Le Miroir des jours/L’autre

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L’autre (1912)
Le Miroir des joursMontréal (p. 224-225).


L’AUTRE


 
Comme dans un miroir se double notre image,
Par une nuit d’hiver je me suis apparu ;
J’avais les mêmes yeux dans le même visage,
Mon âge d’un seul jour ne s’était pas accru.

Mon fantôme s’assit près de moi. Nous parlâmes.
Tout ce qu’il me disait me paraissait ancien ;
Et lui me regardait, ses yeux gris pleins de blâmes :
Mon langage nouveau contredisait le sien.


Pourtant, c’était bien moi rapproché de moi-même,
Ce compagnon d’un soir n’était pas étranger ;
Entre nous, cependant, quelle distance extrême !
L’un de nous deux semblait à l’autre mensonger !

Il partit doucement, comme expire une flamme,
Me laissant seul, le cœur triste et l’esprit confus…
Cet autre avec mes traits mortels, c’était mon âme
Aux mots de vérité que je ne comprends plus !