Le Mirage perpétuel/LES PAYSAGES/À ma Ville natale

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Librairie Paul Ollendorff (p. 63-64).


À MA VILLE NATALE



Ô sol mélancolique, ô cité sans soleil,
Ville de grands murs noirs et de vastes usines,
Tu n’as pour te parer ni vignes ni collines,
Et je t’aime pourtant d’un amour sans pareil,
Ô terre sans histoire, ô cité sans soleil !

Toi qui gardes si bien la volonté de vivre,
Et qui, telle une reine étalant des bijoux
Montres de tes métiers l’acier luisant et doux,
J’admire ton ardeur de Cité jeune et libre,
Toi qui portes si haut la volonté de vivre !


Ruche immense et toujours noire de travailleurs,
Tes fils, comme autrefois les blanches caravelles
Vont conquérir le monde à ta gloire nouvelle,
Puis reviennent pareils à de jeunes vainqueurs,
Dans ta ruche toujours noire de travailleurs ;

Viennent les lourds bateaux chargés de laine vierge !
Tout un peuple en travail au fond des ateliers
Tisse avec ces fils noirs des tissus par milliers,
Impatient déjà qu’à l’Occident émerge
Un navire nouveau porteur de laine vierge !

Ô ma ville brumeuse et triste, ô pays noir,
Ton diadème est fait de hautes cheminées
Qui, se dressant ainsi que des tours forcenées,
D’un panache de feu s’illuminent le soir,
Ô ma ville brumeuse et triste, ô pays noir ;

Mon enfance passée au rhytme des machines
A gardé souvenir de tes bruits familiers,
Et mon âme quand passe un groupe d’ouvriers,
Parfois se remémore ainsi qu’une orpheline
Son enfance bercée au rhytme des machines…