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Le Miroir du ciel natal/Les Réverbères

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Le Miroir du ciel natalBibliothèque-Charpentier (p. 75-93).

LES RÉVERBÈRES


I



Les réverbères un à un vont s’allumant,
Comme les étoiles
Ou des cires autour d’un poêle.



Et la ville s’endort pensivement…
Plus une cloche ne tinte ;
Toutes les lampes sont éteintes ;
Elles, elles étaient les sœurs des réverbères,
Sœurs heureuses, que du tulle ornemente !
Eux sont leurs tristes frères
Pour qui la Destinée a été inclémente.



Ils ne se montrent qu’à la nuit ;
Ils sont toujours grelottants ;
Ils doivent subir tous les temps,
Le vent, la pluie ;
Ils sont toujours sans gîte,
Regardant les maisons où les lampes habitent ;
Eux sont des pauvres…



Ils sont toujours transis ;
Qu’est-ce qu’ils attendent ainsi ?
Et c’est vers où que dans l’aube ils se sauvent ?


II



Les réverbères des banlieues
S’en vont durant des lieues.



S’en vont comme un cortège, au loin, de pénitents,
Le dimanche, en semaine, et par tous les temps ;



L’un est debout ; un autre, il semble, s’agenouille ;
Et chacun se sent seul comme dans une foule.



Par les chemins que la pluie détrempe
Ils allongent des rampes.



Des rampes de clarté par où monte le Rêve !
Et on voit remuer leurs feux comme des lèvres.



Les réverbères des banlieues
Effeuillent leurs lumières bleues.



C’est le vent qui effeuille à terre leur lumière,
Lumière éclose en une serre.



Petite serre, à quatre vitres, des lanternes
Où le bouton avec la fleur ouverte alterne,



Selon le caprice du vent,
Écrasant la flamme ou la relevant.



Les réverbères des banlieues
Sont des cages où des oiseaux déplient leurs queues.



Pauvres oiseaux réfugiés
Qui ont souffert d’être mouillés.



Ils ont eu peur des horizons
Et regardent la vie à travers des cloisons.



Oiseaux trop frêles qui préfèrent
Vivre captifs dans du verre.



Ils savent la fragilité de leur vol d’or !
Le vent les tord…



Ils n’ont pas longtemps résisté
Et meurent longuement en spasmes de clarté.



Les réverbères des banlieues
Bientôt sont des lumières feues.


III



Un triste réverbère
Dans le soir s’exaspère
À regarder son ombre.
Se peut-il qu’il corresponde
À ce dessin transi
Qui dort à terre comme dans un miroir,
Et qu’il soit lui aussi
Cette figure linéaire et tout en noir ?



Le papillon jaune qu’il est
N’est plus sur le sol
Que le deuil d’un vol.



Il regarde tout son reflet
Qui se délimite en contours de ténèbres ;
Ah ! cet afflux de présages funèbres !



Soudain le réverbère
Voit l’ombre de sa boîte en verre
Former, avec ses quatre pans,
Comme un petit cercueil à terre,
Qui attend ;
Et le réverbère a peur qu’on emporte,
Dedans, sa flamme morte !


IV



Dans le soir, au bord de l’eau,
S’allument les lanternes ;
Leur mirage dans l’eau se cerne
D’un tremblotant halo.



L’eau, dirait-on, se zèbre
De ces clartés qui alternent
Avec les ténèbres.



Les réverbères à la file
Se prolongent, intermittents ;
On dirait des pénitents
Avec leur gourde de lumière.



La nuit de l’eau serait plénière
Sans les réverbères du bord
Qui la faufilent
De leurs points d’or !


V



La Nuit est seule, comme un pauvre.
Les réverbères offrent
Leur flamme jaune
Comme une aumône.



La Nuit se tait comme une église close.
Les réverbères mélancoliques
Ouvrent leur flamme rose
Comme des bouquets de lumière,
Des bouquets sous un verre et qui sont des reliques,
Par qui la Nuit s’emplit d’Indulgences plénières.



La Nuit souffre !
Les réverbères en chœur
Dardent leur flamme rouge et soufre
Comme des ex-votos,
Comme des Sacré-Cœur,
Que le vent fait saigner avec ses froids couteaux.




La Nuit s’exalte.
Les réverbères à la file
Déploient leur flamme bleue,
Dans les banlieues,
Comme des âmes qui font halte,
Les âmes en chemin des morts de la journée
Qui rêvent de rentrer dans leur maison fermée
Et s’attardent longtemps aux portes de la ville.


VI



La Nuit s’acharne au réverbère qui la nie.


Tout s’endort ; seul son feu,
Obstiné comme l’insomnie,
S’attarde, avec son pouls fiévreux,
Ce battement de flamme chaude
Et comme artériel
Qui continuera jusqu’à l’aube.



Le réverbère est seul sous le grand ciel.



Et il voit que, là-bas,
D’autres feux tremblent,
Étoiles qui jamais ne se rassemblent,
Seules comme lui
Dans un éternel célibat.


Ô étoiles, ses sœurs, qu’il nomme dans la nuit !
Un même mal les agite ;
Elles sont si tristes ;
Elles ont le même sort,
Le même tremblement de fanaux dans un port
À des vaisseaux qui jamais ne partent ;
Elles ont la même palpitation,
Les mêmes pulsations,
Comme si un seul cœur, elles et lui, les faisait battre.


Le réverbère songe : « Elles sont comme lui ;
Il est comme elles ;
Solitude ! Et n’avoir à vivre que la nuit ! »




Ah ! s’éteindre, s’éteindre en une Aube éternelle !


VII



Les réverbères en enfilade
Ont allumé leurs pensives veilleuses
Quotidiennes,
Formant un jeu d’ombres silencieuses
Qui vont et viennent…




La Ville est-elle plus malade
Ce soir ?




On dirait qu’il fait plus noir ;
Le vent a l’air de plaindre
Quelqu’un qui ne guérira plus ;
Une petite cloche tinte
Le dernier angélus ;
L’air est sonore à cause du silence ;
Les peupliers, dont la cime s’élance,
Ont peur de faire trop de bruit ;
Et les passants embrument leur marche
Comme dans une chambre, autour d’un lit…




L’eau chuchote plus bas sous l’unique arche
Des vieux ponts ;
On dirait qu’elle prie avec des soupirs ;
Mais à quoi bon ?




Sans doute que la Ville empire
Ce soir ?



Les veilleuses des réverbères
À peine encore un peu espèrent ;
Elles sont comme des yeux,
Comme des feux dévotieux,
Yeux et feux illusoires.



Ô réverbères ! Ils s’alarment
Et sentent la mort en chemin ;
Ils ont quelque chose d’humain,
Ils tremblent et semblent pâlir
Comme si dans leur flamme il y avait des larmes !
Qu’est-ce qui va mourir ?
Un cygne averti chante sur l’eau noire…



Il se peut que la Ville meure
Ce soir…



Les réverbères pleurent !