Le Moine et le Philosophe/Tome 2/I/XVI

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Le Roi (2p. 22-28).


CHAPITRE XVI.

L’Iman vole les églises.


Cependant le bruit de leur arrivée se répandit dans la ville ; les âmes dévotes chantèrent la victoire éclatante remportée sur Baal. Les princes et les princesses se disputaient l’honneur de servir de parrain ou de marraine à l’Iman ; mais le renégat ne voulait l’introduire dans le sein de l’Église qu’après leur arrivée à Jérusalem ; il voulait se servir de lui pour l’exécution d’un projet dont la réussite le devait mettre à même d’établir, de suite, l’ordre militant des sapeurs du Christ.

Ami, lui dit-il, voici l’époque de votre vie la plus heureuse. Quelques gouttes d’eau sur votre tête, accompagnées de certains mots latins, vous rendront l’innocence du premier homme, avant son premier crime. Que vous êtes heureux de n’être pas baptisé, que je voudrais ne l’être pas encore ! comme j’utiliserais ma vie ! Nos aïeux ne recevaient le baptême qu’en mourant ; de cette manière ils mouraient en état de grâce ; et malgré tous leurs crimes, l’Éternel était obligé de les faire asseoir à sa droite. Ils risquaient, il est vrai, de mourir sans baptême, et alors les plus vertueux étaient damnés, in æternum ; c’est la cause, sans doute, de l’abandon d’un usage aussi salutaire. Ce que je ne puis exécuter, vous le ferez vous-même ; terminez votre vie d’infidèle par un coup héroïque, soyez voleur ; le métier de voleur est bon ; seulement ceux qui l’exercent sont gênés dans leur industrie ; mais comme un jour nous suffit, on n’aura pas le loisir de vous faire un mauvais parti. J’ai besoin de beaucoup d’or pour établir les sapeurs du Christ, dont vous serez le chef après moi ; les princes, les chevaliers, les croisés sont gueux et misérables comme les habitans du pays, parce que le fruit de leurs brigandages a passé dans les mains des courtisanes et des prêtres. Les courtisanes ne l’ont point gardé, les prêtres l’ont employé selon l’intention des pécheurs à l’embellissement des églises et des monastères ; il faut donc voler les églises et les monastères. Malgré la bulle du Pape dont vous a parlé l’abbesse, j’ai les mains liées ; car si le Saint-Père accorde des indulgences aux voleurs et aux meurtriers, ce ne peut être à ceux qui voleront ou tueront les prêtres, les nonnes et les moines ; on ne donne point des armes contre soi ; je ne puis donc, moi chrétien, leur causer aucun dommage ; mais vous qui ne l’êtes pas encore, que risquez-vous ; honnête homme ou fripon, vous n’en serez ni plus ni moins damné, en votre qualité de mahométan ; vous ne devez donc voir en tout que votre intérêt, votre intérêt est certainement de vous enrichir, volez donc les églises et les couvens puisqu’ils sont riches, et tuez les prêtres, les moines et les nonnes qui voudraient s’y opposer, tuez-les s’ils vous y obligent ; pourquoi reculeriez-vous devant eux ? en vain vous les épargneriez, ils ne vous épargneraient pas. Faites-leur du bien, ils vous maudiront, c’est leur devoir puisque vous êtes hors de l’Église. Une fois riche, vous vous ferez baptiser ; je vous mettrai dans mes sapeurs, et si vous travaillez avec un zèle ardent à purger les hérésies, vous serez canonisé, et vous ferez des miracles.

Ces raisonnemens étaient dangereux, où en serions-nous si les infidèles professaient une pareille doctrine ? Le zèle du renégat l’aveuglait. Il appliquait les vols à une œuvre pie ; voler une église, c’était une imposition indirecte sur les peuples ; le renégat savait que bientôt les fidèles auraient réparé le dommage. Cependant, nous blâmons sa conduite, et surtout son indiscrétion ; mais nous rendons avec plaisir un hommage éclatant à la pureté de ses motifs.

L’Iman s’adjoignit une douzaine de chevaliers que les rues d’Antioche lui firent connaître, et que déjà vous connaissez ; ils dépouillèrent toutes les églises et tous les couvens ; beaucoup de jeunes sœurs les suivirent ; toutes les vieilles restèrent au gîte ; et la bande sacrilége, joyeuse et pénitente, sortit d’Antioche au point du jour. Je dis pénitente, parce que se repentant de son crime, elle fit vœu d’aller visiter le tombeau du Sauveur, de mendier sur la route, de dire le chapelet matin et soir, et de se donner la discipline.

On était chrétien alors, le repentir et l’expiation du péché suivaient toujours le péché.

Quand les pécheurs furent arrivés près des champs de Jérusalem, le renégat dit à l’Iman : frère, nous verrons bientôt les murs de la ville sainte ; bientôt vous recevrez le baptême et je recevrai l’absolution. Hâtons-nous d’achever l’œuvre si bien commencée. Vengeons l’Église, arrachons à ces hérétiques ces vases, ces patènes, ces croix d’or et de diamans. Je vous y aiderai ; je puis, en sûreté de conscience, prendre partout ailleurs que dans des mains ecclésiastiques. Je vous ai suivis pour punir ces sacriléges par l’endroit même où ils ont péché.

Il dit, et pendant le sommeil des chevaliers et des nonnes, ils leur enlevèrent leurs richesses et même leurs vêtemens. Ils trouvèrent dans une ferme deux mules sur lesquelles ils montèrent, et ils s’en allèrent vîtement vers Jérusalem. Bientôt ils aperçurent la ville sainte.