qu’on leur donne des encouragemens. Ils peuvent fort bien se passer que le gouvernement s’occupe d’eux. Mais que restera-t-il alors à l’administration des beaux-arts désintéressée de l’enseignement et étrangère aux expositions? La conservation des musées, les acquisitions de Distribution des drapeaux, de Prise de la Bastille, de scènes naturalistes peintes par des impressionnistes, les commandes de portraits officiels et de peintures décoratives pour les mairies et les sous-préfectures, puisque désormais l’art religieux est proscrit. À cette tâche, il semble qu’une simple division du ministère de l’instruction publique suffit. Il n’était pas besoin de créer un ministère dont l’œuvre pourtant eût pu être féconde.

Les idées de M. le ministre des arts sont la condamnation du ministère des arts. Le ministère des arts est la condamnation des idées du ministre. Ainsi le nouveau ministre est enfermé dans ce dilemme : ou abandonner ses idées ou proposer à M. le président du conseil la suppression du ministère des arts.


HENRY HOUSSAYE.


Depuis que ce travail est imprimé, le cabinet du 14 novembre est tombé. Peut-être la retraite du ministre des arts aura-t-elle pour conséquence la suppression même du ministère des arts? Peut-être aussi cette création du ministère du 14 novembre lui survivra-t-elle? Dans tous les cas, celui qui succédera, comme ministre, comme sous-secrétaire d’état ou comme simple directeur à M. Antonin Proust aura à se prononcer sur les réformes projetées par son prédécesseur. Il aura, puisque la bataille a été engagée, à prendre parti pour la tradition ou pour les idées nouvelles. Ainsi, les questions que nous avons traitées restent à l’ordre du jour, et nos conclusions demeurent ce qu’elles étaient avant l’événement. — H. H.

  1. M. Lehmann est démissionnaire. Le conseil de l’École avait proposé M. Hébert pour le remplacer, mais les projets du nouveau ministre ont tout au moins ajourné cette nomination.
  2. Protestation des élèves de l’École publiée par le Temps du 28 décembre 1881. — Ce nombre est peut-être un peu exagéré. En 1877, il n’y avait à l’École que 994 élèves. (Rapport officiel du directeur.)
  3. Bien avant l’avènement de M. Antonin Proust au ministère des arts, la question de la réorganisation de l’enseignement était à l’ordre du jour dans le conseil de l’École. La base du nouvel enseignement serait l’étude théorique et pratique de la peinture, de la sculpture et de l’architecture rendue obligatoire pour tous les élèves. On ne prétend pas faire ainsi de grands peintres qui seraient en même temps de grands sculpteurs (pour les architectes, les études de peinture ne seraient pas nécessairement poussées aussi loin que pour les peintres). Mais on espère apprendre mieux son métier à chacun; mettre le sculpteur à même de faire le socle de sa statue, donner au peintre la facilité de composer une architecture pour un fond de tableau, rendre l’architecte capable de se servir en toute connaissance du sculpteur et du peintre pour la décoration d’un édifice. La plupart des artistes de la renaissance étaient à la fois peintres, sculpteurs et architectes. On s’en aperçoit dans leurs œuvres. — En même temps que les études seraient rendues plus fortes, l’admission à l’Ecole deviendrait plus difficile. On n’y entrerait qu’à la suite de concours ou d’examens sévères et de plusieurs natures. Ainsi des maîtres comme MM. Gérome, Cavelier, Cabanel, n’auraient plus à apprendre à leurs élèves à dessiner des nez et des oreilles.
    Tel est à peu près le projet du conseil de l’École. On voit que ce n’est pas du tout celui de M. le ministre des arts, qui entend ou supprimer complètement l’enseignement supérieur pratique ou d’établir sur de prétendues bases de liberté dans l’art qui le rendraient dérisoire sinon impossible. Les membres du conseil de l’Ecole sont bien loin de vouloir supprimer ou libérer l’enseignement pratique. Ils savent mieux que personne que « la liberté dans l’art » n’est qu’un mot à effet, et que, pour bien faire son métier, il faut l’avoir appris.
  4. Courbet, qui est particulièrement cher à M. le ministre des arts, disait bien que « Léonard et Titien sont des filous en art » et que Raphaël, — Raphaël, le maître de l’École d’Athènes et de la Dispute du saint sacrement, — est « un peintre sans pensée.»
  5. Lettre à de Dreux-Dorcy. — Géricault, comme on sait, n’était pas prix de Rome, mais il a séjourné longtemps à Rome et il y a peint ses admirables compositions de la Course des Barberi.
  6. L’Homme à la ceinture de cuir, 26,100 fr.; l’Homme blessé, 11,000 fr. ; la Sieste pendant la saison des foins, 29,100 fr. ; le Combat de cerfs, 41,900 fr.; l’Hallali du cerf, 33,900 fr. — Quelques journaux disent, sans doute en manière de circonstance atténuante, que sur ces cinq tableaux, deux ont été achetés par la ville de Paris.
  7. M. le ministre des arts joue de malheur avec le Louvre. Les dons mêmes qu’on fait au musée tournent en mésaventures pour le ministre. On sait à quoi les communications à l’Académie des inscriptions et les articles de la Revue archéologique de MM. Philippe Berger et Edmond Le Blaut ont réduit ces antiquités d’Utique récemment exposées: à une collection de soixante-dix-sept épigraphes puniques dont on possédait tous les estampages, et dont au reste les caves de la Bibliothèque nationale renferment 1,400 modèles analogues, qui n’ont coûté à l’état que 1,700 francs, et à une autre collection d’objets statuaires et céramiques d’un intérêt à peu près nul pour l’art et d’une valeur fort peu sérieuse pour la science. Or, à ce don fait au Louvre, M. le ministre des ans répond dans une lettre rendue publique que «ce don précieux comble une lacune dans les collections nationales » et « assure au musée la possession d’un trésor nouveau. »
  8. A propos de la croix de M. Manel, qui, d’ailleurs, est un parfait galant homme, comme à propos de la stupéfiante médaille du Salon de 1881 venant couronner la « charge » à l’huile de M. Rochefort et la caricature peinte d’un chasseur de lions, on a dit ceci : « Ce n’est pas l’œuvre de M. Manet qu’on récompense, c’est l’influence qu’il a eue sur l’école contemporaine qu’on reconnaît. » Or, justement à cause de cette influence qui est manifeste et qui a été pernicieuse, il était d’un mauvais effet de médailler et de décorer M. Manet.