Le Mirage perpétuel/LA MUSIQUE/Le Prélude

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Librairie Paul Ollendorff (p. 71-74).


LE PRÉLUDE



Arabesques de sons faufilés par la flûte,
Sourdine comme un crêpe au chant des violons,
Pizzicate d’altos, grondement de bassons
Et clameur des buccins que l’écho répercute,

Reports de sons pareils à des reports de voix,
Balancement ainsi que d’une escarpolette
D’une phrase d’orchestre harmonieuse et svelte,
Souvenirs de jadis et rêves d’autrefois,


Gamme capricieuse et montant en spirale
Jusqu’aux cieux irréels d’où viennent les Tristan,
Reprise des hautbois, lent découragement
Des basses dont la plainte éternelle s’exhale,

Et splendeur tout à coup de l’amour triomphant !
Une dernière fois le vent rôde et s’éplore,
Puis, brusquement, voici que les ondes sonores
Comme les flots pressés battent contre mes flancs ;

C’est le rêve éployé dans les magnificences !
Un envahissement de l’âme et de la chair,
Une submersion de délice, un enfer
Voluptueux où brûle un brasier immense ;

Je me sens emporté comme sur l’Océan,
Un remous, dirait-on, tourbillonne et m’entraîne,
Ce chant comme du feu circule dans mes veines
Et tout mon sang afflue à mon cœur palpitant.


Ah ! pauvre être de nerfs et de muscles fragiles,
Comme s’évanouit toute ta volonté
Lorsque frémit l’archet qui te saura dompter,
Ah ! vaine résistance, et révolte débile !

Mon cœur est fatigué de lutte, il s’abandonne,
Le thème du désir et celui de la mort
S’enroulent comme un cep autour d’un thyrse d’or,
Et je souffre un plaisir douloureux qui m’étonne.

Mais l’angoisse survit aux bonheurs trop aigus,
La mort seule en notre âme assoupit et contente
Ce besoin d’infini qui toujours nous tourmente,
Je rêve de baisers pour toujours éperdus ;

Femme, qui que tu sois, dont j’attends la venue,
Veuille entendre l’appel déchirant de mon cœur,
Vois, mes yeux sont noyés d’extase et de langueur,
Et j’écoute, anxieux, ta parole inconnue !


Le mystère envahit mon être lentement
Comme l’ombre, le soir, envahit une chambre,
L’espoir toujours vaincu qui couvait sous la cendre
S’exalte de nouveau plus pur et plus puissant,

Et ce désir divin me donne un tel vertige
Qu’entre mes cils déjà je sens rouler des pleurs,
Et mon cœur frais éclos tremble comme une fleur
Par le vent balancée au sommet de sa tige.