Le Miroir de l’âme pécheresse

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Les Marguerites de la Marguerite des Princesses, Texte établi par Félix FrankLibrairie des Bibliophilesvol. 1 (p. 13-68).
Marguerite de France, par la grace de DIEU Royne de Navarre, AU LECTEUR.

Si vous lisez ceste œuvre toute entiere,
Arrestez vous, sans plus, à la matiere,
En excusant la rhythme et le langage,
Voyant que cest d'une femme l'ouvrage,
Qui n'a en soy science, ne sçavoir,
Fors un desir, que chacun puisse voir
Que fait le don de DIEU le Createur,
Quand il luy plaist justifier un cœur :
Quel est le cœur d'un homme, quant à soy,
Avant qu'il ayt receu le don de Foy,
Par lequel seul l'homme a la congnoissance
De la Bonté, Sapience et Puissance.
Et aussi tost qu'il congnoit Verité,
Son cœur est plein d'Amour et Charité

Ainsi bruslant, perd toute vaine crainte,
Et fermement espere en DIEU sans feinte.
Ainsi le don que liberalement
Le Createur donne au commencement
N'ha nul repos, qu'il n'ayt dëifié
Celuy qui s'est par Foy en DIEU fié.

O l'heureux don, qui fait l'homme DIEU estre[1],
Et posseder son tant desirable Estre.
Helas ! jamais nul ne le peult entendre,
Si par ce don n'a pleu a DIEU le prendre.
Et grand'raison ha celuy d'en douter,
Si DIEU au cœur ne luy a fait gouster.

Mais vous, Lecteurs de bonne conscience,
Je vous requiers, prenez la patience
Lire du tout ceste œuvre qui n'est rien,
Et n'en prenez seulement que le bien.
Mais priez DIEU, plein de bonté naïve,
Qu'en vostre cœur il plante la Foy vive.


Le Miroir de l'ame pecheresse.


Seigneur DIEU crée en moy cœur net[2].


Où est l'Enfer remply entierement De tout malheur, travail, peine et tourment? Où est le puitz de malediction, D'où sans fin sort desesperation? Est il de mal nul sy profond abysme Qui suffisant fust pour punir la disme De mes pechés, qui sont en sy grand nombre Qu'infinité rend sy obscure l'ombre Que les compter ne bien voir je ne puys? Car trop avant avecques eux je suis. Et qui pis est, je n'ay pas la puissance D'avoir d'un seul, au vray, la congnoissance. Bien sens en moy que j'en ay la racine, Et au dehors ne voy effect ne signe, Qui ne soit tout branche, fleur, fueille et fruit, Que tout autour de moy elle produit.

Si je cuyde regarder pour le mieux, Me vient fermer une branche les yeux ; Tombe en ma bouche, alors que veux parler, Le fruit par trop amer à avaller. Si pour ouyr mon esperit s'esveille, Fueilles à tas entrent en mon oreille ; Aussi mon nez est tout bousché de fleurs. Voila comment en peine, criz et pleurs, En terre gist sans clarté ne lumiere Ma chetive ame, esclave et prisonniere, Les piedz liez par sa concupiscence, Et les deux bras par son acoustumance. En moy ne gist le povoir du remede, Force je n'ay pour bien crier à l'aide.

Bref, à jamais, à ce que je peux voir, Espoir aucun de fin ne dois avoir[3] ; Mais sa grace, que ne puys meriter, Qui peult de mort chacun resusciter, Par sa clarté ma tenebre illumine ; Et sa vertu, qui ma faulte examine, Rompant du tout le voile d'ignorance, Me donne au vray bien clere intelligence Que c'est de moy, et qui en moy demeure, Et où je suis, et pourquoy je labeure Qui est celuy, lequel j'ay offensé, Auquel sy peu de servir j'ay pensé. Parquoy il fault que mon orgueil r'abaisse, Et qu'humblement en plorant je confesse Que, quant a moy, je suis trop moins que riens[4] : Avant la vie boue, et apres fiens ; Un corps remply de toute promptitude A faire mal, sans vouloir autre estude ; Subjet à mal, ennuy, douleur et peine, Vie tresbrefve et la fin incertaine[5] ; Qui soubz peché par Adam est vendu[6], Et de la Loy jugé d'estre pendu[7].

Car d'observer un seul commandement[8] Il ne m'advint en ma vie vrayment. En moy je sens la force du peché, Roma. 7. Dont moindre n'est mon mal d'estre caché Tant plus dehors se cele et dissimule, Plus dens le cœur s'assemble et accumule Ce que DIEU veult, je ne le puis vouloir ; Roma. 7. Ce qu'il ne veult, souvent desire avoir : Qui me contraint par ennuy importable, De ce fascheux corps de mort, miserable, Desirer voir la fin tant desirée, Estant la vie esteinte et dessirée.

Qui sera ce qui me delivrera, Et qui tel bien pour moy recouvrera ? Las! ce ne peult estre un homme mortel, Car leur povoir et sçavoir n'est pas tel Mais ce sera la seule bonne grace Du Toutpuissant, qui jamais ne se lasse, Par JESUS CHRIST, duquel il se recorde, Rom. 5. Nous prevenir par sa misericorde. Las! quel maistre, sans avoir desservy Nul bien de luy, mais l'ayant mal servy, Et sans cesser offensé chacun jour, A mon secours ne fait pas long sejour. Il voit le mal que j'ay, quel et combien, Et que de moy je ne puis faire bien ; Hiere. 10. Mais, cœur et corps, sy enclin au contraire, Que nul povoir ne sens, que de malfaire.

Il n'attend pas qu'humblement je le prie, Ne que voyant mon enfer à luy crie : Rom. 8. Par son Esprit fait un gemissement Dens mon cœur, grand inenarrablement ; Et postulant le don, dont le sçavoir Est incongnu à mon foible povoir. Et lors soudain cest ignoré souspir Me va causant un tout nouveau desir, En me monstrant le bien que j'ay perdu Par mon peché, lequel bien m'est rendu Et redonné par sa grace et bonté, Qui tout peché a vaincu et domté.

O Monseigneur, et quelle est celle grace, Quel est ce bien qui tant de maux efface? Vous estes bien remply de toute amour, D'ainsi me faire un sy honneste tour.

Helas! Mon DIEU, je ne vous cerchois pas, Mais vous fuyois en courant le grand pas ; Et vous ça bas à moy estes venu, Jean 3. A moy, qui suis ver de terre tout nud.

Que dy je ver? Je luy fais trop d'injure A moy qui suis tant infame et parjure, D'orgueil remply par mondaine raison De faulseté, malice et trahison.

Ce qu'ont promis mes amys au baptesme Psal. 118. Et que depuis j'ay confermé moymesme (Qui est sans fin de vostre passion Roma. 6. Sentir en moy mortification, Psal. 43. Estre tousjours avecques vous en croix, Où vous avez cloué, comme je crois, Et rendu mortz la Mort et tout peché, Roma. 6. Que souvent j'ay reprins et detaché), Rompu je l'ay, denyé et faulsé, Ayant sy fort ma volunté haulsé, Par un orgueil plein d'indiscretion, Que mon devoir et obligation Estoit du tout oublié par paresse. Et qui plus est, le bien de la promesse Marc 16. Que j'euz de vous le jour de mon baptesme, Et vostre amour, j'en ay fait tout de mesme.

Que diray je? Encores que souvent De mon malheur vous vinsiez au devant, Apoca. 3. En me donnant tant d'advertissementz Par parole, par Foy, par sacrementz, M'admonnestant par predication, Me consolant par la reception De vostre corps tresdigne, et sacré sang, Me promettant de me remettre au rang Des bienheureux en parfaite innocence. J'ay tous ces biens remis en oubliance Souvent vous ay ma promesse rompue, Car trop estoit ma povre ame repue De mauvais pain et damnable doctrine, En desprisant secours et medecine : Et quand aussi l'eusse voulu querir, Nul ne congnois qu'eusse peu requerir ; Car il n'y a homme, ny saint, ny ange, Par qui le cœur jamais d'un pecheur change

Las! bon JESUS, voyant ma cecité, Et que secours en ma necessité Ne puis avoir d'aucune creature, Actes 4. De mon salut avez fait l'ouverture. Quelle bonté, mais quelle grand' douceur ! Est il pere à fille, ou frere à sœur, Qui un tel tour jamais eust voulu faire, Tant fust il doux, piteux et debonnaire : Venir d'enfer mon ame secourir, 1. Jean 4. Où contre vous elle vouloit perir ? Sans vous aymer, las! vous l'avez aymée. O charité ! ardente et enflammée, Vous n'estes pas d'aymer froid ne remis, Qui aymez tous, voire voz ennemis ; Roma. Non seulement leur voulant pardonner Leur grefve offense, ains vous mesmes donner Pour leur salut, liberté, delivrance, A mort et croix, travail, peine et souffrance.

Quand j'ay pensé qui est l'occasion Dont vous m'aymez, rien que dilection Ephe. 2. Je ny puis voir, qui vous mesmes incite A me donner ce que je ne merite.

Donques, mon DIEU, à ce que je puis voir, De mon salut le gri ne doy sçavoir 1. Tim. 1. Fors à vous seul, à qui j'en doy l'honneur, Comme à mon DIEU, Sauveur et Createur. Mais qu'est cecy ? Pour moy vous faites tant, Et nonobstant vous n'estes pas content De m'avoir fait de mes pechés pardon, Et d'abondant, de la grace le don. Ephe. 2.

Bien suffiroit, saillant de tel danger, De me traiter ainsi qu'un estranger. Mais comme sœur mere (si dire l'ouse) Traitez mon ame, et ainsi comme espouse. Moy, Monseigneur, moy, qui digne ne suis Luc 15. Pour demander du pain, approcher l'huis Du treshault lieu où est votre demeure ! Et qu'est cecy? Tout soudain en ceste heure Daigner tirer mon ame en tell' haultesse Qu'elle se sent de mon corps la maistresse ! Elle povrette, ignorante, impotente, Philip. 4. Se sent en vous riche, sage et puissante, Pour luy avoir au cœur escrit le rolle De vostre Esprit et sacrée Parole, En luy donnant Foy pour la recevoir, Qui luy a fait vostre filz concevoir ; En le croyant homme, DIEU, Salvateur, Roma. 5. De fous pecheurs le vray restaurateur. Parquoy daignez rasseurer qu'ell est Mere De vostre filz, dont vous estes seul Pere.

Et qui plus est, mon DIEU, voicy grand cas, De faire bien vous ne vous lassez pas ; Quand vostre filz plein de divinité A prins le corps de nostre humanité Philip. 2. Et s'est meslé avecques nostre cendre : Ce que sans Foy nul ne pourroit entendre, Il vous a pleu de nous tant l'approcher Qu'il s'est uny avecques nostre chair ; Qui le voyant (comme soy) nommé homme, Se dit sa Sœur, et Frere elle le nomme. Bien doit avoir le cœur ferme et asseur Qui de son DIEU se peult dire la Sœur. Apres, venez par grand' dilection Luy declarer que sa creation N'est seulement que par le bon vouloir Qu'il vous a pleu tousjours à elle avoir, En l'asseurant qu'avant son premier jour, Ephe. 1. La prevoyant, y avez eu amour.

Par celle amour engendrée l'avez, Comme vous seul bien faire le sçavez ; Et puis apres dens ce corps l'avez mise, Non pour dormir, ne pour estre remise, Mais pour tous deux n'avoir autre exercice Que de penser à vous faire service : Alors luy fait bien sentir Verité Qu'en vous y a vraye paternité.

O quel honneur, quel bien et quelle gloire A l'ame qui sans cesse ha la memoire Qu'elle de vous est fille ! Et vous nommant Pere, elle fait vostre commandement. Qu'y a il plus? est ce tout? Helas! non : Il vous plaist bien luy donner autre nom, Vostre Espouse la nommer, et de vous, Vous appeller son mary et espoux ; Luy declarant comme de franc courage Osee. 2. Avez juré d'elle le mariage. Fait luy avez au Baptesme promesse De luy donner vostre bien et richesse. Ses maux prenez, car riens que peché n'ha, Lequel Adam son pere lui donna.

Donques ne sont ses thresors que pechés, 1 Pierre 2. Lesquelz sur vous vous avez attachez ; Entierement avez payé sa debte, Et de voz biens et tresgrande recepte, L'ayez sy bien enrichie et douée Que se sentant de vous femme advouée, Quitte se tient de tout ce qu'elle doit, Peu estimant ce que ça bas ell' voit. Son pere vieil, et tous les biens qu'il donne, Pour son espoux de bon cœur abandonée.

Vraiment, Mon DIEU, mon ame est bien gastée, Estre par vous de tel bien appastée, Et de laisser le plaisir de la terre Pour l'infiny, là où est paix sans guerre. Je m'esbahis que tout soudainement Elle ne sort de son entendement. Je m'esbahis qu'elle ne devient folle En perdant sens, contenance et parole. Que puis je, helas! ô mon Pere, penser? Osera bien mon esprit s'avancer De vous nommer Pere? Ouy, et nostre : Ainsi l'avez dit en la Patenostre. Matth. 6.

Or Pere donc, mais vostre fille, quoy, L'avez vous dit! Mon DIEU, dites le moy. Helas ! ouy, quand par grande douceur Dites : Fille, prestez moy vostre cœur ; Proverbe 2. O mon Pere, en lieu d'en faire prest, De se donner à vous du tout est prest : Recevez le et ne vueillez permettre Que loing de vous nully le puisse mettre Et qu'à jamais en fermeté loyale Il vous ayme d'une amour filiale.

Mais, Monseigneur, si vous estes mon Pere, Puis je penser que je suis vostre Mere? Vous engendrer, vous, par qui je suis faite, C'est bien un cas dont ne sçay la deffaitte ; Mais la raison a ma doute bien meites, Quand en preschant, estendant voz bras, distes : Ceux qui feront le vouloir de mon Pere, Matth. 12. Mes freres sont, et ma sœur, et ma mere. Donques je croy qu'en oyant ou lisant La parolle que vous estes disant, Et qu'avez dit par voz Saintz et Prophetes, Et qu'encores par voz bons prescheurs faites ; En la croyant, desirant fermement De l'accomplir du tout entierement, Que par amour je vous ay engendré Donques sans peur, nom de Mere prendray. Mere de DIEU, douce vierge Marie, Ne soyez pas de ce tiltre marrie. Nul larrecin ne fais, ny sacrilege, Rien ne pretens sur vostre privilege : Car vous (sans plus) avez sur toute femme Receu de luy l'honneur sy grand, ma dame, Luc 1. Que nul esprit de soy ne peult comprendre, Comme a voulu en vous nostre chair prendre,

Et mere et vierge estes parfaitement, Avant, apres, et en l'enfantement. En vostre saint ventre l'avez porté, Nourry, servy, allaicté, conforté ; Suivy avez ses predications, L'accompagnant en tribulations. Bref, vous avez de DIEU trouvé la grace, Luc 1. Que l'ennemy par malice et fallace Avoit du tout fait perdre, en verité, Au povre Adam et sa posterité.

Par Eve et luy nous l'avions tous perdue, Rom. 5. Par vostre filz elle nous est rendue. Jean 1. Vous en avez esté pleine nommée, Luc 1. Dont n'en est pas faulse la renommée. Car de vertuz, et de grace, et de dons Faute n'ayez, puis que le bon des bons, Et la source de bonté et puissance (Qui vous a faite en sy pure innocence Que de vertuz à tous estes exemple) A fait de vous sa demeure et son Temple. En vous il est par amour confermée, Et vous en luy ravie et transformé De cuyder mieux vous louer, c'est blaspheme. Il n'est louenge telle que de DIEU mesme.

Foy avez eu sy tresferme et constante, Qu'elle a esté par la grace puissante De vous faire du tout deïfier. Parquoy ne veux cuyder edifier Louenge à vous plus grande que l'honneur Que vous a fait le souverain Seigneur : Car vous estes sa mere corporelle, Et mere encor par Foy spirituelle. Mais, en suyvant vostre Foy humblement, Mere je suis spirituellement.

Mais, mon Sauveur, de la fraternité Qu'avez à moy par vostre humilité, M'appelant sœur, en avez vous rien dit ? Helas ! ouy, car du pere maudit Avez rompu la filiation En me nommant fille d'adoption.

Or donques, puis que nous n'avons qu'un Pere, Je ne craindray de vous nommer mon frere. Vous l'avez dit en lieu bien autentique, Par Salomon, en vostre doux cantique Disant: «Ma sœur, tu as navré mon cœur, Cantique 4. Ta as navré mon cœur par la douceur D'un de tes yeux et d'un de tes cheveux.» Las ! mon doux frere, autre bien je ne veux Que, vous navrant, navrée me sentir Par vostre amour, bien m'y veux consentir.

Pareillement espouse me clamez En ce lieu là, monstrant que vous m'aymez, Et m'appellez, par vraye amour jalouse, Vostre Colombe, et aussi vostre Espouse. Cantique 2. Parquoy diray, par amoureuse Foy, Qu'à vous je suis, et vous estes à moy. Vous me nommez amye, espouse et belle ; Si je le suis, vous m'avez faite telle. Las ! vous plaist il telz noms me departir ? Dignes ilz sont de faire un cœur partir, Mourir, brusler par amour importable, Pensant l'honneur trop plus que raisonnable.

Mere, comment mere? las! de quel enfant ? C'est d'un tel filz, que tout le cœur m'en fend, Mon filz, mon DIEU, ô JESUS, quel langage ! Et pere, et fille, ô bienheureux lignage ! Que de douceur, que de suavité Me va causant ceste paternité ! Mais quell' amour doy je avoir? filiale. Quelle crainte? bien reverentiale. Mon Pere, quoy? voire et mon Createur, Mon protecteur et mon conservateur. Psal. 26, 30. Vostre sœur? las ! voicy grand' amitié. Or, fendez vous, mon cœur, par la moitié Et faites place à ce frere tant doux, Et que luy seul soit enfermé en vous Sans qu'autre nom jamais y tienne lieu, Fors JESUS seul, mon frere, filz de DIEU ; A nul autre ne veux rendre la place, Pour batterie ou mine qu'on me face.

Gardez mon cœur, mon frere, mon amy, Et n'y laissez entrer vostre ennemy. O mon bon frere, enfant, pere et espoux, Les jointes mains humblement à genoux, Graces vous rendz, mercy, gloire et louenge, Dont il vous plaist, moy terre, cendre et fange, A vous tourner et mon cœur convertir ; Et sy tresbien de grace me vestir Et me couvrir, que mes maux et pechés Ne voyez plus, tant les avez cachez : Si que de vous semblent en oubly mis, Voire et de moy qui les ay tous commis. Foy et amour m'en donnent oubliance, Mettant du tout en vous seul ma fiance.

Donc, à mon Pere ! où gist amour non feinte, Jaques 3. De quoy fault il qu'en mon cœur j'aye crainte? Je recongnois avoir fait tous les maux Que faire on peult ; et que rien je ne vaux, Et que vous ay, comme l'enfant prodigue, Abandonné, suyvant la folle ligue, Où despendu j'ay toute ma substance, Et tous voz biens receuz en abondance ; Mais povreté m'a seiché comme fein, Et mon esprit rendu tout mort de faim, Cerchant manger le relief des Pourceaux, Mais peu de goust trouvois en telz morseaux. Dont en voyant mon cas mal attourné, Mon Pere, à vous, par vous, suis retourné. Jean 6. Las ! j'ay peché au Ciel et devant vous : Luc 15. Digne ne suis (je le dis devant tous) Me dire enfant; mais, Pere debonnaire, Ne me fais pis que à un mercenaire.

Las ! qu'est cecy? pas n'avez attendu Mon oraison, mais avez estendu La dextre main, me venant recevoir, Quand ne pensois que me daignissiez voir.

En lieu d'avoir par vous punition, Vous m'asseurez de ma salvation. Ou est celuy donc qui me punira Quand mon peché mon Dieu luy niera ? Juge n'est point qui puisse condemner Nul, puis que DIEU ne le veult point damner. Doute je n'ay d'avoir faute de biens, Puis que Mon DIEU pour mon Pere je tiens. Mon ennemy nul mal ne me fera, Car son povoir mon Pere deffera. Si je doy rien, il rendra tout pour moy ; Si j'ay gaigné la mort, luy, comme Roy, Me donnera grace et misericorde, Me delivrant de prison et de corde.

Mais voicy pis: Quelle mere ay je esté, Apres avoir par Foy et seureté Receu le nom de vraye et bonne mere ! Trop je vous ay esté rude et amere ; Car vous ayant conceu et enfanté, Laissant raison subjette à volunté, Sans vous garder, je me suis endormie, 3. des Roys. Et donné lieu à ma grande ennemie, Qui en la nuict d'ignorance, en dormant, Vous a robbé pres de moy : finement En vostre lieu m'a mis le sien tout mort. Perdu vous ay, qui m'est un dur remord, Perdu vous ay, par ma faute, mon filz, Car trop de vous mauvaise garde feiz.

Ma voisine, ma sensualité En mon dormir de bestialité Privée m'a de vous par son envie, En me donnant un autre enfant sans vie, Qui est Peché, duquel je ne veux point. Je le quitte du tout, voyla le poinct. Elle m'a dit qu'il est mien ; c'est à elle : Car aussi tost que vins à la chandelle De la grace, que vous m'avez donnée, Je congnuz bien ma gloire estre tournée, Voyant le mort, n'estre mien ; car le vif Qu'elle avoit prins estoit le mien naif. Entre JESUS et Peché est le change Trop apparent. Mais voicy cas estrange : Ceste vieille me feit le mort tenir, Qu'elle dit mien et le veult maintenir.

O juge vray, Salomon veritable, Ouy avez le procez lamentable Et ordonné, contentant les parties. Que mon enfant fust mist en deux parties. A cela s'est la traistresse accordée ; Mais quand me suis de mon filz recordée, Plus tost en veux souffrir privation, Que de son corps la separation : Car vraye amour bien parfaite et ardente De la moité jamais ne se contente. J'ayme trop mieux du tout pleurer ma perte Que de l'avoir à demy recouverte. Peu satisfait aurois à mon envie, Si la moytié de luy avois sans vie. Las! donnez luy plus tost l'enfant vivant. Bien meilleur m'est que je meure devant Que de souffrir JESUS CHRIST divisé. Mais, Monseigneur, mieux avez advisé ; Car en voyant mon mal en tout endroit, Et que plus tost renonçois mon droit Que de souffrir cruauté sy amere, Distes de moy : Ceste est la vraye mere ; 3. des Roys. En me faisant mon enfant rebailler, Pour qui voyez mon cœur tant travailler.

O doux JESUS, vous ay je retrouvé ; Après avoir par ennuy esprouvé Si vous aymois; moy qui vous ay perdu, A moy mesmes vous vous estes rendu. Las, daignez vous à celle revenir, Qui par peché ne vous a peu tenir? Mon doux enfant, mon filz, ma nourriture, De qui je suis treshumble creature, Ne permettez que jamais je vous laisse : Car du passé me repens et confesse.

Or venez donc, ma sensualité, Venez, pechés de toute qualité ; Vous n'avez pas povoir par nul effort De me faire recevoir l'enfant mort : Celuy que j'ay est fort pour me defendre, Pseau. 23. Qui mesmes luy ne se lais'ra plus prendre. Desja est grand et plus fort que nul homme Parquoy je puis dormir et prendre somme Aupres de luy : car tout bien regardé, Me gardera mieux que ne l'ay gardé. Bien reposer me puis donc, ce me semble.

O quel repos de mere et filz ensemble ! Mon doux enfant, mon DIEU, honneur et gloire Soit à vous seul, et à chacun notoire, De ce qu'il plaist à vostre humilité, Moy, moins que rien, toute nichilité, Mere nommer ; plus est le cas estrange, Et plus en ha vostre bonté louenge.

Plus que jamais à vous me sentz tenue, Dont il vous plaist, Sœur m'avoir retenue. Sœur je vous suis ; mais c'est sœur sy mauvaise, Que mieux pour moy vault que ce nom je taise : Car oubliant l'honneur du parentage, L'adoption de sy noble lignage, Vostre tant doux et fraternel recueil, Montée suis contre vous en orgueil. De mes forfaitz ne me suis recordée ; Mais m'esloingnant de vous, suis accordée Avec Aaron, mon frere, en trahison, Nomb. 12. Voulant donner à voz œuvres raison, En murmurant de vous tout en secret Qui me devroit donner un grand regret.

Helas ! mon DIEU , mon frere et vray Moïse, Tresdebonnaire et tresdoux sans feintise, Qui faites tout en bonté et justice, J'ay estimé voz œuvres estre vice, Et dire osant par façon trop legere : Pourquoy av'ous espousé l'estrangere ? Vous nous donnez Loy et punition Sans y vouloir avoir subjection. Vous nous faites de mal faire defense, Et pareil mal faites sans conscience. Vous defendez de tuer à chacun ; Mais vous tuez, sans espargner aucun De vingt trois mil, que vous feistes defaire. Exod. 32. Commandement DIEU par vous nous feit faire, De n'espouser fille de l'estranger ; Mais vostre espouse en prinstes sans danger. Mon frere, helas ! tant de telles paroles, Que je congnois et sçay bien estre foles, Avec Aaron (qui est mon propre sens) Je vous ay dit : dont le regret j'en sentz. Mais par grace la vive voix de DIEU Bien me reprint avant partir du lieu. Que feistes vous alors? de mon peché, Las ! mon frere, vous fustes empesché ; Non pour prier pour ma punition, Nomb. 12. Mais pour mon bien et ma remission, En demandant pour tresgrand benefice Qu'il pleust à DIEU mitiguer sa justice : Ce que du tout ne peustes obtenir, Car me convint lepreuse devenir, A celle fin qu'en voyant mon visage Chacun congnust que n'avois esté sage.

Ainsi je fuz mise, comme ladresse, Dehors du parc du peuple et de la presse : Car mieux ne peult une ame estre punie, Que d'eslongner la sainte compaignie Des vertueux, fideles, bons et saintz, Qui par peché ne sont ladres, mais sains. Mais qu'av'ous fait, voyant ma repentance ? Tost avez mis fin à ma penitence ; Par vraye amour, en vous non sejournée, Avez prié ; et je suis retournée.

O frere doux, qui en lieu de punir Sa folle sœur, la veult à luy unir, Et pour murmure, injure ou grande offense, Grace et amour luy donne en recompense. C'est trop, c'est trop, helas ! c'est trop, mon frere ; Point ne devez à moy sy grans biens faire. J'ay fait le mal, vous me rendez le bien ; Vostre je suis, et vous vous dites mien ; Vostre je suis, et vostre doublement, Et estre veux vostre eternellement. Plus je ne crains d'Aaron la grand' folie ; Nul ne sera, qui de vous me deslie.

Or puis que frere et sœur ensemble sommes Il me chault peu de tous les autres hommes ; Pseau. 26. Vostre terre, c'est mon vray heritage ; Ne faisons plus, s'il vous plaist, qu'un mesnage. Puis qu'il vous plaist tant vous humilier, Que vostre cœur avec le mien lier, En vous faisant homme naïvement, Je vous en rendz graces treshumblement ; Comme je doy n'est pas en ma puissance Prenez mon cœur, excusez l'ignorance. Puis que je suis de sy bonne maison Et vostre sœur, mon DIEU, j'ay bien raison De vous louer, aymer, servir sans feindre, Et rien, fors vous, ne desirer ne craindre. Gardez moy donc, à vous me recommande : Point d'autre frere ou amy ne demande.

Si pere a eu de son enfant mercy, Si mere a eu pour son filz du soucy, Si frere à sœur a couvert le peché, Je n'ay point veu, ou il est bien caché, Que nul Mary, pour à luy retourner, Ayt à sa femme onc voulu pardonner. Assez en est qui pour venger leur tort, Par jugement les ont fait mettre à mort. Autres, voyans leur peché, tout soudain A les tuer n'ont espargné leur main. Autres, voyans leurs maux trop apparentz, Renvoyées les ont chez leurs parentz. Autres, cuydans punir leur mauvais tour, Enfermées les ont dens une tour. Bref, regardez toutes complexions, La fin n'en tend qu'à grands punitions. Et le moins mal que j'en ay peu sçavoir, C'est que jamais ilz ne les veulent voir. Plus tost feriez tourner le firmament Que d'un Mary faire l'appointement, Quand il est seur du peché qu'elle a fait, Pour l'avoir veüe ou prinse en son meffait.

Parquoy, mon DIEU , nulle comparaison, Ne puis trouver en nul temps ne saison ; Mais par amour, qui est en vous sy ample, Estes icy seul et parfait exemple.

Icy, mon DIEU, plus que jamais confesse Que je vous ay faulsé foy et promesse. Las ! espouse m'aviez constituée, Osee 2. Et en l'estat d'honneur restituée ; (Mais quel honneur? d'estre au lieu de l'espouse, Qui doucement pres de vous se repouse : De tous voz biens, royne, maistresse et dame, En seureté d'honneur, de corps et d'ame), Vilaine moy, ce que fault que n'oublie, Par vous tresnoble, noblement anoblie. Bref, plus et mieux qu'on ne peult desirer Avois de vous ; dont sans fin souspirer Doit bien mon cœur, jusqu'à partir du corps, Et par plourer mes yeux saillir dehors. Pseau. 94 Trop ne pourroit ma bouche faire criz, Veu que nouveaux ny anciens escritz N'ont jamais fait sy piteux cas entendre, Comme celuy dont compte je veux rendre. Le diray je? l'oseray je annoncer ? Le pourray je sans honte prononcer ? Helas ! ouy, car ma confusion Ezech. 36. Est pour monstrer la grand' dilection De mon Espoux ; parquoy je ne fais compte, Pour son honneur, de declarer ma honte.

O mon Sauveur, pour moy mort crucifix, Ce fait n'est tel que de laisser un filz, Ny, comme enfant, son bon pere offenser, Ny, comme sœur, murmurer et tenser. Las, c'est bien pis ; car, plus grande est l'offense, Ou plus y a d'amour et congnoissance, Plus on reçoit de son DIEU privauté, Plus luy faillir est grand' desloyauté.

Moy, qui estois nommée espouse et femme, De vous aymée comme vostre propre ame, En diray je la verité ? ouy. Laissé vous ay, oublié et fouy. Laissé vous ay, pour suyvre mon plaisir ; Laissé vous ay, pour un mauvais choisir Laissé vous ay, source de tout mon bien, Laissé vous ay, en rompant le lien De vraye amour et loyauté promise. Laissé vous ay ; mais où me suis je mise ? Au lieu où n'a que malediction. Laissé vous ay, l'amy sans fiction, L'amy de tous digne d'estre estimé, L'amy aymant premier que d'estre aymé. Laissé vous ay, ô source de bonté, Par ma mauvaise et seule volunté. Laissé vous ay, le beau, le bon, le sage, Le fort de bras et le doux de courage. Laissé vous ay, et, pour mieux me retraire[9] De Vostre amour, ay prins vostre contraire. C'est l'Ennemy, et le Monde, et la Chair, Qui sur la croix vous ont cousté sy cher, Pour les convaincre, et mettre en liberté[10] Moy, qui par eux long temps avois esté Dens la prison, esclave, et tant liée, Que ne povois plus estre humiliée, Et qui me suis de tous trois acointée, Et de tous cas avec eux appointée. Et propre amour, qui trop est faulse et feinte, A charité de vous en moy esteinte, Tant que le nom de JESUS mon espoux, (Que par avant j'avois trouvé si doux) Avois quasi en hayne et fascherie, Proverbe 2. Et bien souvent en faisois moquerie. Si l'on disoit en oyant un sermon : Il a bien dit, je respondois : Ce a mon. La parole s'en voloit comme plume. A l'Eglise n'allois que par coustume. Tous mes beaux faitz n'estoyent qu'hipocrisie, Car j'avois bien ailleurs ma phantasie. Il m'ennuyoit d'ouyr de vous parler ; J'aymois bien mieux à mon plaisir aller.

Pour faire court, tout ce que defendez Je le faisois, et ce que commandez Je le fayois et le trouvoye amer, Tout par faulte, mon DIEU, de vous aymer.

Mais, Monseigneur, pour vous avoir hay, Abandonné, laissé, fuy, trahy, Pour vostre lieu à un autre donner, Me regardant à luy abandonner, A'vous souffert que je fusse huée, Monstrée au doigt, ou battue, ou tuée ? M'avez vous mise en prison tresobscure, Ou bannie, sans avoir de moy cure ? M'a'vous osté voz dons et voz joyaux Pour me punir de mes tours desloyaux ? Ay je perdu mon douaire promis, Pour les pechés qu'envers vous j'ay commis ? Suis je par vous en justice accusée, Comme une femme en malheur abusée ? A tout le moins, a'vous point fait defense Que jamais plus devant vostre presence N'eusse à venir, comme c'estoit raison, Ne plus rentrer dedens vostre maison? O vray espoux, mary inestimable, Parfait amy, sur tous les bons amable, Vous avez bien en moy fait autrement[11] Car vous m'avez quise diligemment, Comme brebis errante au plus profond Du puitz d'Enfer où tous les maux se font ; Moy, qui estois de vous tant separée, Et en mon cœur et mon sens esgarée, Appellée m'avez à haulte voix, En me disant : ô ma fille, oy et vois[12],

Et envers moy encline ton ouye ; Le peuple aussi, où tu t'en es fuye Vueille oublier, et de ton premier Pere La grand'maison, où as fait ton repaire Et le Roy plein de toute loyauté Convoitera à l'heure ta beauté.

Mais quand ce doux et gracieux prier Ne me servoit, lors vous veniez crier : Venez à moy, vous tous qui par labeur[13] Estes lassez et chargez de douleur ; Je suis celuy qui vous accepteray, Et de mon pain refectionneray.

Las, tous ces motz ne voulois escouter ; Mais encores je venois à douter Si c'estoit vous, ou si, par adventure, Ce n'estoit rien qu'une simple escriture. Car jusques là j'estoye bien sy fole, Que sans amour lisois vostre parole. Je voyois bien que les comparaisons De la vigne, qui vous donnoit poisons, Et labrusques en lieu de fruit parfait[14], Estoyent pour moy qui avois ainsi fait[15].

Assez pensois que les vocations De l'espouse et appellations, Disans : Tournez, retournez Sulamithe, Cantique 6. Estoyent afin que de tout le limite De mon peché je voulsisse saillir, Où en pitié me voyez defaillir. De tout cela semblant ne faisois mie ; Mais, quand je vins à lire Hieremie, Certes je dis que j'euz en ce passage Crainte en mon cœur et honte en mon visage. Je le diray, voire la l'arme à l'oeil, A vostre honneur, rabaissant mon orgueil.

Vous avez dit par vostre saint Prophete, Si au mary la femme s'est forfaite, Hiere. 3. En le laissant, pour d'un autre abuser, Jamais ne fut, ny lon n'a veu user Que le mary la vueille r'appeller, Ny plus la voir, ny à elle parler. N'est elle pas estimée pollue, Et tresmechante et de nulle value ? La Loy consent à Justice la rendre Et la chasser, sans la voir ne reprendre.

Mais toy qui as fait separation De mon doux lict, pour fornication Avec autruy meschantement commettre, Et en mon lieu tes faux amateurs mettre, A moy tu peux toutesfois revenir. Car contre toy courroux ne veux tenir. Lieve tes yeux et regarde bien droit, Et tu voirras en quel lieu et endroit, Eshontément ton peché ta menée, Et où tu gis en terre prosternée. Ame, regarde en quel lieu tu t'es mise, Au fin mylieu du grand chemin assise, Où tous passans pour mal tu attendois. A autre fin, certes, tu ne tendois. Comme un larron caché en solitude, A les tromper tu mettois ton estude. Parquoy ayant ta malice acomplie, Autour de toy as la terre remplie De ton immunde et orde infection, Couverte l'as de fornication ; Ton oeil, ton front, ton visage et ta face Avoit changé du tout sa bonne grace ; Car tell' estoit que d'une meretrice : Et si n'as eu vergongne de ton vice.

Et le surplus que Hieremie dit, Qui contraingnoit mon cœur, sans contredit, De contempler mon estat malheureux, Et regretter par souspirs douloureux, L'heure, le jour, le temps, le mois, l'année, Que vous laissay, me rendant condemnée, Mesmes par moy jugeant mon cœur infame, D'estre sans fin en l'eternelle flamme. Ce craindre là (qui de moy ne procede, Mais vient de vous et tout plaisir excede), Prover. 15. M'avoit quasi par vive congnoissance De mon peché mise en desesperance ; Si n'eust esté que ne m'avez laissée. Car aussi tost qu'avez veu abaissée Ma volunté soubz vostre obeissance, Avez usé de vostre grand' clemence, Mettant en moy une sy vive Foy, Que vous sachant Maistre, Seigneur et Roy, (De qui devois par raison avoir crainte) Par vraye amour senty ma peur esteinte, En vous croyant mary sy gratieux, Bon, doux, piteux, misericordieux, Que moy (qui tant me devoye cacher) Ne craingniz point de vous aller chercher.

A vous me suis vous cherchant retirée Mais paravant j'estois de vous tirée. Qu'avez vous fait? m'avez vous refusée ? Helas, mon DIEU, nenny, mais excusée. A'vous de moy tourné vostre regard ? Non, mais vostre oeil m'a esté un doux dard, Qui m'a navré le cœur jusqu'à la mort, En me donnant de mes pechés remord. Repoulsée ne m'avez de la main ; Mais à deux bras, d'un cœur doux et humain Luc 15. M'estes venu, m'embrassant, approcher, Sans mes defaultz en rien me reprocher. Point n'ay congnu, à vostre contenance, Qu'avez jamais apperceu mon offense. Vous avez fait de moy aussi grand' feste Que si j'avois esté bonne et honneste, Couvrant à tous ma faulte et mon delict, Me redonnant la part de vostre lict ; En me monstrant que mes pechés divers Par la bonté de vous sont sy couvers Et sy vaincuz par vostre grand victoire, Que n'en voulez jamais avoir memoire, Et que dens moy la grace avez enclose, Qui ne permet que voyez autre chose, Sinon les dons donnez de vostre dextre, Et les vertuz qu'il vous a pleu y mettre.

O Charité, bien voy que vostre ardeur Icy defait, et brusle ma laydeur, Et me refait creature nouvelle, Pleine de DIEU, qui me fait estre belle. Ce qui est mien avez du tout destruit, Sans y laisser renommée ne bruit, En me daignant sy parfaite refaire, Que tout le bien, qu'un vray espoux peult faire A son espouse, vous l'avez fait à moy En me donnant de vos promesses Foy.

Or, ay je donc par vostre bonne grace De l'espouse recouverte la place : Bienheureux lieu, place tant desirable, Gratieux lict, throne treshonnorable, Siege de paix, repos de toute guerre, Haultdais d'honneur separé de la terre, Recevez vous ceste indigne personne, Me redonnant le sceptre et la couronne De vostre Empire et Royaume de gloire? Qui onc ouyt parler de telle histoire, De moins que rien eslever sy treshault, Faire valoir qui de soy rien ne vault?

Las, qu'est cecy ? jettant en hault ma veüe, Je voy en vous bonté sy incongnue, Grace et amour sy incomprehensible, Que la veüe m'en demeure invisible, Et mon regard fait par force cesser, Qui me contraint en bas les yeux baisser. A l'heure voy en ce regard terrestre, Ce que je suis et que j'ay voulu estre. Helas, je y voy de mes maux la laideur, L'obscurité, l'extreme profondeur, Ma mort, mon rien et ma nichilité, Qui rend mon oeil clos par humilité ; Le bien de vous, qui est tant admirable ; Le mal de moy, trop inconsiderable ; Vostre hauteur, vostre essence trespure ; Ma tresfragile et mortelle nature ; Voz dons, voz biens, vostre beatitude, Et ma malice, et grande ingratitude ; Quel vous m'estes et quelle je vous suis ; Ce que voulez et ce que je poursuis : Qui me fait bien sans fin esmerveiller, Comme sy fort vous a pleu travailler, Pour vous unir à moy contre raison, Veu qu'il n'y a nulle comparaison. Vous estes DIEU, je suis vostre facture[16] ; Mon Createur, moy vostre creature ; Bref, ne povant ce que c'est diffinir, C'est ce que moins à vous se peult unir.

Amour, amour, vous avez fait l'accord, Faisant unir à la vie la mort. Mais l'union à mort vivifiée, Vie mourant d'amour verifié, Vie sans fin à fait nostre mort vive. Mort a donné à vie mort naïve. Par ceste mort, moy morte reçoy vie ; Et au vivant par la mort suis ravie. En vous je vy, quand en moy je suis morte, Mort ne m'est plus que d'une prison porte.

Vie m'est mort ; car par mort suis vivante. Vie me rend bien triste et mort contente. O quel mourir qui fait mon âme vivre, En la rendant par mort de mort delivre, Unie à vous, par amour sy puissante, Que sans mourir elle meurt languissante.

A elle tort l'ame qui mort voudroit Pour un tel bien? nenny, elle ha bon droit Car pour avoir vie tant estimée, Philip. 1. Bien doit nommer la mort sa bien aymée.

O douce mort, gratieuse douleur, Puissante clef, delivrant de malheur Ceux qui par mort estoyent mortifiez, Pour s'estre en vous et vostre mort fiez, Vous les avez mis par un doux dormir Hors de la mort qui les faisoit gemir.

Las ! bienheureux est de mort le sommeil, A qui la vie advient à son reveil. Par vostre mort la mort n'est au Chrestien Que liberté de son mortel lien. La mort, qui est aux mauvais effrayable, Elle est aux bons plaisante et aggreable.

Or est donc mort par vostre mort destruite. Hebr. 2. Parquoy, mon DIEU, si j'estois bien instruite, La mort dirois vie, et la vie, mort : Fin de labeur, entrée du seur port : Car de vie la grand'fruition M'empesche trop de vostre vision.

O mort, venez, rompez moy cest obstacle, Ou bien, amour, faites en moy miracle. Puis que par mort encores ne puis voir Mon doux Espoux, par vostre grand povoir Transformez moy en luy toute vivante, Et en repos j'attendray mieux l'attente. Jonas 4. Faites moy donc en luy vivant mourir, Autre que vous ne me peult secourir.

O mon Sauveur, par Foy je suis plantée, Rom. 11. Et par amour en vous, jointe et entée. Quelle union, quelle bienheureté, Puis que par Foy j'ay de vous seureté Nommer vous puis par amour hardiment Filz, Pere, Espoux et Frere, entierement Jean 1. Pere, Filz, Frere et Mary : ô quelz dons, De me donner le bien de tous ces noms! O mon Pere, quelle paternité ! O mon Frere, quelle fraternité ! O mon Enfant, quelle dilection ! O mon Espoux, quelle conjonction ! Pere, envers moy plein de mansuetude ; Frere, ayant prins nostre similitude ; Filz, engendré par Foy et Charité ; Mary, aymant en toute extremité.

Mais qui est ce que vous aymez? helas, Celle qu'avez retirée des laqs, Où elle estoit liée par malice, Luy redonnant le lieu, nom et office De Fille, Sœur, Mere, Espouse. O Sauveur, Ceste douceur est de grande saveur, Et tresplaisante et tresdouce à gouster, Parler à vous, ou bien vous escouter. Vous appellant Pere (parlant à vous Hiere. 3. Sans crainte avoir), Enfant, Frere et Espoux, Vous escoutant, je m'oy Mere nommer, Sœur, Fille, Espouse. Las, c'est pour consommer Cant. 4, 5. Fondre, brusler, du tout aneantir L'ame qui peult ceste douceur sentir.

Est il amour aupres de ceste cy, Qui trop ne soit pleine de mauvais Si ? Est il plaisir dont lon peust tenir compte? Est il honneur que lon n'estime à honte ? Est il profit que lon deust estimer? Bref, est il rien que plus je sceusse aymer Helas nenny, car tous ces mondains biens, Qui ayme DIEU, repute moins que siens. Philip. 3. Plaisir, profit et honneur sont corvée A qui l'amour de son DIEU a trouvée.

Amour de DIEU est si plaisant profit, Et tant d'honneur, que seule au cœur suffit. Psal. 106. Elle le rend content (je le puis dire) Tant que rien plus ne veult, ny ne desire. Car qui ha DIEU, ainsi qu'il le commande, Oultrageux est ; qui autre bien demande.

Or je vous ay par une Foy latente, Parquoy je suis satisfaite et contente. Or vous ay je, mon Pere, pour defense Des folles de ma trop longue enfance. Or vous ay je, mon Frere, pour secours De mes ennuyz que je ne trouve courtz. Or vous ay je, mon Filz, de ma vieillesse Le seul baston, support de ma foiblesse. Or vous ay je l'espoux sans fiction, De tout mon cœur la satisfaction. Puis que vous ay, je quitte le surplus. Puis que vous tiens, je ne vous lais'ray plus. Cantique 3. Puis que vous voy, rien ne veux regarder, Qui de vous voir me puisse retarder. Puis que vous oy, autre ne veux je ouyr, Psal. 84. Qui m'empeschast de vostre voix jouyr. Cant. 3, 8. Puis que propos à vous je puis tenir, Autre que vous ne veux entretenir. Puisqu'il vous plaist pres de vous m'approcher, Plustost voudrois mourir qu'autre toucher. Puis que vous sers, je ne veux autre maistre. Puis qu'à vous suis, à autre ne peux estre. Puis que mon cœur au vostre avez uny, S'il s'en depart, qu'il soit sans fin puny. Car plus dur est que la damnation, Sentir de vous la separation. Dix mille enfers n'estime tant de peine, Que de vous perdre un seul jour la sepmaine.

Helas, mon DIEU, mon Pere et Createur, Oraison à Dieu Ne souffrez pas l'ennemy inventeur De tout peché, avoir ceste puissance, Que par luy sois hors de vostre presence[17], Car qui a fait de la substraction De vostre amour vraye approbation, Il dira bien qu'il vaudroit mieux en fer Estre lié à jamais en Enfer, Que retomber encor au seul moment Au mal qui fait de vous l'esloingnement. O mon Sauveur, plus ne le permettez : Mais en tel lieu, s'il vous plaist, me mettez, Que, par peché, mon ame, ou par folie, De vostre amour jamais ne se deslie.

Or icy bas ne puis parfaitement Avoir ce bien, qui me fait ardentment De tout mon cœur desirer l'yssue, Sans craindre mort, pic, paelle, ny massue. Car quelle peur de mon DIEU puis je avoir, Veu qu'a passé par amour son devoir, Et a prins mort dont il n'avoit que faire, Pour nostre mort par la sienne defaire 2. Tim 1. Mort est JESUS, en qui tous morts nous sommes, Et en sa Mort fait vivre tous ses hommes Je dy les siens, qui de sa passion Ont par la Foy participation. Car où la mort, avant le grand mystere De ceste croix, estoit à tous austere, Ecclesiaste. Et n'y avoit cœur qui n'en eust frayeur, En regardant sa face et sa rigueur, Veu l'union qui est de l'ame au corps, Et l'ordonnance, et l'amour, et accordz, Dont la douleur estoit du separer, Extreme acces pour tout desemparer : Depuis qu'il pleut au doux Agneau souffrir Dessus la croix, et pour nous là s'offrir, Esaie 53. Sa grand' amour a allumé un feu En nostre cœur sy vehement, que jeu Tout bon Chrestien doit la Mort estimer, Et l'un l'autre à mourir animer. Et tout ainsi que peur nous retardoit, Amour desir de Mort donner nous doit. Car, si amour est au cœur, sans mentir 1. Jean 4. Il ne sçauroit autre chose sentir Sy grand' elle est, qu'elle tient tout le lieu ; Tout met dehors, rien ny souffre que DIEU. Où est amour vraye et vive, sans feinte, Il ne souvient de peur, douleur ne crainte.

Si nostre orgueil, pour honneur acquerir, Fait de la Mort tant de moyens querir ; Si pour avoir un plaisir qui tant couste Lon met de mort en oubly crainte et doute ; Si pour avoir des richesses son saoul, Lon met sa vie en danger pour un soul ; Si le desir de robber ou tuer, Battre, tromper, fait l'esperit muer, Tant qu'il ne voit de la Mort le danger, Pour faire mal, ou d'autruy se venger ; Si la force d'une grand' maladie, Ou la douleur d'une melancholie, Desirer fait la Mort et souvent prendre Par se noyer soudain, tuer ou pendre (Car sy grant est le mal ou le desir, Qu'il fait la Mort pour liberté choisir) Si ainsi est, que ces grands passions, Pleines de mal et d'imperfections, De la Mort font peu craindre le hazard, Mais maintesfois leur semble venir tard, Que doit donc faire amour juste et louable, Bien obligée et plusque raisonnable, Ny que fera l'amour du Createur ? Doit elle point sy fort brusler un cœur Que, par l'effort de telle affection, Ne doit sentir nulle autre passion ? Helas, si fait ; car mort est chose heureuse Psal. 115. A l'ame qui de luy est amoureuse, Et gratieuse elle estime la porte Philip. 1. Par qui il fault que de sa prison sorte. Le dur chemin ne la sçauroit lasser, Par lequel va son espoux embrasser.

O mon vray DIEU, que ceste mort est belle, Par qui j'auray fin de toute querelle ; Par qui j'auray de vous fruition Et jouiray de vostre vision ; Par qui seray à vous sy conformée Que j'y seray divine transformée.

O Mort, par vous j'espere tant d'honneur, Qu'à deux genoux en cry, souspir et pleur, Je vous requiers, venez hastivement, Psal. 119. Et mettez fin à mon gemissement.

O heureuses ames, filles tressaintes, Cantique. En la cité Ierusalem jointes, Baissez voz yeux par miseration, Et regardez ma desolation. Je vous supply que vous vueillez pour moi Dire à mon Dieu, mon amy, et mon roy, Luy annonçant à chasque heure du jour, Que je languiz pour luy de son amour. O douce mort, par ceste amour venez, Et par amour à mon DIEU me menez. O Mort, où est icy vostre pointure, Vostre aguillon, vostre rudesse dure? Helas, elle est de mes yeux divertie ; Car en douceur rigueur m'est convertie, Puis que par vous mon amy est passé, Et sur la Croix pour moy mort trespassé. Sa mort sy fort à mourir mon cœur poulse, Que vous m'estes pour le suyvir bien douce. O Mort, ô Mort, venez, quoy que lon die, 1. Cor. 13. Ensemble mettre avec l'amy l'amye.

Puisque la mort m'est vie sy plaisante, Que plus me plaist qu'elle ne m'espovente, Craindre ne doy sinon le jugement (Qui vient apres) de DIEU, qui point ne ment. Tous mes pechés par sa juste balance Seront poisez et mis en congnoissance. Ce que j'ay fait, mon penser, ma parole, Sera congnu, mieux escrit qu'en un rolle. Luc 12 et Matth. 10. Penser ne fault jamais, que Charité Vueille offenser Justice et Verité. Car, qui aura vescu comme infidele Puny sera de la peine eternelle. Tresjuste est DIEU, son jugement est droit ; Psal. 7. Tout ce qu'il fait est juste en tout endroit. Las, où suis je, regardant sa droiture, Moy miserable et povre creature ? Job. 15. Veu que je sçay que toutes les justices Des plus parfaitz, sont sy pleines de vices, Micheas. Que devant DIEU sont ordes, sales, viles, Voire trop plus qu'immundices des viles, Esaie 64. Que sera ce des pechés que je fais, Psal. 129 et 37. Dont trop je sens importable le faix ? Dire ne puis autre conclusion, Sinon que j'ay gaigné damnation. Est ce la fin? sera desesperance Le reconfort de ma grande ignorance ? Las, mon DIEU, non : car la Foy invisible[18] Croire me fait, que tout mon impossible Est tresfacile à vous, tant que mon Rien Convertissez en quelque œuvre de bien[19]. Donc, Monseigneur, qui me condemnera[20] ? Et quel Juge jamais me damnera, Quand celuy là qui m'est donné pour Juge Est mon Espoux, mon Pere et mon refuge ? Psal. 8, 9. Pere, mais quel? qui jamais son enfant Ne veult damner, mais l'excuse et defend. Et puis, je voy n'avoir accusateur Que JESUS CHRIST, qui est mon Redempteur ; Qui par sa mort nous a restitué Nostre heritage, et s'est constitué Nostre advocat, devant DIEU presentant 1. Jean 2. et 1 Tim. 1. Ses merites : qui sont et valent tant, Que ma grand' debte en est sy surmontée Que pour rien n'est en jugement comptée.

Mon Redempteur, voicy un bien grand cas, Peu se trouve il de sy bons Advocatz ! Doux JESUS CHRIST, c'est à vous que je doy, Esaie 53. Car vous priez et plaidoyez pour moy. Hebr. 7. Et, qui plus est, quand povre me voyez Roma. 8. De vostre bien ma grand' debte payez. O de bonté mer, abisme et deluge ; Mon Pere saint, daignez estre mon juge, Qui ne voulez voir la mort à pecheur. Ezech. 18. O JESUS CHRIST, des ames vray pescheur, Matth. 4. Et seul Sauveur, amy sur tous amys, Mon advocat icy vous estes mis ; Parlant pour moy, me daignant excuser, Où me povez justement accuser.

Plus je ne crains de nulle estre deffaite, Car du tout est Justice satisfaite. Mon doux Espoux en a fait le paîment Sy suffisant et tant abondamment, Que rien ne peult ma justice vouloir Que de luy seul elle ne puisse avoir : Car il a prins tous mes pechés sur soy, 1. Pet. 2. Et m'a donné ses biens, comme je croy.

Quand voz vertuz, mon Sauveur, presentez, Certes assez Justice contentez. Quand elle veult mes vices reprocher, Vous luy monstrez qu'en vostre propre chair Vous les avez portez de bon courage, Par l'union de nostre mariage : Et sur la croix, par vostre passion En avez fait la satisfaction. Et qui plus est, par vostre Charité M'avez donné ce qu'avez merité. Parquoy, voyant vostre merite mien, Justice plus ne me demande rien ; Psal. 84 Mais sa sœur Paix (comme toute appaisée Vous regardant) est doucement baisée.

Du Jugement n'auray donc plus de crainte, Mais par desir trop plus que par contrainte L'heure j'attens, que mon Juge voiray, Et jugement Juste de luy oyray. Si sçay je bien que vostre Jugement Est sy tresdroit, qu'il ne fault nullement, Et congnois bien mon infidelité, Digne d'Enfer et sa crudelité. Si seulement mon merite regarde, Rien je ne voy qui de ce feu me garde. Il est tout vray qu'il n'est que pour le Diable, Et n'est point fait pour l'homme raisonnable. Mais, toutesfois, s'il a mis son estude De l'ennemy prendre similitude, C'est bien raison que (comme luy) il soit Retribué à loyer qu'il reçoit.

Car si l'homme, par contemplation, Amour, vertu, bonté, perfection, De l'Ange tient et à la fin herite Au ciel, le lieu de semblable merite, Le vicieux en Enfer est puny, Avec celuy à qui il s'est uny. Sapien. 18. Puis qu'à Satan du tout s'est comparé, Il tient le lieu qui luy est preparé. Matth. 25. Cecy bien peu mon esperit conforte, Pensant des deux la differente sorte Nier ne puis qu'au mauvais ne ressemble Trop plus qu'au bon : parquoy je crains et tremble : Car la vie est de l'Ange si celeste, Que rien n'en tiens : cela je le proteste. Mais de l'autre, j'en ay tant de semblance, Tant de malice et tant d'acoustumance, Que de son mal, de sa peine et tourment, Participer doy par vray jugement.

Grand et trop grand est le cruel peché Qui en Enfer m'a sy fort attaché. Enfer est fort, ne laissant rien saillir, Et si ne craint qu'on le vienne assaillir. Le Fort est fort, mais quand le Plusfort vient, Luc 11. Le Fort ne sçait que sa force devient. Peché est fort, qui en Enfer nous meine : Et ne voy nul qui, par merite ou peine, Ayt jamais sceu vaincre et tuer ce Fort, Fors celuy seul qui a fait tel effort Par Charité, que mort, humilié, Philip. 2. Son ennemy a vaincu et lié, Ephese 4. Enfer rompa, et brisé son povoir, Dont maintenant ne peult puissance avoir De plus tenir captive et en tutelle L'Ame qui est envers son DIEU fidele.

Parquoy croyant de luy la grand' vertu, Enfer, peché, je n'estime un festu. Dequoy me nuyt peché, si non de mieux Monstrer mon DIEU misericordieux, Fort et puissant, entierement vainqueur De tout le mal qui est dedens mon cœur ? Si mon peché pardonné, est la gloire De mon Sauveur, pareillement puis croire Qu'aussi la mienne est en ce augmentée, Puis qu'en luy suis inserée et entée. Son honneur seul honnore tous les siens, Et son thresor emplit chacun de biens.

Enfer est donc par luy à tout destruit, Peché vaincu, qui tant ha eu de bruyt. Goulu Enfer, où est vostre defense ? Vilain peché, où est vostre puissance ? O Mort! où est icy vostre victoire, 1. Cor. 15. Vostre aguillon, dont tant est de memoire? En nous cuydant donner mort, donnez vie, Et le rebours faites de vostre envie. Et vous, Peché, qui à damnation Voulez tirer tous, sans remission, Vous nous servez d'esperon et d'eschelle Pour atteindre Jerusalem la belle : Faire cuydant par maligne nature Au Createur perdre sa creature. Par sa grand grace avancez son retour, Et à son DIEU la faites, par amour, Plus que jamais revenir humblement, Et le servir et aymer doublement. Roma. 5. Sa grand' bonté vous fait perdre la peine Que vous prenez le long de la sepmaine. Parquoy Enfer n'a pas eu tout le nombre Qu'il pretendoit pour vous, pource que l'umbre Et la vertu de ceste passion Est à l'esprit telle protection, Qu'elle ne doit avoir ne peur ne doute De Mort, Peché, ne d'Enfer une goutte.

Y a il rien qui me puisse plus nuire, Si DIEU me veult par Foy à luy conduire ? J'entens la Foy toute telle, qu'il fault, Ephes. 2. Digne d'avoir le nom du don d'enhault : Foy, qui unit par Charité ardente Au Createur sa treshumble servante. Unie à luy, je ne puis avoir peur, Peine, travail, ennuy, mal, ne douleur Car avec luy, croix, mort et passion Ne peult estre que consolation. Trop foible suis en moy, en DIEU tresforte Car je puis tout en luy, qui me conforte. Son amour est sy ferme et pardurable Que pour nul cas elle n'est variable.

Qui sera ce donc qui me tirera De sa grace ? qui m'en separera ? Certes à Ciel la tresgrande hauteur, Ny de L'enfer l'abisme et profondeur, Ny la largeur de toute ceste terre, Mort, ne Peché, qui tant me fait de guerre, Ne me pourront separer un seul jour De la grande charité et amour Que mon pere, par JESUS CHRIST, me porte : Car son amour est de sy bonne sorte, Que sans l'aymer il m'ayme, et, en l'aymant, Roma. 5. Par son amour sentz l'aymer doublement. 1. Cor. 14. Mon amour m'est pour l'aymer, mais la sienne En moy l'ayme, que je sentz comme mienne.

Il s'ayme donc en moy, et par m'aymer Il fait mon cœur par amour enflammer. Par ceste amour il se fait aymer tant, Que son effect (non moy), le rend content. Se contentant, tousjours il multiplie Trop plus d'amour, qu'amour ne luy supplie.

O vray amant, de Charité la source, Et du tresor divin la seule bourse, Doy je penser, ny oserois je dire, Que c'est de vous? Le puis je bien ecrire? Vostre bonté, vostre amour se peult elle Bien concevoir de personne mortelle? Et s'il vous plait un petit l'imprimer Dedens un cœur, la peult il exprimer ? Certes nenny : car sa capacité N'est pour tenir la grande immensité Qui est en vous, veu que vive raison Nous monstre bien n'avoir comparaison De l'infiny à la chose finie. Psal. 14. Mais quand à luy par amour est unie, Sy remply est son Rien d'un peu de Tout, Qu'à declarer ne peult trouver le bout. Plus ha de bien qu'il m'en peult soustenir, Parquoy il croit tout le monde tenir.

Quand le Soleil d'une seule estincelle Aveugle l'oeil, sa grand' lumiere cele : Mais demandez à l'oeil qu'il a senty ; Il dira tout ; mais il aura menty Car aveuglé de petite lumiere, Il ne peult voir la grand' clarté entiere ; Et toutesfois demeure sy content, Qu'advis luy est, s'il en avoit autant, N'estre puissant pour povoir endurer Ceste clarté qu'il ne peult mesurer.

Aussi l'Esprit, qui par façon subtile Sent de l'amour de DIEU une scintille, Trouve ce feu sy grand et sy terrible, Si doux, sy bon, qu'il ne luy est possible Dire que c'est d'amour : car un petit Qu'il a senty, rend tout son appetit Sy satisfait, et non moins desirant, Ecclesiast. Qu'il est remply, et vit en souspirant. Le cœur sent bien que trop il a receu : Mais en ce trop, tel desir a conceu, Que sans cesser desire recevoir Ce qu'il ne peult, ny n'est digne d'avoir. Il congnoit bien indicible son bien, Et veult le plus où il ne congnoit rien. Sentir ne peult quel est son bien vraîment, Et si ne peult penser son sentement.

Le dire donc n'est pas en sa puissance, Puis que du feu il n'ha la congnoissance ; D'amour ne sçait bien au vray diffinir, Qui l'a cuydé toute en son cœur tenir, Bienheureux est qui en ha tel excés Que dire peult : Mon DIEU, j'en ay assez. Qui l'ha en soy, il n'en sçauroit parler, (Craingnant partant de la laisser aller) Sinon faisant l'edification De son prochain, à sa salvation.

L'impossible me fera donques taire, Car il n'est saint sy parfait ou austere, S'il veult parler de l'amour du Treshault, De sa bonté, douceur, de ce qu'il vault, De ses graces, de ce qu'à luy sent touche, Qui, baissant l'oeil, il ne ferme sa bouche. Moy donques ver de terre, moins que riens, Et chienne morte, ordure de fiens, Cesser doy bien parler de l'altitude De ceste amour ; mais trop d'ingratitude Seroit en moy, si n'eusse rien escrit, Satisfaisant à trop meilleur esprit. Car de celer les biens d'un sy bon maistre, C'est un forfait qui assez ne peult estre A droit puny, sans l'eternel licol. Parquoy venez, ô binheureux saint Pol, Qui bien avez gousté de ce doux miel, Actes 9. et 2. Cor. 12. Trois jours sans voir, ravy j'usqu'au tiers ciel, Vueillez supplier mon ignorance et faute, Qu'avez vous sceu de vision sy haute ?

Oyez qu'il dit : O INDICIBLE hautesse, Rom. 11. Du grand thresor de divine richesse De la fontaine et source de science Haute et divine, et toute sapience, Voz jugementz sont incomprehensibles ; Et voz sentiers, selon tous noz possibles, A tous noz sens investigables sont.

O bon saint Pol, voz paroles nous font Bien esbahis, que vous sy tressçavant D'un tel secret ne parlez plus avant. Mais oultre encor dites : de ceste amour Qu'esperons nous en avoir quelque jour? Escoutez le, voylà qu'il nous en dit :

Onques nul oeil d'homme mortel ne veit, 1. Cor. 2. Et si ne sceut oreille onques entendre, Ne dens le cœur, tant soit il bon, descendre Ce que DIEU a preparé, et promis A la parfin à tous ses bons amys.

N'en direz vous plus oultre ? Certes non. Ce qu'il en dit encores n'est, sinon Pour mieux nous faire estimer et aymer, Ce qu'il ne peult declarer ne nommer, Tirant noz cœurs, nostre amour et espoir A desirer ce qui ne se peult voir. Que dy Je, voir? mais penser ny sentir : Qui rend content de mourir un martyr.

O tresgrand don de Foy, dont tel bien vient, Que posseder fait ce que l'on ne tient ! Foy donne espoir par seure verité, Et met en nous parfaite Charité. Et Charité est DIEU comme sçavons. 1. Jean 4. Si en nous est, DIEU aussi nous avons. Il est en nous, et trestous en luy sommes. Tous sont en luy, et luy en tous les hommes ; Si nous l'avons par Foy, tel est l'avoir, Que de le dire en nous n'est le povoir.

Donc, attendu qu'un sy tresgrand Apoustre Comme saint Pol n'a voulu parler oultre, Suyvant le trac de sa tressage eschole Je me tairay ; mais, suyvant sa parole (Bien que je sois fein, poudre, ordure et fange), Ne puis faillir à rendre la louenge De tant de biens, qu'avoir je ne merite, Qu'il luy plaist faire à moy sa MARGUERITE. AU ROY DU CIEL, immortel, invisible, 1. Tim. 1. SEUL DIEU puissant et incomprehensible, Soit tout honneur, gloire, louenge, amour A tout jamais, es siecles sans sejour.

  1. Pseau. 81.
  2. Pseau. 50.
  3. Jean 1.
  4. Job. 10 et Gene. 8.
  5. Job. 14.
  6. Rom. 5,7.
  7. 1. Cor. 15.
  8. Psal. 31.
  9. Deuter. 32.
  10. Galat. 4.
  11. Luc 15 et 18.
  12. Pseau. 44.
  13. Matth. 11.
  14. Deuter. 32.
  15. Esaie 5.
  16. Hebr. 5.
  17. Psal. 37.
  18. Matth. 19.
  19. Rom. 5.
  20. Rom. 8.