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Le Miroir des jours/Les deux métiers

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Le Miroir des joursMontréal (p. 200-203).
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LES DEUX MÉTIERS


 
Au pupitre comme à l’enclume,
Le poète et le forgeron
Ont la même auréole au front
Quand le feu créateur s’allume.

L’un travaille le rude airain,
L’autre forge le vers plus rude ;
Tous les deux ont noble attitude
Devant le labeur souverain.

L’un, à la flamme intérieure,
Plie et façonne un pur métal,
L’autre, au feu vivace et loyal,
Plonge un fer, outil tout à l’heure.


Les deux métiers sont longs, mais doux ;
Ils réclament toute la vie ;
L’âme est à sa tâche asservie,
Et les bras frappent à grands coups.

Le corps s’use et l’esprit se lasse ;
L’effort recommence toujours,
Rythmé par des bruits clairs ou sourds
Et par de longs soupirs qui passent…

Devant votre gloire, ô Seigneur,
À votre jugement très juste,
Quel est des deux le plus auguste
Et le plus fécond travailleur ?

Votre regard dans l’âme plonge,
Rien n’en saurait masquer le vrai,
Vous savez les motifs secrets,
Pour Vous, l’esprit est sans mensonge.


Celui qui lève le marteau,
Exempt de l’orgueil qu’on redoute,
Et dont la peine vous est toute
Offerte, Seigneur, sans un mot…

Celui qui sue avec misère
Seulement pour gagner son pain,
Et qui n’attend pas pour demain
Le renom, comme son salaire.

Seigneur, à vos yeux le plus grand
N’est pas l’ouvrier dont la gloire
Consacre à jamais la mémoire :
Le dernier siège au premier rang.

Forgeron du vers, que ton âme
S’illumine modestement
Au mystérieux élément
Dont le Ciel entretient la flamme.


Les vers sont beaux quand ils sont purs
Comme l’eau des claires fontaines,
Et que la conscience humaine
S’y reflète, ainsi que l’azur !